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31/01/2010

Lu 48 - Figures d'Haïti, 35 poètes pour notre temps de Jacques Rancourt

( C'était en 2005. Les éditeurs Le temps des cerises/ L' Ecrit des forges publiaient dans la collection Miroirs de la Caraïbe du Temps des Cerises ces

Figures d'Haïti, ces 35 poètes pour notre temps présentés par Jacques Rancourt (16 euros).

Que la reprise de cette note ancienne soit vu comme un signe d'amitié et de solidarité à l'égard des haïtiens après le désastre que l'on sait. )

 

 

 

 

Se lancer dans la mise sur pied d’une anthologie, c’est forcément prendre parti. Et à moins d’une neutralité pour le moins désobligeante si Couv Figures d'Haïti.jpgce n’est coupable, il le faut ! Mais toute prise de parti ne tourne pas forcément au parti pris avec ce que ces mots supposent d’arbitraire et surtout d’esprit borné et obtus. Prendre parti, c’est choisir une certaine logique d’exposition, la justifier dans une préface et s’y tenir, ce que fait Jacques Rancourt pour les Figures d’Haïti .

Les 35 poètes présentés sont « 35 poètes de la modernité », 35 figures de la poésie Haïtienne - l’une des plus vives et fécondes de la poésie du monde francophone – Dans cet ouvrage, la poésie en langue créole n’est pas prise en compte – que Jacques Rancourt fait se succéder chronologiquement en distinguant trois grands moments sur la ligne du temps . « La révélation de l’identité » de l’âme haïtienne regroupe les poètes de la première génération de Léon Laleau à René Depestre. « Le déploiement du lyrisme personnel », second temps, commence dans les années soixante au sein du mouvement « Haïti littéraire ». Les voix originales de Antony Phelps, Serge Legagneur, Roland Morisseau, René Philoctète…se retrouveront dans la revue « Semences ». Celle de Jean Metellus restera proche de celles de la première génération continuant à interroger la mémoire et l’âme « pareille / à la mer tropicale » selon les mots de Roussan Camille et à invoquer « les dieux d’Afrique ». Tous auront à s’inquiéter des « hommes en noir » de François Duvalier, les 40000 tontons macoutes du sinistre papa Doc. Tous connaîtront prisons et exil. « Libres parcours » est le moment actuel partagé entre ceux qui pratiquent une poésie d’expérimentation et ceux qui, au plus près d’eux-mêmes, manifestent le désir de « fixer le lyrisme mouvant et émouvant de la réalité » selon les mots de Pierre Reverdy.

La francophonie est l’affaire des poètes. Eux seuls remuent la langue française de tout l’insolite de leur imaginaire, l’engrossent de tout le lointain de leur mémoire. Les poètes francophones la tisonnent à l’aide de vents inconnus d’ici. Ils entretiennent ses feux. Puissent nos lectures attiser leurs braises !

 

 

 

 

29/01/2010

Turbulence 43 - Haïti

En pensant à Haïti, aux haïtiens et tout particulièrement aux enfants,

En pensant à la simplicité meurtrière de la nature, à sa "force qui va", ni bienveillante, ni hostile... ces quelques lignes de Marguerite Duras:

"Tout est devenu BLEU.
C'est bleu.
C'est à crier tellement c'est bleu.
C'est du bleu venu des origines de la Terre, d'un cobalt inconnu. On ne peut pas arrêter ce bleu, ces traînées de poussières bleues des cimetières des enfants.

On souffre. On pleure. Tout le monde pleure.
Mais le bleu reste là. Acharné.
Le bleu des enfants comme celui d'un ciel."

 

17/01/2010

Balise 56- Le rythme, contre l'or

"L'or a un rythme, c'est celui de la ruée. Un rythme qui est un poids. Social. Donc une métrique. Car tout rythme social est une métrique. Les mains à l'usine comme les pieds qui marchent au pas. L'or a une métrique, beaucoup plus qu'un rythme. Une métrique internationale. La métrique de l'internationale de l'or. L'or a tout de la métrique, les unités de mesure, l'espace abstrait, le temps abstrait, hors tout sujet. Ce qui ne veut pas dire hors histoire. Mais dans une histoire qui ne connaît rien des sujets. Inaltérable, il n'est pas dans le temps vécu. Quand il y a un objet ancien travaillé, en or.

C'est le travail qui lui donne un rythme, et qui compte, plus que l'or. Mais l'or est un soleil qui ne se couche jamais. Qui supprime le temps. L'or, contre le rythme.

Il y a les amas, la thésaurisation, l'usure. Qui ont des rapports physiques et symboliques avec l'or. Là, il y a des structures, des fréquences, des régularités : tout ce qui fait la définition traditionnelle du rythme. Qui suggère sa cohérence avec l'or comme signe. Une cohérence qui a fait que, de Marx à certains structuralistes, l'argent a été comparé au signe linguistique. La critique de cette analogie a déjà été faite. Cette fausse monnaie a longtemps eu cours. Elle avait cependant cet intérêt de montrer qu'elle tenait à une notion abstraite du langage, à une méconnaissance significative du langage ordinaire, et, par là, autant à une méconnaissance de l'art et de la littérature que de l'homme ordinaire. Ainsi l'or n'est pas par hasard solidaire de la théorie traditionnelle du rythme, au bénéfice de la métrique, et de la théorie traditionnelle du signe, théorie du pouvoir autant que de la langue. L’or et le signe partagent une même stratégie. Une théorie critique du langage, qui retravaille le rythme non plus comme alternance métrique, mais comme l'organisation du sens en mouvement, l’historicité du sens, dans le discours comme activité des sujets, passe par une critique de la socialisation des rythmes. Une critique des métriques sociales. Le rythme, contre l'or.

 

Henri Meschonnic, Rythme de l’or in La rime et la vie, Verdier, 1989

15/01/2010

Eric Dubois - Deux poèmes

Eric Dubois est né en 1966 à Paris. Poète, lecteur-récitant et performeur avec l’association Hélices et le Club-Poésie de Champigny sur Marne. photo de johann dit one.jpgAuteur de plusieurs recueils dont « L’âme du peintre » ( publié en 2004) , « Catastrophe Intime » (2005), « Laboureurs » (2006), « Poussières de plaintes »(2007) , « Robe de jour au bout du pavé »(2008), « Allée de la voûte »(2008), « Les mains de la lune » »(2009) aux éditions Encres Vives, « Estuaires »(2006) aux éditions Hélices ( réédité aux éditions Encres Vives en 2009), « C'est encore l'hiver » aux éditions Publie.net, « Le canal », « Récurrences » (2004) , « Acrylic blues »(2002) aux éditions Le Manuscrit, entre autres.  Participations à des revues : « Les Cahiers de la Poésie », « Comme en poésie », « Résurrection », « Libelle », «Décharge », « Poésie/première », « Les Cahiers du sens », « Les Cahiers de poésie », « Mouvances.ca », « Des rails », « Courrier International de la Francophilie »

Il est le responsable de la revue de poésie « Le Capital des Mots ».

coordonnées internautiques:
http://www.ericdubois.fr
http://ericdubois.over-blog.fr
http://le-capital-des-mots.over-blog.fr

*

Poème 1: ATTENDRE, extrait de C'est encore l'hiver, publie.net




Il faut attendre
prolonger

La présence
l'absence

La chair ouverte
fermée

Quand le ciel est
attendre quand même

Noir
que les jours aient un sens

Drapé dans un hiver
comment dire?

Opaque
quand on cherche la transparence

Oui
la transparence

Attendre
c'est notre part d'humanité.

*

Poème 2: (Inédit)

La mort  suce le cerveau
dans les rêves du chagrin

Que fait le temps dans cette histoire?

