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04/08/2012

Lu 82 - Eros émerveillé, Anthologie de la poésie érotique française, édition de zéno Bianu, Poésie / Gallimard

zéno bianu,poésie érotique,anthologieCélébrer l’amour la poésie le peut – italiques et absence de virgule rappelleront ici le titre du livre de Paul Eluard – cette Anthologie de la poésie érotique française, le poète Zéno Bianu en signe les choix et une éclairante préface – clin d’œil à Sade – « la poésie dans le boudoir », celui de la langue bien sûr parce que c’est là que ça se passe. Vraiment !

Oui, louer Eros , la poésie le peut. Et ce dans toutes les dimensions que présente cet enfant de Poros et Penia tel que nous le montre le mythe de sa naissance conté par la Prêtresse de Mantinée, Diotime, dans le fameux Banquet de Platon. Poros, le père, du côté de la ruse, de l’invention, de la techné, du passage toujours possible, des lueurs ; Penia, la mère, du côté de la pauvreté, du manque de formes, de l’indinstinct, de l’obscurité. Eros, le fils, par sa nature même est un démon. Il lie et délie les corps, les mots. S’il manque toujours, s’il tombe toujours, il se relève et du déséquilibre fait avancée possible, chemin vers toujours plus de vie, de vigueur.

C’est lui dont il est fait l’éloge dans ces quelques 600 pages, ces 350 poèmes, ces quelques 200 auteurs élus par Zeno Bianu entre 1536 et 2010 soit 5 siècles de poésie française. On ne lui reprochera pas de faire commencer cette « exploration du territoire amoureux » au XVIeme siècle. Chacun sait qu’à l’arrière, troubadours et trouvères, hommes et femmes de langue d’oc et d’oïl, avaient ouverts maints chemins de délicatesse comme de verdeur de langue en ces contrées où l’amour de la langue se renverse en langue de l’amour.

Roland Barthes écrivait que « l’érotisme, (c’était) quand le vêtement (baillait) », eh bien, l’écriture poétique quelque soit les siècles, les formes, le mode de travail de la langue – et on le voit bien à feuilleter, ce gros volume qu’il faudra prendre à la diable, « à sauts et à gambades », avec légèreté et envie toujours - fait bailler la langue et ces ouvertures donnent sur l’inconnu qui devant soi engage le vide où se connaître soi-même toujours davantage et davantage toujours car par un effet de glissement, il se dérobe au dernier moment. Reste la force qui traverse, passe et n’a d’autre chair que celle des mots du poème quand un « nœud rythmique » les tient selon les mots de Mallarmé et dans lequel il voulait voir l’âme. C’est elle qui ici est invitée, au fil des siècles, dans les poèmes à la fête des sens. Eros émerveillé est son nom.

 

Balise 75-

«  Il y a si longtemps que l’on sait que le rôle de la philosophie n’est pas de découvrir ce qui est caché, mais de rendre visible ce qui précisément est visible, c’est-à-dire de faire apparaître ce qui est proche, ce qui est si immédiat, ce qui est si intimement lié à nous-mêmes qu’à cause de cela nous ne le voyons pas . »

Michel Foucault

Turbulence 53 - Réforme du CNL: Le pas suspendu du Ministère...

Par communiqué de presse publié le 18 juillet, le Ministère de la culture suspend la réforme engagée par le Président du Cnl:

"La ministre de la Culture et de la Communication réaffirme son ambition pour le livre et la lecture en France. Depuis sa prise de fonctions, elle a tenu à rencontrer les professionnels du secteur, et à échanger en particulier avec les libraires, les éditeurs et les auteurs. Les enjeux qui touchent à ce secteur sont en effet majeurs et supposent un pilotage renouvelé de la politique du livre et de la lecture.
Le Ministère assumera aussi si nécessaire une fonction de médiateur entre les auteurs, les éditeurs, les diffuseurs et l'ensemble des acteurs de la filière. Dans ce contexte, la réforme des commissions et des dispositifs de soutien du Centre national du Livre, définie il y a quelques mois et qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2013 ne peut être mise en oeuvre sans prendre en compte les nouvelles orientations du gouvernement. Cette réforme étant par ailleurs contestée, une concertation préalable s’avère nécessaire.
La Ministre a donc demandé au président du CNL de suspendre cette réforme. Des réunions de travail et une concertation seront organisées en septembre sous l’égide du ministère de la Culture et de la Communication.
Paris, le 18 juillet 2012"

Affaire toujours à suivre donc8

15/07/2012

Turbulence 52 - Le CNL et la poésie, affaire à suivre

DEMANDE D'ASSISES DU LIVRE A MADAME LA MINISTRE DE LA CULTURE

Ci-après une lettre d'un "collectif d'écrivains" qui demande des "Assises du livre" au ministre de la Culture, suite à la réforme projetée par M. Colosimo, président du CNL, et qui vise, pour résumer, à faire disparaître "la commission poésie" entre autres et toutes formes d'aides à la Littérature et aux Écrivains en général.

