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11/03/2009

Lu 36 - Joë Bousquet - Lettres à une jeune fille

couv JB-Lettre JF921 - copie.jpgOn le savait. Joë Bousquet, le poète immobile de Carcassonne (1897-1950), comme on le dit parfois, suite à la balle reçue le 27 mai 1919 sur le front de l’Aisne, à Vailly, vivra au milieu des couleurs de ses amis peintres - Quelques cent toiles de Max Ernst à Fautrier en passant par Tanguy, Miro, Dali, Dubuffet… - entouré d’amis et d’amours, présences dont il vivait.
On le savait. Joë Bousquet est un des grands épistoliers de cette première moitié du XX siècle avec Kafka, Rilke…De lui, on connaissait les « Lettres à Marthe » (Gallimard), celles « à Ginette » (Albin Michel », celles à Germaine appelée « poisson d’or » (Gallimard) enfin celles à Fanny (Verdier / Gallimard ) titrées « un amour couleur de thé », voici que paraissent celles « à une jeune fille », chez Grasset, à Jacqueline, Linette à qui il finira par donner, dans la plus pure tradition troubadouresque,  le « senhal » d’Isel. Toutes ces lettres baignent dans ce ton si particulier que leur donne l’amour qui les dicte, ton sur lequel insiste Bousquet lui-même. On l’y voit parler bas. Comme si c’était dans ses murmures, ces chuchotis que ses mots pouvaient traverser la nuit, franchir la  distance sans la nier, se jouer de la séparation et que ses pensées pouvaient finir par s’incarner en leur destinataire.
La lettre, pour Joë Bousquet, se met où le corps ne peut plus se mettre volontiers. Elle est lien charnel avec l’autre. Se lier par la correspondance, y voir naître l’amour, c’est s’installer dans l’éloignement, c’est accorder à l’absence un pouvoir : « la distance, Linette, bat et vit comme un cœur quand elle confond deux personnes au lieu de les séparer. »
Linette, jeune fille de quelques dix-sept ans, vient d’obtenir son baccalauréat. Sa cousine Suzanne, plus âgée, la conduit – nous sommes en janvier 1946 – jusqu’à la chambre où Bousquet semblait l’attendre, lui qui dès sa première lettre en fait « un charmant émissaire de l’avenir ». Nicolas Brimo, fils de la destinataire de ces lettres, évoque dans une bien éclairante préface, le souffle poétique de cette correspondance qui traduit le désir « d’entrer tout entier dans la personne d’un autre être sans l’empêcher d’être lui. » Entrer dans l’être aîné et l’éveillant à lui-même – On voit Bousquet vouloir tout enseigner, tout transmettre, en moderne Pygmalion, à la jeune fille – naître à son tour de celle qu’il aime.
Ces lettres d’amour sont comme autant de remontées au jour. C’est pourquoi elles le donnent à voir sous ses nombreuses facettes : le retour d’André Breton en France ; l’exposition de ses toiles surréalistes à Toulouse en 1946 ; l’affaire de la « liste noire » du Comité National des Ecrivains qui verra Bousquet prendre le parti de Jean Paulhan, André Breton contre ses propres amis Louis Aragon et Paul Eluard ; les visites de la photographe Denise Bellon venue faire un reportage sur sa vie…Elles véhiculent une idée de la poésie, héritée du surréalisme qui la met toute du côté de la vie : « C’est la vie qui est belle, écrit-il à Linette. Et la poésie est l’art de prendre la vie à sa source, de la reconnaître à sa saveur avant qu’elle ne vous ait reconnue. » Toutes insistent sur un des axes essentiels de la pensée de Bousquet en ces dernières années qui le voient courir sa dernière course que l’on trouve d’une part, au centre de ce très beau texte qu’il rédige pour Denise Bellon Au gîte du regard et que le Centre Joë Couv-Au gîte du regardd925 - copie.jpgBousquet et son temps a republié en 2003, c’est à savoir que « les événements ont leurs voies ; nous ne les créons pas, ils nous créent », et d’autre part, dans ce texte qu’il rédige pour Le journal des poètes de Pierre-Louis Flouquet qui paraît Couv-Soleil souterrain d924 - copie.jpgen janvier 1948 sous le titre de  Confession spirituelle et qui vient d’être repris par les éditions Finn, sous le titre, Le soleil souterrain, texte augmenté d’une lettre de Bousquet à Flouquet et d’une bien intéressante postface de Gaston Puel dans lequel il pose comme « seule morale (qu’il) retienne celle qui nous impose comme seul principe d’existence entière le fait qui nous advient » et le devoir d’y entrer en y portant tout son amour.
À lire ces Lettres à une jeune fille, on voit comment Linette participa de ce mouvement dans lequel était entré Joë Bousquet dans ces dernières années de sa vie : « un art de tout aimer, ainsi qu’il lui écrit, qui « est entrer dans son propre cœur», mouvement même de la poésie quand elle se fait source de vie.

© Alain Freixe

Balise 42 - la sensation d'une aigrette de vent aux tempes

"J'avoue sans la moindre confusion mon insensibilité profonde en présence des spectacles naturels ou des oeuvres d'art qui d'emblée, ne me procurent pas un trouble physique caractérisé par la sensation d'une aigrette de vent aux tempes susceptible d'entraîner un véritable frisson."

23:41 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

Daniel Schmitt - Les secrets d'alcôve d'un haïku

Schmitt-Photo953.jpgDaniel Schmitt est né le 7 février 1929.
Ecrit depuis toujours .
Lectures dans les écoles, collèges, bibliothèques, depuis plus de 30 années.
Publie depuis 1986 une feuille poëtique La Besace à poëmes qu’il distribue au hasard des rencontres.
Incursions dans la chanson comme parolier, entre autre pour Henri Salvador
Nombreuses plaquettes et livres d’art depuis 1963.


Derniers ouvrages parus :
« le jours des pluviers » aux éditions Tipaza avec des illustrations de Gilles Bourgeade
« Conjugaisons » aux éditions R.A.Editions (Belgique) avec des illustrations de Dominique Maes
« Tomasito et saladelle » avec Jan Van Naeltwijck (éditions du Rocher)


A paraître :
« Petits Pains Poèmes » aux éditions du Jasmin (Pays d’enfance)) avec des illustrations de Gilles Bourgeade




Secrets d’alcôve d’un haïku



Peut-être l’ai-je vue il y a quelques semaines se cogner au carreau

Mais je ne peux pas dire
Absolument si je l’ai vue

J’ai dû la regarder sans la voir

Si je l’avais vraiment vue
Je l’aurais libérée

Je libère – au lieu de les tuer – guêpes et frelons qui entrent dans l’appartement
Pourtant je les redoute

Ce que je sais
C’est que je l’ai vue un jour
Tête dans l’angle de la fenêtre
Et que je l’ai touchée
Et que j’ai constaté qu’elle était morte et même ce geste
J’ai dû le faire un peu inconsciemment
Car ensuite
Du divan où je suis souvent assis
Je me suis surpris à la regarder
Et à me demander encore si…

…mais non ! …
sans doute l’ai-je toujours vue morte

Ces jours-ci
- d’autant qu’elle est toujours là de plus en plus sèche et recroquevillée -
J’ai beaucoup pensé à elle
A – sans doute – son long acharnement à rejoindre
L’espace si immédiat la lumière si présente
Les coups répétés contre la vitre
Jusqu’à l’épuisement
Et puis l’immobilité obstinée
Dans cette dernière tentative

Se mettre dans ce coin
Et mourir là
D’espérer un ultime passage
Sa grosse tête buvant presque
- si proches et si intouchables -
l’espace et la lumière

donc j’ai beaucoup pensé à elle
a la fixer dans cette forme de poësie japonaise qu’est le haïku et que j’essaie depuis longtemps de pratiquer en l’adaptant à ma langue

dire
l’instant ordinaire d’une contemplation où l’on s’absente deans la chose nommée

j’ai fait plusieurs essais
les voici dans l’ordre de leur composition

1-
dans ce coin de vitre
tournée vers la lumière
elle est morte la libellule

2-
contre la vitre
elle est morte
la libellule

3-
dans ce coin vitré
tournée vers l’espace
elle est morte la libellule

4-
a cet angle vitré
face à l’espace
elle est morte la libellule

5-
dans ce coin vitré
une libellule
morte

6-
dans ce coin vitré
face à l’espace
une libellule morte

7-
dans ce coin vitré
face à l’espace
la libellule morte

…et puis la huitième fois, il me semble avoir trouvé

A l’angle vitré
Face à l’espace
Morte – la libellule

Dans les essais 1-2-3-4 la construction du sens « elle est morte la libellule » trop facilement « musicale ». à cause de l’octosyllabe donne au poëme une tonalité qui me paraît molle, trop « sentimentale » et « émouvante ».

« Face à l’espace » est meilleur que « tournée » (essai 1 et 2) parce que plus bref plus évident et aussi « lisible » de deux manières différentes : face…de la libellule – (faisant) face…à l’espace.

Dans ce coin de vitre…
Dans ce coin vitré…
A cet angle vitré…

« Dans » n’est pas « juste »
« ce » est trop précis
« coin » pas assez
« angle » est à garder ainsi que
« a » (cet angle…) mais « cet » n’est pas souhaitable.

5l ne « mérite » pas cette « dénonciation ».
Et « vitré » mieux que « vitre » puisque deux e muets vont terminer les deux vers suivants.

« vitre » est ouvert (ou mieux : ouverte !)
« vitré » fermé
fermé à l’espace (e muet ouvert)
à la libellule (e muet ouvert)

Dans l’essai N°2 « contre la vitre » on dirait trop qu’elle s’est tuée de mort violente en se jetant « contre la vitre ». L’image de la mort lente est absente ici.

Dans les essais 5-6-7 « dans ce… » même remarque que précédemment.

Dans l’essai N°5 on ne sait pas comment elle est morte ni pourquoi
Pourtant cet essai N°5 me paraît assez proche d’une réussite – après tout est-il besoin de préciser – même indirectement dans un haïku – le comment et le pourquoi ?
Mais alors il eut fallu écrire :
Dans ce coin vitré
Morte
Une libellule

Dans le 6 et le 7 on le sait – « face à l’espace » qui me paraît mieux convenir au « manque » de la libellule que « la lumière » du premier essai puisque la lumière elle l’a malgré tout – bien qu’indirectement – derrière la vitre et dans l’essai N°7 « la » libellule morte convient mieux qu’ »une ».
Cette libellule je l’ai contemplée longtemps elle s’est personnalisée par sa présence têtue, vivante ou morte, « une » est devenue « la » puisque directement liée à mon « environnement.
(Dans les essais 1-2-3-4, j’avais déjà « trouvé » « la » puis m’en étais à tort éloigné dans les essais 5 et 6)

Mais « la libellule morte »…
…cet assemblage de mots
fait couler le poëme dans une vague « écoute »
qu’elle soit de l’oreille ou de l’œil
et détruit pratiquement l’objet du poëme

Ce n’est qu’un tableau triste qui ne dépasse pas le sentiment

Mais si je place « libellule » en fin de parcours
Je la nomme très fort
Après qu’elle est « morte »
(premier mot du dernier vers annonçant « la couleur »)
Je l’intronise ainsi dans l’absolu du langage puisqu’il n’y a rien après elle
Aucun mot

A l’angle vitré
Face à l’espace
Morte – la libellule

© Daniel Schmitt

Texte écrit les 14 et 15 novembre 1980 et retrouvé ces jours derniers. Merci à Daniel de m'avoir confié cet indédit. Comme une leçon: Quelques mots, un fragment de vue/vie, trois vers et une belle exigence!

 

02/03/2009

Balise 41 - À propos du destin

"Ce sont les hasards qui nous poussent à droite à gauche, et dont nous faisons - car c'est nous qui le tressons comme tel - notre destin.

Nous en faisons notre destin parce que nous en parlons.

Nous croyons que nous disons ce que nous voulons, mais ce qu'ont voulu les autres, plus particulièrement notre famille. Nous sommes parlés, et à cause de cela nous faisons des hasards qui nous poussent quelque chose de tramé, et en effet, il y a une trame .

Nous appelons ça notre destin."

