04/04/2007
Claude Ber, Promesse à Petit Pops
Toi de la langue imagineuse et des fêtes de l'esprit, comme tu étais pauvre et sans même la paix du dénuement
Je te ramènerai, Petit Pops, dans l'arrière pays du temps
dans l'abondance de la fête
dans la clarté
Maintenant que je suis sans plus d' illusion sur le pouvoir des mots et que je ne peux même plus me prendre aux leurres de mon époque qui sont aussi le partage d'une danse à plusieurs, maintenant que je suis moi aussi séparée irrémédiablement et que je considère mes propres mains et mes propres paroles dans la démesure de leur impuissance, maintenant je pourrai
je te promets
Et je saurai employer les mots imposés par le jeu auxquels nous jouions quand tu osais encore jouer
sureau, sang, cirque, paille, piéride, vairon...
Le dernier seulement est difficile comme un regard qui surimpressionnerait ta vue à la mienne
je me souviens bien d'un chien plus loup que chien qui regardait par deux yeux distincts, brun bleu, mi confiant mi sauvage, mais c'est dans une autre histoire que la tienne
Il y avait aussi tailleur, étain, cambouis et lampadaire
Tu te souviens de ce jeu Petit Pops?
Oublie! Oublie vite! Oublie tout.
La clef du temps est un couteau qui tranche les paupières.
Piéride donc! J'ai collectionné leurs ailes blanches point noir, il y a si longtemps, au pied d'une montagne dont le socle affleurait entre les très hautes herbes parmi les rires et les envolées de papillons minuscules d'un bleu moiré et brillant comme un pigment de ciel sur le rose des oeillets sauvages, papillons précieux que le moindre coup de vent emportait et auprès desquels les grandes reines jaunes à éperons déployaient des ailes de milans. Près de la source poussaient aussi des sureaux à l'odeur entêtante et des orties que l'oncle cueillait pour la pâtée des poules; la grange sentait le lait et la paille
comme tes cheveux
Tu vois, je respecte le pacte sauf pour l'étain dont la Marroune disait qu'il portait malheur, et le malheur se porte suffisamment bien tout seul sans avoir en plus besoin qu' on le porte
toutes ces années de sang et de cambouis, Petit Pops, passons vite
De tailleur, je n'ai jamais connu que celui qui affichait sur sa ceinture "7 d'un coup" comme s'il s'agissait de géants et non des mouches engluées dans sa tartine de groseilles; déjà je ne retenais que le rouge gourmand des groseilles et le 7 semblable à celui des femmes de Barbe Bleue, des 7 nains et de tous les 7 de l'enfance, y compris ce Seth qui tronçonnait son frère renaissant dans les replis d'un fleuve à pouvoir de jouvence
si ce fleuve existait... tant de boue, Petit Pops, tant de terre et de temps recouvrent ces ruisseaux d'espérance ... et la vie terreuse elle aussi comme au confluent de rivières mortes
Je ne sais pas que faire du mot front. J'ai passé bien des fois ma main sur le tien mais ce mot le dit mal car il n'a pas le son qu'il faut
Les lampadaires ne me parlent pas non plus sauf sous la pluie, quand l'eau brille en épingles si fines dans leur lumière qu'elle paillette la nuit d'un or imputrescible... espérance, Petit Pops, comme une pluie d'été la nuit au coin de cette rue où tu habiteras encore, promis, dans ma mémoire
chez moi, dans des séjours d'emprunt où tu ne serais pas et la tristesse que j'ai de tout cela, ma vie me la jette sur le comptoir enveloppée dans un papier rose de boucherie
Ainsi moi non plus je ne sais pas où j'habite et je te rejoins à ma manière dans le sédiment de la douleur
Pourtant j'avais promis de t'emmener là-bas: martres, renards, lièvres fuyant en rebonds d'allégresse entre les myrtilles et les bogues de châtaignés par dessus le ruisseaux à truites et l'étang aux anguilles
nous tresserons les fils vénéneux de la rhubarbe et le pollen noir des asters
Oh Petit Pops, un nom d'étoile est déjà dans la graine que tu dispersais par poignées
laissant dans l'incendie du soir un sillage sombre et lumineux
les capillaires des rhubarbes emmêlés entre tes doigts irriguent une vie invisible à odeur de muguet et à bruit de feuilles
Il suffit de la revêtir
pour que l'aube rejoigne le crépuscule, ce soir, ce matin, dans l'éveil d'un jour à naître à travers la mémoire
Maintenant que je suis allée te chercher au bout du silence où les mots n'ont plus cours, bien au delà du langage, dans un lieu si désert que même le désert est luxuriance à côté de ce dénuement, maintenant que j'ai appris à remercier la plus balbutiante des paroles quand elle réaccoste au langage des hommes, je saurai ramener au fil de nos mots de misère comme un noyé à une corde ce lieu au centre d'une mer de prairies et de sapins noirs où roulent d'autres vagues que celles de la douleur, et si je ne sais pas, si je n'ai pas encore été assez dépouillée pour le faire, toi, Petit Pops, qui sais ce qu' est n'avoir plus rien et moins encore que le rien de ceux qui ont cessé toute souffrance, toi tu sauras.
