07/01/2013
Balise 81 - Walter Benjamin et l'Angelus Novus de Paul Klee
« L’ange de l’histoire […] a le visage tourné vers le passé… Il voudrait s’attarder,réveiller les morts, rassembler ce qui fut détruit. Mais une tempête souffle du paradis […] qui l’entraîne irrésistiblement vers ce futur auquel il tourne le dos. […] Cette tempête, voilà ce que nous appelons le progrès. »
Et nous restons là pris dans les vents contraires...
10:09 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : walter benjamin, paul klee, angelus novus
Turbulence 58 - Revenir au livre...
« Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé ldroit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles ; comme à moi, on lui a mis au coeur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. Où s'était posé le doigt, de Dieu, s'est appuyée la griffe du roi. Monstrueuse superposition. Évêques, pairs et princes, le peuple c'est le souffrant profond qui rit à la surface. Mylords, je vous le dis, le peuple, c'est moi. Aujourd'hui vous l'opprimez, aujourd'hui vous me huez. Mais l'avenir, c'est le dégel sombre. Ce qui était pierre devient flot. L'apparence solide se change en submersion. Un craquement, et tout est dit. Il viendra une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un rugissement répliquera à vos huées. (...) Tremblez. Les incorruptibles solutions approchent, les ongles coupés repoussent, les langues arrachées s'envolent, et deviennent des langues de feu éparses au vent des ténèbres, et hurlent dans l'infini ; ceux qui ont faim montrent leurs dents oisives, les paradis bâtis sur les enfers chancellent, on souffre, on souffre, on souffre, et ce qui est en haut penche, et ce qui est en bas s'entrouvre, l'ombre demande à devenir lumière, le damné discute l'élu, c'est le peuple qui vient, vous dis-je, c'est l'homme qui monte, c'est la fin qui commence, c'est la rouge aurore de la catastrophe, et voilà ce qu'il y a dans ce rire, dont vous riez ! »
Victor Hugo, L'Homme qui rit (1869)
10:03 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo
Michel Ménaché à propos de Benjamin fondane: 2 livres
Benjamin Fondane, poète juif assassiné, a porté vivant sa mort en bandoulière : « La mort était somnolente, oublieuse, / oubliée nappe d’eau enfouie dans l’âme - / et SOUDAIN elle vint, elle coula en moi / comme le lait vivant dans le sein de la femme. » (Ulysse) La mort carnassière et l’errance apatride, comme destin ou comme malédiction : « Tout seul je suis la route humaine. » La métaphore creuse son sillon dans toute l’œuvre poétique, tragiquement interrompue en 1944 : « Juif, naturellement, tu étais juif Ulysse… » De la mystique juive à la révolte existentielle, suivre Fondane, c’est d’abord se garder des raccourcis à l’emporte pièce, aller au-delà des lectures fragmentaires du poète de « l’expérience du gouffre. » (Publication posthume : Baudelaire et l’expérience du gouffre). Et c’est désormais possible.
Après Le mal des fantômes, ouvrage réunissant l’œuvre poétique écrite en français, préfacé par Henri Meschonnic (éd. Verdier, 2006), les premiers poèmes en roumain, suivis de Le Reniement de Saint-Pierre sont enfin disponibles. Ces textes concernent la période 1917 – 1923.