Jacques Lacan

27/02/2009

Ménaché: Zone libre, un poème dédié à Ernest Pignon-Ernest

P Ménaché par Didier Devos.jpgMénaché est né à Lyon, le 15 juillet 1941.
Poète, chroniqueur, collaborateur de la revue Europe.
Publié dans de nombreuses anthologies et revues (Aube Magazine, Bacchanales, Coup de Soleil, Décharge, Europe, Foldaan, L’arbre à paroles, Les Lettres Françaises, Lieux d’être, Nouvelle Revue Moderne, NU(e), La Polygraphe, Poésie-Europe, Poésie-Rencontres, Poésie 1, Racines, Résonance Générale,  Utopia, Verso, etc.). Il fonde en 1973 le collectif de poètes et plasticiens ARPO 12 qu'il anime jusqu'en 1985 et, en 1977, en collaboration avec Jean-Louis Jacquier-Roux, la revue et le collectif IMPULSIONS.
Il a animé des ateliers d’écriture et publié une douzaine d’ouvrages collectifs réalisés dans le cadre de ces ateliers (en relation avec des lycées, collèges, écoles primaires, Musée-Mémorial des enfants d’Izieu, MJC, Bibliothèques, Museum d’Histoire Naturelle de Lyon, etc.) Parmi ses dernières publications, on relèvera:
Rue Désirée, une saison en enfance, Editions La Passe du Vent, 2004
Mélancolie baroque, d’après une exposition de Fabrice Rebeyrolle, éditions Mains-Soleil, 2005
Ellis Island’s Dreams, peinture de Roudneff en couverture,
Carnets du Dessert de Lune, éditeur, 2007

Une anthologie de ses poèmes a été enregistrée par Alain Carré : CD Excès de Naissance,  éditions Autrement dit, 2004


ZONE LIBRE

à Ernest Pignon-Ernest



Rue Neyret à gauche de l’Ecole des Beaux Arts
un mur lépreux couvert de graffiti
Une flèche se détache dirigée vers l’ouest
« Zone d’affichage libre sur 40 000 kms »

Soudain dans cette rue grise l’espace s’étire
s’étire et respire
les frontières s’effondrent
les armées s’étonnent de leur inanité
mortifère
les uniformes tombent à terre
Ecce homo
Voici l’homme
Voici les hommes
Zone d’amour libre sur 40 000 kms
La rue se love et respire

Un peintre a ouvert la voie
Zone d’intervention libre
sur 40 000 kms
La poésie éclate de rire
Le printemps lève le pied
Surtout ne pas se retourner…

©Ménaché

Photographie: Didier Devos

19/02/2009

In memoriam Thierry Bouchard

 

Dans l'édito du  N° 30 du Basilic, gazette de l'Association des Amis de l'Amourier,septembre 2008, j'écrivais: "(...) j'aimerais saluer un autre poète également éditeur, ouvrier typographe, héritier de la grande tradition Guy Levis Mano, Thierry Bouchard et ses beaux livres - Je pense tout particulièrement à un Butor / Alechinski - ainsi qu'à sa collection "Terre" où figurent bon nombre de titres de notre ami Gaston Puel."

Aujourd'hui, Alain Paire signe un très bel hommage In memoriam Thierry Bouchard sur son site http://www.galerie-alain-paire.com. C'est là l'adresse internet de la librairie/galerie qu' Alain Paire, écrivain et critique d'art a fondé au 30 de la rue du Puits Neuf à Aix-en-Provence, 131000 (tel: 0442962367).

Jusqu'au 07 mars 2009, Alain Paire expose des huiles et pastels d' Evelyne Cail à propos de laquelle Marie Daumal écrit:

thumb_evelyne_cail_na.jpg" Cela devrait être un bruissement, d’ailes et d’eaux, le chuintement de l’écume aux marges de l’estran, le cri des fous, peut-être, s’ils viennent jusqu’ici, et, cependant, où les matières croisent le jusant, c’est le silence.Comment savoir si ce sont les oiseaux d’Evelyne Cail que le visiteur qui pousse la porte de la Galerie regarde ? Ils sont là, certes, ils font signe, cols déployés qui brisent en oblique non pas les horizons de cobalt, de terres ou d’outremer, mais les multiples plans que l’œil, accompagné, traverse. Passeurs, les oiseaux. Car il ne suffit pas de dire « lumière », « reflet » ou « transparence » pour rendre compte des huiles et des pastels d’Evelyne Cail. Quelle langue faut-il parler qui ne soit à la fois mystère et lieu commun ? Pour que la lumière soit, comme une évidence, encore faut-il qu’elle touche sa limite, le seuil qui la retient et donne sa profondeur aux paysages étales. Aussi, les oiseaux, peut-être simples graphes griffés de bruns souples ou nerveux, accomplissent-ils ce que l’œil seul ne saurait voir sans se noyer. Et quand les oiseaux s’absentent, demeure une trouée."

15/02/2009

Turbulence 29 - Aborder le poème

Bientôt Le Printemps des poètes. Pour moi, ce sera La semaine de la poésie à Clermont-Ferrand, La poésie a un visage à Grasse et La poésie des 2 rives à Contes. Autant de possibilités de rencontres. À l'appui de ma pratique de toujours, ces mots d'André Breton trouvé dans un texte de 1962, Main première:

"Aimer d'abord, il sera temps ensuite de s'interroger sur ce qu'on aime jusqu'à n'en vouloir rien ignorer."

Balise 40- Question de rythme (1)-Virginia Woolf

Henri Meschonnic m'ayant donné son accord pour un entretien à paraître dans l'Humanité,j'engrange tout ce qui tourne autour de la question du rythme . Ainsi ces mots de Virginia Woolf:

"La nature du rythme, voilà qui est très profond et va bien au-delà des mots. Un spectacle, une émotion, déclenchent une vague dans l'esprit bien avant qu'ils ne suggèrent les mots qui s'y adapteront. C'est cet élan qu'il faut tenter de saisir quand on écrit, de mettre en mouvement 'et qui n'a apparemment rien à voir avec les mots) et c'est au moment où cette vague déferle et s'écrase dans la tête que naissent les mots qui l'accompagnent."

12:26 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie

14/02/2009

Turbulence 28 - On s'y tromperait? Voire...

" Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l’Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.
L’homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère
est un carriériste avantageux. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé."


Victor HUGO, dans " Napoléon, le petit ". Réédité chez Actes Sud

Raphaël Monticelli - bribes-en-ligne, un site monstre!

Mon ami Raphaël Monticelli vient d'ouvrir son site www.bribes-en-ligne.fr. Il faut vous y rendre sans tarder, ami(e)s de P/oesie. En devenir, il est déjà extra-ordinaire. Je ne vous en dirais rien de plus que l'originalité de sa page d'accueil: soit le sommaire, rassurant bien évidemment; soit l'errance, le hasard du labyrinthe.Soit construire sa route; soit s'égarer. Allez-y voir, vous y reviendrez!

Lu 35 - Philippe Jaccottet, traducteur d'Ungaretti

Couv Jaccottet-Ungaretti903 - copie.jpgDe même que l’œil intéressé aux œuvres plastiques aime à pénétrer l’atelier des artistes, se frayer un chemin dans le tohu-bohu de la création, voir comment telle ou telle œuvre impose le silence aux tourments du lieu ; de même qui s’intéresse à la création poétique et plus particulièrement aux questions que posent cette activité « impossible » de la traduction, aura grand plaisir à lire cette correspondance entre Philippe Jaccottet et Giuseppe Ungaretti qui couvre les années 1946 – Jaccottet est alors un jeune homme de 21 ans tandis qu’Ungaretti est avec Saba et Montale, un des trois grands lyriques de sa génération -  à 1970 jusqu’à la mort d’Ungaretti (NRF, Gallimard). Et grand intérêt à entrer dans ce chantier rigoureux mené dans la patience et l’écoute attentive. La confiance et l’amitié pour tout dire.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce passage du Quart Livre de Rabelais lorsque Pantagruel, sur les confins de la mer glaciale , jette sur le pont du navire aux pied de ses compagnons des « parolles gelées » leur conseillant de les réchauffer entre leurs mains. Comme Jaccottet dut les tenir, les tourner et retourner ces mots de la langue italienne qu’Ungaretti lui-même avait déjà pour sa part travaillé et chantourné ! Cet effacement-là du traducteur devant le corps du poème, très vite Ungaretti sut en reconnaître la justesse et la grandeur. Ainsi en Août 1964 à propos de la traduction d’Après le désert, il lui dira : « Vous avez fait un merveilleux travail. La langue en est splendide : votre langue. » ou  encore « votre travail, un travail admirable, inégalable. Ce livre a quelque valeur parce que vous y avez mis votre langue splendide et votre lumière de poète. » Ainsi, alors qu’il avait déjà des traducteurs, et non des moindres, Jean Chuzeville, Armand Robin, Jean Lescure, c’est vers Jaccottet que toujours il se tournera. Et l’amitié, l’admiration  que Jaccottet éprouvait à l’égard de la poésie d’Ungaretti peuvent seuls expliquer que lui  qui vivait de son activité de traducteur, qui croulait toujours sous les charges, belles souvent – citons de mémoire les 12000 vers de l’Odyssée ; les 4 volumes de l’homme sans qualité de Musil ; l’établissement des œuvres de Hölderlin dans la Bibliothèque de la Pléiade, et j’en passe – jamais ne refusera de se rendre au désir d’Ungaretti. Et ce seront Innocence et Mémoire en 1968, Vie d’un homme en 1973 Et pas question de salaire entre eux mais des « signes d’affection » dont Ungaretti ne se montrera jamais avare.
Il faut saluer le travail de José-Flore Tappy dans l’établissement précis de ce dialogue entre deux poètes dont l’enjeu n’est rien moins que ce qu’il en est de la poésie elle-même pour deux êtres qui n’entendaient pas séparer leur vie artistique de leur vie morale, esthétique et éthique. Au terme d’une éclairante préface, elle dit l’essentiel à savoir que derrière la rigueur du travail, le souci du détail, le sens des nuances – « je veux être sûr d’une nuance » écrit Jaccottet ! – « on découvre deux créateurs aux prises avec la langue, qui partagent une même quête de la justesse, une même conception éthique de la littérature, un même engagement dans l’écriture où le chemin, incertain et en constante évolution, importe autant que le résultat. » On découvre dans ces pages, deux traducteurs qui savaient l’importance de ce corps à corps avec la langue – Et il suffit d’un mot parfois, le mot « fioco » par exemple – pour que dans ce qu’a d’intraduisible une langue tienne aussi cette chance, cet éclat de réel qui favorise l’irruption du sens et donne une dimension vivante au vers.

( cet article est paru dans l'Humanité du 5 février 2009. On pourra se reporter à la référence "Lu 28" pour un article sur Ce peu de bruits de Philippe Jaccottet paru chez Gallimard en 2008)

Les Cahiers du Museur - Collection "À côté"

J’ai ouvert une nouvelle collection aux Cahiers du Museur : format un feuillet A3, papier Moulin du coq, grain torchon, 325 g plié  en deux. Tirage 21 exemplaires. Je l’ai intitulée  À côté .
« À côté » est un nom de pays. Celui du regard qui bondit du texte à l’image à moins que ce ne soit l’inverse, contredisant la « belle page » typographique ! Un regard qui comme le lièvre opérerait par bond, histoire de toujours se jeter hors de la ligne droite, du chemin bien tracé, du rang. Geste d’esquive certes mais aussi de saisie comme au vol, saisie de nouveaux appuis pour un nouveau bond. 
« Être du bond. N’être pas du festin. Son épilogue » disait Char. Être du décalage, de la distorsion, de la disjonction, aussi léger, aussi minime soit-il. Affaire de ruse. Être de tout ce qui effaçant les traces ouvre une brèche qui intrigue, une meurtrière qui donne envie d’aller y voir, se pencher et penser. Un peu.

Paru(s) :IMG_0704.JPG

-    Alain Freixe & Frédéric Lefeuvre
-    Alain Freixe et Joël Frémiot
-    Alain Freixe et Martin Miguel
-    Jeanne Bastide et Alain Million
-    Alain Freixe et Daniel Mohen
-    Alain Freixe et Alix de Massy
-    Alain Freixe et Béatrice Englert
-    Alain Freixe et Yves Picquet

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