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29/12/2013

In memoriam Jean-Vincent Verdonnet

Jean-Vincent Verdonnet qu'une passion constante de la création, de l'écriture et de la lecture a porté, s'est éteint le 16 septembre 2013. Il est l'auteur d'une oeuvre poétique importante presque entièrement publiée aux éditions Rougerie. Si je ne l'ai rencontré qu'une seule fois - c'était à l'occasion de ma présentation de joë Bousquet aux journées de Rodez - j'ai rendu-compte ici ou là depuis 1984 - c'était à propos de Ce qui demeure (Rougerie) - de pratiquement tous ses livres. Il ne manquait jamais de me remercier de ce partage fidéle.

Deux, trois choses pour celui qui écrivait : "Chaque mot que tu as laissé / dans le coeur battant d'une page / t'empêche de mourir vraiment."

D'abord, ces trois échos:

- le premier de Robert Sabatier: "Lié à la terre, Verdonnet ne se contente pas de la chanter dans ses apparences, il lui arrache ses significations secrètes, il célèbre l'union du sol et du poème."

- le deuxième d'Yves Bonnefoy: "(...) vos poèmes, témoins d'une présence au monde qui est bien ce qui compte le plus aujourd'hui. Vous aidez la terre à continuer d'être, le langage à ne pas être seulement le gravat des mots dans ses retombées indifférentes"

- Le troisième de Georges-Emmanuel Clancier: "(...- l'un de nos meilleurs poètes, auteur d'une oeuvre importante et belle qui, depuis 1951, n'a cessé de s'affirmer et de rayonner par ses qualités toutes de discrétion et de profondeur."

-Le quatrième consistera en la reprise de mon introduction au dossier que la revue Friches de Jean-Pierre Thuillat  (Le gravier de Glandon, 87500-Saint Yrieix la Perche) lui avait consacré en son N°57 - hiver 1996-1997 :

 

Quand devient voix la lumière

 

 "Poème voix d'ombre appelant le lieu

s'ouvre et saigne le mystère"

 Jean-Vincent Verdonnet1

 

 

 

 

Nous sommes en montagne. Quelque part en Haute-Savoie, dit-on. C'est le moment où la saison échappe, entre douceur et vertige. Le soir tombe sur une ruine au bord d'un chemin. Quelques trembles bruissent, alentours. Un homme se tient dans ce qu'il reste de l'embrasure d'une porte. Adossé aux pierres, il brandit une lanterne sourde. Elle jette ses feux fragiles et obstinés contre la nuit qui vient, le froid qui monte et le silence qui gagne.

Tel m'apparaît Jean-Vincent Verdonnet à l'heure de l'essentiel, celle où la poésie "a sens bien loin de la littérature", quand elle atteste non seulement que "le langage (n'est) pas seulement le gravats des mots dans ses retombées indif­férentes" mais aussi et surtout qu'"il y a un monde en face de nous"2 .

 

*

On l'aura deviné, j'aime cette poésie. Je l'aime parce qu'elle me donne à entendre cette lumière qui vient de la réalité quand la troue le réel, ou pour le dire en des termes plus proches de ceux qu'utiliserait Jean-Vincent Verdonnet , quand l'invisible, l'inconnu ou l'indicible visite l'obscurité de notre ici et de notre maintenant.

Je ne voudrais insister ici que sur ce point: il y a, chez Jean-Vincent Ver­donnet, un savoir qui concerne le regard. Ce "passant qui s'attarde / de ruelles en enclos", de ruines en pierriers ou de prés en bois, sait regarder ce que la terre mûrit. Ce savoir porte sur une nécessaire désappropriation de soi, une pratique de la vertu d'éloignement.

Il s'agit de s'éloigner de nos yeux, tant ce n'est pas notre regard que nous habitons mais une étrange demeure préparée par une raison-architecte, bâtis­seuse de casiers où nous rangeons non les choses mais leurs effigies. Il s'agit de se quitter soi-même.

Deux modalités président à cette ouverture à la distance, cette "âme même du beau" selon Simone Weil. La première est le fruit de l'attente: ainsi, "on se dissout soi-même à regarder / la forêt qui s'enfonce / et disparaît sous les flo­cons". La seconde, le fruit de l'instant quand l'éternité s"abat soudain sur le temps et que, dans "une clarté de foudre", "s'épousent l'être et la vision". On n'opposera ces deux modalités qu'en apparence car que ce soit par identification à l'image que les choses ont fait naître en nous ou par saisissement par ce ton propre qu'ont les choses, quand un fugitif éclat de l'être les fait entrer en réso­nance avec la partie la plus vibrante de notre être, l'essentiel est bien cette sor­tie hors de nous-mêmes dans la mesure ou ce mouvement est garant d'une nou­velle qualité de présence au monde et à nous-mêmes. Abandonner cette ombre d'homme que nous sommes, traînant le bruit de chaîne de l'espace et du temps après nous comme ce qui nous permet de donner quelque coloration de vrai­semblance à l'illusion tenace que nous sommes quelqu'un, c'est imposer silence à ses yeux et retrouver ceux d'avant le savoir et son fatras de représentations toute-faites. Ce retour implique une véritable tourne du regard sur lui-même puisque regarder, c'est alors écouter et qu'écoutant, nous voyons.

Quand "les yeux se taisent pour entendre", qu'entendent-ils?