La Bible est le creuset des premiers thèmes développés par le jeune poète habité par le destin singulier des populations juives depuis la diaspora et les mythes fondateurs. Dans Ultima verba – Le chant de Samson : « dans mon sang bouillonnant, tel un torrent de lave, / jaillissait, suave, / l’impérieuse verve de mon aïeul Adam. » Le poète prête à Samson un lyrisme effervescent, charnel, pour célébrer, avant la mort, sans la nommer, le corps éblouissant de celle qui le livra aux Philistins : « Oh ! / tu as dans le corps le parfum des nefs océanes, / dans tes yeux et, tels la fleur du citronnier, tes cheveux, / dans tes yeux, / ensanglanté, le crépuscule embrase son corail. / Dans ton corps, comme en automne, les bourgeons souverains / ont rompu tant de digues, ont éclaté plus vivants, / comme les grappes rouge sang / du raisin. » Solitude encore, sentiments d’exclusion et d’humiliation, son propre corps perçu comme souillure de la terre, dans Le psaume du lépreux : « Qu’ai-je fait, Seigneur, pour que tu ravages d’abcès / tout mon corps, comme les crapauds de pustules - / en quoi ai-je péché - […] pour que même tes petits enfants me jettent des pierres, / et pour que les vierges aux hanches fermes, / avec effroi détournent leur visage de moi. » Symbolisme sombre ou lumineux dans des monologues intenses, tel celui de Balthasar, ce roi qui veut donner sa fille à Daniel mais s’adresse à un interlocuteur absent : « Les hommes sont-ils devenus des illusions ? / Ou bien mon cerveau engendre-t-il des hommes ? / […] j’en suis venu à converser / avec les ombres ? » Images paradoxales, oxymores insolites, comme dans Le Psaume d’Adam : « Ma terre est encore mouillée de soleil… »
Fondane est Samson révolté, Adam, acceptant le sacrifice d’Abel, Balthasar dans l’obscurité, David amoureux, le lépreux dans sa détresse, etc. Prophétique, il questionne l’Univers, apostrophe Dieu, comment se peut-il que « le plus cruel des fauves, / il le gorge de chair humaine… »
La série des Paysages développe des élans panthéistes comme autant de miroirs intimes, la pluie, l’argile et l’âme en abyme, la solitude en archipel : « Je n’attends que la pluie et personne d’autre à ma porte. » Ou encore, privé des quatre fleuves coulant autour du jardin d’Eden, il les évoque jusqu’au dernier : « L’Euphrate soufflant dans les narines des crocodiles. » Des images somptueuses émaillent les évocations : « Sur les emblavures le maïs roussit / dans la fournaise d’or de la sécheresse. »
Riche de symboles forts, de tournures anaphoriques, lancinantes parfois, cette écriture toute pénétrée de culture biblique n’en est pas moins chargée d’émotions intime, d’angoisses existentielles vécues à travers les voix mythiques de l’Ancien Testament. La traduction rend compte de ces connotations mystiques en fusion avec la tonalité charnelle des poèmes. Toutefois était-il nécessaire d’imposer la rime dans la version en français de quelques uns des poèmes de facture plus traditionnelle. Cela aboutit parfois à des choix artificiels ou pour le moins contestables : « les arbres… oblongs » pour rimer avec « étalon » ! ou encore « la démarche monotone » pour rimer avec « automne. »
Les Evangiles puisant dans le même terreau historique et mythologique nourrissent aussi ces premiers écrits de Fondane en roumain. Fondane se réclame alors de l’art pour l’art et prétend composer Le Reniement de Saint-Pierre comme une exégèse, voire un essai d’« éclaircissement sur le symbolisme. » Le triple déni de Pierre d’être un disciple de Jésus l’amène à se comparer à Judas. Si Judas a trahi Jésus pour trente pièces d’argent, Pierre confie : « Moi, je t’ai vendu pour rien. » L’œuvre qui se veut « amorale » est un monologue entrecoupé de dialogues mettant en scène l’apôtre avec des serviteurs, puis Simon, en incluant l’épisode de l’oreille de celui-ci tranchée par Pierre lors de l’arrestation de Jésus et qu’il vient lui réclamer ! S’il veut sauver Pierre, c’est qu’il est convaincu que le miracle de la restitution est possible… Ce qui intéresse ici Fondane est moins le point de vue évangélique que ce qui est en train de basculer à l’intérieur même du judaïsme ébranlé par l’occupation romaine.
