Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/06/2007

Jacques Dupin l'intempestif par Emmanuel Laugier

C'était en et paraissaient coup sur coup  chez POL Écart (2000) le nouveau livre du poète Jacques Dupin, et, en un seul volume, la réédition des Mères et De singes et de mouches (2001): l'expérience à laquelle convit Dupin, toute en syncope et en puissance, fait de son auteur l'un des plus importants poètes de la seconde moitié du XXème siècle. (On lira dans la rubrique Entretiens celui qu'il m'a accordé à l'occasion de la parution de Coudrier, toujours chez POL en 2006)

J'ai plaisir à reprendre ainsi l'article que mon ami Emmanuel Laugier avaiit publié à cette occasion dans le N°  35 du Matricule des Anges en juillet/août 2001, l'excellent "mensuel de la littérature contemporaine" de Thierry Guichard à laquelle il collabore depuis l'origine ou à peu près.

 

 

 

L'œuvre de Jacques Dupin compte aujourd'hui plus d'une vingtaine de livres de poésie, sans y ajouter ses essais sur l'art et les peintres. Pourtant, le mot "œuvre" va mal à cette écriture : elle ne cesse en effet de se remettre en question. La lire, c'est être face à ce qui, en nous, s'accepte le moins. A chaque lecture elle rappelle à vous un animal juste endormi, un singe par exemple, ou cette nuée de mouches qui au coin de l'œil ne perdra pas le temps de vous troubler la vue… Les livres de Jacques Dupin n'assagissent pas. Ils font plutôt tourner le vin en vinaigre, ou l'inverse. Sa poétique est celle de la déflagration et des renversements de tous les corps, du lieu géographique (Ardèche, Japon, Pyrénées) où tout s'éffondre en ravines aux forces les plus abstraites de la psyché. De ce singe «au cul couleur lilas» au pavot rouge sang de la folie, du frère perdu dans sa tête à l'exécration du pouvoir (à commencer par celui des mots), la langue de Dupin propose une arme, un couteau net de braconnier, ce tison la distance ouvert dès les premiers livres : une intempestive manie de couturailler. Pour tout dire, Jacques Dupin rompt l'équilibre entre le signe et la voix : c'est par là qu'il vient en son livre «tempétueux et déchiqueté».

    La voix de l'auteur est irréversiblement marquée par cette exigence : toujours suspendue à un lointain silence, grave et profonde lorsqu'elle se donne, elle surgit parfois quand on ne l'attend pas. Elle ne se «soucie, selon ce qu'en dit justement le poète Claude Esteban, dirait-on, de pas autre chose que de brusquer celui qui l'écoute, de l'interloquer au moment même où il semble s'approcher de lui et, qui sait, le séduire». Tête rasée de boxeur, arcade saillante et soulevée, massif, Jacques Dupin précise de suite que l'entretien n'est pas son fort, qu'il ne les lit ni ne les écoute jamais. A nous, donc, d'entendre sa voix rapportée…

 

Lire la suite

01/06/2007

Luna Miguel, la poésie à 16 ans

Jeune fille, salut! medium_mi2.jpg

Luna Miguel est du genre "Claire"! Allez donc relire les bandeaux que rédigea René Char pour sa pièce de théâtre "Claire" en 1948. Cette jeune "almeriense" - habitante d'Alméria! - a seize ans. Son activité poétique est multiple. Elle dirige un fanzine, anime un blog - www.lunamiguel.blogspot.com -écrit et publie des poèmes en revues. El grito et Menù de sombras sont ses deux recueils publiés. Après avoir passé un an en Première L au Lycée Masséna à Nice, elle retourne en Espagne. De Mundo fantasma manuscrit qu'elle a écrit et mis au point au cours de son séjour niçois , j'ai extrait  et risqué la traduction de ces deux poèmes:

La plage de la réserve 

 Un lugar entre el cielo y el infierno

un punto exacto, càarcel,

espacio sin aire, agua o fuego.