© Claude BER
13:00 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2)
02/04/2007
Balise 15
Nous sommes dans Le meneur de lune, ORC, T II, Albin Michel et Joë Bousquet parle de cette chambre où il vécut, noyé dans les couleurs des plus belles toiles du monde:
"C'était le calme de l'abîme et du danger, un endroit où tout était possible et où rien n'arrivait : peut-être le lieu où s'élaborait une nouvelle idée de l'amour."
Et vous diriez qu'il ne parlait pas aussi de la littérature?
22:35 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1)
Entretien avec Jacques Dupin, « sourcier de l’ordinaire éclat »
Coudrier vient de paraître chez POL.
Ne tardons pas !
(Cet entretien est paru en deux fois dans les colonnes du journal L’Humanité des 5 octobre 2006 et 8 mars 2007. Il a été repris dans la revue Faire Part, N°20/21, Matière d’origine , numéro d’hommage à Jacques Dupin pour fêter ses quatre-vingts ans.
Jacques Dupin est ici en compagnie du peintre Jean Capdeville)
Alain Freixe :
Coudrier, le mot dit l’arbre et son bois communément appelé noisetier. Mais il ne peut pas ne pas faire penser à la baguette du même nom. Baguette qui n’est pas bâtonnet mais branchette fourchue, bifide et que l’homme des sources, avec sa bêche à proximité, tient à deux mains en arpentant le sol à l’écoute de ce qui remugle dans les dessous : eaux et minéraux, liquides et solides, courants d’énergie pure, forces invisibles : à repérer, à aider à remonter les habillant de mots, à capter en quelques formes appropriées. Bien sûr, le mot renvoie aussi pour le lecteur au livre lui-même puisqu’il fait titre. Titre que je n’imagine pas indépendant du tout qui s’ensuit comme dans une certaine tradition surréaliste, mais au contraire comme tenant aux textes, non d’une manière ornementale mais comme faisant signe vers ce qui pourrait être le principe de leur ajustement ou comme figurant le fil invisible qui les tiendrait ensemble. Qu’en est-il de votre pratique en matière de titre ? Qu’en est-il de celui-ci ? Comment Coudrier s’est-il imposé ?
Jacques Dupin :
Le titre d'un livre n'est pas une annonce, un programme, un couvercle. Il n'est ni un condensé ni une émanation du texte. À peine un signal, un repère, pour la commodité du lecteur et du libraire. Il doit à la fin rejoindre le poème, mais il vient d'ailleurs, d'une autre case de l'imaginaire. Il n'est
pas une clé, plutôt un trou de serrure laissant le regard pénétrer. Je ne l'écris jamais avant de commencer l'écriture d'un poème. Ni forcément à la fin. Le plus souvent, il apparaît et s'impose en cours de route. Comme si le travail de la langue l'avait suscité, l'avait mis en lumière entre les lignes. Il surgit, mais il n'est pas seul, il faudra n'en garder qu'un, le plus adéquat ou le moins mauvais.