Le court essai de Jérôme Thélot : Ou l’irrésignation / Benjamin Fondane (l’inversion des termes du titre constitue une première interrogation en suspens !) présente Fondane, penseur existentiel, insurgé contre la mort, s’inscrivant dans la grande tradition prophétique juive, prenant parti pour Artaud contre Breton, poète avant d’être philosophe, « au plus près de sa fureur, » ami et disciple de Léon Chestov. Le philosophe, Léon Chestov, en effet, guida les lectures du poète, son unique disciple, lit-on parfois, tant le destin de ces deux exilés solitaires fut proche. Jérôme Thélot précise que la « conscience malheureuse » exaltée qui caractérise toute l’œuvre de Benjamin Fondane, est une formule détournée de l’œuvre de Hegel. La condition humaine, telle que la perçoit le poète est « bornée par la mort, vouée à l’impuissance, condamnée à l’insatisfaction du désir et de la volonté, privée de plénitude et de liberté, soustraite à la vérité. » Pensée paradoxale qui vise à se libérer du malheur par la conscience même du malheur. Jérôme Thélot désigne les textes de Fondane comme des « torpilles bricolées de nuit » ou encore, réduit-il sa pensée éruptive à la « forme égarée d’un pénible entêtement, » et sa démarche intellectuelle, « au malheur comme méthode. » Si de telles affirmations sont pertinentes pour éclairer certaines facettes de l’œuvre, reformuler ainsi une pensée poétique est une gageure, aussi n’est-il pas étonnant qu’on se heurte là aux limites mêmes de l’analyse textuelle et que l’auteur de l’essai s’enlise quelque peu lui-même dans « le piège des postures antithétiques » du poète. En revanche, nous le suivons mieux quand il reconnaît en Fondane « l’héritier le plus juste » de Baudelaire et Rimbaud : « La sollicitude saura voir en particulier dans les coups de bélier du poète contre le mur des évidences, dans ses précipitations tête haute contre le principe de réalité, non pas des équivoques de sa colère ni des butées de son ressentiment, mais les suppliques fragiles – religieuses – et les sanglots d’une prière à la fin bouleversante. » La balance sensible de la prosodie et de l’affectivité mesure mieux dans l’œuvre de Fondane ce que les limites de l’exégèse systémique conduisent à appréhender parfois sur un mode réducteur, voire écrasant.
Fondane a exploré l’intranquillité permanente, il a ressenti (comme René Char) les limites de l’ascension furieuse du poème : « J’ai voulu être de cœur avec mon temps, de chair avec l’histoire. Pourquoi cette pente me fut-elle refusée ? » Son temps lui a arraché le cœur, l’histoire a réduit sa chair en cendres… Il avait vu très tôt monter la déferlante des périls.
Benjamin Fondane : Poèmes d’autrefois (traduits du roumain par Odile Serre), Ed. Le temps qu’il fait 17 euros
Jérôme Thélot : Ou l’Irrésignation / Benjamin Fondane, Ed. Fissile – Cendrier du voyage 8 euros
Note de lecture paru dans la Revue EUROPE n° 974-975 (juin-juillet 2010)
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31/12/2012
Turbulence 57- Vers 2013
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25/12/2012
In Memoriam - Il y a 30 ans mourait louis Aragon...
( * Lire, comme on s'endort est paru dans un N° de la revue Faites entrer l'infini en 2002
* 30 ans après la disparition de Louis Aragon, on lira un beau dossier dans l'Humanité du lundi 24 décembre 2012: articles de Marie-José Sirach, Roland Leroy, Nicolas Louton, , Jean Ristat et un entretien entre Alain Nicolas et Pierre Juquin.
Alain Nicolas signe un article en hommage à Michel Apel-Muller, initiateur de la recherche aragonienne qui vient de décéder )
Lire, comme on s'endort
"(…) l'éclat de l'image comme une plaie cachée qu'on dévoile"
louis Aragon
J'oublierai tout, ce soir. Je ne veux rien savoir de mes refus. Je veux juste poursuivre un rêve d'adolescence. Un peu plus bas que l'autre. Dans la pente.