Rien de moins, note Jean-Vincent Verdonnet, que "l'univers entrer dans la feuille", soit le tout dans la partie. Disons-le, rien ne saurait y entrer qui n'y fût déjà! C'est d'un dévoilement dont il s'agit ici, et tout se passe comme si la partie n'était pas considérée comme un fragment du tout mais comme "le tout un peu", selon les mots de Joë Bousquet. Ainsi peut-on comprendre que ce soit toujours les signes les plus proches et les plus simples du monde - soit relevant de l'ordre des bruissements, comme ce 'tremblement d'une veilleuse", ou ce "grincement de portail", ou encore ce "murmure des sèves"; soit de l'ordre des "entrevisions" comme ces "roseaux sur la berge / ployés par les frissons de l'invisible", ou ce "jeu du jonc et du sable" qui "donne son ton au jour naissant", ou encore ce "vol de sauvagines"qui "(cherchent) longtemps la faille où la mémoire hiverne" - les signes d'un trois fois rien qui se trouvent privilégiés dans la poésie de Jean-Vin­cent Verdonnet.

Le presque rien toujours nous ouvre à l'essentiel. C'est lui qui devient tout lorsqu'il nous jette hors du ton sans ton du monde de nos fatigues, hors de cette tension morne et hébétée de la corde des jours, saturée de significations préé­tablies. C'est toujours le rien ténu d'une trace qui nous arrête au hasard du jour, ainsi de cette "barque de couleur qu'octobre / en chaque frondaison s'invente" et qui jeta "son ancre dans nos yeux".

C'est alors que nous y sommes! Nous y sommes quand l'ineffable d'une pure présence dont l'être ne dépend de rien d'autre que de soi impose la hau­teur de sa note. Ainsi s'anime une trace, en livrant son ton, soit son âme si l'on tient à rester proche de l'étymologie, soit encore ce vent qui la secoue et laisse rayonner sa lumière intérieure. C'est alors comme "une vibration " qui "persiste sur les choses", le temps du moins de cette consonance.

 

*

 

C'est sous la forme de l'émotion - Et on ne discutera pas ici pour savoir ce qu'il en est du point de vue définitionnel de ce terme, on se contentera d'entendre sous ce vocable le fait que parfois, et c'est alors soudainement, la vertu d'éloignement entre en nous et annule la dimension de pure extériorité dans laquelle s'agitait notre moi phénoménal - que l'instant suspend le cours de notre durée. Si c'est bien "la clé du temps que cherche Jean-Vincent Verdonnet, on peut affirmer que c'est dans l'instant qu'il la trouve. Mieux, que l'instant est cette clé qui permet d'ouvrir la porte du temps et entrevoir "le pays perdu", là où "renaissent les souffles".

L'instant est cet "embrasement", cette "clarté de foudre" qui permet d'"entendre se fêler le silence", ce qui, littéralement, est voir passer l'invisible, selon le principe de réversibilité que nous avons mis en évidence dans la tourne,

Avant de "(s'accomplir) dans l'éclair", "l'instant s'immobilise", note Jean-Vincent Verdonnet. Ce sera alors sur sa crête de flamme que l'on verra et entendra ce fugitif éclat de l'être, le temps d'une suspension miraculeuse dans la durée pure d'un moment d'équilibre. La "clé du temps" est ce qui se tient dans l'entre-deux en tant qu'il n'est ni l'avant, ni l'après de l'instant, soit ce moment où nous nous trouvons arrêtés en un pur suspens qui ne peut trouver de mesure que rapporté à l'éternité, comme si celle-ci, soudain "amoureuse des ouvrages du temps" selon les mots de William Blake, avait fondu sur l'ici pour le transir en un tremblé de pure lumière.

Tout s'agrandit au brasier de l'instant, tout - et ce jusqu'à "nos ruines" - se trouve transfiguré, comme si "(palpitait) en sa grâce  intacte / la candeur du premier matin", juste avant que l'unité ne se déchirât.

Mais aussi tout va très vite. Accompli, l'éclair rend le monde à sa nuit. Le proche et le lointain s'écartent, ici se ferme à l'ailleurs qu'il relégue au plus loin.

"La clé du temps" est perdue à nouveau.  Sous les cendres, avant que le vent noir de l'existence ne les disperse, les brandons de quelques mots furent dépo­sés. D'eux, nous ne saurons que ce pour quoi ils se donnent, un jour, sous la forme des premiers mots d'un poème "polis par la patience / des varlopes de mille hivers". Ces mots et ceux qu'ils traînent derrière eux, le poète va les dres­ser, dans l'horizon de visibilité du poème, afin de donner, en "une parole à la foudre apparentée", visage à ce jeu du monde où l'être ni n'apparaît, ni ne dispa­raît mais transparaît de manière incessante comme s'il venait là respirer.

Comme "l'air est poreux à l'inconnu", les mots de Jean-Vincent Verdonnet le sont aussi, tant ils sont irrigués par cela qu'ils ne peuvent saisir, cela qui par capillarité remonte, cela qui explique que sa poésie nous donne moins accès à ce que l'on peut voir du monde qu'à ce qui monte du fonds obscur des choses.

De même que pour que le regard tourne à l'écoute et l'écoute à la vision, il faut que "l'oubli de soi triomphe / dans le ballet de la lumière", de même le poème de Jean-Vincent Verdonnet n'est lisible, vraiment, que si la même tourne opère, c'est-à-dire si nous savons nous retenir de projeter notre moi imaginaire et ses constructions préformées sur ses "traces justes", sur son "espère"; si nous savons pratiquer cette pudeur de l'éloignement qui sait se tenir suffisamment en retrait pour qu'à partir de l'appel créé par ce mouvement même, les mots du poème nous arrivent et que ce soit à partir des yeux qu'ils auront ouverts en nous que nous le lisions, ce qui sera l'écouter, soit l'entendre en propre.

