04/02/2012
In memoriam Bernard Vargaftig
Quand "la fugacité disparaît"*
La mort, c’était hier, le 27 janvier 2012 à Avignon.
La vie, c’est 1934, la naissance à Nancy puis les terribles années 40, celles des persécutions nazies, années de la peur, de la fuite et du silence. Années de clandestinité où l ‘on apprend aussi à tenir, à se tenir.
La vie en poésie, ce sera en 1965, la soirée du Récamier et dans ce théâtre parisien les paroles d’encouragement de Louis Aragon. Après Chez moi partout publié en 1967 chez PJ Oswald se succèderont une trentaine de livres plus des livres d’artiste avec Olivier Debré, Colette Deblé, Germain Roesz…ainsi que deux remarquables anthologies ; l’une La poésie des romantiques chez Librio, l’autre Poésie de résistance chez J’ai lu. Je ne dirai rien des prix qu’il put recevoir chemin faisant, celui de l’académie Mallarmé en 1991, celui Jean Arp en 2008, je préfère évoquer ici ses deux derniers ouvrages en souhaitant qu’ils donnent envie de retrouver ceux qui se tiennent à l’arrière et notamment cette Suite Fenosa, avec Bernard Noël, publiée chez André Dimanche en 1987.
Le premier est un coffret original liant image et texte, Coffret livre « L’aveu même d’être là »
et DVD « Dans les jardins de mon père », les deux constituants comme une autobiographie poétique de Bernard Vargaftig. Le poète a choisi lui-même les poèmes de son anthologie. Revisitant son œuvre, c’est sa vie qu’il reparcourt. Se promenant dans ses poèmes, il s’arrête ici ou là, comme dans ses souvenirs d’enfant juif caché en Haute-Vienne, près d’Oradour, pendant l’occupation nazie. Ce voyage dans la mémoire n’est pas un simple retour en arrière mais une véritable marche en avant, un véritable travail, une manière de creuser, de pousser plus avant la vie et ce souffle intérieur qui la porte. Cela qui a besoin de toujours plus de mots pour dire ce simple fait stupéfiant « d’être là », traversé de tous les désastres comme de toute lumière. Aveu à répéter dans la différence de ce qui n’en finit pas de commencer toujours à nouveau.
A propos du second, il peut être intéressant de se souvenir de ce qu’Aragon, en 1967, lors de la publication de La véraison chez Gallimard, disait : « j’aime ça, ce langage, haché comme la douleur ». En effet, Ce n’est que l’enfance est un livre que la douleur rythme. C’est elle qui espace les poèmes, les strophes – quatre strophes de quatre vers pour chaque poème – qui va jusqu’à inclure « deux pages blanches et muettes » pour « (dire) la mémoire vivante de (son) fils, Didier Vargaftig ». Devenue rythme, c’est elle qui engendre le temps propre à ce livre. Un temps dont la couleur pudique est celle du « déplacement intérieur » d’un « cri nul désert », le blanc d’un mouvement qui dénude, « faille d’enfance » avant « le dévalement », « accomplissement à nu que le manque / ne rattrape pas » et où c’est l’enfance qui appelle depuis cette distance où elle se tient, ce souffle qu’elle sait creuser toujours à l’avant de nos jours. L’enfance en appelle aux mots non pour combler cette déchirure, la taire par la même occasion mais pour la maintenir, au contraire, aussi vive que ces falaises qui tiennent, face aux vagues aveugles qui les dénudent toujours plus comme cet « ailleurs de moi d’un ailleurs / par la crainte dont la répétition se rapproche / où c’est l’accomplissement qui s’ouvre ».
Aujourd’hui, nous reste son murmure – Il disait : « Je n’écris pas, je marmonne » - sa respiration d’encre, son souffle. C’est là qu’il engagea son être et son existence, son insoumission au monde comme il va charriant toujours plus d’injustice et d’intolérable.
Bernard Vargaftig n’est pas mort. Sa vie s’est accomplie.
* Article paru dans l'Humanité du 02 février 2012
Bernard Vargaftig, Coffret livre « L’aveu même d’être là » et DVD « Dans les jardins de mon père », film de valérie Minetto et Cécile vargaftig, Au diable vauvert, La Laune, BP 72, 30600 Vauvert (39 euros)
Bernard Vargaftig, Ce n’est que l’enfance, Prix de littérature Nathan Katz 2008Arfuyen, Lac Noir, 68370 Orbey ( 11 euros)
08:13 Publié dans Dans les turbulences, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard vargaftig, poésie, alain freixe
01/01/2012
Aux amis et aux passants du blog: Buon cap d'an / Bon any nou!