Et donc oublier de louis Aragon tout ce que j'en sais ou crois savoir. Oublier tout ce que l'on a dit, ce que l'on dit toujours et dira encore, peut-être. Garder, en revanche, cette douce fureur quand rapaces et charognards volent trop bas et cette naïveté éperdue pour la poésie qui jette à genoux l'enfant fermé sur ses poings :
"oui, je lis. J'ai ce ridicule. J'aime les beaux poèmes. Les vers bouleversants, et tout l'au-delà de ces vers. Je suis comme pas un sensible à ces pauvres mots merveilleux laissés dans notre nuit par quelques hommes que je n'ai pas connus. J'aime la poésie".
Oublier le stalinisme, la leçon de Riberac, la Grenouillère et le reste. Garder comme un pays d'à côté, ces moments du Trou et l'Épingle, groupe surréalo-situationniste que nous avions fondé à deux pas de la frontière où reposent ceux qui n'avaient pu aller plus loin : Antonio Machado et Walter Benjamin, quand nous tournions autour de l'ombre qu'une corne de taureau - nous lisions aussi Michel Leiris! - pouvait faire sur nos poèmes, et que nous souhaitions jusqu'au bout comme l'Ignacio Sánchez Mejía s de García Lorca en son Llanto, "ne pas fermer les yeux" quand ils verraient "venir les cornes". Garder ce sens de "la cogida" - le mot dit la blessure et la surprise - du coup de faux quand le ciel est vide de toute lumière, du déchirement, de l'écart, cela qu'il appelle poésie :
"(…) cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux ouverts, ce domaine passionnel où je me perds, ce soleil nocturne, ce chant maudit aussi bien qui se meurt dans ma gorge où sonnent à la volée les cloches de provocation."
Garder l'image, ce "ah!" des yeux qui s'ouvrent. Fertiles, enfin. Garder ce merci et comme cette prière d'Aragon:
"Je n'ai jamais demandé à ce que je lis que le vertige…Aucune règle ne préside à ce chancellement pour quoi je donnerais tout l'or du monde."
Oublier les trahisons, les reniements, les bassesses. Laisser au secret sa part. Et garder très au-dessus des Lettres, l'amitié qui unit louis Aragon et Joë Bousquet, le veilleur immobile de Carcassonne. Garder son texte Introduction à la vie héroïque de Joë Bousquet, publié en 1942 dans la revue Fontaine, à l'horizon de mes jours, comme un texte, autre versant de celui qu'écrivit Maurice Blanchot à la même époque pour Le journal des Débats, sur ce livre que Jean Paulhan, dit-on, composa à partir des quelques mille pages manuscrites que lui confia Bousquet, Traduit du silence. Pour deux raisons au moins. L'une tient à son approche de l' acte de lecture et dont je me plais à partager la posture:
"Oui, je voudrais pouvoir lire Traduit du silence avec l'objectivité de l'ignorant, de l'inconnu. (…) comme on lit un livre trouvé dans une bibliothèque ou cet exemplaire de roman (…) qu'une femme a abandonné sur la banquette d'un wagon…Oui, c'est bien cela : je voudrais le lire comme de la littérature de chemin de fer…en prenant les mots comme ils viennent, en m'attachant à l'histoire contée, en me laissant emporter par les sentiments, en ne craignant plus de rêver entre les phrases(…)"
Et que ce soit comme se coucher nu dans un texte et laisser le sommeil venir. N'être plus rien pour que ce soit enfin le monde. Celui du temps qui fuit. Avec sa poésie, car "ce livre est cette poésie", écrit Aragon de Traduit du silence.
L'autre, à laquelle je tiens depuis que je lis et tourne autour de cet être-de-poésie qu'était Joë Bousquet et me perds entre ces livres, ses lettres, ses journaliers, ses phrases, ses images… , est une réponse à la question surgit de l'étonnement que l'on éprouve quand on se dit qu'il semble bien qu'il y ait dans une œuvre aussi mouvante comme une obscure tendance à demeurer dans les marges, dans une certaine clandestinité, quelque chose qui fait peur. L'hypothèse de Louis Aragon est qu'elle en dit plus que toute autre sur son temps :
"Pourtant peut-être jamais ne s'est exprimé plus vraiment que chez Bousquet ce mal mystérieux qui est bien celui de notre siècle, le siècle des guerres et des révolutions. (…) Le mal du siècle, notre mal du siècle, qui me contredira aujourd'hui, si je dis que sous les aspects fantastiques qu'il peut prendre, il faut lui reconnaître un seul visage et un seul nom : la guerre. (…) Il y a beaucoup d'hommes comme lui, et c'est pourquoi ce livre dépasse si singulièrement ce à quoi les critiques voudraient le réduire, et c'est pourquoi il dit bien plus sur notre temps, que des livres qui ont notre temps pour thème; et la guerre qui règne sur notre temps règne sur lui."