Ainsi le mot « coudrier », je l'avais noté il y a 20 ans, et gardé au frais. Un mot, et non un titre. Et puis il est revenu voltiger et bourdonner au dessus des poèmes que j'écrivais, ceux de mon dernier livre. Il avait un concurrent que je n'ai pas retenu « Le soleil vu de dos », trop intentionnel et trop ludique. Coudrier m'était apparu comme une ouverture vers une autre forme de poésie dont je ne distinguais pas les contours mais qui m'habitait.
Pour le livre de poésie, le titre est un visiteur, le signe d'une métamorphose. Une griffe sortie de la nuit pour émouvoir le tissu verbal, ou encore la greffe nourricière de la constellation de mots qu'elle surplombe. Ce peu, cette graine ou ce caillou, actif au haut de la page.
Alain Freixe :
Le mot « crime » revient souvent dans votre livre. Il apparaît comme jouant le rôle d’un double principe. D’une part, comme principe esthétique : « l’entame serait de poésie mauvaise / comme on chasse l’ours et la bécasse / en mélangeant les cartouches », faisant écho à « la haine de la poésie » de Georges Bataille ou à « cet haineusement mon amour la poésie » d’André Frénaud. D’autre part, comme principe éthique, principe d’existence : « je n’existe pas sans le crime ». Ce meurtre qui fait césure concerne « les signes et les lettres », la langue et soi avec comme pris en elle depuis toujours. Ecrire c’est quand « le couteau qui dicte / perce le blanc ». Ecrire pour délivrer, désentraver, ouvrir une voie, « percer un isthme » disait Maurice Blanchard. Dévaster ce langage de communication qui nous prive toujours plus de sens, pour rebondir, retrouver le vif, la surface et les intensités qui la parcourent. Conquérir une respiration de vivant…
22:15 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (1)
Lu 11 - La lettera amorosa de Jean-Pierre Siméon
( Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Cheyne Editeur, 2005, 13, 50 euros)
Et voilà que m’arrive cette Lettre à la femme aimée au sujet de la mort de Jean-Pierre Siméon. Une lettre d’amour, cela s’ouvre un peu à contre jour. À l’abri, dans le calme et le repos. Pour une joie.
Les poèmes de Jean-Pierre Siméon « (ôtent) la pierre sur (nos) souffles ». oui, dans l’excès de leurs coups de vent – ce lyrisme qui « (sait) être dans le cri / sans le cri » - ils nous aident à déchirer l’asphyxie qui nous menace. Avec eux, l’air accourt, la fraîcheur, la tendresse de « cet autre cœur / qui n’est pas un muscle ». Oxygéné de cet air autre qui fait claquer les mots des poèmes, il s’ouvre « au sens inexprimé des choses ».
Lyrique, Jean-Pierre Siméon ? Oui, c’est un grand remueur et rumineur de mots. En images, ils remontent des quatre coins : Amour, révoltes, mort, vie. Saturés de richesse, ils se clarifient au feu de l’effusion. Alors la verdeur du chant se prend à eux. On reconnaît bien là le directeur artistique du Printemps des poètes, sa fougue mise au service de la poésie, cette manière bien à lui de traverser le monde avec étonnement et générosité, ferveur et fermeté. Poésie qui sous toutes ses formes « mets les pieds dans le plat de l’existence » !
22:03 Publié dans Du côté de mes interventions, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
26/03/2007
Turbulence 11- 2007, l'année de toutes les commémorations plus celles que l'on va oublier...
C'est entendu, l'année 2007 est l'année René Char.
Mais c'est aussi l'année Maurice Blanchot. L'année André Frénaud (voir ici même en date du 21 novembre 2006 mon texte sur "André Frénaud, poète métaphysique?"). J'espère bien que nous parlerons aussi d'Eugène Guillevic. D'autres qui auraient aussi eu 100 ans cette année...
De toutes façons, le seul hommage que l'on puisse rendre à un auteur, c'est de le lire. Et peut-être même pas! Mais de le vivre, ça oui!
Souvenons-nous: "Il faut vivre Arthur Rimbaud l'hiver, par l'entremise d'une branche verte dont la sève écume et bout dans la cheminée au milieu de l'indifférence des souches qui s'incinèrent" et loin du "désert ergoteur" écrivait René Char.
