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11/10/2007

Turbulence 16 - Contôle génétique, contrôle inique

À contrôler, à manipuler les corps, à les réduire toujours plus à leur pure et simple dimension biologique, à prétendre retrouver le gène pour accéder à la bobine du fil de la filiation - Clotho doit en perdre la face! - c'est perdre 'l'homme comptant pour homme" , dont parlait Henri Michaux dans Epreuves, exorcismes.
Nous le savons, tout ce qui ne concerne apparemment que le voisin de pallier et qui ne semble pas nous concerner aujourd'hui, nous concernera demain. Les citoyens sont l'horizon des dispositifs que l'on veut appliquer aujourd'hui aux étrangers.
Le Conseil Consultatif National d'Ethique a raison: "la filiation passe par une parole, un récit". L'humain, cette chance qu'est tout homme, passe par le poème, ultime rendez-vous des hommes libres. Oui, en mars, durant ce Printemps des poètes 2008, nous ferons "l'éloge de l'autre" et de cet autre en nous, sujet à inventer! 

10/10/2007

Lu 16 - X fois la nuit de Patricia Castex Menier

847c53cedcfe6f6221ead8f3947678bf.jpgLa nuit est sur les noms. C’est le silence d’un trou autour duquel rôdent les noms du jour. Patricia Castex Menier la nommera tour à tour : « l’intime (…) la compacte (…) la perspicace (…) la visiteuse (…) la fraternelle (…) la / bienveillante / la bannie (…) la reculée / la séculaire (…) » X fois, comme en son titre, elle est celle qui échappe à la nomination. Et telle est sa nature rêvée : « on / dit qu’elle date / d’avant le monde / précéderait les dieux ». Hors temps, hors pouvoir, elle est l’avant de toutes choses, le chaos. Même Zeus la craignait !

Et nous, les diurnes, nous n’aurions point peur de « la visiteuse », « avec ses airs / de grande voilée / ou / les traits familiers / d’un visage, / rongé / depuis si longtemps ». Certes, mais c’est lorsqu’elle se ferme. Bouche scellée. Mur noir. Barrage muet. « Et l’avenir indéchiffrable », écrit Patricia Castex Menier. Alors oui, nous pouvons avoir peur.
Mais c’est mal la connaître. C’est se tromper sur sa véritable nature. Car elle est « la fraternelle » et « l’aurore / est son péché d’orgueil ». Elle sait s’ouvrir au rêve. Et préparer le jour.
Patricia Castex Menier a écrit ce texte comme la nuit tombe. Insensiblement. De coupure en coupure. Ici, matérialisées au blanc. Invisibles, dans le monde. Comme la nuit, l’écriture de Patricia Castex Menier stolonne. S’attarde. Se prolonge. S’enrichit. Vit, lançant ses nouvelles nappes d’ombres. X fois la nuit (Cheyne Editeur, 2006, 13, 50 euros), oui, car la nuit ne connaît pas de point final. Et si le jour l’élague, la relègue. Elle rôde encore en tombées, effarouchées, dans le corps de la lumière.
Si la nuit est la toujours en allet, la première et la dernière ; si elle est celle qui se retire et nous laisse signer nos drames, elle est aussi celle qui revient, « gardienne / des ruines, sentinelle du présent », celle qui « entretient le feu ».
Le livre est son semblable, écrit avec justesse Patricia Castex Menier. En effet, les livres de poésie font brèche et meurtrières. Ils éboulent les murs pour en affronter de nouveaux. Oui, c’est de mur en mur, de mur sapé en mur éboulé, que nous allons comme de passage en passage. Non pour traverser – ce serait trop dire ! – mais pour avancer dans un monde rendu un temps plus habitable.

Balise 22 - Approche de la poésie

Ces mots de Louis Aragon pour aider à faire toujours plus vaciller la définition de la poésie :

"J'appelle poésie cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux grands ouverts, ce domaine passionnel où je me perds, ce soleil nocturne, ce chant maudit aussi bien qui se meurt dans ma gorge, où sonnent à la volée les cloches de provocation." 