Madame la Ministre,

« Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve », écrivait donc Hölderlin. L’inquiétude que soulèvent dans la communauté des écrivains les réelles menaces pesant sur les commissions du Centre National du Livre ne nous laisse pas indifférents. (La presse s’est fait un large écho de la pétition unanime lancée par sitaudis.com, s’agissant de la Commission Poésie.) La récente manière de réformer l’instance a choqué : nulle concertation, nul débat de fond, n’ont eu lieu, qu’a remplacés un simple vote en Conseil d’administration, daté du 12 mars 2012. Présentée au motif d’une « remise à plat » comptable, la réforme générale ainsi engagée a omis de se poser la question de ses possibles effets notamment dans un champ à l’économie spécifique et peu coûteuse tel que celui de la poésie. S’efforçant d’interroger le cœur même du langage et d’agencer les données du monde, la poésie a souvent joué un rôle essentiel dans l’aventure de la modernité, et non seulement dans l’histoire de l’art. La réforme générale du CNL n’implique pas seulement la confusion des commissions Théâtre, Roman et Poésie, mais encore la fin même des commissions dites thématiques, la dilution et la concurrence des décisions prises par un « cabinet fantôme » d’experts contractuels chargés de dire la valeur des dossiers et de la prescrire au nombre affaibli des représentants de chaque discipline dispersée ; d’un mot, la réforme en question laisse entrevoir le pire concernant l’avenir des aides vitales accordées notamment à ce laboratoire de la littérature de demain que constitue le plus souvent l’édition de la poésie d’aujourd’hui. Il ne s’agit naturellement pas de défendre un domaine parmi d’autres, serait-il plus exposé ; tous les domaines de l’écriture sont en vérité menacés par l’esprit et la lettre d’une réforme imposée et non proposée, à laquelle les éditeurs, les libraires, les auteurs, et les lecteurs finalement perdraient beaucoup. Ce que subit la poésie est simplement ici à l’avant-garde des épreuves que risquent de subir les écrits dans leur ensemble. Les réformes seront bienvenues si elles permettent une meilleure adaptation du Centre National du Livre (anciennement Centre National des Lettres) aux enjeux du champ des écrits maintenant.
Dès l’origine, le CNL a prouvé son importance. Lieu de dialogue démocratique pour l’ensemble des professionnels, comme vous le savez, il s’est illustré par son fonctionnement exemplaire, opérant une juste répartition des aides publiques dans toutes les aires de l’écrit, de la création à la diffusion. Vous-même, Madame la Ministre, évoquiez récemment la nécessité de « réfléchir à la réforme du rôle et des attributions du CNL ». Ne pensez-vous pas que, sans avaliser une réforme trop rapidement décidée, les missions du Centre, organisme précieux entre tous, mériteraient d’être pensées à neuf dans le partage et l’échange des acteurs du champ des écrits ?
Il y a bien matière à discussion, car la réforme dans sa forme actuelle éloigne les professionnels de la gouvernance du Centre, et nuit à son rôle de plateforme de l’interprofession ; c'est ainsi qu’il a été conçu historiquement, au même titre que le CNC, du reste. La réforme entraîne de façon subreptice un radical changement de nature de l'institution, qui ne peut pas avoir lieu sans de réelles discussions avec les professionnels de la chaîne du livre. Plus généralement, ces derniers éprouvent le besoin de faire le bilan de plus de deux années de fonctionnement autonome du CNL. Quelle est la ligne stratégique de l’établissement? Elle n'apparaît plus clairement, et les éventuels bénéfices de son autonomie ne sont pas très sensibles, à dire le moins. D'autres questions que celle des Commissions se posent d’ailleurs et certaines touchent les collectivités territoriales. Quelle relation le CNL entretient-il avec les territoires, avec les DRAC et les Régions ? En quoi le Centre participe-t-il à la décentralisation ? Convaincus que l’action publique décide de l’avenir du livre et de la littérature dans la vie des citoyens, nous vous prions de remettre le CNL au cœur des débats qui nous traversent, au cœur de nos inquiétudes et de nos espoirs. Nous formons le vœu que la réforme ne soit pas élaborée avant une réflexion générale souhaitée et profondément souhaitable. Cette réflexion pourrait prendre la forme que vous jugerez efficace et qui ressemblerait en somme à des Assises nationales du livre et de l’écrit. Votre programme fait du reste mention d’un tel projet, nous en avons conscience.
Voilà pourquoi, Madame la Ministre, nous vous redisons toute notre confiance et vous demandons de bien vouloir considérer la situation critique où écrivains, éditeurs et libraires se trouvent désormais ici et maintenant.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre très haute considération,

Florence Delay, Maylis de Kerangal, Jacqueline Risset, Jean Bollack, Frédéric Boyer, Patrick Chamoiseau, Jacques Darras, Michel Deguy, Patrick Deville, Jean Echenoz, Guy Goffette, Yves Mabin Chennevière, Jean-Luc Nancy, Bernard Noël, Yves Pagès, Jacques Roubaud, Alain Veinstein, André Velter...