Cette parole qui sait que "le chemin toujours / devance nos pas", nous l'aimons, on le comprends mieux peut-être maintenant, parce qu'étant "la voix de tout ce qui se tait", elle entretient les marcheurs que nous sommes, tourmen­tés par l'infini, toujours en exil d'eux-mêmes, dans cet espoir que "retrouver / la piste perdue" est possible, ainsi suscite-t-elle toujours "l'espace d'un nouveau départ".

 

*

Sans lâcher sa lampe-tempête, l'homme s'est enfoncé dans la nuit. Il tient sous la sauvegarde de son halo "ce qui n'est plus très loin / mais ne saurait se révéler", jamais. En confiance, suivons-le. A la trace.

 

 

 

 


1 Où s'anime une trace (1976-1979), Tome II, Rougerie, 1996. Le premier tome, regroupant les recueils publiés entre 1951 et 1979, a paru en 1994. Deux autres devraient suivre. La plupart de nos citations sont extraites de ces deux volumes ainsi que de Ce qui demeure (Rougerie, 1984), Fugitif éclat de l'être (Rougerie, 1987), A chaque pas prenant congé (Rougerie, 1992) et A l'espère tu me rejoins(Rougerie, 1996).

2 Lettre à Jean-Vincent Verdonnet d'Yves Bonnefoy du 10 mai 1977, publiée dans La Sape, N°8_9, spécial Jean-Vincent Verdonnet, 1985.

 

Balise -André Gorz

En sortir?

Ces mots d'André Gorz: "On sortira du capitalisme si ce n'est par la raison et le bon sens, ce sera par la barbarie".

Michel Ménaché a lu Dix-huit petites chansons de la patrie amère* de Yannis Ritsos, éditions Bruno Doucey, 11 euros

Sous le titre Yannis Ritsos, poète-contrebandier, Bruno Doucey salue et éclaire la poésie de combat de l’auteur dans son pays opprimé, persécuté par les dictatures à répétition. Il la situe aussi en regard du contexte international des bouleversements tragiques des années 70 : « partout dans le monde, ou presque, les poètes sont au corps à corps avec l’Histoire. »

Mikis Theodorakis, en exil à Paris, après le nouveau coup d’Etat militaire du 25 novembre 1973, souhaite mettre en musique des poèmes de son ami Ritsos détenu à Léros. Le choix du poète alerté clandestinement se porte vers les Dix-huit petites chansons de la patrie amère. Ce sont des distiques de 15 syllabes qui composent ces 18 strophes de 4 vers. 16 d’entre elles étaient déjà écrites depuis le 16 septembre 1968, jour de leur composition par le poète en résidence surveillée à Léros. Reprises et remaniées en 1973, elles se lisent comme un unique poème de résistance, - s’inspirant de la tradition populaire (dite démotique). Le poète destine l’œuvre à être chantée sur la musique de Theodorakis à qui elle est dédiée.

La tradition démotique remonte aux chants et poèmes « de contrebande » des klephtes des montagnes grecques qui s’opposaient à la domination turque. Faire renaître la fierté d’un peuple contre ses tyrans en uniforme en se référant aux héros du passé a souvent inspiré les poètes de différents pays en lutte… Bruno Doucey y fait écho en établissant un parallèle brutal entre deux dates significatives :

 «1973, les tanks – 2013, les banques. »

Il nous rappelle aussi que « les corrélations qui unissent le serpent de mer du fascisme aux crises économiques » sont évidentes… Et il conclut : « La poésie de Yannis Ritsos vous invite à prendre le maquis de la pensée. »

Le rapport entre passé et présent s’inscrit dans la transparence du poème :

 « Vont les klephtes boire en secret et le gosier  se gonfle

 tel le moineau, et ils glorifient la pauvre mère Grèce.

La chaleur et la force du legs de Ritsos vibrent encore dans ses mots, invitent à prendre le maquis de la pensée » :

« Ne pleure pas sur la Grèce,  quand elle est près de fléchir

Avec le couteau sur l’os, avec la laisse sur la nuque,

 

La voici qui déferle à nouveau, s’affermit et se déchaîne

Pour terrasser la bête avec la lance du soleil. »

 

* Une première version bilingue des Dix-huit petites chansons de la patrie amère a été publiée en 1992 par Fédérop éditions                                                                      

(article paru dans la revue Europe n° 1007 mars 2013)

 

 

Lu 93- Jean Starobinski, Accuser et séduire, essais sur Jean-Jacques Rousseau, Gallimard, 2012

« Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions », c’était dans l’Emile en 1762 que Jean-Jacques Rousseau écrivait cela. C’était il y a 350 ans, et pourtant ces mots trouvent toujours à résonner à nos oreilles d’aujourd’hui ?

Nous venons de fêter cette l’an passé le tricentenaire de la naissance de celui que Jacques Derrida appelait « le maître de Genève ». Si commémorer a toujours un sens, il ne saurait consister à s’extasier d’un passé révolu mais au contraire à lutter contre le temps des mémoires courtes, des temps précipités et donc à jeter l’ancre dans un passé pour y chercher assiette non en quelques épaisses certitudes mais bien en quelques questions acérées dont il y a toujours à se nourrir, questions comme autant de forces qui veulent l’avenir, lancent leurs germes au loin.