22:55 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

Turbulence 15 - C'était l'été (2)

Midi Noir. Après les bûchers de l’hérésie. D’autres feux, aux flammes noires, grasses et mouillées. Cet été, on a touché au livre. Au libre. Au vivre. Quelques 10000 enfants de la solitude et du silence, de Saint Augustin à Catherine millet, ont été souillés, recouverts d’huile de vidange et de gaz oîl. C’était à l’abbaye de La grasse, dans l’Aude. À l’occasion du dixième Banquet du livre dont le thème cette année était « La nuit sexuelle », référence au titre à paraître de Pascal Quignard, qui en était l’invité d’honneur.
Et nous qui pensions que notre temps n’attendait plus rien des livres ! Qu’ils n’étaient plus qu’objets de consommation, vaguement décoratifs, marchandises livrées en pâture à chaque rentrée littéraire – Vous avez-vu les chiffres de Livres-hebdo : 727 romans et 568 esais et documents à paraître entre août et octobre ! – à l’on ne sait trop quelle faim.
Eh bien – Et c’est finalement assez rassurant ! - , les livres font toujours peur!
Une force insoupçonnée les hante, celle qui interroge le monde et semant à profusion des points d’interrogation, elle nous mène sur le chemin où le comprendre reste possible. Les livres restent des lieux de reconquête. De réappropriation de soi et du cours de sa vie.
 
(Extrait de l'éditorial du N°27 de la gazette Basilic, éditée par l'Association des Amis de l'Amourier ( 5 rue de Foresta, 06300 Nice) que je préside. Diffusée à plus de 1600 exemplaires, cette gazette de 8 pages paraît 3 fois l'an. On peut retrouver mis en ligne sur le site amourier.com les 26 premiers numéros. )

Turbulence 14 - C'était l'été (1)

Parti tôt, rentré tard. C'était l'été. Roulis de pierres et de mots, sous un ciel sans voix.

Si ce n'est ces deux chemins. Le premier de René Char dans sa Lettera amorosa : "Je vais souvent à la montagne dormir. C'est alors, en vérité, qu'avec l'aide d'une nature à présent favorable, je m'évade des échardes enfoncées dans ma chair, vieux accidents, âpres tournois";  Le second de Jacques Dupin dans son poème Sang, in Dehors: "alors il va aux montagnes / de préférence; - grises / et rauques, s'aguerrir / et sa vieille torpeur mettre en pièces".

Me voilà de retour "Dans les turbulences"! 

 

Lu 15 - La mort n'est jamais comme de Claude Ber

( Aller voir dans la catégorie "Mes ami(e)s, mes invité(e)s" en date du 04/04/2007 la présentation et le beau texte que Claude Ber m'avait confié)

 