 

Lu 81 - Revue Gruppen

Couv Gruppen166.jpgRevue semestrielle, créée en 2010, forte de quelques 160/170 pages, GRUPPEN est une Couv Gruppen N°4-Dos167.jpgrevue de création, c’est rare ! Une revue de recherche, c’est réjouissant ! Une revue transdisciplinaire, c’est salubre ! Telle est l’originalité de Gruppen. A l’heure où l’on cherche a élever toujours plus de murs, où l’on cloisonne et enferme. A l’heure où l’asphyxie menace, Gruppen c’est un courant d’air frais. Voilà que ça circule à nouveau et que ce qui circule est neuf aussi !

La revue a été fondée par un poète, Laurent Jarfer, un compositeur et pianiste, Ilan Kaddouch, et deux philosophes, Pierre-Ulysse Barranque et Sébastien Miravete. Gruppen mêle donc poésie, musique, philosophie, mais aussi arts du spectacle, arts plastiques. On n’oubliera pas les arts graphiques et on saluera le travail d’illustration, de conception graphique et de composition de Laurence Gati et Louise Dib.

Si Gruppen ne mâche jamais ses mots, ose l’humour le plus décapant , la revue soutient les travaux critiques les plus pointus en philosophie comme en musique.

Gruppen ne se contente pas d’être une mosaïque d’articles, de reproductions (dessins, photographies…) passe en elle ce « legame musaïco » dont parlait Dante, lien invisible qui fait que ça tient et fait entendre une drôle de petite musique inconnue de ce côté-ci. En quoi, Gruppen est bien trans, c’est de l’autre côté qu’elle fait signe!

De l’autre côté du papier. En témoigne sa volonté d’aller « au delà » du papier puisque Gruppen, ce sont ausi des performances, des concerts et des conférences.

Oui, Gruppen est une transrevue ! A soutenir !

 

sommaire de Gruppen n°5 –  à paraître en juin 2012

Entrevue avec BERNARD STIEGLER.

Poésie
SERGE PEY :Ma chienne avait un ballon de foot dans le ventre.
LAURENT JARFER: 

Musique
ILAN KADDOUCH : La musique de concert: la nécessité de la forme.
DAVID CHRISTOFFEL:La défonce du piano. Le piano a déchaîné suffisamment de passions pour être sûrement l'un des instruments les plus couramment détruit de l'histoire de la musique.

Cinéma
YANN BEAUVAIS: Un alchimiste américain: Harry Smith.

Encres
YANN BAGOT

Philosophie
P-U BARRANQUE
& SEBASTIEN MIRAVETE : Lukacs, Rousseau, Banksy et les fondements de l'art social.
ANSELM JAPPE: De l'"aura" des anciens musées et de l'"expérience" des nouveaux.

Anthropologie
BRUNO ALMOSNINO: Toucher, s'affecter, éviter le contact, confondre: brèves notes sur des forces d'action et d'organisation en monde juif.

Les Mots de Bonnefoy
Mots Croisés de BERNARD BONNEFOY

Illustrations
LAURENCE GATTI

 

Coordonnées : Gruppen, 25 rue Saint-Jean d’Août, 40000 Mont de Marsan

contact@revuegruppen.com

site : www.revuegruppen.com

Lu 80 - Action Poétique, L’intégrale, N°s 207/208/209/210, Dernier numéro, DVD rom inclus-collection complète (1950-2012)

 Revue Action Poétique, L'intégraAction Poétique. Point d’arrivée en ce printemps 2012 avec retour envisageable vers le N°1 de 1958 et même promenade possible dans les limbes entre 1950 et 1957 grâce au précieux DVD rom qui accompagne la livraison de cet imposant numéro de près de 300 pages. Pour seulement 21 euros, ce numéro et avec tous les numéros numérisés de cette aventure unique dans l’histoire de la poésie de ces soixante dernières années. Unique car une revue poétique résiste rarement aux débats et aux tensions qui finissent par opposer les fortes personnalités de leurs animateurs. Il faut remercier aujourd’hui Henri Deluy d’avoir tenu la barre de ce vaisseau de haut bord dans les tempêtes des temps durant ces 60 dernières années.  Cette livraison est une promesse. C’est une richesse. C’est merveille de pouvoir aller à la rencontre de ce que l’on cherche et, chemin faisant, se perdre dans cette histoire de la poésie de la seconde moitié du XXe siècle - et pas seulement française mais internationale – car c’est toujours de l’étonnant que l’on rencontre. Oui, Action Poétique a joué ce rôle de découvreur, de lieu d’échange, d’espace polémique, de promotion de livres, de leurs auteurs comme des petits éditeurs qui cherchent à les diffuser.