Vivre, pas lire! ou plutôt vivre les mots d'un poète, cela est véritablement le lire!
Lire est du corps. Lires est du coeur. Tant lire épanouit un soleil intérieur: courage et amour, forces vitales par où de l'humain se trouve en action d'émergence, cela qui fait que la vie a un sens comme on le dit d'une route que l'on aime parce qu'elle ne promet pas le pays de sa destination, disait touours René Char.
Les poètes se lisent à coeur ouvert. À coeur battant.
Il faut emporter leurs poèmes comme le jeune pâtre Euphorbos emporte l'enfant Oedipe, tout contre son coeur, et c'est encore une image de René Char. © Alain Freixe
20:25 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (2)
Turbulence 10 - Clermont-Ferrand-1987/2007- Vingt ans de poésie, et au-delà
René Char
Je reviens de Clermont-Ferrand. Invité par la Semaine de la poésie pour son XXème anniversaire, fêtant pour l’occasion son fondateur, notre ami Jean-Pierre Siméon.
Se faire passeur de poésie est affaire de patience. L’autre rive n’est jamais très visible et la lenteur préside à la traversée. Celle qui n’évite pas l’errance, les doutes, parfois même les chutes mais sait se garder de celles, mortelles, dont on ne se relève que dos maçonné et regard rayé de mauvaise nuit.
Oui Jean-Pierre a raison : « Si l’écriture du poème nous apprend quelque chose, c’est d’abord ceci : il faut du temps pour faire sens et le chemin vers le sens implique les risques du chemin, tâtonnements, fatigues, impasses, éternels recommencements… »
Oui, Françoise Lalot et sa « brigade de fées organisatrices» de la Semaine de la poésie de Clermont-Ferrand ont raison, « il faut que le chemin perdure »
Oui, nous avons raison, nous autres d’ici, Yves Ughes, Raphaël Monticelli, Jean-Marie Barnaud, sophie Braganti d’animer qui La poésie a un visage à Grasse -10 ans en 2008 ! – qui La poésie des deux rives dans les pays du paillon – 7 ans déjà ! – qui les Rencontres des Ecritures Poétiques et leur Lézard amoureux – www.ac-nice.fr/daac/lézard -qui le printemps des poètes à Nice, avec tous ceux enseignants, poètes, bibliothécaires, éditeurs, artistes, enfants, adolescents, élus, bénévoles... dont le compagnonnage est nécessaire pour que rencontrer la poésie d’aujourd’hui, cette langue qui ne se soumet pas à être privé de sens, soit possible de la maternelle au lycée et plus généralement, dans les institutions et la cité.
À Eliot,
Aux femmes et aux hommes – jeunes encore ! - que j’appelais – Dix ans déjà ! – les enfants-du-pied-des-tours de la ZEP La Charme,
À mon sens, l’immense mérite de cette Semaine de la poésie est de donner chance à la rencontre.
Seule, la rencontre est fécondante. Son « angle fusant » ne se résume ni dans la présence du poète, cet intervenant extérieur supposé en savoir plus que les autres sur ce dont il s’agit , dans une classe, ni dans la manière dont cette classe a été préparée par l’enseignant. Encore que pour se rencontrer, il convient que l’on se soit donné rendez-vous et quelque peu apprivoisé, et en ce sens le travail de l’enseignant est tout à fait important - Dirais-je qu’au cours de mes nombreuses interventions, au fil des ans, il n’a pratiquement jamais été pris en défaut? - Il lui appartient de préparer la venue du poète, de soigner cette attente, de la nourrir et la creuser d’interrogations, de lectures, etc...
Mais, ce qui importe ce n’est pas encore cela. Ce qui importe ce n’est ni le poète, ni la classe elle-même, mais leur rencontre, soit cet entre-deux, cette dimension à chaque fois neuve et inouïe d’un je et d’un tu, cet espace tiers entre un toi et un moi, espace autre par où passer est possible.