edf3fd35a8c560ae923909540339b5d6.jpgUn mot manque à la langue. Un mot qui dirait la mort. Ce trou dans le réel qui oblige ceux qui ont le vertige à bâtir des tours pour du haut tenter de dire ce qui est arrivé. Ceux-là, ceux qui restent, ceux qui déplacent la douleur dans un remuement de langue, risquant bruits et crissements, ceux pour qui « la mort n’est pas un chemin barré » selon les mots de Jacques Dupin, ceux qui mènent à chaque fois par des chemins singuliers dans les mots vers le mot qui faut, qui tentent de l’arracher à la masse des signes, à le « traduire du silence », ceux qui tentent de le serrer dans les pages d’un livre, risquant jusqu’à l’illisibilité, ceux-là sont les ami(e)s de la traversée.
J’ai rencontré Claude Ber, comme il se doit, par hasard. J’ai lu son livre dans l’amitié, cet espace où se retrouvent ceux/celles dont on comprend qu’ils sentent davantage ce que veut dire vivre en écrivant.
La mort n’est jamais comme ( Editions de l’amandier, 2006, 12 euros ) est un de ces livres importants qui mettent à mal l’objet verbal qu’ils sont pourtant puisqu’ils proviennent d’un « effondrement / affrontement de la langue dans la langue », pour dans « ce reste » qu’ils sont laisser affleurer l’acte, ce moment de l’existence en mouvement vers son sens, qui a présidé à leur mise sur pied. Ce livre de Claude Ber est un de ces livres qui sont comme autant d’essais pour passer à travers, faire clarté, faire comme un dégagement pour se donner de l’air et retrouver les oiseaux de ces « intimes croyances, de celles qui font vivre à n’importe quel prix ».
Donc la question – la seule – est de savoir comment dire ce qui excède jusqu’au langage lui-même ? Comment dire avec des mots ce qui reste hors des mots ? Comment dire la mort des êtres aimés ? Comment entrer dans les veines du noir, dans la seule nuit dont personne ne trouvera le fond, la nuit du cœur qu’il faut pourtant toucher non des mains mais avec les quelques mots qui nous restent en plongeant au plus profond de l’abîme de l’existence.
C’est à cette expérience que nous invite Claude Ber. À la déroute du comme. Ce que nous traversons dans ce livre, c’est « le déchiré de la parole », l’impuissance de « l’agrafe de l’image » pour réunir « les lobes épars d’une cervelle » et « ramener l’invivable au vivable ordinaire des jours ». Non, la poésie n’a pas ce gluant des pommades qui masquent les plaies. Non, ici, on ne fait le deuil de rien. On a beau travailler, descendre dans la soute, risquer tous les comme possibles, rien ne vient boucher le trou des questions : « comme quoi est la mort ? Qu’est-ce qui est comme la mort ? » jusqu’à l’adresse à celui/celle passé de l’autre côté : « toi qui sais à présent, dis-moi ce qui est comme la mort ? ». Claude Ber qui en découd avec la parole ne fait qu’aggraver le questionnement. Et c’est cela qui tient le livre. Cette montée dans l’obscur. Par soustraction.
Et par composition. En effet, autant Claude Ber sait prendre acte du « crack définitif du langage », mettre à leur place les « (bouées) de l’image » et accepter que le poème ne soit que « ce qui reste », « un bégaiement », autant son « effort de clarté » concerne l’architecture même de son livre. Un territoire, une tour. À tenir. Ce sont ainsi deux pierres levées – Ce qui reste et Fragments in memoriam - qui ouvrent et ferment le livre. Entre elles, 22 « bribes », chacune engageant plusieurs « découpes », soit 50 au total, comme autant de poèmes, de restes, de vestiges, voisins du fantôme, ce vêtement d’absence, garant d’une présence encore et toujours de la vie dans ses aspects les plus kaléidoscopîques.
Claude Ber mêle à une belle tension rhétorique qui vise à porter le langage au plus près de ses limites, les impulsions secrètes de l’organisme, ces mouvements qui nous pressent, nous traversent, nous déchirent. Là où cœur et chair ne s’opposent pas, dans cette zone d’avant la distinction de l’âme et du corps, prend le feu de ce rythme qui bat dans l’écriture de Claude Ber. C’est lui qui oppose les arêtes, unifie et fait tenir ensemble. Cela donne ce ton particulier qui voit Claude Ber parler ici avec des mots au « juste temps » selon l’expression de Jean-Luc Nancy, soit avec des mots qui s’ils ne disaient pas le juste (le sens correct, la vérité) disaient juste !
Claude Ber dit juste. Et dans ce suspens du sens, c’est la vie qui se rue. Ce hors-sens, ce vide s’ajoute au temps pour le faire jouer, tourner. Pour resynchroniser un compte qui manifestement n’est pas bon. Et c’est alors un oui que l’on entend. Un oui « à la vie », au « jouir », à « la chair la mer nues. Et la lumière tierce ». Décidément, le reste, ce peu, est toujours ce qui sauve !