21:19 Publié dans Du côté de mes publications, Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)
Balise 70- L'étrangère inconnue
"Chacun dans sa langue peut exposer des souvenirs, inventer des histoires, énoncer des opinions ; parfois même il acquiert un beau style, qui lui donne les moyens adéquats et font de lui un écrivain apprécié. Mais quand il s’agit de fouiller sous les histoires, de fendre les opinions et d’atteindre aux régions sans mémoires, quand il faut détruire le moi, il ne suffit certes pas d’être un « grand » écrivain, et les moyens doivent rester pour toujours inadéquats, le style devient non-style, la langue laisse échapper une étrangère inconnue, pour qu’on atteigne aux limites du langage et devienne autre chose qu’écrivain, conquérant des visions fragmentées qui passent par les mots d’un poète, les couleurs d’un peintre ou les sons d’un musicien".
Gilles Deleuze, Bégaya-t-il… in Critique et clinique
21:11 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1)
Chantal Danjou - Récits du feu (extraits inédits)
Poète, nouvelliste et critique littéraire, par ailleurs membre du conseil de rédaction des Editions Encres Vives, Chantal DANJOU vit et travaille aujourd’hui dans le Var après un long séjour parisien. Docteur ès lettres, professeur durant de nombreuses années, elle intervient à présent dans des instituts de formation d’enseignants (direction de mémoires et conception de projets concernant la lecture et l’expérience poétiques). Elle anime aussi des ateliers d’écriture et depuis 1989, d’abord à Paris puis en Région PACA, participe à faire connaître la poésie contemporaine avec l’association qu’elle a co-fondée, La Roue Traversière : présentations d’auteurs ; table ronde autour de revues et d'éditeurs de poésie ; interdisciplinarité artistique. Elle est, d’autre part, sociétaire de la SGDL et membre de la Maison des Ecrivains et de la Littérature.
Denières publications:
Poètes, chenilles, les chênes sont rongés, Ed. Tipaza, Cannes, 2008
Blanc aux murs rouges, Ed. Encres Vives, Colomiers, 2009
Les Amants de glaise, Ed. Rhubarbe, 2009
Pension des oracles à l’auvent de bambou, Ed. Encres Vives, Colomiers, 2011
La mer intérieure, entre les îles, Ed. Mémoire Vivante, en projet pour 2012
L’ancêtre sans visage, Ed. Collodion, en projet pour 2013
Anthologies:
Et si le rouge n’existait pas, le Temps des cerises, 2010
Pour Haïti, Desnel, 2010
Les poètes en Val d’hiver, Anthologie par un collectif international, Corps Puce, 2011
Anthologie de la poésie érotique féminine contemporaine de Giovanni Dotoli, Hermann Lettres éditions, 2011
*
Récits
du
Feu
D 554
Brûlée. Rien ne bouge dans cette partie de la colline. Là. Une éternité. Et cette table d’orientation.
Pas seulement la colline. Brûlés. Les pins, les fleurs d’arbres. Le grand pluriel d’adret : chênes verts, bruissements, noms de plantes et d’oiseaux. Les arbustes passés au noir blanchissent. Blanchissent les rochers comme champ de neige. Neige, éternelle, chantante.
Les arbustes ? Une conscience. Le versant argileux. Sans prise sur le réel. Jour gris. Sa limpidité doucement. Passe. Aucune ombre. Ne danse. Ne frétille
D 25
Une certitude. On ne jette pas les couleurs. Comme les brindilles dans le feu. Autre certitude : la neige. Accumulation. Pellicule. Objets hétéroclites. Clairs-obscurs.
Terre. Révolue terre. De minuscules architectures. De grotesques jardins. Maçons, bâtisseurs et. Charpentiers, couvreurs, peintres. Pas plus hauts que soldats de plomb. Ils disent : gagner du terrain. L’été vient. Ni eau. Ni feu. Ni tremblement
N 7
Deux maçons et un peintre. Happés par la fourmilière. Charpentier enterré. Dans taupinière. Petite cueillant des fleurs. Ils chantent : Ah ! