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10/10/2014

In memoriam Charles Dobzinski - II - Texte d'André Velter lu à la Maison de la poésie de Paris le 18 juin 2012

CHARLES DOBZYNSKI,

 AUX BASQUES DU DESTIN

 

 Voilà qui est très rare, cette force d’évidence,

 ces mots si simples qui sortent d’une si longue nuit,

 ce tempo intime sans effet aucun, sans autre écho que celui

 qui traîne de naissance et à vie aux basques du destin.

 

Être qui, être quoi, et moins que rien, et plus que tout, ce Juif qui se cherche ?

Comment devenir ce qui est imposé et donné hors de soi, malgré soi ?

Impossible de jouer avec ce Je là qui n’est pas un double ni un hétéronyme

mais un legs arraché aux exils, aux exodes, aux pogroms par les mains d’une mère.

Charles Dobzynski n’a pas à décliner une identité vraie ou fausse,

 il est par les lieux et les errances, par les convois et les commotions de l’Histoire

 toujours à se déprendre d’une partie prenante,

 toujours à casser les dogmes, à soigner son humour, à se défier de Dieu.

Avec ce livre d’une tenue qui tient du miracle,

il se révèle témoin majuscule du siècle des utopies sanglantes,

irréductible et juste voix de cette poésie vécue

qui engage l’être tout entier sans renoncer jamais à son pouvoir d’effraction.

 

Depuis les Feuillets d’Hypnos ou La Rose de personne,

 Je est un Juif* est une œuvre décisive comme il y en a peu

 dans le champ de la conscience et de la parole salvatrice,

surtout par temps de mise aux normes et d’amnésie programmée.

En fait, et tout uniment, Je est un Juif est un chef-d’œuvre.

 

* Charles Dobzynski / Je est un Juif / Éditions Orizons

 

 

 

07/10/2014

Turbulence 67- Menaces sur le salon du livre d'artiste de Lucinges

LETTRE OUVERTE
Monsieur le Maire de Lucinges,
Mesdames et Messieurs les élus,


 Tous les participants au 4° salon du livre d’artiste de Lucinges, les 4 et 5 octobre derniers, ont été choqués et attristés d’apprendre la probable disparition du salon ainsi que des manifestations culturelles et artistiques qui y étaient associées, élaborés par la précédente municipalité avec le soutien actif de Monsieur Michel Butor.
 En tant qu’artiste et éditeur de livres d’artiste, acteur culturel fidèle de cette manifestation, je souhaite exprimer mon désaccord avec ces dispositions. Certes, il n’échappera à personne que les temps sont difficiles, mais la littérature et le livre d’artiste ne font pas partie d’une culture élitiste. Nos rencontres avec le public nous montrent qu’ils sont ressentis comme un besoin. La littérature est encore (pour combien
de temps?) enseignée dans les collèges et lycées. Nous apportons au jeune public, par les rencontres et les ateliers, la possibilité de découvrir un patrimoine vivant. Le public adulte y puise des ressources de sérénité et de paix, des éléments de réflexion et de beauté que la société peine à offrir au quotidien face au flot de violences et de vulgarités.
Enfin, Monsieur Michel Butor représente ce que l’on appellerait au Japon «un trésor vivant», un humaniste d’une exceptionnelle générosité.
Le patrimoine essentiel que constitue son oeuvre ne doit pas être dilapidé. Il appartient à tous ceux qui s’intéressent à la poésie et la littérature, en France, mais aussi dans le monde. Il est essentiel d’en préserver l’accès et la visibilité, et nous en sommes tous responsables.

Avec mes respectueuses salutations,
Nîmes, le 7 octobre 2014,
Robert Lobet
Artiste, fondateur des Éditions de la Margeride

01/10/2014

In memoriam Charles Dobzynski - I -

charles dobzinskiCharles Dobzynski, poète, traducteur, animateur infatigable de la revue Europe, après avoir collaboré à Ce soir, Action poétique,aux Lettres françaises et à Aujourd'hui poème, est mort le 26 septembre à quatre-vingt-cinq ans. Il laisse le souvenir d’un homme engagé et une oeuvre considérable. La bourse Goncourt de la poésie lui a été attribuée pour l’ensemble de son œuvre en 2005.

 Aux éditions de l'Amourier, il avait confié 3 titres:  Le Réel d'à côté , L'Escalier des questions et La mort, à vif

En hommage à celui qui disait que sa conception du poétique était "un horizon qui tourne et que nous devons essayer de capturer dans nos recherches", j'aimerais reprendre ici un fragment de l'entretien qu'il m'avait accordé en 2006 lors de la réédition de son "Escalier des questions" et dont vous trouverez l'intégralité sur le site amourier.com, rubrique Basilic. Il s'agit du N°10 que vous pouvez télécharger).

