31/12/2025
Allez hop vers 2026 !
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Lu 126- René Depestre et Jean D'Amérique *
Avec René Depestre et Jean D’Amérique, « Résister / aux grands froids du monde… »
J’intitulais ma XIXème chronique poétique « Haïti, pays de poésie ». Elle présentait les journées que l’Association des Amis de l’Amourier organisaient en novembre 2022 autour de Haïti et de sa poésie à l’occasion du centenaire de la naissance du poète Jacques Stephen Alexis. Elle faisait suite à ma XVIIème chronique poétique consacrée, elle, au livre que Michel Séonnet faisait paraître sur ce militant révolutionnaire et poète, vie et œuvre mêlées, Le voyage vers la lune de la belle amour humaine aux éditions l’Amourier.
Je fais retour aujourd’hui à ce pays, cette « perle des Antilles » selon les colons, masque scandaleusement posé sur sa réalité de terre ravagée par tous les cataclysmes géologiques, météorologiques et politiques. Retour aussi à ses poètes garants, selon les mots d’Aimé Césaire de « la forêt natale » et du « chant nécessaire ». Deux livres paraissent l’un appelant l’autre. Le premier de René Depestre, Journal d’un animal marin est un choix de poèmes des années 1956-1990 dans la collection Poésie / Gallimard préfacé par le jeune poète haïtien Jean D’Amérique dont je parlais à la fin de mon article « Haïti, pays de poésie » et qui donc publie de son côté Quelque pays parmi mes plaintes aux éditions Cheyne.
Disons-le tout de go : deux livres de révolte et d’espoir pour rester toujours debout dans la vie.
L’aîné, René Depestre est né en 1926 à Jacmel, en Haïti. Il lui fut donné de traverser entre les années 50 et 80 bien des combats et autant de débats aux enjeux politiques et esthétiques importants de Jacques Stephen Alexis à Aragon en passant par Aimé Césaire. Il vivra et travaillera à Cuba entre 1959 et 1978. Son amitié avec Fidel Castro prit fin avec l’emprisonnement du poète cubain Ernesto Padilla en 1971. Sans rien renier de son engagement, le poète en lui – « la poésie aussi (avait) ses raisons d’état » écrira-t-il – celui qui entendait « travailler pour élargir / les frontières de l’homme » se dressa. Et il partit pour le sud-ouest de la France où il vit toujours. Ce sont ces raisons, cette « passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole qui se tient debout » écrit Jean D’Amérique dans sa préface au livre de René Depestre, qui « sont venues éclairer (…) tendre la main » et « ouvrir un nouveau chemin de vie » au jeune homme qu’il était - Il est né en 1994, en Haïti – qui « dérivait (…) déboussolé » dans « le ciel sombre de (son) adolescence ». C’est cette voix qui enracina en lui « la révolte, l’insolence » lui intimant toujours de « (voguer) à contre-courant des vents du monde ». Ce sont les poèmes de ce « nomade enraciné dans la beauté, voix tachée de l’encre du soleil » que l’on trouve dans cette trop courte anthologie, dans ce petit volume qui est comme une traversée en comète de son œuvre poétique » et donc une invite à prolonger ailleurs la lecture car « René Depestre est un monde immense à explorer, un éternel animal marin de la poésie, un errant riche de multiples terres, de luttes qui nous lègue sa voie en héritage ».
Jean D’Amérique dans son précédent recueil Rhapsodie rouge paru en 2021 aux mêmes éditions Cheyne fixait à la poésie la tâche de « (redresser) l’épine dorsale du jour et (faire) monter les voix délabrées vers un doux pays ». Deux ans plus tard, la lumière à l’horizon de son livre n’a pas disparue : « nous croyons nos ruines capables de muter en ciel bleu » même si « une voix coupée nous habite ». Toutefois, reconnaissons que les ruines sont toujours bien là peut-être même un peu plus sombres encore. Parfois affleure le désespoir, quand « après la pluie, le beau temps s’affaisse dans une flaque dégueulasse » et que « l’espoir, ce salaud, écrit Jean D’Amérique, vient à nouveau trahir nos chants, cadavres qui voudraient repêcher l’aurore ».
Eh bien, même si « la mort ronge nos élans », on aime lire le titre de la troisième partie de son livre : « Avancer malgré » ! « Avancer malgré, jongler parmi corbillards et fleurs, tenir tête contre requiem et absences multiples (…) avancer malgré ». Ne dit-on pas, s’interroge Jean D’Amérique, « ce pays, terre de poètes » ? Certes, mais « il n’y a pas de poème dans les couloirs du parlement (…) il n’y a pas de poésie possible ni dans les cordons de police ni dans les mitrailleuses officielles qui trouent nos soleils, il n’y a pas de poésie dans le trésor public qui vit loin du peuple, nul poème, nul trésor ».
