Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/04/2007

Claude Ber, Promesse à Petit Pops

Poète, auteur dramatique, essayiste, Claude Ber a publié une dizaine d’ouvrages, dont Lieu des Epars, Ed. Gallimard, Sinon Lamedium_151188-208291.jpg Transparence Ed Via Valeriano, La Mort n’est jamais comme, Ed. de l’Amandier Prix International de poésie Ivan Goll, La Prima Donna suivie de l’Auteurdutexte Ed. de l’Amandier ,  Monologue du preneur de son pour sept figures, Ed. Léo Scheer,  Orphée Market, Ed. de l’Amandier, Libres paroles, Ed du Chèvre Feuille Etoilé…Elle participe aussi à des ouvrages collectifs ou en collaboration avec des plasticiens, à de nombreuses revues de poésie ainsi qu’à de multiples lectures et colloques en France et à l’Etranger.
Visitez son site : www.claude-ber.org
 
 
 
 
Promesse à Petit Pops
 
 
Un jour je te ramènerai Petit Popsdans le brouillard de ces collines où tu courais Tu seras libre comme le vent du soir qui rabattait la lumière sur tes yeux et tu auras ces mains étranges difficiles à décrire car elles ne sont ni petites ni maladroites mais un peu de tout cela comme des pattes de chat griffes rentrées dont elles ont la manière à la fois prudente sûre et souple de se poseret tu auras ces mains  posées sur le monde avec confianceTu as tant craint et tremblé Petit Pops avec ces mains ouvertes sur tes genoux, et disant plus ces mains inquiètes et désoeuvrées que toi dans le mutisme de la peur murmurant:- Je ne comprends pas bien, c'est difficile la vie pour moi....avec ces yeux désolés de ne plus savoir Comme tes mots étaient pauvres à ces moments là Petit Pops,  si élimés comme des mots de pauvres gens que furent tes parents et les miens
Toi de la langue imagineuse et des fêtes de l'esprit, comme tu étais pauvre  et sans même la paix du dénuement
Je te ramènerai, Petit Pops, dans l'arrière pays du temps
                                            dans l'abondance de la fête
                                            dans la clarté
Maintenant que je suis sans plus d' illusion sur le pouvoir des mots et que je ne peux même plus me prendre aux leurres de mon époque qui sont aussi le partage d'une danse à plusieurs, maintenant que je suis moi aussi séparée irrémédiablement et que je considère mes propres mains et  mes propres paroles dans la démesure de leur impuissance, maintenant je pourrai
je te promets
Et je saurai employer les mots imposés par le jeu auxquels nous jouions quand tu osais encore jouer
sureau, sang, cirque, paille, piéride, vairon...
Le dernier seulement est difficile comme un regard qui surimpressionnerait ta vue à la mienne
je me souviens bien d'un chien plus loup que chien qui regardait par deux yeux distincts, brun bleu, mi confiant mi sauvage, mais c'est dans une autre histoire que la tienne
Il y avait aussi  tailleur, étain, cambouis et lampadaire
Tu te souviens de ce jeu Petit Pops?
Oublie! Oublie vite! Oublie tout.
La clef du temps est un couteau qui tranche les paupières.
Piéride donc! J'ai collectionné leurs ailes blanches point noir, il y a si longtemps, au pied d'une montagne dont le socle affleurait entre les très hautes herbes parmi les rires et les envolées de papillons minuscules d'un bleu moiré et brillant comme un pigment de ciel sur le rose des oeillets sauvages, papillons précieux que le moindre coup de vent emportait et auprès desquels les grandes reines jaunes à éperons  déployaient des ailes de milans. Près de la source poussaient aussi des sureaux à l'odeur entêtante et des orties que l'oncle cueillait pour la pâtée des poules; la grange sentait le lait et la paille
comme tes cheveux
Tu vois, je respecte le pacte sauf pour l'étain dont la Marroune disait qu'il portait malheur, et le malheur se porte suffisamment bien tout seul sans avoir en plus besoin qu' on le porte
toutes ces années de sang et de cambouis, Petit Pops, passons vite
De tailleur, je n'ai jamais connu que celui qui affichait sur sa ceinture "7 d'un coup" comme s'il s'agissait de géants et non des mouches engluées dans sa tartine de groseilles; déjà je ne retenais que le rouge gourmand des groseilles et le 7 semblable à celui des femmes de Barbe Bleue, des 7 nains et de tous les 7 de l'enfance, y compris ce Seth qui tronçonnait son frère renaissant dans les replis d'un fleuve à pouvoir de jouvence
si ce fleuve existait... tant de boue, Petit Pops, tant de terre et de temps recouvrent ces ruisseaux d'espérance ... et la vie terreuse elle aussi comme au confluent de rivières mortes
Je ne sais pas que faire du mot front. J'ai passé bien des fois ma main sur le tien mais ce mot le dit mal car il n'a pas le son qu'il faut
Les lampadaires ne me parlent pas non plus sauf sous la pluie, quand l'eau brille en épingles si fines dans leur lumière qu'elle paillette la nuit d'un or imputrescible... espérance, Petit Pops, comme une pluie d'été la nuit au coin de cette rue où tu habiteras encore, promis, dans ma mémoire
chez moi, dans des séjours d'emprunt où tu ne serais pas et la tristesse que j'ai de tout cela, ma vie me la jette sur le comptoir enveloppée dans un papier rose de boucherie
Ainsi moi non plus je ne sais pas où j'habite et je te rejoins à ma manière dans le sédiment de la douleur
Pourtant j'avais promis de t'emmener là-bas: martres, renards, lièvres fuyant en rebonds d'allégresse entre les  myrtilles et les bogues de châtaignés par dessus le ruisseaux à truites et l'étang aux anguilles
nous tresserons les fils vénéneux de la rhubarbe et le pollen noir des asters
Oh Petit Pops, un nom d'étoile est déjà dans la graine que tu dispersais par poignées
laissant dans l'incendie du soir un sillage sombre et lumineux
les capillaires des rhubarbes emmêlés entre tes doigts irriguent une vie invisible à odeur de muguet et à bruit de feuilles
Il suffit de la revêtir
pour que l'aube rejoigne le crépuscule, ce soir, ce matin, dans l'éveil d'un jour à naître à travers la mémoire
Maintenant que je suis allée te chercher au bout du silence où les mots n'ont plus cours, bien au delà du langage, dans un lieu si désert que même le désert est luxuriance à côté de ce dénuement, maintenant que j'ai appris à remercier la plus balbutiante des paroles quand elle réaccoste au langage des hommes, je saurai  ramener au fil de nos mots de misère comme un noyé à une corde ce lieu au centre d'une mer de prairies et de sapins noirs où roulent d'autres vagues que celles de la douleur, et si je ne sais pas, si je n'ai pas encore été assez dépouillée pour le faire, toi, Petit Pops, qui sais ce qu' est n'avoir plus rien et moins encore que le rien de ceux qui ont cessé toute souffrance, toi tu sauras.


© Claude BER 

Commentaires

UN BLOG TRèS RICHE
bRAVO

j'Y REVIENDRAI

@MICALEMENT

EL GRECO

Écrit par : elgreco | 04/04/2007

quel beau texte, des mots pour ceux qui se sont si souvent sentis pauvres parmi les pauvres, je ne connaissais pas cette auteur sauf par une citation de M. Delouze, je vais la lire, amitié et bonne Pâque! Sylvie

Écrit par : Fabre G | 14/04/2007

Les commentaires sont fermés.