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04/08/2012

Lu 82 - Eros émerveillé, Anthologie de la poésie érotique française, édition de zéno Bianu, Poésie / Gallimard

zéno bianu,poésie érotique,anthologieCélébrer l’amour la poésie le peut – italiques et absence de virgule rappelleront ici le titre du livre de Paul Eluard – cette Anthologie de la poésie érotique française, le poète Zéno Bianu en signe les choix et une éclairante préface – clin d’œil à Sade – « la poésie dans le boudoir », celui de la langue bien sûr parce que c’est là que ça se passe. Vraiment !

Oui, louer Eros , la poésie le peut. Et ce dans toutes les dimensions que présente cet enfant de Poros et Penia tel que nous le montre le mythe de sa naissance conté par la Prêtresse de Mantinée, Diotime, dans le fameux Banquet de Platon. Poros, le père, du côté de la ruse, de l’invention, de la techné, du passage toujours possible, des lueurs ; Penia, la mère, du côté de la pauvreté, du manque de formes, de l’indinstinct, de l’obscurité. Eros, le fils, par sa nature même est un démon. Il lie et délie les corps, les mots. S’il manque toujours, s’il tombe toujours, il se relève et du déséquilibre fait avancée possible, chemin vers toujours plus de vie, de vigueur.

C’est lui dont il est fait l’éloge dans ces quelques 600 pages, ces 350 poèmes, ces quelques 200 auteurs élus par Zeno Bianu entre 1536 et 2010 soit 5 siècles de poésie française. On ne lui reprochera pas de faire commencer cette « exploration du territoire amoureux » au XVIeme siècle. Chacun sait qu’à l’arrière, troubadours et trouvères, hommes et femmes de langue d’oc et d’oïl, avaient ouverts maints chemins de délicatesse comme de verdeur de langue en ces contrées où l’amour de la langue se renverse en langue de l’amour.

Roland Barthes écrivait que « l’érotisme, (c’était) quand le vêtement (baillait) », eh bien, l’écriture poétique quelque soit les siècles, les formes, le mode de travail de la langue – et on le voit bien à feuilleter, ce gros volume qu’il faudra prendre à la diable, « à sauts et à gambades », avec légèreté et envie toujours - fait bailler la langue et ces ouvertures donnent sur l’inconnu qui devant soi engage le vide où se connaître soi-même toujours davantage et davantage toujours car par un effet de glissement, il se dérobe au dernier moment. Reste la force qui traverse, passe et n’a d’autre chair que celle des mots du poème quand un « nœud rythmique » les tient selon les mots de Mallarmé et dans lequel il voulait voir l’âme. C’est elle qui ici est invitée, au fil des siècles, dans les poèmes à la fête des sens. Eros émerveillé est son nom.

 

20/11/2011

Lu 72 - Mon beau navire ô ma mémoire, Un siècle de poésie française - Gallimard 1911-2011

 

Couv-Anthologie Gallimard.jpgEncore une anthologie ? Une anthologie consacrée à la poésie d’expression française du siècle dernier dans toute sa diversité et sa richesse ? Ici, nul axe de rencontre n'est privilégié - tous les choix formels et esthétiques, tous les tons se côtoient - le seul critère est éditorial: en effet, tous les poètes – 100 poètes, 100 poèmes pour 100 ans de poésie! – appartiennent au fonds poétique Gallimard, Antoine Gallimard se chargeant d’ailleurs lui-même de la préface.

 

Insistons sur le fait qu’ à l’exception de quelques noms toutes les grandes voix d’encre de ce temps sont là suivant un ordre alphabétique aussi simple qu’efficace.

 

Le vers d’Apollinaire qui fait titre invite à une odyssée: retour à quelques grands textes comme à quelques autres oubliés. Poésie, fille de mémoire !

 

Cet ouvrage témoigne de la présence importante, essentielle de la poésie dans la fondation et le développement des éditions Gallimard qui fêtent leur centenaire et de cette belle vitalité de la poésie, si l'on entend par là cette écriture acharnée à travailler la langue pour lui arracher une parole qui, sur fond d'abîme, tente de dire le présent, cette question.

 

 

 

10/04/2011

Lu 64 - Les poètes de la méditerranée, Anthologie - Poésie / Gallimard

Couv de Les Poètes de la027.jpgCette Anthologie établie par Eglal Errera regroupe 4 générations de poètes contemporains tous « amarrés à leur langue » ; 17 langues, 5 alphabets – Notons , et c’est là la première originalité de cette édition, que figurent, face à face, le poème en sa langue originelle en regard de sa traduction française ; 24 pays : des villes, des ports, des îles… ; un traitement égal de 5 pages est réservé aux 101 poètes comme on dit les « mille et une nuits », histoire de faire signe vers cet inachevable caractéristique de l’entreprise.

C’est à un voyage que nous convie Eglal Errera en accord en cela avec le titre même de la belle préface d’Yves Bonnefoy : « moins une mer que des rives ». Ainsi on part d’Athènes vers l’est : Turquie, Israël , monde arabe avant de remonter via l’Espagne, la France, l’Italie vers la Macédoine, ouest où le soleil décline.