 Ceux qui aiment la poésie non seulement d’ici mais d’ailleurs, de notre temps comme de ceux plus anciens, l’histoire des formes, les débats avec l’histoire – Rappelons que proche du PCF, Action Poétique sut toujours rester indépendant, prenons dès les années soixante la mesure du stalinisme - les enjeux de cette entreprise impossible mais toujours reprise de la traduction aimeront la diversité des textes réunis ici pour cette dernière livraison car défilent dans cette somme, selon le strict ordre alphabétique, tous les membres des différents comités de rédaction qu’a connu la revue, les morts comme les vivants, soit près de 80 poètes. Le lien entre tous ces hommes et ces femmes – de plus en plus nombreuses, les années passant mais qui ont toujours joué un rôle important dans la revue, pensons à Mitsou Ronat, Elizabeth roudinesco, Martine Broda… – Henri Deluy nous le donne dans l’entretien qu’il donne à Sandra Raguenet et qui ouvre le livre : « nous étions des lecteurs de poèmes, à l’infini» , des amoureux d’une poésie qui gardait à son horizon ce devoir dont Lautréamont définissait le but : la vérité pratique.

 Action Poétique s’éteint. Henri Deluy passe la main. « Viendront d’autres horribles travailleurs », gageons que la parole d’Arthur Rimbaud sera entendue !

 

 

 

 

 

Lecture de Michel Ménaché - Anthologie de la poésie russe contemporaine 1989-2009 - Revue Bacchanales n° 45

 

 

 

Anthologie de la poésie russe contemporaine 1989-2009, 104 poètes choisis, traduits et présentés par Hélène Henry-Safier et Christine Zeytounian-Beloüs, Revue Bacchanales n° 45 - édition Maison de la Poésie Rhône-Alpes,  20 €

 

 

 

Dans le paysage du dégel post-stalinien, la poésie a joué un rôle important. Les poètes n’ont jamais supporté de vivre et d’écrire derrière des murs bien avant que ne tombe celui de Berlin.  Déjà pour Ossip Mandelstam, la poésie était de « l’oxygène volé. » Cette belle expression vaut pour la majorité des 104 poètes réunis dans cette anthologie, qui n’appartiennent pas tous à la même génération mais dont les textes ont tous été écrits au cours des vingt dernières années, de l’implosion de l’URSS à 2009.

 

Si Andreï Voznessenski, Bella Akhmadoulina, Evgueni Evtouchenko prolongent ou renouvellent l’esthétique maïakovskienne, une grande diversité se dégage de cette anthologie témoignant aussi bien de l’immense héritage  poétique et culturel que des mutations rapides voulues ou subies : de la poésie visuelle renouant avec les avant-gardes futuristes aux tenants de l’obscurité « métaréaliste », des conceptualistes aux slameurs de l’Oural, des anciens révoltés de la dictature bureaucratique aux contestataires du nouvel ordre établi, inique et corrompu.

 

Si le désenchantement est la tonalité dominante de ce vaste ensemble, l’humour sous des formes diverses, grinçant, désabusé ou provocateur, se transforme souvent en bombe à retardement. Joseph Brodsky, remarqué très tôt par Anna Akhmatova, arrêté pour « parasitisme social » puis contraint de s’exiler aux USA et d’être nobélisé, ironise avec une verve sobre teintée de lyrisme léger : « On m’a reproché tout sauf le temps qu’il fait, / moi-même je me suis menacé de punitions sévères. / Mais bientôt comme on dit je serai dégradé, / et je deviendrai simplement une étoile. » Anatoli Koudriavitski vit actuellement en Irlande mais c’est son territoire d’origine qu’il brocarde sur le mode de l’antiphrase caustique : « Dans notre ville, tous les baromètres indiquent ‘’beau temps’’ / Quel que soit le temps. / […] Les méchantes langues disent que les horloges pleurent ; / mais pourquoi devraient-elles pleurer ? / Chez nous il ne se passe jamais rien. / D’ailleurs, c’est le nom de notre ville : La-Ville-Où-Il-Ne-Se-Passe-Rien. / Récemment, on nous a mis sous globe de verre. Parfois, quelqu’un vient nous observer. Quelqu’un de grand. Dieu, ou peut-être un enfant. » Polina Barskova, de Léningrad, vit aux USA. Elle manie l’humour noir sarcastique : « Maman que ferons-nous demain / Bouillon de Pouchkine boulettes de Tchekov / L’eau il faut aller la prendre au Léthé / La ville s’est teintée d’ordures éclatantes… » Viacheslav Koupriakov, un des pionniers du verslibrisme russe,  vit à Moscou. Il manie le paradoxe sans ménagement pour évoquer les réformes de la Russie nouvelle : « Maintenant il y a plus de liberté / On a blanchi le plafond dans les cellules / Elles semblent plus spacieuses // On a supprimé  les barreaux des fenêtres / Sauf qu’on a aussi supprimé les fenêtres / Mais ça permet de prêter plus d’attention aux portes // On a surélevé les murs / Maintenant dans la cour de la prison / On peut lancer le ballon /  Plus haut. » La lobotomie intellectuelle généralisée est évoquée métaphoriquement : « Ma langue qui a survécu / à la tour de Babel / à toutes les tours / d’ivoire / désormais repose / muette sous le poids / de la tour de télévision. » Tous les poètes présents dans l’anthologie n’ont pas la même vigueur de langue, certains se caricaturent eux-mêmes dans leurs excès, d’autres dans leurs éclats de narcissisme ou de dégoût d’eux-mêmes. Dmitri Tonkongov, rédacteur à Moscou de la revue Ariov, pratique un absurdisme jubilatoire, mettant en scène Gogol, Blok, le Christ, Bounine, etc. dans des scènes cocasses : « ton Mandelstam, parole d’honneur, / c’est la copie de De Funès en triste… »