 

Lu 14 - Mandala des jours de Dominique Sorrente

1e12187238ee097d8fdeab8e8cf789f4.jpgD’un de ses précédents livres Le petit livre de QO, paru chez Cheyne éditeur en 2001, j’écrivais que QO – Diminutif du narrateur de l’Ecclésiaste Qôhelet – était celui qui dérange. Apparaît et disparaît. Entre sans crier gare. Cet « imprévu rencontré » - C’était le titre que Dominique Sorrente avait donné en 1995 au N°109 de la revue Sud qu’il avait alors dirigé – est poésie. Cela qui s’écrit en nous dans la déroute des certitudes et des calmes.
Mais c’est ouvrir d’autres routes cela ! D’impossibles routes. Les seules aimées pourtant. Celles qui conduiraient à d’autres jours, un autre temps, à la demeure de haut et profond silence. Quelque chose comme un Mandala, cette perfection géométrique du cercle, qui reste à l’horizon d’un qui, homme parmi les hommes, reste « nu et pèlerin comme à l’heure du premier poème », un qui entend rester dans l’enfance du désir, ses énergies de feu, pour qui vivre se vit dans le risque de vivre. Oui, c’est cela que l’on ressent à la lecture de ce nouveau livre de Dominique Sorrente, après ses sept livres parus chez Cheyne éditeur et une bonne vingtaine de publications.
C’est pour cela que contre ce Mandala, je parierais pour la spirale. C’est son image qui s’impose à moi, lisant Dominique Sorrente. De nouvelles déchirures maintiennent ouvert ce quelque chose qui tourne, pars et revient, évolue et s’involue dans la poésie de Dominique Sorrente, quelque chose qui  nous fait « une clairière pour l’habitation » et qui « nous invite à tenir parole avec quelques bouts de sagesse méridienne à partager. »
Je sais bien que Dominique Sorrente a voulu architecturer son Mandala des jours (éditions PubliBook, 13 euros) selon les cinq éléments de l’antique sagesse chinoise : « bois, feu, terre, métal et eau…cinq moments. Cinq graphies » écrit-il. Mais si ce livre de poèmes est du côté du Mandala, dans sa rondeur par exemple ; la poésie, elle , est du côté de la spirale, cercle que toujours « dénoue le matin futur ». Elle est  du côté de ce qui « désoriente la braise », « disperse les cendres » et déshabitue l’œil car toujours la violence du monde fait déchirure : « ce qui se passe au loin, si près, / - tous ces anneaux de flammes - / t’empêchent de dormir », écrit Dominique Sorrente. La poésie toujours excède le poème, cette retombée transcriptive, cette traduction. C’est elle la passagère qui nous voue à la spirale. Et dominique Sorrente le sait :  « la boucle retrouvée / enjoint le jour qui s’étonne / de ne pas achever le poème ».
Reste qu’une vie qui s’est vouée à une « parole pour éveiller » se joue entre lucidité et trouble, sagesse et folie, mandala et spirale.
Reste, cela qui n’échappera à aucun lecteur, cette ferveur dans l’écriture de Dominique Sorrente. Quelque chose comme un soutien intime du vrai. Car ce n’est pas avec ses mains que l’on saisit la vérité mais c’est en parcourant la nuit où notre cœur garde les éclairs qui ont éblouis nos jours, où « le feu certain qui déroulera ses spirales n’a pas encore logé ses bruits ».
Reste cette posture du poète qu’est Dominique Sorrente : « La tâche du poète, écrivait-il dans Le petit livre de QO, n’est pas d’embellir l’instant, pas plus que de le mimer. Son plaisir et son risque seront toujours de faire route vers la source du réel où vivent nos eaux mêlées ». Celle d’ »un homme / ses deux mains fouillant un chantier / face au hoquet du ciel ».