Tel est bien Jean-Jacques Rousseau qui de lui-même écrivait dans ses Confessions : « vivant ou mort, il les inquiétera toujours » ! Et tel est bien l’hommage que lui rend celui qui lui a consacré le meilleur de lui-même, Jean Starobinski. Ainsi conclut-il son « épilogue » par ces mots : « Merci, Rousseau, de continuer à nous inquiéter. »

Dix essais dans ce livre comme un ramas  pour allumer à nouveau le feu de l’indignation et les flammes de l’éloquence. Réunis sous le titre Accuser et séduire, comme pour insister sur les deux caractères majeurs de l’écriture de Rousseau, ces essais reprennent, certes sous de nouveaux aspects, l’essentiel des considérations que développait Jean Starobinski dans son ouvrage de référence, La transparence et l’obstacle paru en 1957. On ne reprendra pas celle-ci. On se contentera de mettre en avant deux points à nos yeux essentiels.

Le premier pourrait consister dans la remise au jour de ce qui fut à n’en point douter l’expérience intime de Rousseau, à savoir le fait que dans la vie sociale, la réflexion et ses excès, soit la voie des médiations,  nous font perdre le bonheur du rapport immédiat avec la nature. Jean Starobinski insiste alors, à juste titre, sur l’essentiel, à savoir qu’aux yeux de Rousseau, il y avait là quelque chose marqué du sceau de l’irrémédiable. Nous ne reviendrons pas en arrière. Nulle nostalgie ! Ici, le remède est dans le mal, selon le titre d’un autre ouvrage de jean Starobinski. Il est de notre responsabilité de corriger et d’améliorer les maux engendrés par notre débordante activité.

Le second concernerait ce qui fut sa quête obstinée de la « vérité du sentiment » et d’un semblable avec qui la partager par delà la barrière langagière. Avec Jean Starobinski, on comprend combien est nouvelle cette approche de la littérature qui par delà les identifications aux êtres de fiction engage le lecteur à rejoindre la subjectivité même de l’écrivain. J’ai tout particulièrement aimé, au centre de ce livre, l’essai intitulé « un poète en exil ». Là, Jean Starobinski met en place cette « affaire de dictionnaire » et en jeu le rêve de Rousseau d’une société de « belles âmes » qui « posséderaient le privilège de la communication muette au gré du sentiment intime ». Vaincue l’obstacle de la langue, de cette langue altérée qui nous voit ne nous entendre que sur des malentendus, on voit Rousseau en appeler à « un vocabulaire tout nouveau qui n’eût été composé que pour (lui) ». Et en effet voilà ce qu’il faudrait pour que, de cœur à cœur, règne la transparence, pour que cet espace là soit « le lieu de la clarté, de l’éclair du regard que rien n’intercepte », oui, Clarens contre Paris ! Et pourquoi ne donnerions-nous pas ce nom de « Clarens » pour désigner tous ces bonheurs d’écriture insurpassés que l’on rencontre chez Rousseau. Ces moments où il est dans le ton au terme d’une mise en variation – modulations et tension - de la langue. Où lève cette voix d’encre, celle d’une force rythmique qui fait vibrer les mots et tient les phrases. Ce ton singulier est l’expression même de ce « sentiment intime » où s’exprime l’unité originelle d’un sujet – ni la personne privée, ni l’individu psychologique, ni l’auteur – présence intermittente qui se fait dans le langage et par lui.

Oubliés les jugements de Voltaire, Châteaubriand, Lemaitre…oubliées les fausses querelles. Il y a une modernité de Rousseau, elle concerne aussi bien la société que l’individu. Il est celui qui ayant déclaré la souveraineté du peuple inaliénable a placé au cœur de tout régime démocratique le ver de la contestation radicale. Et parce qu’il est celui dont les pensées sont toutes tirées de la vie, comment ces pensées ne retourneraient-elles pas à la vie pour s’insurger toujours contre tous ces primats qui nous assèchent corps et âme, primats économiques, financiers, terreau de toutes les injustices et les misères des hommes ?

Oui, il faut lire, relire Rousseau précisément parce qu’il échappe à toute prise tant son souci de la vérité tient perpétuellement ouverte sa conscience. C’est cette posture que met sans cesse en avant Jean Starobinski dans ces essais. Avouons qu’elle est un signe d’indépassable modernité.

(article paru dans la Revue des Belles-Lettres)

 

Pour une reprise...de volée, j'espère...avec tous mes voeux pour l'année nouvelle à tous les passants du blog!

Depuis l'été, j'ai laissé sommeiller le blog. Il était temps de le réactiver. La période a paru propice.Continuons  à tenter de lire/écrire l'avenir!

 pour Carte de voeux 2014 bis - copie_2_2.jpg

13/06/2013

In memoriam Rüdiger Fischer -

Rüdiger Fischer est né à Trèves en 1943. Il est décédé cette semaine, peu de jours avant l’ouverture du Marché de la poésie de Paris auquel il participait depuis de nombreuses années.
Il avait enseigné le français et créé les éditions Im Wald en 1991 en Bavière.
Il a publié plus de deux cents livres de poésie, recueils et anthologies, principalement de poète de langue française, en version bilingue, trilingue, voire plus.
Il a aussi publié des poètes américains, israéliens, tchèques, italiens, ...
Nombre de poètes de langue française lui doivent d’avoir leurs textes traduits et diffusés en Allemagne et en Autriche, et dans d’autres pays où il diffusait ses livres. Pour en citer quelques-uns : Laurent Grisel, Gérard Bayo, Odile Caradec, Clod’Aria, Antoine Emaz, Werner Lambersy, Jean Rousselot, Abdellatif Laâbi, Bluma Finkelstein, Gwenaëlle Stubbe, Daniel Leduc, Hélène Dorion, etc. Les citer toutes et tous est impossible.
Nombre de poètes de langue allemande lui doivent d’avoir été publiés dans des revues de langue française, principalement dans sa chronique « Promenade en forêt », dans la revue Décharge de Jacques Morin.
Infatigable travailleur, défricheur, il se définissait lui-même comme un traducteur amateur, n’hésitant pas à traduire du français vers l’allemand et inversement, contrairement à beaucoup d’autres traducteurs. Il avait reçu en 2010 le Prix Horace de la traduction en poésie.
Il était un passeur dans le sens le plus noble du terme, aimant aussi monter sur scène pour dire les textes des autres, ainsi qu’il a pu le faire à la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, pour une lecture théâtralisée de "La Nasse", de Laurent Grisel, qu’il avait publié en version multilingue, français, allemand, anglais et italien.