Me encuentro tendida en las sabanas

del otono donde huele a papel quemado

y pegamento

No puedo mirar atras

no puedo girar la cabeza

no puedo decir hola ni adios,

no puedo pensar.

Y aunque en frio haya llegado

antes de lo previsto

sé que estoy en alguna parte. 

 

La plage de la Réserve

 Un lieu entre le ciel et l'enfer

un point exact, une prison,

un espace sans air, eau et feu.

Me voilà étendue dans les draps

de l'automne où ça sent le papier brûlé

et la colle.

Je ne peux regarder en arrière

je ne peux tourner la tête

je ne peux dire ni bonjour ni adieu

je ne peux penser.

Et même si le froid est arrivé

avant l'heure

je sais que je suis de quelque part.

 

Les choses et les poèmes sont inconciliables (Francis Ponge)

 No te estoy hablando de las cosas

del dia

minuto

no te hablo del momento

del espacio

de mis manos

 

mira los aviones

comprende qué te digo

 

todo es verde

 

no queda poema.

 

Les choses et les poèmes sont inconciliables (Francis Ponge)

 Je ne te parle pas de la chose

du jour

min ute

je ne te parle pas du moment

de l'espace

de mes mains.

 

Rezgarde les avions

comprends ce que je te dis

 

tout est vert

 

Plus de place pour le poème. 

08/05/2007

Jean-Gabriel Cosculluela- La proche attente de la lumière

medium_Cosculluela_Jean-Gabriel.jpg(Né en 1951 à Rieux-Minervois (Aude). Origines aragonaises (Pyrénées espagnoles). Vit en Haute-Ardèche. Conservateur territorial des bibliothèques. Écrivain, traducteur de l’espagnol, éditeur (directeur de la collection Lettre Suit, maintenant aux éditions Jacques Brémond, après une co-édition Atelier des Grames-Brémond) ). Membre du comité de rédaction de la revue Faire Part (dernier N° sur Jacques Dupin-mars 2007)Ses livres: De  L’Affouillé  (Jacques Brémond, 1980) à   Une prière nue, d’emblée  (Atelier des Grames, 2005),  une trentaine de livres. Parmi les plus récents

Terre d’ombre (éd. Voix d’encre, 2001) avec des monotypes d’Anne Slaci

Âpre aveuglement (éd. La Porte, 2002) avec un dessin de Claire Dumontei

Buée (éd .Jacques Brémond, 2003) avec des encres de Joël Frémiot

L’Envers de l’eau (éd. Fata Morgana, 2005) avec des photographies de Jacqueline Salmon      

Stèle du seul encore (éd. La Sétérée, 2005) avec des gravures de Jacques Clerc

Une prière nue , d’emblée (Éd. Atelier des Grames, 2005) avec une mise en livre et des gravures d’Anik Vinay

À paraître

À fleur de lumière  (éd. Mano à Mano / Les Cahiers du Museur) avec des travaux d’Albert Ràfols-Casamada)

 

Jean-Gabriel me confie ce poème dont je ne puis respecter ici toutes les blanches respirations.

Jean-Gabriel est un lecteur. Il a fait sienne l'affirmation de Andrès Sanchez Robayna: "L’écrivain est d’abord un lecteur"

On trouvera ainsi dans Dans La proche attente de la lumière, des mots  d’Andrea Zanzotto, Christian Dotremont, Andrés Sanchez Robayna, Joë Bousquet  

 

 La proche attente de la lumière

 

 

 

Journalier de lumière
tu regardes le feu blanc
tu regardes le feu noir
pour brûler l’invisible







 

Braises, cendres sur le sable, sur les rochers
pour garder encore le secret
tu regardes toujours la lumière
sur le seuil







L’ordre du jour où tu écris
la terre nue de la terrasse
où la lumière a soif
de la lumière obscure






La terre nue de la terrasse
 tu écris la terre de loin
et chaque mot est manque







L’eau s’éteint ce soir d’été
l’île est la terre de personne
elle se donne
dans le silence au-delà de chaque mot









Tu bois la lumière
où la terre ce soir
veille l’invisible
là sur la terrasse et plus loin
dans l’air et son silence
un oiseau s’abandonne







L’air et l’eau, les rochers
chaque mot à traverser
chaque manque

la proche attente de la lumière









Vienne le jour l’air
en une sorte de pluie de baisers offerts
à l’eau par les mouettes

dit Andrea Zanzotto
dans Au-delà de la brûlante chaleur





aux marges qui quoi qu’il en soit sont parmi
et aux marges qui quoi qu’il en soit sont dehors
dit Christian Dotremont
dans  Commencements lapons






Comment  dire le silence avant un seul mot,
comment   dire le silence après un seul mot,
le temps qu’il fait du rien, de la nudité,
la suite d’une saison bleue et blanche
de trop regarder le bleu et le blanc,
le temps qu’il fait du vide sur la pierre extrême,
comment trouver les noms ?



 

 

 

a. gravé de corps bas de casse
sur la pierre extrême
pour nu le recommencement:
tu épelles la lumière, a.,
tu épelles le gravier sous le pas
la grève les rochers
a. où bat le bleu où bat le blanc
le recommencement
l’eau de roche

           quand la lumière même
s’approchera des bords de la lumière



les rochers l’eau l’été
la soif la nuit
les cordes d’écume et de nuit noire sur les rochers

           l’oeuvre de la nuit, mais de la nuit
qui nous donne des yeux, elle a pour vertu de boire
les ombres







a. reprend tes mots
composant sans cesse le silence:
le climat d’encre  la roche les rochers
les paumes sur la dalle froide
le feu blanc et la pierre extrême



et ce jour d’air, a.




        .Plus haut le corps errant
nomade dans le noeud de la lumière


Juin 1997-Juin 2000  




 © Jean-Gabriel Cosculluela, 2007 

06/05/2007

Balise 18

    Faire passerelle avec la Balise 8. Phrase de Montaigne sur la beauté de la poésie.

 

"Les livres quand ils sont beaux font tomber non seulement les défenses de l'âme mais toutes les falsifications de la pensée qui se voit prise  de court soudain."

Pascal Quignard 

19:34 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

05/05/2007

Lubin Armen / Arménie année du 16 juillet 2006 au 14 juillet 2007

medium_lubin-armen.jpgmedium_lubin-armen-passager2005.jpgQue cette occasion de découvrir les valeurs du patrimoine culturel arménien et de mieux connaître l’Arménie, sa culture et son histoire, son passé et son présent – on se reportera au site http://www.armenie-mon-amie.com/ - on ajoute celle de découvrir le poète Armen Lubin. De son vrai nom Chahnour Kerestedjian, il naquit à Istanbul en 1903. Sa vie d’exilé – Il fuira les persécutions de Mustapha Kemal en 1915 à Paris – fut vouée aux souffrances d’une tuberculose osseuse qui le conduira d’hôpital en hôpital jusqu’à sa mort  à Saint-Raphaël en 1974. L’essentiel de son œuvre poétique a été repris dans un volume de la collection Poésie/Gallimard préfacé par Jacques Reda : Le passager clandestin, Sainte patience, Les hautes terrasses et autres poèmes en 2005.Seul, démuni, il va devoir s’adosser à notre langue et la faire bouger,la maltraiter comme seuls savent le faire les venus d’ailleurs, les bienvenus :« N’ayant plus de logisPlus de chambre où se mettre,Je me suis fabriqué une fenêtre
sans rien autour »
A s’y pencher, on voit passer le monde. Et ses décombres. Ses gravats. Ils blessent le cadre de la chanson. Assombrissent sa lumière. Mais elle persiste pourtant. Et passe. Blanche. Comme un oiseau. Sa flèche. Son chant.
Lubin Armen, encore un de ces poètes plus reconnu que connu !


Voici un poème extrait de Les hautes terrasses publié en 1957 chez Gallimard. poème que d’aucun dirait de circonstances. En est-il d’autres ?

MONSIEUR ARNAUD, BACHELIER
À Arpik Missakian.

Les sans-patrie ont toujours tort
Puisqu'ils transportent du bois mort
Et campent dans de sombres garnis,
Chaque mur y a ses petites hernies.
Car c'est un hôtel moisi et croulant,
Sur une corde se balancent des piments.
Hôtel borgne dont l'œil valide s'infecte,
Hôtel où les réfugiés et leurs dialectes
Se glissent par une vieille porte noircie,
La police reconnaît en elle l'objet de ses soucis.
Elle la vise, se ravise, et ainsi de suite.

Lire la suite

Balise 17

"Quand l'argent a toute la force, les hommes ne sont plus touchés que par les écrits qui les font pâlir. Il faut que l'écrivain leur prenne la vie avec le coeur"

Joë Bousquet, Notes d'inconnaissance, Rougerie 

12:42 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

02/05/2007

Jérôme Bonnetto - Lavomatique (extraits)

Écrivain et photographe, Jérôme Bonnetto enseigne les lettres dans le sud de la France. Il est l'auteur du Livre de Brouillon, (poésie, L'Amourier, 2003), et de Vienne le Ciel, roman paru aux éditions de l’Amourier  en 2006 (voir ici même dans la catégorie « Du côté de mes interventions » - Lu 6 en septembre 2006).

 

medium_bonnetto.gifJe me souviens parfaitement de l’histoire qu’elle m’avait racontée. Je ne me souviens plus de son visage, des émotions qu’elle laissait transparaître. Me reste juste l’histoire. C’est une histoire de lavomatique, je ne veux pas dire par là que c’est une histoire qui se passe dans un lavomatique, non, c’est une histoire de lavomatique parce qu’on peut la raconter à un inconnu que l’on rencontre dans un lavomatique, c’est peut-être même la meilleure personne – l’inconnu du lavomatique, en l’occurrence moi. Elle m’a raconté cette histoire comme ça en regardant son linge blanc tourner dans le tambour de la machine 6. La femme qui m’a raconté cette histoire n’était pas jeune mais l’histoire qu’elle m’a racontée est l’histoire d’une jeune femme. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose la tête sur la poitrine d’un jeune homme. Une jeune femme. C’est l’histoire d’un jeune homme aussi. Ils sont deux, une jeune femme et un jeune homme. Un jeune homme avec un cœur sous sa poitrine. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose sa tête sur le cœur d’un jeune homme. Voilà, c’est ça l’histoire, la tête d’une jeune femme, un jeune homme, un coeur. C’est l’histoire d’un cœur. C’est aussi l’histoire d’une jeune femme qui veut devenir médecin. Cette jeune femme pose sa tête sur le cœur de son amant, parce qu’ils viennent de faire l’amour pour la première fois. Souvent les jeunes femmes font ça, elles posent leur tête sur la poitrine d’un jeune homme, tendrement, voilà, comme ça. Là, c’est la première fois. Pour la jeune femme mais aussi pour le jeune homme. Ce jeune homme a un don pour les sciences physiques. C’est de la physique qu’il veut faire, il veut chercher là-dedans, dans la physique. Chercheur en physique. Il veut fouiller la physique et trouver des trucs. Fouilleur en physique, c’est ce qu’il dit pour ne pas trop effrayer les gens qui n’aiment pas la physique. La jeune fille va devenir cardiologue mais elle ne le sait pas encore. C’est l’histoire d’une jeune fille qui voulait juste être médecin et qui va devenir cardiologue. Une grande cardiologue, non parce qu’elle se destine à devenir cardiologue mais parce qu’ils viennent de faire l’amour et que ça va la destiner à devenir cardiologue. Les cardiologues aiment faire l’amour aussi, ils aiment tout court même s’ils ne se font pas la même image que nous de ce qu’est un coeur. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose sa tête sur la poitrine d’un jeune amant après avoir fait l’amour et suite à cela, elle veut devenir cardiologue. Cet homme, elle en est éperdument amoureuse, elle sait déjà qu’elle passera toute sa vie à ses côtés, elle sait qu’il ne pourra plus en être autrement, qu’elle est de ces femmes pour qui il ne peut y avoir qu’un homme et un seul, que c’est celui-là, c’est sûr. On voit bien que c’est une histoire d’un autre temps. Mais elle entend quelque chose, quelque chose de bizarre, d’irrégulier. Elle pose sa tête sur le cœur du jeune homme et elle remarque une irrégularité dans le battement. Elle n’est pas encore cardiologue mais elle est déjà un peu médecin. A l’université, on étudie depuis plusieurs semaines les irrégularités du cœur, elle reconnaît cette irrégularité caractéristique du cœur. On dit que Bambaboum Bambaboum, c’est irrégulier. On en dit beaucoup de choses de cette irrégularité à l’université, on lui donne des noms savants, on explique que c’est une malformation congénitale et que les gens qui souffrent de cette malformation dépassent rarement les 25 ans, qu’on le sait, qu’on ne sait pas quoi faire, qu’il n’y a rien à faire. La jeune femme a la tête posée sur la poitrine du jeune homme, amoureusement et cliniquement. Il n’existe pas de mot pour dire à la fois qu’elle l’aime et qu’elle l’ausculte. Tant pis. La jeune femme, pas encore cardiologue, vient de tomber amoureuse d’un condamné à mort qui ignore qu’il est condamné à mort. La jeune femme se demande si elle doit dire au condamné à mort qu’il est condamné à mort. Pendant ce temps-là, le linge blanc tourne toujours dans le tambour de la machine 6. C’est tout. 

