05/11/2007
Lu 17 - Charles Reznikoff - Holocauste
C’est un bien terrible livre que cet Holocauste de Charles Reznikoff. Paru aux Etats-Unis en 1975, c’est Dominique Bedou qui l’avait publié en France en 1989. On ne le trouvait plus. Il faut remercier vivement Lionel Destremeau et ses Editions Prétexte Poésie pour avoir pris l’initiative de cette parution (12 euros), revue et corrigée par Auxeméry, augmentée d’un entretien paru en 1977 dans la revue Europe.
Holocauste, ce titre ancre le livre dans le monde américain qui persiste à nommer ainsi ce qui loin d’être un sacrifice – sens que ce mot revêt dans l’Ancien Testament – fut l’extermination des juifs d’Europe par les nazis, à laquelle il faut ajouter l’élimination, dans d’autres proportions, de tziganes, communistes, homosexuels, résistants…tous « déficients physiques et psychologiques ». Pour autant ce mot ne trompera pas l’histoire tant les XII scansions de ce « récitatif de l’horreur » voient la chose telle quelle et rien d’autre. Ni interprétation, ni métaphore, juste des découpages – Charles Reznikoff ainsi a travaillé à partir d’archives du Procès des criminels devant le tribunal militaire de Nuremberg et des enregistrements du procès Eichmann à Jérusalem – une mise en vers et un montage pour faire voir. C’est aux intersections que prend la lumière. Elle est crue. Et sans appel. Insoutenable est ce qu’elle donne à entendre. Cela qu’on croyait déjà avoir lu. Ou vu. Cela qui revient à la faveur de cet effacement dont Charles Reznikoff sait se rendre capable, effet de cette pratique poétique spécifique des poètes objectivistes américains : l’horreur sans nom propre, l’horreur qui voit l’homme résister à sa destruction infinie, cet « indestructible qui peut être infiniment détruit » selon les mots de Maurice Blanchot, l’horreur qui n’est pas de l’ordre de l’idée, encore moins du sentiment, mais qui est dans les choses, selon les mots de William Carlos Williams : « no ideas but in things » !
Ainsi, c’est moins d’émotion – ce jeu bouleversant des images qui cherchent à représenter l’inhumain – que d’émoi dont il s’agit ici, soit cette « émotion dépourvue de sentiments » dont parle Bernard Noël. C’est que les sentiments – on le sait depuis Rilke – on les a toujours assez tôt et ils sont le lieu toujours possible d’obscures manipulations. L’émoi, c’est cet effroi que produit la lecture continue de ce texte de Charles Reznikoff, troué de part en part par un inimaginable qui le sauve de tout pathos. Ici, la parole du poème fait acte de présence. Son récitatif ouvre dans notre présent la barbarie même et son cortège d’horreurs. L’effet de vérité est saisissant. Là comme sans auteur, les mots ne sont plus les mots, « c’est une terrible chute dans le silence » aurait pu dire Paul Celan.
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