*

 

rüdiger fischer,éditions im wald( Que ma prise de relais soit une manière de m'associer à l'hommage rendu par jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de saint-Quentin-en-Yvelines.

Ma touche personnelle sera de lier Rüdiger Fischer et Gaston Puel comme ils l'avaient été dans ce projet multilingue lors de la publication en 1997 de ce Chant entre deux astres de Gaston Puel par les éditions Im Wald en français, occitan, allemand, italien, espagnol et anglais. )


 

10/06/2013

In Memoriam Gaston puel -6 par Jean-Marie Barnaud

Avec ce lien http://remue.net/spip.php?article6024 je relaie les propos mis en ligne sur remue.net par mon ami jean-Marie Barnaud à propos de Gaston Puel.

07/06/2013

In Memoriam Gaston Puel-5 par Serge Bonnery

(je relaie ici le texte de mon ami Serge Bonnery, président du Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassponne)

 

 Gaston Puel sans relâche

 

Le poète Gaston Puel s’est éteint lundi 3 juin à l’âge de 89 ans

 

C’est sûrement le privilège d’un âge que de devenir un jour le lien entre des générations. Pour nous, fondateurs du Centre Joë Bousquet en 1999, Gaston Puel fut ce lien. Au commencement de notre histoire commune, il n’était pas seul. Ginette Augier - la destinataire des lettres - était là. Les peintres Jean Camberoque, Charles-Pierre Bru. Le professeur de lettres et de philosophie Henri Tort-Nouguès. Tous avaient franchi la porte derrière laquelle il fallait encore écarter les tombées d’un lourd rideau sombre pour pénétrer enfin dans la chambre du poète où se tenait, érigée en mode de vie, la conversation perpétuelle du monde.

Tous, Gaston en tête, ont accompagné, aidé, soutenu, une démarche qui ne se voulait ni un hommage, ni une célébration mais bien un prolongement. Grâce à eux, notre conviction que le Centre Joë Bousquet ne devait pas devenir un mausolée ronronnant à la mémoire d’un homme a survécu à tous les dangers qui guettent les lieux de création. Il y a une raison à cela : pour eux tous, ce qui s’était passé, là, dans la chambre d’un invalide, comme volé au temps, appartenait à l’ordre du primordial. Et j’ai toujours eu le sentiment qu’en marchant à nos côtés, en nous aiguillonnant, en nous engueulant parfois - Gaston savait secouer le réel ! - tous souhaitaient rendre ce qu’ils avaient reçu.

 Mais qu’avaient-ils donc reçu de si précieux dans la chambre d’un blessé de la Grande Guerre qui avait laissé l’ancienne peau sur le champ de bataille pour muer en poète ? Une leçon de poésie sûrement. Il s’en parlait beaucoup, la nuit, dans la pénombre, chez Bousquet. Les mots, Gaston Puel leur voua un culte vertigineux tout au long de sa vie d’artiste. Les mots de Bousquet, de Char qu’il édita lorsqu’il ouvrit, grande, la Fenêtre Ardente de son aventure de typographe-éditeur. Et ses mots à lui, mots d’une poésie «à hauteur d’homme», comme aurait sûrement aimé le souligner Joë Bousquet, c’est-à-dire, ainsi que le formule si justement mon ami Alain Freixe sur son blog (1), une poésie qui évite en permanence le «risque de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est issue». Remercions ici les éditions de L’Arrière-Pays d’avoir, ces dernières années, publié l’essentiel de l’oeuvre poétique de Gaston Puel afin de lui donner sa pleine résonance dans le tumulte.

gaston puel,serge bonnery Il est une autre aventure que Gaston Puel vécut avec passion. Celle de son compagnonnage avec les peintres. Il entretenait lui-même un rapport ambigü avec cet art qu’il avait pratiqué dans sa jeunesse. Nous conservons, dans l’exposition permanente consacrée à la vie et l’oeuvre de Joë Bousquet présentée dans sa maison de Carcassonne, rue de Verdun, un tableau du jeune Puel, d’inspiration surréaliste, qui témoigne de ces élans qui portent une jeunesse vers son propre langage. Celui de Gaston sera un jour, définitivement, le langage des mots, pas des mots-miroirs qui ne se parlent qu’à eux-mêmes, mais des mots ouverts, mots du dialogue, mûs par la force même de l’échange. Ce dialogue entre Gaston Puel et les peintres a trouvé sa terre d’élection au catalogue des Editions de Rivière, chez Jean-Paul Martin, le cousin de Pierre-André Benoît qui, entre Alès et Rivières justement, du nom du village où PAB avait élu domicile, a repris si généreusement le flambeau. Une cinquantaine de livres d’artistes racontent aux Rivières cette itinérance inouïe des temps modernes où l’on coud encore à la main des livres minutieusement imprimés à quelques dizaines d’exemplaires. On peut pénétrer cet univers en consultant en ligne l’opulent catalogue des Editions de Rivières (2).