© Jérôme Bonnetto 

Claire Legendre - Le rendez-vous de juillet

medium__MG_4006_copie.jpgClaire Legendre est l'auteur de plusieurs romans, notamment Making-of, (éditions Hors Commerce, 1998) et Viande (Grasset, 1999), Elle a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome et a reçu en 2004 la Bourse jeune Écrivain de La Fondation Hachette Jean-Luc Lagardère. Son dernier livre La Méthode Stanislavski  est paru chez Grasset en 2006 (voir ici même dans la catégorie « Du côté de mes interventions » - Lu7 en septembre 2007)
 
 
 
Tu arriverais par la route, dans une décapotable rouge, avec un jeune type aux cheveux longs ramassé pour la nuit. Tu porterais une robe blanche. Je t’attendrais à l’Hôtel du Commerce, dans ma chambre trois étoiles moi aussi j’aurais emmené mon gigolo, pas encombrant, il ferait un somme entre deux cuites, et moi je serais sortie t’attendre à la terrasse de l’hôtel, avec mes lunettes noires en fumant des cigarettes, me dorer au soleil, boire un Martini Blanc. Sur le dos de la main gauche une petite croix gravée à l’encre noire dans la peau, je survolerais d’un œil las le journal du jour. Il y aurait le soleil et l’air doux de la montagne en été. Les villageois me lanceraient des regards curieux. J’aurais un bracelet de force en cuir noir et des bas résilles blancs, et de gros godillots de soldat, et un vieux cahier relié où noter mes dernières impressions. Dans mon sac un échantillon de chaque drogue pour y goûter rien qu’une fois, et les œuvres complètes de Jim Morrison pour les relire, les psalmodier.    On se retrouverait vers seize heures sur la place du village et tu boirais un jaune ou de la Tequila, et on dirait des conneries et peut-être on emprunterait le chemin de croix jusqu’à la petite chapelle aux ex-voto qui donne sur le vallon. Peut-être aussi qu’on irait voir la secte au bord du lac, celle qui ressemble au village des schtroumfs, mais ils l’ont détruite, maintenant, la secte, ça on ne pouvait pas le prévoir.  Peut-être aussi que je n’aurais pas de gigolo mais que je séduirais un des jeunes serveurs de l’Hôtel du Commerce et qu’il passerait la nuit avec nous. Vers dix-huit ou dix-neuf heures on irait se changer pour l’apéro et puis on mangerait un dîner de reines dans la cour intérieure sous la tonnelle, un dîner aux chandelles avec des tartines d’oignon confit et des ravioles à la truffe et tout un enchaînement de petits plats incroyables et du vin de Bordeaux et des alcools forts pour le dessert. Les clients de l’hôtel nous verraient d’un mauvais œil et on aimerait ça, payer pour avoir le droit de se comporter mal sous les yeux des bourgeois et subvertir leurs privilèges en y goûtant goulûment.    On se ferait porter du champagne dans les chambres et on continuerait à s’enivrer et on ferait l’amour avec nos deux gigolos, et on mettrait de la musique, très fort, et peut-être les gens se plaindraient et on s’en foutrait bien qu’ils se plaignent.    Vers cinq heures du matin on abandonnerait les deux types souls et repus sur leur couche, et on se barrerait dans la décapotable rouge, avec les drogues et la Tequila, et on chanterait à tue-tête sur la route avec Jim Morrison, et on se marrerait terriblement juste avant l’aube. On arrêterait la voiture au Point Sublime, à douze bornes du village. On laisserait la musique allumée, le moteur continuerait de tourner et on courrait vers la falaise et tout au bord on goûterait les acides, la coke, le LSD, et on s’écrirait sur la poitrine nos slogans morrisonniens et puis le jour commencerait à poindre et je te prendrais la main et on s’avancerait toutes les deux jusqu’au bord et on regarderait en bas et on serait très heureuses au moment de sauter. Quelques heures plus tard des touristes effarés apercevraient nos corps fracassés sur les rochers. Ce serait le 3 juillet 2007. 

Lire la suite

Claire Legendre et Jérôme Bonnetto - Photobiographies

medium_Photobiographies.jpgParu aux éditions Hors Commerce,, 83 rue de Reuilly, 75012 Paris, ce livre est un livre amoureux.

Que dit la 4ème de couverture ? 

"Claire et Jérôme se rencontrent autour de l'an 2000. Elle est écrivain... lui aussi. Mais Jérôme dissimule dans sa poche un compagnon gênant, témoin de toutes les histoires : son appareil photo. Et Claire se méfie beaucoup des appareils photos.Celui-ci est d'autant plus redoutable que, minuscule, il se dissimule partout, dans les chambres d'hôtel, les salles de bains, les trains, les cafés. Au fil des jours et des images, l'espion va s'immiscer dans le couple, subrepticement et tendrement, jusqu'à amadouer les soupçons, et apprivoiser ta récalcitrante. Elle finira même par s'en emparer, le déclencher à son tour. Il deviendra alors la métaphore du lien amoureux qui unit le photographe et son modèle. Les images répondent aux textes pour raconter cette histoire, entre fiction et vérité, ces petites histoires du couple qui sont devenues les photobiographies."


Turbulence 12 - Liquider, il a dit...

Faut-il vraiment épiloguer? Faut-il vraiment faire une analyse lexicale du verbe "liquider"?

Et tout n'est-il pas dit dans cet extrait de Louis-René Des Forêts?

" Quelque soit le discrédit dont ce mouvement est l'objet de la part de ceux qu'il offusque et dérange, et qui s'emploient déjà à lui faire expier son défi insolent - dût-il lui-même déboucher pour un temps sur le vide de la désillusion - nous savons que demeurera intacte sa force d'ébranlement et que rien ne pourra altérer la pureté de son visage, nulle composition, nul accord avec une société qui s'abrite peureusement derrière une parole autoritaire contre laquelle s'est dressée, dans toute lasoudaineté de sa fraîcheur, cette parole bouleversante sortie comme la vérité de la bouche d'un enfant."

C'était dans le N°6 de la revue L'éphémère. C'était à chaud durant l'été 1968. Aux côtés de ces "Notes éparses en Mai" Le Louis-René des Forêts qui ouvraient ce numéro figuraient "Sous les pavés la plage" d'André Du Bouchet et  "L'irréversible" de Jacques Dupin portant la mention "à suivre".

 

Le reste, à laisser aux loquaces! 

Balise 16

"Plus l'homme attelle de chevaux devant soi, plusnombreuses les chambres dans lesquelles il s'enferme, plus est grand le nombre des seviteurs qui l'entourent, et plus il a profondément creusé la tombe où il gît, mort vivant, de sorte que les autres ne l'entendent plus et qu'il n'entend plus les autres, en dépit de tout le vacarme que font lui-même et les autres."

Hölderlin 

15:45 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

04/04/2007

Claude Ber, Promesse à Petit Pops

Poète, auteur dramatique, essayiste, Claude Ber a publié une dizaine d’ouvrages, dont Lieu des Epars, Ed. Gallimard, Sinon Lamedium_151188-208291.jpg Transparence Ed Via Valeriano, La Mort n’est jamais comme, Ed. de l’Amandier Prix International de poésie Ivan Goll, La Prima Donna suivie de l’Auteurdutexte Ed. de l’Amandier ,  Monologue du preneur de son pour sept figures, Ed. Léo Scheer,  Orphée Market, Ed. de l’Amandier, Libres paroles, Ed du Chèvre Feuille Etoilé…Elle participe aussi à des ouvrages collectifs ou en collaboration avec des plasticiens, à de nombreuses revues de poésie ainsi qu’à de multiples lectures et colloques en France et à l’Etranger.
Visitez son site : www.claude-ber.org
 
 
 