Elle régnait sur Bousquet depuis le 27 mai 1918!
Et l'on me dirait que l'on est sorti de ce temps? Que nos jours, nos amours se passent hors de "la grande ombre criminelle d'un temps maudit"? Quelqu'un prétendrait qu'il n'y a plus à escalader les heures, tirer sur les mains à même le rocher, écorcher ses lèvres aux pierres et mêler sa salive à quelques fleurs…et monter, se hisser dans l'ignorance de celui que nous serons au jour vertical du sommet ?
Aragon fut celui qui, au travers de bien des détestations, en quelques moments décisifs m'offrit la prise secourable.
19:37 Publié dans Du côté de mes interventions, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aragon, mort d'aragon, faites entrer l'infini, l'humanité, ristat
13/12/2012
Balise 80 - C'est, pensant encore à Jacques Dupin...
... que j'ai trouvé sur mes chemins de lecture ce poème de Paul Celan. Comment ne pas réentendre la voix de Jacques Dupin évoquant pour Emmanuel Laugier et moi le dernier appel téléphonique de Paul Celan, et le silence qui le conclut...Comment ne pas penser à Jacques Dupin "sous la forme d'un sanglier"?
- A gauche, le poème en allemand et satraduction par Valérie Briet dans De seuil en seuil chez Christian Bourgoiséditeur, 1991
- A droite, la traduction d'Yvon Belaval parue le 1er décembre 1966 dans la NRF, 14e année N°168
16:38 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul celan, jacques dupin
06/12/2012
Balise 79 -
« Si, sur ce plan, ma pensée procédait de quelqu’un, c’est – elle en procède toujours – du Jean-Jacques du Discours sur l’origine de l’inégalité et du contrat social. Il n’y avait déjà pas de cris de meute qui pût la faire dévier. Rousseau : je me dis même que c’est sur cette branche, pour moi la première jetée à hauteur d’homme, que la poésie a pu fleurir.»
André Breton, entretiens avec André Parinaud
14:31 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rousseau, breton, la passe du vent
Lu 86 - Commémorer rousseau
« Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions », c’était dans l’Emile en 1762 que Jean-Jacques Rousseau écrivait cela. Il y a 350 ans…Comment ces mots ne trouveraient-ils pas à résonner à nos oreilles d’aujourd’hui ?
Nous fêtons cette année le tricentenaire de sa naissance (c’était le 28 juin 1712 à Genève. Il mourra le 2 juillet 1778 à Ermenonville), Qui commémorer : l’homme à cheval sur le XVIIIème – siècle des philosophes, de la raison comme lumière – et du XIXème – siècle de la sensibilité, du rêve, de la poésie ? Qui commémorer, l’auteur du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, celui du Contrat social ou celui de l’Emile ou de l’éducation, des Confessions ou des Rêveries du promeneur solitaire ?
Si commémorer a un sens il ne saurait consister à s’extasier d’un passé révolu mais au contraire à lutter contre le temps des mémoires courtes, des temps précipités et donc à jeter l’ancre dans un passé pour y chercher assiette pour y voir ces questions dont il y a toujours à se nourrir, questions comme autant de forces qui veulent l’avenir, lancent leurs germes au loin. Tel est Rousseau qui de lui-même écrivait dans ses Confessions : « vivant ou mort, il les inquiétera toujours » !