 Et puis, pour Gaston, il y avait le «Centre». Jusqu’au dernier jour, soufflant mot à notre directeur René Piniès, de la route à prendre, du piège à éviter pour l’honneur des poètes Il ne m’appartient pas de dire ici plus avant l’amitié profonde, l’incommensurable complicité entre ces deux hommes. Gaston Puel le veilleur de Veilhes et René Piniès l’infatigable passeur et aussi porteur du fardeau que représente de travailler tous les jours, sans relâche, au rayonnement de la parole poétique des autres. Cette opiniâtreté qui fait toujours mon admiration, René la tenait sûrement de Gaston. Ces deux-là s’étaient trouvés. Leur histoire a un témoin plus sûr que ce que de pauvres yeux peuvent percevoir du secret des hommes : un livre. Les «42 sirventès pour Jean-Paul», publiés à l’automne 2012 par le Centre Joë Bousquet, rassemblent les textes parus en tirages limités aux Rivières. L’édition en a été établie par René Piniès. Une belle édition qui «se rue vers l’ailleurs infini» et dont la vie ne fait que commencer.

 «Au plus vert des embruns

Il n’est plus de répons»...

écrit Gaston Puel, premiers vers d’un poème paru sous le titre «Le fin mot». Mais qui peut dire qu’il a eu, au terme d’une si longue marche, le fin mot de l’histoire ? Gaston Puel répond, à la fin de son poème : «C’est alors que JE sus que TU savais qu’IL savait que NOUS ignorions TOUT du fin mot de l’histoire». Ce jeu typographique du «je-tu-il-nous» dit TOUT de ce que fut la vie de Gaston Puel. Une vie tenue par la promesse du partage et qui n’a de sens que dans ce va-et-vient perpétuel entre le singulier et le pluriel, l’autre et le collectif. Cette leçon de vie que Gaston Puel nous donne, je ne serais pas étonné qu’il l’ait lui-même reçue dans la chambre de Bousquet. «Il n’y a pas d’oeuvre de l’homme seul», savait le poète blessé qui, un jour, avait apostrophé le jeune Puel quittant sa chambre pour lui adresser cette dernière recommandation : «N’oubliez jamais, Puel, il n’y a pas de grands hommes...» Alors, s’est levé un poète.

 Serge Bonnery

 

(1)  Blog d’Alain Freixe : http://lapoesieetsesentours.blogspirit.com/

(2)  Les éditions de Rivières : http://leseditionsderivieresoulaprespab.midiblogs.com/

(3) La photographie est de Paola di Prima

05/06/2013

In Memoriam Gaston Puel - 4 - Lu 93

Le Centre Joë Bousquet et son temps qui non seulement abrite, à Carcassonne, au 53 rue de Verdun dans La Maison des Mémoires une exposition permanente consacrée à la vie et à l’œuvre du poète Joë Bousquet, mais aussi organise des rencontres et des expositions autour de la question des relations entre peinture et écriture vient d’ajouter au catalogue de ses publications ces 42 sirventès pour Jean-Paul* .

René Piniés a établi cette édition en choisissant parmi les quelques 65 titres de Gaston Puel ; tous accompagnés de peintures, dessins ou gravures d’artistes contemporains et publiés à tirage limité aux éditions Rivières entre 2006 et l’été 2012 par Jean-Paul Martin, leur maître d’œuvre. Cette édition fait suite à l’exposition « PAB- JPM, les passeurs de Rivières » que le Centre Joë Bousquet et son temps avait organisé en février-mars 2012 , exposition qui entendait rendre hommage à ces deux créateurs dans le domaine du livre de dialogue plus fréquemment nommé livre d’artiste. Jean-Paul Martin est le cousin de Pierre-André Benoit, plus connu sous le nom de PAB, dont on peut visiter le beau musée du château de Rochebelle à Alès. Cet « artiste-artisan-poète » « amoncellera les pages dont chacune est un tableau », selon ses mots, de près de 800 titres. Ses « minuscules » sont de petites merveilles ! Héritant de Rivières, vaste maison que PAB avait restaurée, Jean-Paul Martin va servir et la maison et l’œuvre de PAB notamment en reprenant le flambeau, en imprimant des poèmes et en appelant des artistes contemporains à reprendre l’ancien compagnonnage.

Gaston Puel, ami de Joë Bousquet et de PAB, appartient à cet après-Bousquet qui grâce à « la mémoire de quelques uns qui s‘est saisie de son œuvre » reste toujours vivant comme à cet après-PAB que poursuivent les éditions Rivières auxquelles le Centre Joë Bousquet et son temps prête attention et main amie.

Il faut voir ces poèmes présentés ici sous le nom occitan de « sirventès » comme autant d’hommages, autant de « signes de reconnaissance et d’affection » de Gaston Puel à l’égard de celui qui leur a donné vie, quasi miraculeusement, au cours de ces six dernières années en demandant à un artiste de partager l’aventure du livre.

J’aime à voir ces 42 textes comme autant de feuilles qui tremblent dans la nuit, autant de notes qui déchirent délicatement le silence, autant de mies de pain blanc qu’un « petit poucet rêveur » aurait semé sur sa route, de quoi arrêter, le temps d’une halte précaire, le temps d’en goûter la saveur – ce ton de la voix d’encre – sur la langue, les marcheurs égarés que nous sommes en ces temps d’asphyxie. J’aime à y retrouver Gaston Puel dans sa posture préférée « à genoux dans l’herbe sèche / à l’affût des dessous des choses », posture sur laquelle malgré la solitude, la maladie, la dureté des temps et leur folie n’ont pas de prise, posture qui va de pair avec cette tournure du regard qui le voue à « racler le fond ténébreux ou, entre deux eaux, louvoie l’insaisissable présence » là où « la vie et la mort indivises (…) s’affirment et s’affrontent ». Cela qui fut et reste sa belle querelle. J’aime voir les mots dans les poèmes de Gaston Puel se faire « murmure au museau de neige », parole « à l’ailleurs dédiée », nuage qui file ses brumes « du son au sens, du chant à l’être. » La poésie de Gaston Puel nomadise en plein ciel, passe sans s’attarder, ne « (répondant) de rien », ne « (donnant) rien qu’on pourrait posséder » mais nous offrant ce qui s’affirme en s’effaçant comme la cascade de Rilke se vêt de ce qui la dénude, « l’ange blanc de l’effroi » qui « (paraphe) le silence » de son « aveuglante lumière ». Ainsi rencontre-t-on dans un « faire toujours en chemin » l’inconnu, du sens qui s’éveille.

J’en terminerai par un retour à Bousquet, à une de ses grandes leçons que Gaston Puel incarne magnifiquement dans ce livre, à savoir que « la difficulté pour un poète n’est pas de trouver la poésie » mais « de rester un homme en devenant un poète ». c’est que toujours la poésie risque de tomber dans ses propres eaux, de se laisser déborder par les forces qui la meuvent. Il y a cela de toujours revigorant dans la poésie de Gaston Puel, c’est qu’il connaît bien ces dangers que court la poésie qui risque toujours de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est sortie. Or, c’est en gardant ses attaches avec la vie dont elle est issue, une vie toujours en formation, qu’elle peut toucher et ouvrir la conscience des hommes.

Avec Gaston Puel, nous sommes servis ! Ce sont des présences que nous voulions, par delà proses ou vers, eh bien, avec ces sirventès ce sont des présences que nous avons !

 

* Cette note de lecture vient de paraître dans le N° 1009 de la revue Europe en mai 2013

 

 

 

In Memoriam Gaston Puel - 3

( j'ai publié ce texte en 2003 dans Gaston Puel, En chemin eux éditions du Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassonne )

 Gaston Puel ou les pouvoirs du Non

 

 

 

 

 

 « Nous avons toujours la capacité de dire non. C’est, chez l’homme, l’expression la plus naturelle d’un tempérament de lutteur qui se transforme, se renouvelle, s’éteint et renaît sans cesse. La capacité de dire non mais pas le courage. Pourtant vivre c’est dire non, dire non est une affirmation. »

 Kafka

 

 

 

 

Dans la vie et l’œuvre de Gaston Puel, il est un moment important. Une vraie rupture, soit ce qui doit être protégé contre toutes les sirènes qui guettent de tels actes, arrêts où l’on risquerait de s’enliser à nouveau. Lorsque l’on reçoit « l’aube comme un baquet d’eau fraîche » - on ne recourra pas à l’anecdote, disons que nous sommes en 1957 - , la surprise qui fend tous les savoirs anciens ouvre comme un secret, celui de la lumière d’une compréhension : « c’est le moment de dire notre saveur mortelle ».

 Je vois dans cette décision son souci farouche d’authenticité, celui-là même que relevait Georges Mounin quand il disait que Gaston Puel n’écrivait pas mais s’exprimait dans la franchise absolue de lui-même. Aucune naïveté ici. Ici, il ne s’agit pas de se répandre. Mais à partir du plus personnel de se dégager de l’emprise de son modèle intérieur, de se guérir de soi en libérant la part d’universel prisonnière du circonstanciel terriblement personnel :

 Le poème ne méprise pas l’anecdote, mais n’en saurait tirer son viatique. S’il l’accueille c’est pour l’utiliser comme un degré qui donnerait accès à un espace universel dans lequel s’insérerait justement cette part d’éternité que recélait l’anecdote. C’est ainsi que le poème parle une langue utérine où affluent les gênes les plus hétéroclites. Ce qui décide de sa valeur c’est ce noyau d’éternité qui le fonde, sa vibration de parole dans les plis du temps . 

 Je vois également dans cette décision de dire « notre saveur mortelle » son souci éthique de garder intacte une vue simple de la vie et de sa valeur. « Ne pas se pencher pour l’ordure mais pour la rosée, cela fait partie de l’urgence de ce qu’on a appelé l’honneur d’être un homme » dit-il à André-François Jeanjean dans une lettre que publie ce dernier dans la numéro que la revue Tribu a consacré à Gaston Puel e n 1984. J’y vois enfin l’origine de « cette profonde tendresse pour tout ce qui vit ; les plantes, les bêtes, les hommes aussi, malgré leur férocité et la tristesse de leur condition » selon l’exergue de Roger Bissière que Gaston Puel a choisi pour une de ses scansions de son livre L’âme errante .

Gaston Puel est l’homme d’un acquiescement. Le mot revient souvent dans son œuvre. Il fera même titre :

 Acquiescer

 Enseveli dans la confusion, abîmé dans le refus, désaccordé, on souhaite s’éloigner, s’exiler, se sauver du désastre. Il faut s’accepter, épave dans la flotille, fane de la jonchée. Ce NON que nous murmurions se défait dans notre bouche. Nous acquiesçons au futur sans oreille, à la terre qui se dérobe sous nos pieds . 

L’effet de ce Oui est double .

D’une part, il rompt avec un non désordonné qui n’est jamais que l’expression d’un refus de soi. Mauvaise fuite. Colère vaine qui ne traduit qu’un désespoir où s’exaspère le refus non seulement de soi mais encore du monde. D’autre part, il fonde un Non , assuré de lui-même, un Non comme comme condition de possibilité d’un Oui authentique. Un Non qui s’ouvre sur une âme insurgée « toujours », qui « éructe vive chaleureuse », qui « craque fuse étincelle », une « âme qui s’ouvre au vent qui vient ».

Si « l’acquiescement éclaire le visage, écrivait René Char, le refus lui donne la beauté ». Et l’un ne saurait aller sans l’autre, sans leur embrassement/embrasement.

Tel est Gaston Puel. Moins auteur que produit de cette rupture-là. Fils de cet événement-là. C’est qu’il y eut là le choix non d’un avenir mais d’un devenir, « secoués par le doute / sur la route hasardeuse / suspendus à l’espoir ». À la nuit. La sans-appui :

On ne peut s’adosser à la nuit

Elle est toujours devant soi

Comme le front têtu de l’Obscur

Comme le péril de la liberté

Comme le risque d’en finir

Avec une tâche qui n’a pas de fin.


Et l’entrée dans ce devenir lui fait dire à André-François Jeanjean : « Je ne me prends pas pour une personne : j’essaie d’être. C’est difficile mais il faut être rien pour y parvenir. »

C’est ainsi que l’on devient, « espoir et désespoir (s’embrasant) ». Le premier sachant accueillir et épouser le second pour en faire son moteur le plus secret, tant son essence est « la grâce de recommencer ». C’est ainsi que l’on donne la main à l’inconnu que l’on devient. Cela s’appelle poésie quand on partage avec Gaston Puel ces mots :

La poésie n’ajoute rien parmi les ombres

Son battement excède tout

Je ne suis rien  Elle m’invente.

Poésie, voix de l’espoir qui sait acquiescer au temps comme il vient, qui nous délie, nous brasse, nous fait gerbes. Vent, « âme errante » qui hante le poème.

 

Il est urgent aujourd’hui de lire Gaston Puel !

 

 

 

 

 

In Memoriam Gaston Puel - 2

 

( ce poème de Gaston Puel que je lisais, anticipant sur ma lecture du 30 juin 2013 à Sigean, au moment où j'appris sa mort )


XXIX.

 

A Suzanneet Ralph.

 

Sur des remparts minés, délaissant des escaliers envahis par lesorties, nous avons rencontré la Gitane.Elle s'est aussitôt saisie de mes mains, 1'odeur d'un figuier montait des jours anciens dans la chaleur matinale.L'eau était fraîche encore et tremblait dans le seau sur la margelle d'un puits. Elle parlait lentement et comme machinalement, dans 1'ombre des tilleuls quelques-uns de ses mots dansaient avec des pastilles de lumière.Soudain ellese tut, ferma les yeux et serrant ma main dans la sienne:vous ne mourre zpas !

Elle rompit,s'éloigna toute droite,s’effaçant dans 1'affairement mensonger du jour, dans le charroi des cris des martinets, dans le ventre vide de la mort...

 

L’Herbe de l’oubli, Thierry Bouchard, 1995

In Memoriam Gaston Puel- 1

 Gaston Puel, le poète de Veilhes, s'est éteint hier, lundi 3 juin. Gaston, c'était mon lien de chair avec JoëFév 88- Gaston Puel à Ka579.jpg Bousquet. C’était l'ami avec qui nous avons tenu, contre bien des vents et des  marées, grâce à l'amitié de quelques-uns - comment ne pas penser à Ginette Augier, Charles-Pierre Bru, Jean Camberoque, Hrnri Tort-Nougès, René Piniés, Serge Bonnery, Cécile Bernard, Claude Caro, Gaston Ruffel, Katy Barasc, Anne Gualino, les fées du Centre, les poètes, les peintres, les éditeurs qui  sont passés là depuis sa création en 1999 -  le cap de ce Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassonne.

A 6h 45, me dit-on, ce lundi…je veux croire que cette « musique conviée au sacre de l’ineffable » qu’il invitait « au chevet de Philippine, à l’instant de l’adieu » alors qu’elle glissait à l’oreille de son infirmière « c’est la fuite, ma sœur… », Gaston l’aura entendue une dernière fois. Dédiée « au secret des lointains » sera encore passée une dernière fois,  la poésie.

De Gaston Puel, je veux garder cette leçon que lui-même apprit de Joë Bousquet, à savoir que « la difficulté pour un poète n’est pas de trouver la poésie » mais « de rester un homme en devenant un poète ». C’est que toujours la poésie risque de tomber dans ses propres eaux, de se laisser déborder par les forces qui la meuvent. Et c’est bien cela qui est revigorant dans la poésie de Gaston Puel, c’est qu’il connaît bien ces dangers que court la poésie qui risque toujours de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est issue. Or, c’est en gardant ses attaches avec la vie dont elle provient, une vie toujours en formation, qu’elle peut toucher et ouvrir la conscience des hommes.

Ces mots pour dire au revoir, ces mots que Gaston Puel, l’homme de « la fenêtre ardente »,  écrivit pour PAB – pierre-André Benoit, poète et éditeur d’art :

« Celui qui voulut apprivoiser la lumière nous est proche, il est là, il est aimé »