On parcourt des terres, plus qu’on ne navigue. C’est l’autre originalité de cette anthologie que d’avoir choisi non la mer et ses appels répétés vers l’ailleurs ; non l’ivresse poétique de l’au-delà des Colonnes d’Hercule aimantée par cette « île des bienheureux » dont parlait Pindare et qu’évoque Yves Bonnefoy lorsqu’il nous rappelle comment l’Ulysse de Dante finira par naufrager et se perdre lors de son second voyage en atlantique, mais bien la Méditerranée comme creuset de rencontres, chaudron d’échanges, lieu de comptoirs où le langage, les langues qu’on parle sur ces rives se trouve mis au centre et donc, en sa pointe, la poésie, « expérience fondatrice » écrit Yves Bonnefoy, pour la Méditerranée : la poésie comme mémoire de l’être, comme ce qui entend défendre l’idée que s’il y a certes encore de l’attrait pour l’Eurydice noire, perdue, il y a aussi, ici et là, sous le ciel, des choses, des êtres et leurs infinies relations à préserver des ravages du discours des médias comme de la pensée conceptuelle.

On ne trouvera pas dans cet ouvrage quelque pâle et mauvais accord de circonstance sous prétexte d’une Mare Nostrum et d’une lumière que l’on pourrait croire celle des premiers matins du monde . Ici, chaque poète dit à sa manière et dans sa langue cette terre de contrastes, cette réalité déchirée où pourtant chacun ancre son identité irremplaçable avant de dire ce que Salah Stétié appelle « la prodigieuse nuance séparée ».

La Méditerranée comme une chambre d’échos, une caisse de résonance. Résonance ? ce qui importe en poésie, non ?

 

Alain Freixe

02/03/2011

Lu 62 - Jorge-Luis Borges, Proximité de la mer, traduction de Jacques Ancet, NRF, Gallimard

Couv Proximité mer-Borges-Ancet.jpgL’avait-on oublié ? C’est le premier mérite de cette anthologie de 99 poèmes, La proximité de la mer, choisis et traduits par Jacques Ancet, de nous rappeler le fait : Jose-Luis Borges fut d’abord et avant tout poète. El hacedor, le poïetes, celui qui fait avec et dans la langue partager « cette imminence d’une révélation qui ne se produit pas », cela même qui définit le « fait esthétique » pour Borges et qui se tient là, à côté, Buenos Aires dans Buenos Aires, « l’autre rue, celle où je n’ai jamais été, c’est le centre secret des pâtés de maisons, les patios reculés, c’est ce que dérobent les façades (…) c’est cet air de milonga sifflé que nous ne reconnaissons pas et qui nous touche, c’esty ce qui s’est perdu et ce qui sera, l’ultérieur, ce qui nous est étranger, le latéral (…) ce que nous ignorons et chérissons. »

Se lancer dans la mise sur pied d’une anthologie, c’est forcément prendre parti. L’affaire redouble lorsqu’il s’agit bien évidemment de traduction, ce corps à corps des langues, puisqu’on sait combien un poète inflige un traitement particulier à sa propre langue. De cela, Jacques Ancet s’en explique dans une forte préface : belle et, à mes yeux, si juste !

Ici, nulle fidélité, toujours prétendue et qui finalement se résout toujours soit en une plate restitution du sens, soit en une poétisation forcée qui vise à faire du poème traduit quelque chose qui ressemble à l’idée préconçue que le traducteur se fait de la poésie mais bien « une infidélité sainte » - Et pardon en passant pour l’emprunt de ces mots à Hölderlin et utilisés hors contexte ! – puisque Jacques Ancet dit avoir choisi « la voie de la recréation ou trans-création, selon la belle formule d’Haroldo de Campos ». N’oublions jamais ce que disait Borges : « la palabra justa n’est pas le mot juste ». C’est pour cela que c’est plus l’oreille que le savoir qui a guidé Jacques Ancet. Se trouvent alors privilégiées, les vibrations, cela qui se joue entre les mots, cette résonance. Et c’est alors « l’intraduisible d’un autre corps » qui se trouve traduit, soit cela seul qui mérite de l’être.. Voie risquée mais la seule belle ! On l’aura compris, pour moi, Jacques Ancet a réussi magnifiquement sa traversée.

Dans ce livre, il y a du savoir et donc de la saveur. Le plaisir y est partout palpable, celui qui a su « être (lui)-même en l’autre et l’autre en (lui)-même ». La préférence de Jacques Ancet est allée aux « poèmes méditatifs et élégiaques en vers comptés et rimés ». On y rencontre des Haïkus, des tankas, des milongas, des hommages à Keats, Joyce, Spinoza, Emerson…et à Buenos Aires, « éternelle ainsi que l’eau et l’air ». On y retrouve des labyrinthes, des tigres, des miroirs, des « petites frappes », des guitares, des couteaux…On y goûte la pratique de ce double amour dont parlait Georges Braque qui disait aimer « la règle qui corrige l’émotion et l’émotion qui corrige la règle », cela qui fait le ton propre de la poésie de Borges. On y comprend enfin que certes la mer importe mais que compte surtout son approche, ces chemins qui mènent jusqu’à la proximité de ses abords. Ces chemins là sont poèmes et comme tels à vivre ! Par chacun d’entre nous. À vivre et donc inépuisables. Toujours proche la mer, comme le dernier mot ! Celle qui « unit et sépare » ne s’atteint pas. Dans le vers !