Alors, où y - a - t-il poésie pour ce pays si ce n’est dans le désespoir lui-même, sa force résidant dans le fait qu’il vous donne le sentiment de votre capacité à composer une présence humaine nouvelle. Oui, c’est une force qui est donnée, même fictive… comme ce « contre-sépulcre » qu’évoquait René Char dans son poème « Qu’il vive » et dont il disait qu’il n’était qu’ « un vœu de l’esprit ». Là, le pays pourra retrouver les « ailes-silex » d’une « terre en moi debout » et « (réapprendre) l’adresse de respirer, chanson-pluie qui arrose les clartés neuves » écrit Jean D’Amérique.
C’est en violence et tendresse qu’ici avec ces deux poètes les choses sont dites - est-il d’autres façons de dire quand c’est la création, le soleil, l’arbre, les forces de vie et les hommes qui se lèvent contre les Pères Ubus de tout poil, ceux qui ne savent plus appeler les aurores, qui assassinent les matins, bref contre la mort et ses visages biseautés d’injustice.
Parce qu’à parler debout, c’est poumons gonflés qu’on passe au large, lire René Depestre et Jean D’Amérique, c’est respirer avec le cœur.
* René Depestre, Journal d’un animal marin, nrf, Poésie / Gallimard, cat. 1, 2024
** Jean D’Amérique, Quelque pays parmi mes plaintes, Cheyne, 2023, 18 euros
*** Note parue dans le Patriote Côte d'Azur en 2019
17:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
LU 125- Patrick Quillier-Voix éclatées (de 14 à 18)*
La poésie pour défoncer les portes closes de l’histoire
On connaissait Patrick Quillier pour ses traductions de Pessoa en Pléiade, certains le connaissaient pour ses poèmes publiés aux éditions La Différence : Office du murmure en 1996 et Orifices du murmure en 2010, d’autres enfin pour ses performances. On a aujourd’hui ces Voix éclatées (de 14 à 18) publiées, courageusement, disons-le, par les éditions fédérop, un véritable oratorio. Certes, on n’y commente plus les textes sacrés, on n’y chante plus les laudes en hommage au jour, on y entend un thrène et moins gémissements et lamentations que mises en perspective toutes les voix de ces vies fauchées dans le fracas musical des obus – « musique barbare et ininterrompue » dont parlera Apollinaire – les fumées, les gaz, la boue des tranchées, ces « corps creux et blancs » qui « habitent toute la terre dévastée ». Un monument aux morts éloquent parlant contre les paroles, « morts fraternels tempe contre tempe ».
Tout se passe dans ce livre comme s’il s’agissait de redresser les centaines de milliers de blessés, mutilés… de désensevelir leurs voix, de faire vibrer la pierre des milliers de monuments aux morts qui dans le moindre de nos villages rappellent combien les morts pèsent sur les vivants. Patrick Quiller ressuscite, redonne souffle de vie à « ce que fut la souffrance des corps et des âmes, sacrifiés au profit illusoire des nations » selon les mots de Frédéric Jacques Temple qui signe la 4ème de couverture.
Excepté trois personnages inventés par l’auteur, Patrick Quiller a donné la parole aux poilus, aux morts d’Aiglun et Cigale, ces villages de la vallée de l’Esteron dans les Alpes Maritimes ; aux écrivains si nombreux tués lors de cette guerre ou marqués à vie par elle. Patrick Quiller a la tête suffisamment épique pour écrire ou réécrire en décasyllabes – souvent cahoteux – des textes écrits initialement en prose, des textes librement traduits, et les ajuster comme des marqueteries juxtaposant des fragments d’essences différentes. « Les français n’ont pas la tête épique » s’exclamait Théophile Gautier, Patrick Quiller, lui, l’a, et, certes, il ne s’agit pas de rivaliser avec les grands textes du passé mais de rendre justice à tout ce qui fut cassé, ici et là, dans cette Europe du début du XXème siècle et tourner « en un seul grand mouvement vers la lumière » comme le voulait Victor Hugo tous ces malheurs, cette invisibilité dont Apollinaire dénonçait l’art en 1915.
La force éthique et politique de ce travail, de cette mise en chantier vise à transformer la mort en force de vie. Pari réussi !
* Voix éclatées (de 14 à 18), Préface de Gabriel Mwènè Okoundji, Collection Paul Froment, fédérop, 25 euros
* Note parue dans L'Humanité en 2019
17:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
Balise 101-
« Même si le grand chant ne doit plus reprendre
Ce sera pure joie, ce qui nous reste
Le fracas des galets sur le rivage
Dans le reflux de la vague »
William Butler Yeats
16:58 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : -



