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31/12/2025

LU 125- Patrick Quillier-Voix éclatées (de 14 à 18)*

31vjYwhMI3L._SY445_SX342_ML2_.jpgLa poésie pour défoncer les portes closes de l’histoire

 On connaissait Patrick Quillier pour ses traductions de Pessoa en Pléiade, certains le connaissaient pour ses poèmes publiés aux éditions La Différence : Office du murmure en 1996 et Orifices du murmure en 2010, d’autres enfin pour ses performances. On a aujourd’hui ces Voix éclatées (de 14 à 18) publiées, courageusement, disons-le, par les éditions fédérop, un véritable oratorio. Certes, on n’y commente plus les textes sacrés, on n’y chante plus les laudes en hommage au jour, on y entend un thrène et moins gémissements et lamentations que mises en perspective toutes les voix de ces vies fauchées dans le fracas musical des obus – « musique barbare et ininterrompue » dont parlera Apollinaire – les fumées, les gaz, la boue des tranchées, ces « corps creux et blancs » qui « habitent toute la terre dévastée ». Un monument aux morts éloquent parlant contre les paroles, « morts fraternels tempe contre tempe ».

Tout se passe dans ce livre comme s’il s’agissait de redresser les centaines de milliers de blessés, mutilés… de désensevelir leurs voix, de faire vibrer la pierre des milliers de monuments aux morts qui dans le moindre de nos villages rappellent combien les morts pèsent sur les vivants. Patrick Quiller ressuscite, redonne souffle de vie à « ce que fut la souffrance des corps et des âmes, sacrifiés au profit illusoire des nations » selon les mots de Frédéric Jacques Temple qui signe la 4ème de couverture.

Excepté trois personnages inventés par l’auteur, Patrick Quiller a donné la parole aux poilus, aux morts d’Aiglun et Cigale, ces villages de la vallée de l’Esteron dans les Alpes Maritimes ; aux écrivains si nombreux tués lors de cette guerre ou marqués à vie par elle. Patrick Quiller a la tête suffisamment épique pour écrire ou réécrire en décasyllabes – souvent cahoteux – des textes écrits initialement en prose, des textes librement traduits, et les ajuster comme des marqueteries juxtaposant des fragments d’essences différentes. « Les français n’ont pas la tête épique » s’exclamait Théophile Gautier, Patrick Quiller, lui, l’a, et, certes, il ne s’agit pas de rivaliser avec les grands textes du passé mais de rendre justice à tout ce qui fut cassé, ici et là, dans cette Europe du début du XXème siècle et tourner « en un seul grand mouvement vers la lumière » comme le voulait Victor Hugo tous ces malheurs, cette invisibilité dont Apollinaire dénonçait l’art en 1915.

La force éthique et politique de ce travail, de cette mise en chantier vise à transformer la mort en force de vie. Pari réussi !

* Voix éclatées (de 14 à 18), Préface de Gabriel Mwènè Okoundji, Collection Paul Froment, fédérop, 25 euros

* Note parue dans L'Humanité en 2019

 

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