 

 

 Le sentiment du désastre pousse d’autres voix vers une indignation plus marquée, jusqu’à la colère. Evgueni Evtouchenko, célèbre dans les années 60 pour sa poésie oratoire, est de ceux  qui stigmatisent l’abêtissement mondialisé : « Et, nous pourléchant les babines, / tels des misanthropes carnassiers, / deviendrons-nous, enviant leur shopping, / le zoo d’une Europe sans visas, / grognant sous clé en cages séparées ? » Plus explicite encore : « nous vivions en otages d’un but mensonger. / Maintenant les idées sont défaites comme des lits. / Nous sommes les otages non d’un but, / mais d’une absence de finalité. » Boris Khersonski, poète ukrainien, psychiatre à Odessa, écrit en russe. Sa lucidité le pousse vers un engagement contre le crime organisé. Il évoque l’assassinat de la journaliste  Anastasia Babourova et de quelques autres sans les nommer : «  il se trouvera toujours / un jeune homme en cagoule avec deux trous pour les yeux, / armé d’un pistolet de type militaire, / parce qu’il est un soldat, un exécutant, tout ce que vous voulez, / mais pas un assassin […] / là c’est purement technique, il suffit / de sortir de la foule, de se mêler à la foule. // Ne tirer que le strict nécessaire. » Vitali Poukhanov, lauréat du prix Mandelstam, remet en question les vérités officielles, interroge avec une ironie amère : « les années 90 sont finies depuis quand ? » Dmitri Alexandrovitch Prigov, un des fondateurs du conceptualisme russe, évoque la période stalinienne sous forme de dialogues nonsensiques entre les chefs historiques de la Révolution ou encore compose un tableau comparatif lapidaire entre deux époques : « Avant, disons que c’était dur / D’une certaine façon / Mais stable, solide / Et maintenant il y a plein de cadavres / Qui hurlent dans le fossé / Politiques / Et pas seulement politiques / Mais disons poétiques / Et des cadavres tout simplement. » Oleg Tchoukbontsev, poète néoréaliste moscovite, se livre à une méditation existentielle et politique, avec une touche fantastique : « Tous hurlent dans les friches, mais si l’on y regarde de près / le soc retourne  une multitude de monstres réveillés / […] des sphinx bizarres en casques de l’armée rouge / aux têtes de chiens granitiques / […] et un acteur sauvage joue les staline / labourant le désert avec un racloir de croque-mort. »

 

 

 Certains poètes se tournent vers la transfiguration du réel. Iouri Arabov, scénariste des films d’Alexandre Sokourov, auteur d’une poésie baroque aux métaphores expressives et insolites, livre une réflexion allégorique : « Mais dans tout désert l’ombre d’un ascète / se mue en cadran solaire. / […]  que dire pleurant / sur ce monde ? Sur le match éclair de la vie / qui se déroula dans le flux de la peste et du déclin ? / Qu’on peut vivre sans respirer,  sans mot dire. / Qu’on peut vivre sans l’espoir, qui meurt le dernier / mais n’engendre rien par lui-même. » Ou bien, il se représente, le pas suspendu, saisi par le doute : « Moscou gonfle comme un gâteau noir. / Entre le génie et les bêtes, / Je me tiens face au passage à piétons édenté. » Guennadi Aïgui, un des représentants majeurs de l’avant-garde des années 60-70, montre sa capacité à faire surgir des fulgurances, tel cet éclat d’érotisme intitulé Vision dangereuse : « Ô stridente - tout à coup - / béance : la rose / du bas-ventre. »  Mikhaïl Aïzenberg, architecte de formation, membre du groupe Almanach,  s’abandonne à une contemplation intérieure, avec retenue : « Ce qui était hier une arche, / le temps s’en empare et l’emporte. // Le vent souffle  sur les mers et les fleuves. // Je remets toute chose au bon vouloir des vagues. » Marc Chatounovski, né à Bakou, vivant à Moscou, recherche les correspondances sensorielles dans une tonalité agressive forte de l’héritage surréaliste : « les rues sont granuleuses comme des frissons sur la peau, / les immeubles marchent au pas et soudain se mettent à courir, / bande contre bande jaillis d’un coup de godillot sur la gueule, / la neige fidèle tel un chiot lèchera tes contusions … »  Elena Fanaïlova, médecin et journaliste, vivant à Moscou, prix Andreï Biely 1999, esquisse une imagerie baroque dans un autoportrait aussi délicat que morbide : « Je suis couchée dans un cercueil de givre, / Avec au front l’étoile de ton baiser. / L’amour enfoncera ses clous dorés, / J’ai peur de crier, j’ai peur des gens. » Olga Sedakova, enseignante à l’Université de Moscou, compose des textes d’une veine spiritualiste profonde. Dans un bel hommage à Khlebnikov, elle écrit : « Ce monde, comme un crâne, regarde : / nulle part, fixement. / D’un papillon, Vélimir, ou de manière encore plus brève / nous pavoisions les résidus. […] Le papillon s’envole et sur le ciel / écrit en sténo des hauteurs. » Enfin Andreï Voznessenski, un des poètes les plus populaires des années du dégel, garde toute son énergie, avec un sens aigu du symbole fort, dans une prière profane : « Préserve-nous Seigneur, de nouvelles arrestations. / Ce ne sont pas d’affreux barbares qui ont brisé notre Rome. / Préserve-nous, Seigneur, de l’auto-barbarie. / De l’auto-barbarie, sauve-nous, Seigneur. […] Sur les ruines de l’auto-barbarie, / qu’on n’inscrive surtout pas nos noms. » Dans un autre poème, des images audacieuses et expressives rehaussent le portrait d’un balayeur aux gants blancs évoqué en action sur la plage de Riga : « Tout ce qui résonna, tout ce qui est figé, / les empreintes des âmes, / est ramassé par ce révolutionnaire / aux gants immaculés. // La voile jaillit comme un doigt. / La mer est en bigoudis. / Décolleté hardi / d’une mouette sur le sein du ciel. »