C’est dans cette rencontre que je définirais volontiers par ses qualités, soit ce sens des entours - timbre, tons, résonances, couleurs... - que se joue la transmission.
Et n’est -ce pas de cela dont il s’agit dans cette Semaine de la Poésie?
Ne s’agit-il pas d’être des passeurs de poésie?
19:15 Publié dans Dans les turbulences, Du côté de mes interventions, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1)
24/03/2007
Madame de Clermont-Ferrand rencontrée le 20 mars 2007 vers 17h50 en descendant de l’IUFM d’Auvergne
à Isabelle Brun Lacour,
« Madame a établi son salon de coiffure sur les pentes d’un volcan. Toute occupée à tresser vent , neige et froid, elle permanente et plisse au noir le ciel dans de blanches bourrasques.Sur ses lèvres, le rouge de quelque oiseau passe. Reste d’un poème abandonné à l’air. »
© Alain Freixe
23:58 Publié dans Du côté de Madame*** | Lien permanent | Commentaires (1)
Madame des saponaires
Les hautes herbes cachaient l’eau. Un grand jour jetait le ciel dans le cœur lyrique de ses nuages. Son insurrection courbait les fleurs de savon. Madame des saponaires savait se faire attendre. La ralentie de sa venue faisait vibrer son absence. Et les mains se signaient à même leur désir.
2-
L’eau de pluie fait poussières des fleurs pour un poudroiement où ma sœur Anne ne voit rien venir.
3-
Dans les gouttes d’eau, Madame s’épuise. Dans leur tombée de nuit, Madame fait sienne cette tendresse qui vrille le cri des hommes. Sablier retourné, le temps y luit en retenant son souffle. Le parti de l’asphalte est en route.
4-
Madame pèse autant que la fumée qui brûle ses volutes au jaune des ampoules. Elle abandonne ses mains ivres aux bras d’un ciel bouleversé.
5-
Que Madame soit du côté des fantômes où se perdent les visages est-ce vérité de ce temps ? Les saponaires rythment le bruit de l’eau à nos pieds nus. Langue filée du ruisseau. Voix du jour.
23:50 Publié dans Du côté de Madame*** | Lien permanent | Commentaires (0)
Lu 11 - René Char, Lettera amorosa
C’est ce mouvement là qui anime cette Lettera amorosa que nous donne à lire aujourd’hui Poésie/Gallimard. L’érotique est ici éthique de la parole. Femme et langue sont là comme absentes. La langue parce que reclose sur elle-même, figées dans ses notions prédéfinies. L’écriture de Char l’attaque, la malmène jusqu’à l’ouvrir sur cette jouissance secrète qui s’accomplit en un « merci » par lequel le poète donne congé à sa « fleur de gravité », « iris d’Éros, iris de Lettera amorosa ». Celle qui continue à « (accompagner) le retour du jour sur les vertes avenues libres. »
Cette édition présente l’intérêt de nous offrir non seulement les deux versions du texte, celle de 1952 sous le titre de Guirlande terrestre et celle de 1964 parue dans l’anthologie Commune présence, qu'on trouvera également dans la collection Poésie/Gallimard, mais également la reproduction des 16 collages de Jean Arp qui accompagnaient la première version et les 24 lithographies de Georges Braque qui allaient l’amble avec la deuxième. Quand on sait combien René Char fut attentif à ceux qui furent ses « alliés substantiels », ces peintres qui à l’instar de Picasso en 1939 lui offrirent – et continuent à nous offrir – « mille planches de salut », on mesure l’importance du dialogue ici offert.
23:45 Publié dans Du côté de mes publications, Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)
11/03/2007
Balise 14
Julien Gracq, Carnets du grand chemin, La Pléiade, T.II,p.1022/1023
23:05 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (2)
25/02/2007
Hommage à Jacques Dupin à Privas
Ami avec des écrivains dont Maurice Blanchot, André Frénaud, Francis Ponge, Pierre Reverdy, il est l'un des fondateurs de l'importante revue L'Ephémère en 1966, avec Yves Bonnefoy, Paul Celan, André Du Bouchet, Louis-René des Forêts , Gaétan Picon. Il en assuré la coordination.
Ami avec des artistes, il organise des expositions, écrit des articles ou des préfaces pour les catalogues, ou encore avec lesquels il crée avec eux des livres singuliers, des livres d'artistes : Constantin Brancusi, Victor Brauner, Georges Braque, Alberto Giacometti, Jean Hélion, Wifredo Lam, André Masson, Joan Miro, Henri Michaux, Pablo Picasso, Nicolas de Staël, Bram van Velde, et plus près de nous, Valérie Adami, Pierre Alechinsky, Francis Bacon, Jean Capdeville, Eduardo Chillida, Colette Deblé, Joan Mitchell, Raquel, Paul Rebeyrolle, Jean-Paul Riopelle, Antonio Saura, José Maria Sicilia, Antoni Tapies, Gérard Titus-Carmel, Raoul Ubac, Jan Voss.
Comme avec les écrivains, la compagnie et l'accompagnement des artistes sont déterminants pour le travail de Jacques Dupin, dans la lumière de l'autre qu'il recherche ardemment, dont il devine la tension. Ses écrivains et artistes contemporains, qui ont tous marqué l'histoire de la littérature et de Fart, sont ses « alliés substantiels ».
De Cendrier du voyage (GLM, 1950, réédition Fissile en 2006) à Coudrier (POL, 2006), en passant par Gravir (Galllimard, 1963), Dehors (Gallimard, 1975), Les Mères (Fata Morgana, 1986), Echancré (POL, 1991), Eclisse (Spectres Familiers, 1992), Ecart (POL, 2000), cinquante-six ans et de très nombreux livres. A côté des livres courants , il y a aussi ces livres d'artistes importants : La Nuit grandissante, avec Antoni Tapies ( Erker Press, 1968), Proximité du murmure, avec raoul Ubac (Maeght, 1971), L'Issue dérobée, avec Joan Miro (Maeght, 1974), Matière du souffle, avec Antoni Tapies (Lelong & T, 1991), Nacelle, avec Jan Voss ( Leiong, 1995), Impromptu, avec José Maria Sicilia (Michael Woolworth,1995), Combe osbscure , avec Jean Capdeville (Ecarts, 1999).... qui jalonnent l'histoire des livres d'artistes.
En 1988, Jacques Dupin reçoit le Grand Prix national de Poésie.
En 1998 , les éditions Gallimard reprennent plusieurs de ses livres dans Le Corps clairvoyant: 1963-1982.
Le n° 20 / 21 de la revue faire part est une reconnaissance, au sens de reconnaissance d'une œuvre forte, intense, « lieu hors de tout lieu » pour reprendre les mots de Claude Esteban, reconnaissance au sens aussi de gratitude, tant nous sommes reliés à l'œuvre de Jacques Dupin et lui sommes redevables. Quelque chose comme un exercice d'admiration.
« Matière d'origine, Jacques Dupin » vient parcourir et reconnaître son travail, après d'autres reconnaissances : les expositions à V Ecole des Beaux-Arts de Quimper (1986), au Musée de Gravelines (1996), au Cipm à Marseille (1988 et 1992), à la Cité du Livre/Ecritures croisées à Aix-en-Provence (2001), ainsi que des cahiers et numéros de revues ; Revue des Belles Lettres n°3-4 (1986), Le Cahier du Refuge n°22 (CIPM, 1992), L'Injonction silencieuse, cahier Jacques Dupin (La Table ronde, 1995), Prétexte n°9 (1996), Cahiers de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet n°2 (1998), Strates, cahier Jacques Dupin (Farrago, 2000), Méthode ! n°8 (Vallongues, 2006). Ainsi que les livres de Michael Brophy, Maryann De Julio, Valéry Hugotte, John E. Jackson, Seiji Marukawa,
Nicolas Pesquès, Georges Raillard, Dominique Viart.
Le n° 20 / 21 de la revue faire part paraît au même moment qu'un livre « Mélanges pour Jacques Dupin » aux éditions POL, sous la direction de Nicolas Pesquès : de nombreux écrivains et artistes d'aujourd'hui y affirment la présence forte de cet écrivain, qui est plus que jamais notre « extrême contemporain ».