27/06/2007

Salah Stétié - Lampe du sens sur le sentier obscur

( Cet entretien que j'ai mené en février 2004 avec Salah Stétié est paru au printemps de la même année dans le N° 86 de la revue Friches, Cahiers de poésie verte, Le gravier de Glandon, 87500 Saint-Yrieix, que dirige mon ami Jean-Pierre Thuillat. Daniel Aranjo avait participé à la mise sur pied  de ce dossier. )

Alain FREIXE. - Vous me pardonnerez, mais je ne puis commencer cet entretien sans vous poser la même question que celle que vous posait, en 1995, Daniel Leuwers, dans la revue Europe: « Salah Stétié, comment vivez-vous cette "question arabe" dans ses développements récents les plus tragiques ? ».4d88038a17ff69c7dfe282375cbf9f5d.gif

Salah STÉTIÉ. -Question pour moi douloureuse –plus douloureuse encore qu'elle ne se posait en 1995. Jamais le monde arabe, sous l'apparence calme qu'en donnent certains Etats, sous celle, ô combien tumultueuse, qu'en fournissent d'autres, n'a été aussi fragile, aussi peu maître de son destin, aussi réduit à l'impuissance, aussi livré à l'autodestruction et aux macérations amères qui en découlent. J'avais, aux divers postes de responsabilité où je m'étais trouvé par la force des choses (Ambassadeur à l'UNESCO, aux Pays-Bas, au Maroc, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères à Beyrouth), très mal vécu sur plus de quinze ans la guerre « civile » libanaise. On appelle « civile » la guerre la plus incivile qui soit, c'est là l'une des dérisions du sens dont je n'ai pas fini d'épuiser le non-sens. Il est vrai que la guerre libanaise, à part quelque soixante mille hommes recrutés et armés par des puissances extérieures, n'avait de libanais que le fait d'avoir pour théâtre le territoire qui lui servait de scène au quotidien: meurtres, violences de toute nature, attentats, assassinats, bombardements aveugles, tout ce que le monde devait voir par la suite se reproduire dans l'ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Iraq, et, par-ci, par-là, sur le inode mineur, dans d'autres régions du monde. Mon pays avait pourtant le privilège d'avoir derrière lui une longue, très longue histoire, et il a de ce fait réussi, au bout de quinze ans de délires et d'exactions de toute sorte qui lui ont été imposées, à retrouver sa sagesse millénaire et, dans la mesure du possible, se reprendre en main et réorganiser son système politique qui doit gérer, dans l'équilibre, le destin commun de dix-huit communautés différentes sur le plan religieux et, jusqu'à un certain point, culturel. Pour le reste, à savoir la question arabe en général, j'ai - tout en me félicitant de l'élimination de l'affreux Saddam Hussein - le plus grand mal à accepter l'occupation, par la coalition créée autour des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, d'un pays de vieille civilisation comme l'Iraq. J'attends aussi avec impatience et colère, oui: colère, la fin de ce qui se passe actuellement en Palestine: il faut que ces  deux peuples, le palestinien et l'israélien, trouvent enfin le chemin du dialogue, du respect mutuel, du droit international, que justice soit rendue au dépossédé et que le bon voisinage remplace la méfiance et la haine réciproques: « Si tu veux la paix, prépare la paix », dit Platon.AF - « Satah Stétié, poète arabe », c'est là le titre du livre que Daniel Aranjo vous a consacré aux éditions Autres Temps (l septembre 2001). Le substantif dit un droit, droit à l'exil de tout homme qui, parce qu'il parle, perd le monde et tente obstinément d'y reprendre pied, souffle et sens; I'épithète un fait, difficile à cerner. Existe-t-il un « pays arabe », une patrie linguistique et culturelle arabe ?SS - Il existe une langue arabe, une culture arabe, une civilisation arabe, complexe, qui a produit, à travers et au-delà du fait religieux, une littérature, une philosophie, une architecture, une poésie, une musique, un art de vivre, que sais-je, et c'est tout cela qui alimente la conscience et l'inconscient collectifs. Je suis le fils de cet héritage-là comme je suis le fils de ma culture française. J'ai la chance-je l'ai souvent écrit d'être un métis intellectuel et spirituel, un homme à cheval sur deux mondes. C'est cela que Daniel Aranjo a compris et c'est cela qu'il met en évidence dans son livre aussi renseigné qu'intuitif.


AF- Je ne me souviens plus dans lequel de vos articles consacrés à la poésie vous rappeliez ce mot de Flaubert: « la civilisation est une histoire contre la poésie ». Cette guerre, de quoi est-elle fondatrice à vos yeux ?