 

 

 On n’aura retenu qu’une part congrue de ce bel ensemble édité et présenté avec grand soin par les deux traductrices qui, d’une langue à l’autre, semblent avoir su garder la force initiale, l’impulsion du souffle à vif. Grâce à la volonté tenace de la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, la revue Bacchanales est l’une des plus belles publiées aujourd’hui en France. Cette livraison est enrichie en outre des encres de lumière du graveur et bibliophile Marc Pessin dont Pierre Vieuguet, directeur de la publication et poète lui-même, écrit : « Matière noire étirée d’un seul geste, lente maturation minérale ou végétale, séquences vertébrées comme un cycle de vie et ses vingt-huit maisons de la lune qui font tenir l’homme et la femme debout. »

 

Ce bel ouvrage propose un panorama exceptionnel de la poésie russe de ces dernières années.

 

 

 

* paru dans la revue EUROPE n° 983 mars 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balise 74-

« Ce qui importe, c'est qu'avec le monde on fasse des pays et deslangues, avec le chaos du sens, avec les prés des champs de bataille, avec nos actes des légendes et cette forme sophistiquée de la légende qu'est1'histoire, avec les noms communs du nom propre. Que les choses de 1'été,1'amour, la foi et l’ardeur, gèlent pour finir dans 1'hiver impeccable des livres. Et que pourtant dans cette glace un peu de vie reste prise, fraîche, garante de notre existence et de notre liberté.»

PierreMichon

15:00 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michon, pierre

Lu 79 - André Velter - Avec un peu plus de ciel (Gallimard)

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 Entrer dans un livre d’André Velter relève toujours de la mise en route. D’une sortie « des éclairs plein les poings / la tête à l’abordage », tant ils sont travaillés par un « futur intérieur », un « futur infaillible ».

 Avec un peu plus de ciel* ne déroge pas à cette mise en mouvement d’un qui ne « (sera) jamais à quai » dans la poésie telle qu’on peut en parler sans la vivre – Il faut lire la belle adresse à Antonio Machado depuis sa tombe où il tient, grâce à une boite aux lettres toujours en éveil, « table ouverte » par delà la mort et le temps, à Collioure. Et il la vit André Velter, la poésie. Au plus noir de leur écriture, ses poèmes gardent rythme, souffle et chant. Imaginez, vous êtes chez vous, vous lisez et la voix monte jusqu’à passer la barrière de vos lèvres tellement le désir de s’arracher au papier emporte les mots d’André Velter vers la parole à voix haute, celle qui fut toujours sa belle querelle. Monte aussi à la pensée de qui lit « entre les lignes / ce qui se décline en arpèges en énigmes » la sensation d’une lumière plus vive, celle soudaine d’un bleu revenu au plus incertain comme au plus sombre d’un ciel à basse fréquence.

 Avec un peu plus de ciel n’est ni un bloc de papier, ni un bloc de marbre mais bien l’œuvre d’un « alchimiste » qui transforme le sang – le sens au plus près ! – en mots comme l’autre « qui sait le prix du sang / à l’heure abrupte de Séville » quand sonnent les cinq coups dans l’après-midi entre les cornes des Mères disait Lorca.

 La poésie d’André Velter est une poésie dans laquelle le corps est engagé.  Si c’est «  à mains nues » qu’on affronte les parois, qu’on grimpe, qu’on « (escalade) la nuit » quand la nuit est la flèche de Notre Dame de Paris et qu’en toute illégalité, on va, « le souffle (faisant) corps avec le vide », « à la verticale de soi », c’est aussi « à mains nues » qu’on écrit, qu’on tâtonne sur la page où creuser la langue est – verticalité inversé – descendre au plus obscur de soi-même.