Jacques Dupin écrit dans « le bonheur de vivre à l'affût d'être touché par l’infime », il «écrit ce qu'il ignore », il « attend très bas la première goutte d'eau souterraine qui décomposera la lumière. L'éparpillement dans la terre des lettres d'un nom éclaté ». Il écrit, dans l'un éclaté, et s'adressant à l'autre, inventant sa présence, « à l'inconnu de tout lecteur».
Il écrit l’abrupt, l'aride, d'une lettre à l'autre, d'un mot à l'autre, d'un livre à l'autre, il laisse toujours un mot, dehors, une « matière du souffle », une « matière d'infini », pour ainsi dire une matière d'origine, de commencements, il reprend le fil, il revient à la ligne, comme au seuil de l'autre. La poésie et la pensée s'y défient dans l'attrait et l'affront proche du silence, tout à leur extrême solitude et à l'empoigne du réel, dans la recherche, coûte que coûte, de la lumière.
23:30 Publié dans Dans les turbulences, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
Joë Bousquet / Simone Weil : une rencontre
« Je veux d’abord vous dire que vous rencontrer a été pour moi quelque chose de plus que précieux. Je pressentais vaguement qu’il en serait ainsi, mais je ne pressentais pas à quel point » Simone Weil
Si la source n’existe le plus souvent qu’au pluriel, perdue parmi divers points d’émergence, parmi les sources de notre Centre Joë Bousquet et son temps, il en est une, et ce sont les journées nationales Simone weil-joë Bousquet des 28 au 31octobre 2000 et la présence forte à cette occasion de Jean Capdeville par son livre Hommage à Simone Weil de 1971 qu’il nous avait confié durant l’été et ses grands papiers où il avait manuscrit quelques pensées comme autant de balises évoquant et soulignant l’importance que la philosophe à la pélerine avait eu pour lui, vie et œuvre mêlées.
Je ne vais pas vous parler de l’histoire de notre centre, je ne vais même pas vous parle de Jean Capdeville – encore que dans les détours, les plis de mon propos…- je voudrais plutôt parler à Jean Capdeville . Que cette adresse « à Jean Capdeville » soit ma manière de lui rendre hommage, de saluer le danseur de corde qui, de clocher à clocher, ces œuvres où chantent les poètes, invente toujours quelques nouveaux pas et trouve là de quoi entrer en résonance, ce bruit d’air sur fond de silence, avec leur paroles. Comment alors ne pas penser à ces mots de Simone Weil, à ces mots qu’il avait choisi de manuscrire sur la page de couverture de son livre de 1971 : « entendre les bruits à travers le silence ». Et bien c’est cela que nous entendons dans « les livres de dialogue », selon l’expression chère à Yves Peyré. Ceux de Jean Capdeville tout particulièrement.
Lui parler et vous parler de qui d’autre sinon de celle dont la lecture lui a « fichu » cette « secousse » qu’il aime à évoquer ; secousse qu’il traduisit en « couleurs, traits, moyens très simples, à plats cernés »…de Simone Weil donc et de celui qui s’est tenu de si longues années, à quelques pas d’ici, dans cette chambre bleutée et ocre, cette ancienne salle de musique avec son dallage si particulier, ces grands carreaux noirs et blancs, propices à quelques mystérieux jeux de dames…ou d’échecs. Joë Bousquet qui allait donc y accueillir Simone Weil en 1942 pour une rencontre qui promettait d’être mémorable. Et qui le fut. Ce dont je voudrais donner quelque idée.