Alain Freixe : Dans le chapitre intitulé “ Si je t’oublie Sri-Lanka ”, on apprend que cet escalier des questions renvoie à une légende affectant le rocher de Sigirya, qu’il est sans commencement, qu’il n’a de fin ni dans le ciel ni dans l’ultime goutte de la pluie ”. On apprend qu’il n’est pas orienté, que “ l’étage de la splendeur ” n’est pas plus en haut qu’en bas, double horizon toujours sous les nues. Pour l’homme qui marche, pour le poète, pour vous comme le disait l’un des beaux titres d’André Frénaud – bien injustement oublié à mes yeux – “ il n’y a pas de paradis ”…

Charles Dobzynski : L’Escalier des questions n’existe qu’en tant que mythe. J’ai forgé ce titre à partir d’un souvenir : la montée de l’escalier en spirale de l’étonnant rocher karstique de Sigirya, au Sri-Lanka. La paroi rocheuse que gravit cet escalier métallique est ornée de fresques anciennes aux sujets légendaires. Je n’ai pu atteindre la plateforme supérieure et ses lions de granit, surpris par un violent orage qui m’a contraint à redescendre en quatrième vitesse. Cette plateforme est “ l’étage de la splendeur ” où je ne suis pas parvenu, comme interdit par le destin. Cette mésaventure de l’interruption, sous la pluie battante et les éclairs, m’a posé le problème des commencements et des fins, des désirs et des velléités. Pour moi, l’escalier n’a jamais pris fin. Il est resté en suspens. Il est resté en question. Qu’aurais-je vraiment trouvé là haut, en supposant que j’atteigne ce qui est supposé être le paradis, un degré de l’altitude d’où la vue devient infinie ?

Alain Freixe : Ainsi donc s’écrit le temps. Marche à marche. Question après question. Sans prise. En prose ! Car sont poèmes en prose les marches qui composent cet escalier des questions. De courts récits souvent insolites qu’un humour aux arêtes vives met souvent en scène. On pense à Michaux, à Monsieur Plume…

Charles Dobzynski : Oui, le temps s’écrit en marchant, en montant, parfois sans but défini. Mais on peut aussi, par la spirale de la mémoire, le redescendre en sens inverse et modifier du même coup la perspective. Nous avançons dans notre vie par degrés successifs et souvent par les degrés de questions non résolues, de mystères qui sont des marches dans l’obscur, et ces questions sont des brèches dans notre généalogie. Chaque bref récit a pour composante un souvenir, qui est en même temps le noyau d’une question. Certes, on y habite l’insolite. On y erre dans le dédale de l’étrangeté. C’est par l’étrangeté que l’on se découvre, que l’on repère sa singularité. Et l’humour aide à cisailler les barbelés des idées toutes faites.

Alain Freixe : Puis-je me permettre une dernière question, plus générale celle-là. Elle concerne la poésie en son présent. Vous êtes un homme de revue, engagé dans l’histoire de la poésie de ces quarante dernières années, comment décririez-vous le paysage de la poésie française d’aujourd’hui ? Vous-même où vous situeriez-vous ?

Charles Dobzynski : J’ai le sentiment que la poésie est aujourd’hui plus vivante que jamais, multiple, à l’école buissonnière des prédicats et des dogmes. Elle se cherche des ouvertures, des écoutes nouvelles, plutôt que des sophistications qui aboutissent à des impasses. Les écritures se font plus sensibles au réel, au subjectif, à l’intime redéployé. Les chapelles tournent au clan et les anathèmes d’un certain terrorisme esthétisant tournent à vide. Le paysage poétique est émaillé de réminiscences, de désirs, de pulsions amoureuses et d’une volonté de changer que ne favorise pas toujours l’émiettement des structures poétiques. Je me félicite de la diversité, de la pluralité des tendances. Mais le vers, fût-il autrement commandé, doit rester le vers, porteur, comme un fil, de l’électricité poétique. En ce qui me concerne, outre le travail critique que je poursuis à Europe et à Aujourd’hui Poème, en dehors de tout esprit de chapelle, j’essaie par la poésie de tirer un peu de lumière d’un puits sans fond. Je ne me situe que par rapport au devenir, à la liberté que je revendique, une liberté qui ne se contente ni du jeu ni du système de destruction des formes. J’ai été un enfant – tardif, c’est vrai, – du surréalisme, puis de la Résistance. Aujourd’hui, je refuse tout cadre préétabli, car je sais que je me transforme avec la poésie, avec l’écriture. Chaque étape sur cette voie, chaque livre, participent d’un mouvement qui est peut-être aussi un recommencement.