 La poésie d’André Velter est une poésie de coups de reins – « D’un simple coup de reins / j’ai dévié la mort » écrit-il – de contretemps, de suspens qui brisent ainsi le cours du dire et qui voient l’élan initial renaître comme si la source du mouvement était prise dans le mouvement lui-même, qui tirait vers le haut à l’aide de ces « mots funambules » qui font vibrer la corde du poème.

 Le corps qui monte comme le poème qui va s’écrivant sont tous deux arc tendu par deux forces de sens contraire. Si l’une tire vers le haut, l’autre tire vers le bas. Au point de rencontre, si le risque est celui de la chute, il est aussi la condition, dans « une éclaircie des muscles des os », d’un « sursaut hors de tout » jusqu’à « ce plus de ciel » sur quoi ouvre et le sommet et le poème. Ce sont là des moments où, flèche décochée, on peut sentir son « âme à la verticale ». Oui, André Velter a le sens de la verticalité. Il sait ce qu’il en coûte de se redresser, de se mettre debout et d’aller vers ces instants où, « grain de sable / dans le bec d’un oiseau », l’éternité vient sidérer le temps d’ici, ouvrant alors sur ce « réel inouï », cette plénitude d’être qui, débordante toujours, passe comme cet « un peu plus de ciel » dans cette nuit de Notre Dame de Paris, quand la nuit est toute la nuit et qu’elle « ne cache rien », qu’elle « ouvre son baiser sombre / son brasier d’étoiles filantes » comme dans ces « partitions funambules » que sont les poèmes où les mots « changent sans cesse / la texture subtile du monde ». Là, « à une corde près », détaché de tout, « tout est là qui n’attend pas ». « Présent et enfui / sous l’archet qui reprend ses errances ».

 Alors que les temps sont à l’asphyxie. Que l’on étouffe sous les mensonges, les vilenies, les mots dévalués ou perdus. Lire André Velter, c’est  prendre quelques grandes bouffées d’air – coups de vent, c’est coup d’âme ! - et respirer avec son cœur « dans une reprise de violoncelle. »

  *André Velter, Avec un peu plus de ciel, Gallimard, 10 euros


 

 

12/07/2012

In Memoriam Bernard Mazo

Au moment où j'apprenais la mort de Bernard Mazo - en ce 07 juillet 2012 - une hirondelle "(rayait) la grande poésie,in memorian,bernard mazovitre bleue du ciel", ici, dans mes montagnes.

Très vite, j'ai repris les notes de lecture que j'avais ecrites sur le poète discret qu'il était, le plus souvent au service des autres, toujours soucieux de transmettre cette poésie qui devait lui permettre de toujours  mieux vivre. J'ai retrouvé son rêve: "n'être plus / désormais / que le vol furtif / de cette hirondelle /  rayant / la grande vitre bleue du ciel."

Voilà que c'était fait!

Je redonne ici en hommage la note de lecture que j'avais consacrée à La cendre des jours paru en aux éditions Voix d'encre avec des lavis d'Hamid Tabouchi:

"Poète, on sait Bernard Mazo homme de patience. Sa lenteur à publier – son dernier livre, Cette absence infinie, au Dé bleu, date de 2004 – est veille obstinée sur la langue et souci de composer non un recueil mais un livre, bâti comme on choisit les pierres du mur que l’on entend dresser moins pour séparer que pour pouvoir retenir les terres et s’adosser à lui afin que file, libre et tranquille, le regard. Au loin.

Armé, ce livre l’est d’abord par les toujours belles reproductions auxquelles Voix d’Encre nous a habitués dans toutes ses productions – Ici, ce sont des lavis d’Hamid Tibouchi dont les tons grisés de mousseuses écumes font vibrer les noirs – ensuite, par les paroles choisies par Bernard Mazo d’Héraclite à Yves Bonnefoy qui ouvrent les différentes sections de cet ouvrage. Lavis et citations sont moins clés qu’armure, et qu’on veuille bien entendre ce mot en son sens musical comme ce qui détermine la tonalité d’une partition.

J’aime la posture de Bernard Mazo, j’en partage la cambrure, c’est celle qui pose en ouverture : « l’espoir est une veilleuse fragile », poème qui « sur cette terre vouée au désastre », « au cœur de la nuit carnassière » lève haut l’endurance de l’homme à tenir comme chance à venir : « nous tenons nous résistons / nous nous arc-boutons / contre vente et marées » à partir de « l’ombre désespérée de la beauté » qui traverse les mots du poème. Les redressant, ils redressent les hommes que nous nous efforçons de toujours plus devenir. « Désespérée » car « le poème / ne peut se fonder / que sur ce qui est / condamné à mourir ». C’est qu’en effet le monde se défait comme travaillé par les forces du déclin. Nous voyons cela. Aussi ne pouvons-nous que tenter – Et c’est toujours à reprendre, à recommencer. C’est pourquoi Bernard Mazo avoue : « C’est toujours / le même poème imparfait / que j’écris et réécris «  - de « nommer ce qui va s’effacer », cette « insaisissable beauté / du monde », soit cela qui nous saisit, nous transit, avec quoi nous fusionnons dans l’instant, cette « inespérée » qui ne cesse de se défaire dans les mots qui prétendent articuler sa présence.