Il accompagne
nos pas

© éric Dubois

Lu 47 - Revue faire part, N°24/25 - Parcours singuliers

CouvFaire Part 24-25361.jpgJusqu’à ce numéro double 24/25, les numéros de la revue faire part étaient des monographies. On se souvient parmi les dernières publications des N°22/23 consacré à Henri Meschonnic ; le 20/21, à Jacques Dupin ; le 18/19, à Hubert Lucot et le 16/17 tout entier dédié à revisiter l’aventure de la revue Change des années 70/80. On se souvient surement aussi des couvertures toujours particulièrement soignées et confiées à un artiste contemporain : Joël Leick, Antoni Tapiès, christian Sorg ou encore Gérard Titus-Carmel pour les dernières livraisons. On cherchera chez quelques bouquinistes ou sur internet parmi les numéros épuisés ceux sur Christian Prigent (N°14/15) ou Bernard Noël (N°12/13) ou Philippe Jaccottet (N°8/9) ou encore Michel Butor (N°4).

Nos amis Alain Chanéac, Alain Coste, Christian Arthaud, Jean-Gabriel Cosculluela innovent avec ce N°24/25 puisqu’ils inscrivent quatre poètes à son fronton - Jean-Marc baillieu ; Patrick Beurard-Valdoye ; Nicolas Pesques ; Caroline Sagot Duvauroux – intitulé Parcours singuliers. Quatre poètes et pour chacun un entretien, des approches critiques et des textes. Toujours, la proportion est heureuse .

Multiple est la singularité du sujet comme divers les chemins ouverts par chacune de ces écritures. Leur hétérogénéité, les choix de langue de ces quatre poètes s’il détermine bien des croisements, il interdit en revanche tout commun, toute communauté autre que celle d’être quatre aventures littéraires, soit être sur les routes d’une création attentive aux formes de saisie du réel de notre temps toujours hors de lui.

Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là de représentants de courants ou de tendances de la poésie française contemporaine mais de quatre voix ou mieux de quatre espaces de voix. Quatre territoires de langue. Il faut aller y voir. Là s’invente la littérature !

Ce numéro de faire part est un belvédère. Depuis ses pages, passionnante est la vue !

 

Revue faire part, 8 chemin des teinturiers7160 Le Cheylard. Prix du N°24/25 : 25 euros

Site de la revue : http://perso.orange.fr/revue.faire.part/

 

© Alain Freixe

31/12/2009

Turbulence 42 - 2010!

Aux ami(e)s, aux passant(e)s du blog, tous mes voeux de belle énergie pour affronter la dureté des temps! Debout, sur les barricades mystérieuses de la poésie et de ses entours!

Turbulence 41 - André Pieyre de Mandiargues et Yannis Ritsos, centenaires!

Couv Mandiargues-2-360.jpgJe reçois ce jour, 28 décembre 2009, les deux forts volumes des oeuvres poétiques complètes d'André Pieyre de Mandiarguescouv Mandiargues-1-Craie359.jpgEcriture ineffable précédé de Ruisseau des solitudes de L'Ivre Oeil et suivi de Gris de perle (N°454, 9,90 euros) ; L'âge de craie suivi de Dans les années sordides, Astyanax et Le point où j'en suis (N°455, 9, 90 euros), en Poésie/Gallimard. Depuis un an au moins, je tournais autour de André Pieyre de Mandiargues, du centenaire de sa naissance que personne ne saluait ou si peu. Et commei ces 2 tomes de celui qui aux côtés des romans, récits, nouvelles, pièces de théâtre et essais tenait la poésie pour la "forme suprême" que pouvait prendre "la littérature" sont les bienvenus!  Bienvenus pour saluer celui qui avait "pris la robe de l'ordre des insatisfaits": "vouloir peindre et écrire l'impossible". Sûr qu'on y reviendra au cours du Printemps des poètes 2010 à propos de "couleur femme"!