Il faut lire, relire Rousseau précisément parce qu’il échappe à toute prise tant son souci de la vérité tient perpétuellement ouverte sa conscience. Là est sa posture.
Oubliés les jugements de Voltaire, Châteaubriand, Lemaïtre…oubliées les fausses querelles. Il y a une modernité de Rousseau, elle concerne aussi bien la société que l’individu. Il est celui qui ayant déclaré la souveraineté du peuple inaliénable a placé au cœur de tout régime démocratique le ver de la contestation radicale. Et parce qu’il est celui dont l’œuvre, les pensées sont toutes tirées de la vie, comment ces pensées ne retourneraient-elles pas à la vie pour s’insurger toujours contre tous ces primats qui nous assèchent corps et âme, primats économiques, financiers, terreau de toutes les injustices et les misères des hommes.
J’ai tardé ,certes. Je tarde souvent. Mais je ne voulais pas laisser passer cette occasion fournie par le calendrier pour signaler les publications des éditions de La passe du vent (Espace Pandora, 7 place de la paix, 69200 Vénissieux). D’une part, la réédition de son Essai sur l’origine des langues précédé d’un texte d’Abraham Bengio, un frère en humanité. Cet essai, écrit posthume et inachevé de Rousseau fournira matière aussi bien à Michel Foucault qu’à Jacques Derrida dans leur approche des questions touchant la parole et l’écriture. On a là en effet une réflexion très neuve qui valorise l’écriture et la disqualifie à la fois, qui en même temps qu’elle détruit la présence la réhabilite dans la mesure où elle promet la réappropriation de ce que la parole passant par le froid de l’écriture a perdu. Et d’autre part, un livre original Rousseau au fil des mots, 10 mots, 10 écrivains, 10 citations. Ainsi à partir des 10 mots proposés par « la Semaine de la langue française et de la francophonie : dis-moi 10 mots qui te racontent », - âme, autrement, caractère, chez, confier, histoire, naturel, penchant, songe, transport, envoi - 10 écrivains – Pierre Bergougnioux, Sylvie Fabre G., Philippe Lejeune, Emmanuel Merle, Samira Negrouche, Maya Ombasic, Marc Porcu, Jean-Pierre Siméon, Valérie Staraselski, Patrick Vighetti – présentent leur Rousseau.
Pour moi, j’en resterai à ces mots d’André Breton : « Si, sur ce plan, ma pensée procédait de quelqu’un, c’est – elle en procède toujours – du Jean-Jacques du Discours sur l’origine de l’inégalité et du Contrat social. Il n’y avait déjà pas de cris de meute qui pût la faire dévier. Rousseau : je me dis même que c’est sur cette branche, pour moi la première jetée à hauteur d’homme, que la poésie a pu fleurir.» et à cette invite : lisez Rousseau !
14:28 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rousseau, la passe du vent
Balise 78 -
"Rousseau est étonnamment conscient de l’aliénation qu’entraîne l’acte d’écrire, aliénation mauvaise, même si c’est une aliénation en vue du Bien (…) Jean Starobinski note parfaitement que Rousseau inaugure ce genre d’écrivains que nous sommes tous plus ou moins devenus, acharné à écrire contre l’écriture, « homme de lettres plaidant contre les lettres », puis s’enfonçant dans la littérature par espoir d’en sortir, puis ne cessant plus d’écrire parce que n’ayant plus la possibilité de rien communiquer."
Maurice Blanchot, Rousseau in Le livre à venir, 1959
14:23 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blanchot, rousseau
Lu 85 - Le retour d'Orphée
Orphée revient. Orphée est revenu. Il a changé de tête. Après celle que lui avait prêtée Arman puis Julio Pomar, c’est aujourd’hui Milos Sobaïc qui rend cette collection de poésie à nulle autre pareille, visible. Fondée en 1989 aux éditions de la Différence par Claude Michel Cluny – Saluons au passage la publication du premier tome de son Œuvre poétique qui regroupe les textes publiés entre les années 60 et 80 - elle avait dû s’interrompre en 1998. Se plier aux lois du Marché. 30 à 40 volumes chaque année, c’était folie selon elles !