Le poème qui, pour Bernard Mazo, « n’est pas / seulement / le poème / mais la mémoire / préservée / du monde », est cendre où il y a de quoi protéger pour qu’elle dure, la graine du feu.

Bernard Mazo ne pousse pas la voix, ne hausse pas le ton. Il va inquiet et fragile, avec simplicité, amant définitif de la poésie qui à ses yeux reste « la seule à (inscrire) / dans la chair des vivants », « la seule trace durable », celle de « l’obscure rumeur du temps » comme de « l’éblouissement / du premier matin. »

Traverser le monde, traverser la langue, sans « (réveiller) les dieux », sans « renoncer » même si « la vie / nous oppresse », en résistant à tout ce qui nous défait, en espérant « trouver / la parole juste / pour pleinement / exister / combler / le manque / ressusciter / la respiration légère / des choses », c’est traverser certes un champ de ruines mais au moins celui-ci est-il « un labour ensemencé », selon les mots de Jacques Dupin, prêt, dans l’attente de la rencontre avec « l’absente », « l’inespérée », « bel oiseau frémissant / que la beauté foudroie ».

Bernard Mazo l’appelle « Poésie » !"

 

06/05/2012

Lu 78 - Serge Pey & Joan Jorda, Les poupées de Rivesaltes, Quiero éditions

Pey, Jorda, camps de Rivesaltes,poésie, peintureSerge Pey, l’homme de la poésie-action, des bâtons à parole levés contre toutes les injustices, tous les enfermements et Joan Jorda, peintre, sculpteur et graveur dont l’œuvre est toute emportée par la force d’une « révolte permanente » à l’égard du cours du monde. Tous deux catalans « retirés » à Toulouse. La « retirada », rappelons-le, fut ce moment du temps qui jeta les républicains espagnols sur les routes de l’exil et dans « les camps gardés par l’armée française ». La liste en serait longue, le titre choisi pour ce livre de dialogue entre un poète et un peintre évoque ce camp de Rivesaltes, en Roussillon, sur les barbelés duquel Serge Pey écrit que lui et Joan Jorda cousent des poupées, sous les yeux des soldats*.

 Pour faire tresse, il faut un troisième homme. Ce sera ici le metteur en pages des jeunes éditions Quiero, basée à Forcalquier (04), Samuel Autexier que je voudrais saluer pour cette mise en rythme qui du passé fait table mise pour la joie d’une cène athée, d’une « éternité / sans lendemain », celle de « l’anarchie qui est « la joie du poème » quand le poème est arrachement à la « doxa de l’idiotie intellectuelle », insoumission à la langue qui carapaçonne l’opinion, à la communication, cet ennemi le plus sournois » dont parlait René Char.

 Mise en rythme qui au moyen d’une typographie très originale, toute en noir et rouge, juxtapose le poème de Serge Pey, Les poupées de Rivesaltes à des textes et des lettres adressées à Joan Jorda sur la peinture, le poème et leurs enjeux, tout en faisant jouer ces mots avec les reproductions d’une vingtaine d’encres sur papier de Joan Jorda.

 Mise en rythme qui conspire contre la pétrification de la parole et libère le temps où peut s’entendre la voix de ceux qui ont « perdu la guerre et la république », voix des « vaincus qui ont eu raison » et qui fait que « leur défaite (sera) plus grande que leur victoire ».

 Il y a une colère rouge et noire dans ce livre. Elle court et se dresse dans les pages de ce livre, c’est celle de toutes nos « victorieuses défaites écrit Serge Pey.

 Il y a du désespoir dans les dessins et la peinture de Joan Jorda, œuvre toujours habitée par des êtres vivants, hommes/animaux aux corps douloureux comme il y  du désespoir dans les poèmes de Serge Pey, un désespoir qui sans espérance aucune fonde pourtant un espoir, celui d’un « présent éternel » et qui au bonheur préfère la joie qui éclate toute dans « l’éternité des moments ».

 Dans ce livre, le plaisir du texte et des images s’est fait corps.

 Ici, vous en verrez deux qui tapent du pied, l’un en écrivant ses textes qui seront proférés lors de telle ou telle mise en action ; l’autre en dessinant et peignant « ce qui reste quand on s’est débarrassé de tout ce qui est beau ».

 Ici, vous en entendrez deux qui s’efforcent encore et toujours de « trouver l’homme à l’intérieur de l’homme ». De quoi trouer l’actualité du moment, non ?

  * Serge Pey & Joan Jorda, Les poupées de Rivesaltes, Quiero éditions, 22 euros

 

 

 

 

 

Turbulence 51 - Questions...

En quel dehors trouver la force qui rendrait possible un devenir soit ce qui intéresse non notre avenir mais notre présent? Quelles pratiques revisiter, inventer pour participer à sa construction? Que peut la poésie?