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Balise 21 - Qu'est-ce que partir?

«  - Où vas-tu, maître ?
-Je ne sais pas, dis-je, je ne veux que partir d’ici, seulement partir d’ici. Sans cesse partir d’ici, ce n’est qu’ainsi que je pourrai atteindre mon but.
-Donc tu connais ton but ?
-Oui, répondis-je, ne te l’ai-je pas dit : partir d’ici, tel est mon but. »

Franz Kafka

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25/06/2007

Emmanuel Laugier - Crâniennes (extraits)

medium_Didier_leclerc_-_E._L_07_-_2.2.jpgEmmanuel laugier est né en 1969 à Meknès (Maroc). Il vit à Nîmes. Travaille aux Belles Lettres. il fait partie du comité de rédaction de la revue L’Animal (Metz), où il écrit, entre autre, sur le cinéma. Il est un collaborateur régulier du Matricule des anges pratiquement depuis les débuts de ce mensuel.

parmi ses dernières publications, on relèvera

* Strates, Cahier Jacques Dupin (sous la direction d'E. L), Édition Farrago/ Léo Scheer, 2000

* Singularités du sujet (8 études sur la poésie contemporaine), sous la direction de Lionel Destremau et E. L, (Prétexte éditeur,2001)

Pluralités du poème (8 études sur la poésie contemporaine), sous la direction de Lionel Destremau et E. L, ( 2003)


* Suivantes, Didier Devillez, 2004

* Mémoire du mat, Ulysse Fin de Siècle, 2006,

Mon ami Emmanuel Laugier pratique cet exercice vertical de la langue fait de pastilles noires, ces points de pitonnage ; de parenthèses vides qui au lieu d’ajouter semblent au contraire ouvrir l’espace vide où la parole trouverait à se retourner ; de tirets comme autant de jonctions / disjonctions de plans d’écriture, autant de prises à saisir / lâcher pour se hisser, passer un ressaut. Jusqu’au surplomb. Ecrire, non plus comme marcher, mais comme grimper.Et sentir le vent du dehors emporter les dernières poussières. Dans le ciel ouvert. Alors tout peut alors continuer.

Il me confie aujourd'hui ces quelques Crâniennes inédites. 

 

*

25 

crânienne
 est dans le bleu sec du serpent
 de loire — est encore une autre image —
 mais large (panoramique)
 et froide loire elle-même avec lui jacques
 lisant au travers du carreau du train lui
 [qui lisait] ses yeux
 que je ne voyais pas que
 que je ne pouvais voir tournés tournés
 vers je ne sais quel
 autre varech encore
 plus encore enroulé dans du noir-plastique
 brillant échevelé
 venteux dans le loin
 là
 où je n’étais pas
 lui
 regardant une embuscade —
 un grand brasier un feu âcre blanc enrouler le ciel



26

pour serge
et    (incise — au jour ce
jour le 7 demain
le 8 dans le soleil pas loin
montauban — en décembre deux-mille quatre
glisse avec claude l’ongle où
je le voyais ô
ton sourire beau donné
donné — que même au fils pas
sinon
adieu —
te revoir au fond courbe du crâne
lové de la douceur de la
douceur que le jour
continuant enfin le dire le lâcher —   )
ce jour pas
le même
non
jamais



27


pas plus qu’un autre
est jeté en travers de soi ce-
lui

pas autrement
est
fracassé
dans ton jour à toi un
vase
a
coulé
son noir jusqu’
ici
ton temps
y
fait
tâche
tatouage
indélébilité du feutre lent
dans la mémoire voulue fermée
vacante
car pas pour aujourd’hui
son insistance
non


28


crâniennes   



  pas
  aujourd’hui
  pas ce jour de venir
  déconner
  avec ça qu’il
  faut (faudra)
  bien passer de l’autre côté
  pour
  quoi :
  sortir
  revenir nous
  oui
  un peu avec
  la rue qui passe son
  bruit dans le
  tien grand
  blanc vide
  d’esprit
  alors
  alors