Un temps seulement, s’il vous plaît !
La voilà de retour, forte de son ambition : collection bon marché (5 euros les volumes simples, 7 les doubles !) entièrement consacrée à la poésie : celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, celle d’ici et d’ailleurs – c’est si rare ! Les éditions de la Différence n’avaient pas voulu pilonner – c’est leur honneur ! – aussi ont-elles décidé de racheter les livres encore disponibles chez les soldeurs, de les remettre au catalogue et de publier de nouveaux volumes – Quatre sont déjà parus : Ulysse brûlé par le soleil de Frédéric Prokosch, Sur la terre comme en enfer de Thomas Bernhard, Chant de Weyla de Eduard Mörike et Ici mon désir est ma loi de Théophile de Viau.
La voilà devant moi, à Sète, cet été lors des Voix vives de la Méditerranée en Méditerranée. Le stand était impressionnant. Un arsenal, oui, comme un de ces bâtiments où l’on entretient – plus de 200 titres anciens – et produit – ce sera 6 par an – armes et munitions. Toutes choses nécessaires pour cet « humain voyage » dont parlait Montaigne et pour ce « combat spirituel aussi brutal que la bataille d’hommes » dont parlait Rimbaud et que chacun mène à sa mesure. A sa main.
Orphée, un arsenal de livres où l’on peut faire provision de ces munitions qui si elles ne nous permettent pas d’élucider un présent qui nous fuit toujours et nous fuira encore, au moins nous permettent de tenir au plus près de ces points d’émergence, là où ça bascule. Où ça pourrait basculer. Il y a là de quoi résister. De quoi tenir face au travail de la mort.
Orphée, des livres qui éclairent les intérieurs et les mettent en mouvement. Des livres qui espacent le cœur et dans cette ouverture renouvelée le rendent à sa respiration propre.
Rendre l’homme plus heureux ? La poésie ne le peut. Mais le rendre plus humain en lui donnant la capacité de pouvoir se saisir comme mise en question de sa propre existence, c’est là sa chance .
Orphée, c’est la poésie même, celle qui sait accueillir tout ce qui est autre, faire place à tout ce qui reste, libérer et tenir « l’inconnu devant soi » dont parlait Char.
Ne croyez pas ceux qui vous disent que la poésie ne prend pas le monde en considération. Elle le prend depuis ses arrières. Dénoncer les tyrans, les bourreaux, les assassins, tous ceux qui aident au désert, elle le fait quand elle se tient, assoiffée de réel, au plus près d’elle-même, faisant signe vers le chemin de la vie qu’elle devine, la langue sur le dos. Car elle la porte, l’emporte et chemin faisant aide à ses transformations, à son renouvellement.
Aidons Orphée dans sa remontée ! Ne laissons pas ces voix que « la poésie fait résonner dans toutes les langues du monde, depuis l’origine des temps » n’être que « le versant occulté de la mondialisation ». Portons-les jusqu’aux rivages de la lumière !