 
Promesse à Petit Pops
 
 
Un jour je te ramènerai Petit Popsdans le brouillard de ces collines où tu courais Tu seras libre comme le vent du soir qui rabattait la lumière sur tes yeux et tu auras ces mains étranges difficiles à décrire car elles ne sont ni petites ni maladroites mais un peu de tout cela comme des pattes de chat griffes rentrées dont elles ont la manière à la fois prudente sûre et souple de se poseret tu auras ces mains  posées sur le monde avec confianceTu as tant craint et tremblé Petit Pops avec ces mains ouvertes sur tes genoux, et disant plus ces mains inquiètes et désoeuvrées que toi dans le mutisme de la peur murmurant:- Je ne comprends pas bien, c'est difficile la vie pour moi....avec ces yeux désolés de ne plus savoir Comme tes mots étaient pauvres à ces moments là Petit Pops,  si élimés comme des mots de pauvres gens que furent tes parents et les miens
Toi de la langue imagineuse et des fêtes de l'esprit, comme tu étais pauvre  et sans même la paix du dénuement
Je te ramènerai, Petit Pops, dans l'arrière pays du temps
                                            dans l'abondance de la fête
                                            dans la clarté
Maintenant que je suis sans plus d' illusion sur le pouvoir des mots et que je ne peux même plus me prendre aux leurres de mon époque qui sont aussi le partage d'une danse à plusieurs, maintenant que je suis moi aussi séparée irrémédiablement et que je considère mes propres mains et  mes propres paroles dans la démesure de leur impuissance, maintenant je pourrai
je te promets
Et je saurai employer les mots imposés par le jeu auxquels nous jouions quand tu osais encore jouer
sureau, sang, cirque, paille, piéride, vairon...
Le dernier seulement est difficile comme un regard qui surimpressionnerait ta vue à la mienne
je me souviens bien d'un chien plus loup que chien qui regardait par deux yeux distincts, brun bleu, mi confiant mi sauvage, mais c'est dans une autre histoire que la tienne
Il y avait aussi  tailleur, étain, cambouis et lampadaire
Tu te souviens de ce jeu Petit Pops?
Oublie! Oublie vite! Oublie tout.
La clef du temps est un couteau qui tranche les paupières.
Piéride donc! J'ai collectionné leurs ailes blanches point noir, il y a si longtemps, au pied d'une montagne dont le socle affleurait entre les très hautes herbes parmi les rires et les envolées de papillons minuscules d'un bleu moiré et brillant comme un pigment de ciel sur le rose des oeillets sauvages, papillons précieux que le moindre coup de vent emportait et auprès desquels les grandes reines jaunes à éperons  déployaient des ailes de milans. Près de la source poussaient aussi des sureaux à l'odeur entêtante et des orties que l'oncle cueillait pour la pâtée des poules; la grange sentait le lait et la paille
comme tes cheveux
Tu vois, je respecte le pacte sauf pour l'étain dont la Marroune disait qu'il portait malheur, et le malheur se porte suffisamment bien tout seul sans avoir en plus besoin qu' on le porte