29


et ( incise — au jour
     terminé — dit
     fin
     fini
     plié
     parti — dit
     cela qu’il — non
     pas
     seulement
     soit chassé
     dans le coin de tête le plus
     lointain reculé — non —
     mais
     qu’il (ce jour)
     commence cent
     fois sans
     insistance à
     ré-exister sa mort à lui
     passée
     disparue
     pschtt
     envolée
     avec le lent signe que je fais
     de la main au revoir )
te dire
adieu
très bas le dire
et le faire

 

 

© Emmanuel Laugier

© Didier Leclerc pour la photographie.  Pou en savoir plus sur son travail, voir le site contact@atelier-n89.com




 

 

19/06/2007

Balise 20 - S'en sortir?

Quelques cairns pour un chemin possible:

Cairn de Scott Fitzgérald:

"On devrait pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et cependant être décidé à les changer."

 Cairn de Maurice Blanchot:

"Je crois que nous le savons : que les choses en leur fond soient sans issue, je ne vois rien qui me détournerait de le dire avec vous (Il s'adresse à Georges Bataille); j'ajouterai seulement que ce "sans issue" ne peut s'affirmer que par la nécessité de toujours chercher une issue, par la décision, inexorable, de ne jamais renoncer à en trouver une."

 Cairn de Henri Michaux:

"Ne désespérez jamais : laissez infuser davantage."

 Cairn d'Antonin Artaud:

"Nul n'a jamais écrit ou peint, scupté ou modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer."

 Cairn de Gilles Deleuze:

"Il n'y a pas d'oeuvre qui n'indique une issue à la vie, qui ne trace un chemin entre les pavés."

 

 

11:35 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

15/06/2007

Lu 13 - André Velter et la "fée des glaciers"

medium_Velter-L_amour_extrême.jpgLettera amorosa, fin de partie ? Voire ! « La poésie est le lien privilégié où se disent ensemble l’amour des êtres (Amors) et l’amour de la langue » Comme ces mots de Jacques Roubaud bornent bien le livre d’André Velter, L’amour extrême et autres poèmes pour Chantal Mauduit (Poésie/Gallimard) dans lequel il a regroupé les trois livres dédiés à sa femme céleste.
Trois chemins. Le premier est celui d’un cœur dévasté qui avec Pavese réclame que « la mort vienne » puisqu’ »elle aura tes yeux » ; le second mènera André Velter jusqu’au sommet de « l’amour extrême », il prendra le troisième pour redescendre avec un « oui définitif / qui n’abdique jamais », en lieu et place d’âme, cette « part divine / qui ne vit que de toi ».De même que le troubadour Peire Vidal écrivait, à propos de ses poèmes, que les amants trouveraient réconfort à lire ses vers, de même nous trouvons de quoi nous réchauffer au « feu clair » qu’André Velter a su tirer de « la neige glacée » qui s’abattit sur lui comme sur « la fée des glaciers » un certain jour de mai 1998 sur les pentes du Dhaulagiri. Il faut lire André Velter pour voir comment « l’amour extrême » , mots qu’il emprunte au troubadour Jaufré Rudel – « Ta mort, mon amour, a changé l’amour en destin » - n’est pas exclusif mais extensif. Puissance démultiplicatrice. Ainsi lorsque l’Ami dans les magnifiques dialogues de l’Ami et l’Aimé du grand philosophe et mystique catalan Ramon Lull demande à son Aimé s’il reste encore quelque chose à aimer, l’Aimé lui répond « tout ce qui peut multiplier l’amour, est encore à aimer » Tel est « l’amour extrême » : un « ermitage, écrit André Velter, qui n’a pas de toit, pas de fronton, il est de plein vent et de pleine clarté ». « L’amour extrême » est passage, « esquif aimanté qui s’éloigne de la terre, reste à l’écart du ciel, sans renier la terre ferme, sans congédier le ciel ». Il faut lire André Velter pour voir comment la poésie sait  sait « (garder) force de mots / jusqu’au bord des larmes », selon les mots de « la soupçonnée » de René Char et comment elle est forme d’homme !