14:14 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : collection orphée, éditions la différence, bernhard, mörike, théophile de viau
Michel Ménaché à propos de Amin Khan - éditions MLD
D’Archipel Cobalt, Dominique Sorrente écrit à propos du poète en exil, Amin Khan, qu’il « s’agit [pour celui-ci] d’instaurer un dialogue, sans cesse activé, entre le temps de la mélancolie et l’appel du désir, l’Algérie faite archipel et la couleur à l’origine de tous les bleus rêvés. » Il caractérise la tonalité visuelle et sonore du recueil d’une belle formule : « la voix porte des calligraphies qui se répondent. » L’amour sublimé et l’écho douloureux de l’absence, « désastre minéral au cœur », se tressent aux variations anaphoriques de fulgurances existentielles : « Parfois ce désir de durer / comme une île d’ardeur stérile / dans la chair nocturne de l’univers / réflexe du navigateur / manœuvré par l’amour du hasard // et puis soudain le désir de mourir / à tant de bonté / à tant de beauté / à la lumière des étoiles tranquilles » Le poète, en son for intérieur, évoque « les tisserandes aux mains rouges / de l’insomnie textile » ou encore, il confie au lecteur comment l’entraîne « l’insurrection du hasard » devant la page blanche quand « les cris et les râles de la mémoire » ressuscitent les fantômes « des batailles perdues. » Ainsi la parole poétique d’Amin Khan oscille de l’effroi à la sublimation, du sentiment d’abandon au « coup de feu amoureux / du corps sans armure. »
René Depestre, préfacier du dernier recueil, Arabian blues, présente l’auteur comme un « poète de la traversée des frontières. » Le poète haïtien évoque « l’énergie migratoire » d’Amin Khan, voire ce « sentiment de mondialité qui pousse son errance d’éternel poursuivant de la poussière et du sel. » Mais ce qu’il écrit de plus remarquable à son propos, en opposition aux critères identitaires réducteurs, voire ravageurs, constitue à la fois un éloge et une ouverture métaphorique dans le climat délétère de défiance et d’arrogance où essaient de nous entraîner les fanatismes nationalistes et religieux : « En état de poésie, l’islam de la tendresse et des lumières, pris par la main d’Amin Khan, part à la découverte d’un autre froid et d’un autre chaud de la grande aventure des humanités. »
Le pas suspendu de l’exilé conjugue lucidité et nostalgie, et c’est sur le ton de la mélancolie distanciée que cette poésie atteint notre sensibilité : « La poussière s’élève de mes pas // La rouille des barbelés / est l’orgue du vent barbare // ici se fait dans la tristesse / ce qui là se fait dans la joie // c’est d’ici que je pars. » Sur le mode de l’introspection elliptique, le poète esquisse la description de son combat intime, amorce un questionnement existentiel, s’interroge sur la force et le sens de son amour : « De qui es-tu / sombre prière // Qu’offres-tu / cœur amer // à l’heure obscure des humiliés / que dis-tu // A ton œil arabe / je cherche une vérité // Je trace une absence / à ta peau tatouée // à ton sang / je m’efforce de venir // à bout / de l’enfer maquillé. » Avec une autodérision piquante, il se démasque, Pygmalion, mendiant ou amant éphémère « couché dans l’éclipse », dénude son aspiration dérisoire, paradoxale, à la maîtrise de son destin : « Comment te construire / avec du sable et de l’ombre // et puis // comment te détruire / toi de sable et d’ombre. »
Le poète ne prétend pas conjurer l’oubli, il sait que si les écrits restent, il n’est pas toujours un lecteur pour tourner les pages, secouer la poussière des ans et des encres : « J’écris sur une page de fumée / des traces de psaumes // sur la peau du temps / d’insensés tatouages // je suis mon cœur / sans espoir de retour // entre la route plane / et l’horizon calciné // il y a peu d’espace / pour le sens et la joie / j’écris le chant / de la horde dispersée. »
Le spleen arabe d’Amin Khan fait écho aux voix universelles du blues, car ici comme ailleurs, loin des rives du Missipi, « les barques rouillent / des chansons dispersées dans la nuit.»
* Amin Khan : Archipel Cobalt, Préface, Dominique Sorrente& Arabian blues, Préface, René Depestre Editions MLD 15 et 16 €
** cette note de MicheL Ménaché est parue dans la revue Europe
14:08 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amin khan, ménaché, depestre, sorrente
04/12/2012
Balise 77 - Et toujours pensant à Jacques Dupin
"Nous autres sans patrie. Nous autresétrangerssur la terreétrangèrenoussommes chacun dans notre propre asilecomme un sanglierapeuré, perdu au centre de la grandeville à l’heure où leschevauxvontboire, à l’heure ou les assassins s'éveillent.Mais nous nedormons pas, nous n'avons pas le droit de dormir: le sommeilseraitl’apprentissage de la mortet II fautque nous mourionsdebout dans l’innocencedudevenir"
Maurice Blanchard
12:08 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurice blanchard, jacques dupin, sanglier