toutes ces années de sang et de cambouis, Petit Pops, passons vite
De tailleur, je n'ai jamais connu que celui qui affichait sur sa ceinture "7 d'un coup" comme s'il s'agissait de géants et non des mouches engluées dans sa tartine de groseilles; déjà je ne retenais que le rouge gourmand des groseilles et le 7 semblable à celui des femmes de Barbe Bleue, des 7 nains et de tous les 7 de l'enfance, y compris ce Seth qui tronçonnait son frère renaissant dans les replis d'un fleuve à pouvoir de jouvence
si ce fleuve existait... tant de boue, Petit Pops, tant de terre et de temps recouvrent ces ruisseaux d'espérance ... et la vie terreuse elle aussi comme au confluent de rivières mortes
Je ne sais pas que faire du mot front. J'ai passé bien des fois ma main sur le tien mais ce mot le dit mal car il n'a pas le son qu'il faut
Les lampadaires ne me parlent pas non plus sauf sous la pluie, quand l'eau brille en épingles si fines dans leur lumière qu'elle paillette la nuit d'un or imputrescible... espérance, Petit Pops, comme une pluie d'été la nuit au coin de cette rue où tu habiteras encore, promis, dans ma mémoire
chez moi, dans des séjours d'emprunt où tu ne serais pas et la tristesse que j'ai de tout cela, ma vie me la jette sur le comptoir enveloppée dans un papier rose de boucherie
Ainsi moi non plus je ne sais pas où j'habite et je te rejoins à ma manière dans le sédiment de la douleur
Pourtant j'avais promis de t'emmener là-bas: martres, renards, lièvres fuyant en rebonds d'allégresse entre les  myrtilles et les bogues de châtaignés par dessus le ruisseaux à truites et l'étang aux anguilles
nous tresserons les fils vénéneux de la rhubarbe et le pollen noir des asters
Oh Petit Pops, un nom d'étoile est déjà dans la graine que tu dispersais par poignées
laissant dans l'incendie du soir un sillage sombre et lumineux
les capillaires des rhubarbes emmêlés entre tes doigts irriguent une vie invisible à odeur de muguet et à bruit de feuilles
Il suffit de la revêtir
pour que l'aube rejoigne le crépuscule, ce soir, ce matin, dans l'éveil d'un jour à naître à travers la mémoire
Maintenant que je suis allée te chercher au bout du silence où les mots n'ont plus cours, bien au delà du langage, dans un lieu si désert que même le désert est luxuriance à côté de ce dénuement, maintenant que j'ai appris à remercier la plus balbutiante des paroles quand elle réaccoste au langage des hommes, je saurai  ramener au fil de nos mots de misère comme un noyé à une corde ce lieu au centre d'une mer de prairies et de sapins noirs où roulent d'autres vagues que celles de la douleur, et si je ne sais pas, si je n'ai pas encore été assez dépouillée pour le faire, toi, Petit Pops, qui sais ce qu' est n'avoir plus rien et moins encore que le rien de ceux qui ont cessé toute souffrance, toi tu sauras.


© Claude BER