Rencontre brève qu’en d’autres temps j’avais essayé de circonscrire au plus près. – on trouvera plus de détails dans les N°s des Cahiers Simone Weil de décembre 1987 et de septembre 1988 car il fallu apporter un correctif. En effet, s’il est à peu près acquis que Simone Weil débarqua par le train avec Jean Ballard, Directeur de Cahiers du Sud, sur le coup de 2 heures du matin, venant de Marseille, dans la nuit du 29 au lundi 30 mars, si l’on peut être sûr qu’elle se rendit tout de suite chez Bousquet, que Ballard les laissa discuter, qu’elle dormit quelques heures à même le sol, sur la natte qu’elle emportait toujours avec elle, en revanche on ne peut plus affirmer avec Simone Pétrement, le Chanoine Sarraute qu’ils ne se virent qu’une fois. Le témoignage que je reçus de Charles-Pierre Bru, professeur de philosophie et peintre, qui par la suite joua un rôle si important dans la mise sur pied de notre Centre, via le chanoine Sarraute m’obligea à une précision, ce que je fis dans le N° de septembre 1988. Il fallait se rendre à l’évidence Simone Weil s’était rendue deux, voire trois fois ici même, chez Bousquet, avant de partir pour l’abbaye d’En calcat, à Dourgnes dans le Tarn, où elle voulait entendre les chants grégoriens pour pâques qui cette année là tombait un 5 avril.
J’ai dit mémorable pour l’amitié aussi brève – Simone Weil n’avait plus qu’un an à vivre entre l’Amérique et Londres où elle mourut le 24 août 1943 au sanatorium d’Ashford - que définitive qui naquit de ces paroles et des quelques lettres qui s’ensuivirent – correspondance qu’on ne trouve plus aujourd’hui et que notre Centre se propose de reprendre dès qu’il le pourra augmentée notamment des deux lettres de Simone Weil à Joë Bousquet retrouvées par Florence de Lussy (une du 12 mai 1942, l’autre postée de Casablanca) et publiées dans Les Cahiers Simone Weil de juin 1996.
Amitié dont je voudrais d’une part, donner quelques signes et d’autre part, tenter de fonder.
Dès sa première lettre du 13 avril 1942, elle mettra Bousquet au même niveau que le Père Perrin avec qui elle entretenait une correspondance serrée sur les questions du baptême et de la foi. C’est qu’avec Bousquet, elle rencontrait un homme auquel, loin de toute référence religieuse, l’écart entre l’être et l’existence était chose familière ; l’homme qui, selon elle, pouvait penser l’état actuel du monde dans la mesure où « pour penser le malheur, il (fallait) le porter dans la chair, enfoncé très avant, comme un clou, et le porter longtemps, afin que la pensée ait le temps de devenir assez forte pour le regarder ». Ainsi à ses yeux, Bousquet, blessé depuis plus de 20 ans, « cloué aux mots », selon l’expression de Bernard Noël, était, à ses yeux, infiniment privilégié pour accéder à la connaissance du réel, celle de « l’harmonie pythagoricienne », celle de l’unité des contraires car il portait la guerre logée en lui, ainsi pouvait-il connaître la réalité de la guerre, « la réalité la plus précieuse à connaître parce que la guerre est l’irréalité même » et même si elle recoonnaît qu’il n’est pas encore tout à fait prêt ce que Bousquet acceptait bien volontiers, lui qui affirmera après sa mort à Hélène et Pierre Honorat le 26 janvier 1945 : « Je n’oublierai jamais notre amie. Ses pensées étaient les miennes mais elle se reposait dans les pensées qui m’ôtaient le repos » ou encore à Jean Ballard : « Vous ne sauriez croire combien j’ai été heureux de causer un peu longuement avec Emile Novis. Il n’y a rien à reprendre en elle. J’accepterai volontiers de vivre dans sa peau, sauf quelques substantielles réformes côté ascétisme et plus de complaisance envers le mal. »
Parmi ces signes, celui-ci que je vais privilégier. Lorsque Bousquet lui demande « j’aimerais lire de vous des impressions mystiques », c’est bien qu’au cours de leurs conversations quelques allusions avaient été faites au fait qu’elle avait connu de telles « impressions » et en un abandon qui n’est permis qu’à l’amitié la plus vive, elle lui avouera, le 12 mai 1942, comment se récitant à elle-même le poème Love du poète anglais George Herbert (1593-1633) « pour la première fois, le christ est venu (la) prendre » , aveu qu’elle n’avait fait à personne, qu’elle redira, quelques jours plus tard, au seul Père Perrin…
Voyons, finalement qui se rencontre ?
23:05 Publié dans Du côté de Joë Bousquet, Du côté de mes interventions, Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)