*

 

small81.jpgComme je tournais autour de Yannis Ritsos. Ritsos qui écrivait un "(...) J'insiste; je ne rends pas les armes" que tôt j'avais fait small84.jpgmien. Je saisis cette occasion pour signaler les deux volumes parus chez Ypsilon éditeur: Temps pierreux, Makronissiotiques, poèmes écrit lors de sa première déportation et Pierres, répétitions, grilles, édition intégrale que Gallimard avait publié de manière partielle en 1971; ainsi que le blog de Jacques Ancet (http://jancet.canalblog.com)dans lequel vous pourrez trouver l'article qu'il a consacré sous le titre de L'Inépuisable au poète grec, en 2007.

Que ce soit là mon salut à ces deux poètes! Mon salut comme une invite à les lire!

29/12/2009

lu 46- Jean-Marie Barnaud, Fragments d'un corps incertain

 

Couv Frafgments corps in241.jpgVivre et écrire, écrire et vivre... et... et... c'est la boucle ! On sait que c'est dans cettes pirale que se tient la belle querelle de Jean-Marie Barnaud : « comment parler de sa vie ? » se demande-t-il dans son dernier livre publié chez Cheyne éditeur, Fragments d'un corps incertain (15 euros). Non qu'il faille épancher un moi toujours envahissant mais bien incliner mots, images et formes à partir de « l'angle d'incidence particulière de son existence » selon les mots de Paul Celan. Comment parler desa vie quand c'est au poème que l'on se confie, à l'idée pratique que l'on s'en est faite,chemin faisant, de livre en livre - ici, le onzième dans la collection verte de Jean-François Manier et Martine Mellinette, ça fait une drôle de forêt !

La question se fait plus aiguë, douloureuse dans ses creusements, quand « une voix sonne tout à coup / glaciale », voix du corps vivant qui « dit les choses pour de vrai », qui coupe et arrête, « barre la route, à jamais ». Comment transformer la dévastation qui va s'en suivre, cela qui est arrivé à l'improviste , arrachant le temps à ses gonds, dans la maladie et son cortège d'interventions ; cela qui va mener à ce « corps incertain », troué d'oublis multiples, voué aux fragments, débris certes mais éclats aussi bien qui éclairent son nom nouveau : « blessure » ? Et puis le fallait-il ? Fallait-il « (écarter) les lèvres de cette plaie / et (sonder) jusqu'au fond le désastre » ?

Oui, il le fallait. Sans conteste. Il fallait accueillir la nécessité, le monde dans son désordre, transformer l'accident en événement, libérer de sa part factuelle la part spirituelle car F esprit a besoin du corps tout entier, même et surtout parce que devenu « incertain » pour être l'esprit même : « corps penché sur soi / c'est l'âme qui sonde ses dépouilles ». Il le fallait - on me pardonnera de citer encore Paul Celan mais c'est ma manière de rendre hommage au formidable lecteur qu'est Jean-Marie Bamaud ; au lecteur de Paul Celan, en particulier ces derniers temps ! - « la réalité n'est pas la réalité, la réalité veut être cherchée et conquise ».

Ces Fragments d'un corps incertain sont une traversée vers la réalité, donne nouvelle en quête d'atouts. Formellement, il se présente comme une suite de 54 poèmes, souvent des dizains, distribués en 4 parties. Les vers y sont courts comme s'il fallait resserrer le poème, canaliser un flux, rapprocher les rives pour éviter le débordement des affects, l'impudeur.

Retenir, et impersonnaliser. Tenir la juste mesure, celle d'un loin, d'un juste loin à instaurer.

Ce livre n'est pas le journal de bord que tiendrait un marin pris dans la nasse d'un gros temps et subissant grain sur grain. Chaque poème a été ici renvoyé à sa solitude puis appelé, à sa place, dans un projet, un agencement, un processus, une marche qui soit comme une remontée vers le jour. Une mise en route d'une parole où le corps, ce nouveau corps, ce « corps

incertain », trouve à se tenir. Un corps qui a fait l'épreuve de l'étranger, y a perdu sa naïve

assurance, y a laissé tant de lui-même.

Il y a une ferme demeurance de Jean-Marie Bamaud, c'est celle qui témoigne qu'il y a à vivre au-delà des arrêts de mort du dehors, qu'il y a à apprendre à « faire patience », à préférer croire que « la mer en joie m'attend » plutôt que « les bois noirs de la métaphysique » et leurs sentiers où « les mots n'ont pas de chair ». Tant qu'il y a de la parole à risquer, il y a du désir possible. La force de vie est au-delà du vivant quand elle prend en compte la perte, la mort et non sa trouble fascination.

Ici, on sait parler de sa vie. De la vie. Celle à venir jusque dans l'acceptation de l'inconsolable - car il y a de l'inconsolable et le poème de console de rien - grâce à une volte

de l'âme. Et si en elle quelque chose meurt, quelque chose dont on sait qu'il ne pourra être remplacé, autre chose est à naître. Un autre corps est à « enfanter / à nouveau », une nouvelle présence à l'aimée, « la belle agile » ; à l'amour qui sait « vivre de l'impossible » : « nulla dies / quin amorem inveniat» plutôt que « sine linea» ! oui, « aucun jour / qui n'invente

l'amour » ; au temps enfin, à ses dés. Au temps comme il vient, joueur et rieur, tel que dans les mains de l'enfant d'Héraclite sur quoi se closent ces Fragments d'un corps incertain : « et le temps court devant / qui porte l'enfant d'Héraclite / à lui la royauté ».

Dans le livre de Jean-Marie Barnaud, la vie sait s'accompagner elle-même pour inventer les formes nouvelles de sa joie. Pensant à Rainer-Maria Rilke, je me hasarderai à affirmer que « dans les ordres des anges », on doit pouvoir entendre ce cri parce que justement il est tu. Et ce silence-là s'entend !

 

( Cette note de lecture est parue dans le dernier numéro de la revue Europe consacré à Jean-Luc lagarce)

25/12/2009

Lu 45 - Jacques Ancet - L'identité obscure

Couv Ancet-Identité obsc335.jpgIci, un silence passe. Traverse l’air d’une heure à l’autre. Dans le livre de Jacques Ancet comme dans ce qui s’offre à mon regard : une échappée, la saison qui file son noir, entre douceur et vertige. J’ai lu l’identité obscure de Jacques Ancet qui vient d’obtenir le prix Apollinaire 2009, 71ème du nom, comme on entend cette lumière qui vient de la réalité quand la troue le réel et que nous voilà jetés entre deux chants. Flottants. Suspendus.

L’identité Obscure ( Collection Terre de poésie, Lettres vives, 15 euros) ce sont 13 chants de quelques 85 vers pour la plupart et 76 parfois. Ajoutez 8+5 et 7+6 et vous obtiendrez 13.On sait Jacques Ancet soucieux de « la vertu des nombres ». Ils arment musicalement ses poèmes et ses livres. Ces chants sont portés par la basse continue d’une même énergie provenant de cette « profondeur obscure où les mots sont des actions » selon l’affirmation de Faulkner.

J’aime ces poèmes parce les lire me rejette au plus loin de moi-même, m’éloigne de ce personnage encombrant, ce moi tissé d’ombres pour dans le ballet de la lumière d’entre les mots laisser danser l’inconnu.

J’aime lire Jacques Ancet parce que les yeux, ces bavards, se taisent pour entendre. Ils ne lisent plus le monde, ils ne voient plus, ils entendent ce qui ploie les choses, cette force qui ici jaunit les mélèzes, rougit les sumacs, cette poussée au dehors qui passe par le travers du monde comme un souffle, un appel, dit souvent Jacques Ancet, à plus de réel dans la déroute de nos yeux grillagés de trop de savoirs.

« Seul le regard sauve » : cette affirmation de Simone Weil, Jacques Ancet pourrait la reprendre à son compte. Nous ne voyons pas ce que nous voyons ou plutôt ce que nous voyons, nous le lisons, forts de ce savoir qui ramène tout à du connu, savoirs constitués où la société impose sa vision et ce qu’elle fait du monde et des hommes qui toujours plus servent et sont asservis. Ainsi va la réalité et son identité claire, cet en face où « les images recouvrent le jour », où « les noms (nous) submergent », cette somme de ce « que (nous) pouvons nommer » dont le bruit terrible mêle les fureurs de surface où les hommes chassent les hommes aux fracas des choses qui « s’effondrent sous leur nom » où « la vie ressemble à la vie » et « c’est une image / mais qui peut vivre dans l’image ? ». Qui peut vivre « sans inconnu devant soi », comme le demandait en son temps René Char ? Qui peut vivre sans cette ouverture de la réalité sur le réel qui toujours la déborde : ces riens sans nom qui loin de nous jeter hors du monde nous le rendent comme neuf et toujours jeune ?

C’est sur « le fil du présent » que se tient Jacques Ancet comme sur un chemin de ronde. Il va funambulant sur un vacillement, un presque rien, un je ne sais quoi qui va se perdant toujours sur une fine lame de présence, entre hier et demain : « Je guette dans son imminence la vibration du monde, celui qui vient n’a jamais de forme, c’est comme une aube ». Ce « pur venir », c’est dans la soudaineté de l’instant qu’il se donne, dans « l’éclat d’un instant suspendu ». Et pour faire signe vers cela qui est au-delà de tous les noms, pure qualité de présence qui déjà s’efface », Jacques Ancet risque l’oxymore d’ « explosion immobile ».

Quelque chose comme un « feu » qui « est partout », qui est « insaisissable » sauf – car les derniers pas sont de lui ! – lorsqu’il le saisit et que « soudain tout est désordre noir ». quelque chose qui s’ouvre sur. « Quelque chose comme une embrasure », une meurtrière, cette étroite ouverture par où nous vient cette « beauté du moment qu’il nous faut laisser passer / et garder à la fois », écrit Jacques Ancet. Quelque chose comme une identité obscure, « puits noir » où « rien n’est identique », un éclat redisons le où « soudain toutes les lumières se réunissent, toutes les poussières ».

C’est cela qu’il faut garder. Cela que dans les mots du poème, entre eux – « l’insterstice seul te sauvera » - Jacques Ancet prend sous la sauvegarde de sa parole. Parole fraternelle. Son timbre, je l’entends encore alors que le soir en tombant rapproche le ciel et que déjà deux/trois étoiles se prennent aux branches. Bernard Noël donne le nom de « tendresse » à cette « impression que produit un agencement verbal qui, par sa fluidité, son euphonie, sa simplicité dégage une aisance attentive où le lecteur trouve l’éveil à une harmonisation », à cette voix silencieuse qui porte cette identité obscure par où un « oui » au monde est toujours possible, un « oui » qui puise sa force et sa violence affirmative en un « non » résolu à tout ce qui conspire à perdre cette chance d’homme que nous sommes. Encore.

 

Gabrielle Althen - Deux poèmes

DSC04198 - copie.JPGGabrielle Althen, poète, est aussi romancière, nouvelliste, essayiste. Elle vit à Paris et dans le Vaucluse. Elle est professeur émérite de littérature comparée de l’Université de Paris X-Nanterre.

A publié, une douzaine de recueils de poésie, dont Présomption de l’éclat,1981, Noria, 1983 et Hiérarchies, 1988, chez Rougerie; La Raison aimante, Sud, 1988; Le Pèlerin sentinelle, Le Cherche Midi, 1994; Le Nu vigile, la Barbacane, 1995 ; Coeur fondateur, Voix d’encre, en 2006 et L’Arbre à terre, nu( e)  en 2007; des nouvelles, Le Solo et la Cacophonie, contes de métaphysique domestique, Voix d’encre, 2000, un roman, Hôtel du vide, Aden, 2002. Egalement, Dostoïevski, le meurtre et l’espérance, essai, au Cerf, en 2006 et, tout récemment, La belle mendiante suivi de Lettres de René Char à Gabrielle Althen, l’Oreille du Loup, 2009.

 

Outre sa création propre, elle mène une réflexion sur l’art et sur la poésie et se livre à ce qu’elle considère comme des essais de critique méditative. Elle s’intéresse à la peinture et a écrit sur l’œuvre d’un certain nombre de peintres, dont Edouard Pignon et Javier Vilato. Elle a écrit le texte de Chronopolis, film de Piotr Kamler, présenté à Cannes en 1982.Elle s’intéresse à la peinture et a publié un certain nombre de livres d’art.Elle fait partie du comité de rédaction de Siècle 21, et collabore à de nombreuses revues françaises et étrangères. Elle est également membre du jury du prix Louise Labé et de l’Académie Mallarmé.

Des anges à manteaux bleus nouent des cordes sur les monts

Répétait hébété le patron de ce bar

On prendra ça pour harmonie

Les villes sont hilares

Et voilà l’harmonie !

Les hommes sont fous je sais

Et ils promènent ensemble leur folie

Dans la grand rue qui ne mène pas à la montagne

Place de la République les hommes seuls vont ensemble

Un paysage au loin tend la corde de sa lyre

Et cette paix s’aggrave

Mais les pentes sont douces et la clarté aussi

Une tendresse vogue sous le nuage

Tu dis encore qu’elle n’y est pour personne

Les chambres sont désaffectées

Les chances aussi en sont désaffectées

Pourtant mon corps respire et va rejoindre

Le cri de ses compagnons fous

Un baiser musicien tourne en rond sous le nuage

Le val est vert et la saison profonde

Tu dis que c’est pour rien

Et moi très humble je supplie mon désir

De rester sage et de durer

Entre la mélodie trop fade

Et les cris du séjour

 

 

LE COSMOS N’AURA PLUS JAMAIS TORT

Que les choses du monde viennent manger dans ma main

Que la chose du monde vienne à la main du poème

Et des cris me déchirent

Et la vie traversée par les cris

Une main sur ma main

La jeunesse me dure

Rien ne change

Je respire

Mais le sourcier intime approuve

Que les herbes se pressent dans les eaux créatives

Et les tiges d’énergie que le soleil active

Humble et content dans l’hiver qui palpite

Une main sur ma main

- Cristal ou bien limon ? -

Près du bouquet bourgeonnant de ces eaux

Sans peur il bâtit ses jetées à côté de la peur

Et la lumière sonore se répercute et chante

Et le cosmos enfin n’aura plus jamais tort

- Puis le matin qui recommence

Nous prêtera son auréole

« J’aime » dit en s’éveillant la première tête à déborder de cet espace

Balise 55-

« Il est temps en effet de le préciser: Noli me tangere ne dit pas simplement « ne me touche pas », mais plus littéralement « ne veuille pas me toucher ». Le verbe nolo est le négatif de volo: il signifie a ne pas vouloir ». En cela aussi la traduction latine déplace le grec mè mou haptou (dont la transposition littérale eût été non me tange). Noli: ne le veuille pas, n'y pense pas. Non seulement ne le fais pas, mais même si tu le fais (et peut-être Marie-Madeleine le fait-elle, peut-être sa main s'est-elle déjà posée sur la main de celui qu'elle aime, ou sur son vêtement, ou sur la peau de son corps nu), oublie-le aussitôt. Tu ne tiens rien, tu ne peux rien tenir ni retenir, et voilà ce qu'il te faut aimer et savoir. Voilà ce qu'il en est d'un savoir d'amour. Aime ce qui t'échappe, aime celui qui s'en va. Aime qu'il s'en aille. »

Jean –luc Nancy

Raphaël Monticelli & Martine Orsoni, La légende fleurie, L'Amourier éditions

Couv Légende fleurie312.jpgLes éditions de l'Amourier - voir leur site amourier.com -  viennent de faire paraître La légende fleurie! 30 vies de saints/saintes rédigées d'une plume 4ème de couv Légende316.jpgallègre et leste par Raphaël Monticelli. Chacun étant accompagné de dessins de Martine Orsoni. tous empreints de sensualité et de cette douce ironie.

Oui, Michel Séonnet a raison: "ce livre se savoure comme un lait d'émerveillement"!

J'aurais pu - j'avais même très envie! - de choisir Sainte Rita ou Sainte Réparate, pour leur ancrage niçois, mais en écho à la balise 55, j'ai préféré choisir celle de Marie Madeleine. Merci à Jean Princivalle et Bernadette Griot des éditions de l'Amourier, Raphaël Monticelli et Martine Orsoni de nous avoir autorisé à publier ces lignes!

 

Sainte Marie-Madeleine

 

Certains prétendent que Marie, la sœur de Marthe et Lazare chez qui Jésus séjournait volontiers, était bien Marie de Magdala dont Notre Seigneur avait chassé sept démons et que c'était cette même femme que saint Luc nous présente, sans la nommer, en larmes aux pieds de Jésus Christ alors qu'il était reçu par Simon le Pharisien. On assure même que cette Marie était de noble origine, er qu'elle tirait son nom de "Magdala" d'un château qui lui était échu en partage. La vanité de cette tradition oublie qu'il échut à Marie-Madeleine bien plus qu'une noble origine et un château, toutes choses mondaines et vouées à périr, mais la suprême douceur de Notre Seigneur Jésus Christ, qui abîma son cœur non dans le repentir, comme on le dit très perfidement parfois, mais dans l'amour absolu qui ne demande ni n'attend rien.marie madeleine317.jpg

 

La seule chose dont tu puisses être sûre, c'est que, passant en Galilée, dans la ville de Naïn, Jésus fut reçu par Simon le pharisien, et qu'une femme, du nom de Marie, poussée par la curiosité et le doute, s'introduisit dans la réception. On la disait originaire des bords du lac de Gennésareth, de Magdala sans doute, et elle était connue pour gagner sa vie du commerce qu'elle faisait de son propre corps.

La chaleur était étouffante et le soleil délogeait les due des coins d'ombre qu'il rétrécissait sans cesse; dans la cour où le Pharisien recevait Jésus, un treillage soutenait des pampres lourds, borné par un figuier à l'ombre verre er odorante; du puits central on hissait régulièrement des seaux d'eau dont aspergeait le sol. Marie de Magdala était une de ces lucioles au teint mat; le regard que, petite fille, elle avait vif et rieur, lui était venu, avec la vie, ardent et triste. Cette tristesse du regard était masquée sous la lourdeur des parures, la richesse pénétrante et subtile des parfums et une science assurée du maquillage. C'est ainsi qu'elle présentait aux yeux du monde une apparence arrogante d'éclat et de luxe; et c'est ainsi qu'elle apparut chez Simon, jusqu'à ce que ses yeux rencontrent ceux de Jésus.

Marie savait peser le regard des hommes et y reconnaître la charge de trouble et de désir qu'elle était experte à allumer en eux. Au moment où elle glissait son oeillade entre ses cils, elle vit Notre Seigneur la regarder avec une douceur et une bienveillance infinies, et elle sut qu'elle voyait pour la première fois ce qu'elle s'ingéniait à imiter; elle sut aussi que toute la sincérité de tous les regards d'amour était le reflet de ce regard-là.

Tant de douceur la terrassa; les vannes de son cœur s'ouvrirent et elle fut incapable de retenir les pleurs qui surgissaient du fond d'elle avec la violence innocente et douce des torrents de

mai. Sanglotante et éperdue, elle abîma son visage dans ses cheveux, aux pieds de Jésus qui considérait maintenant Simon avec une curiosité amusée.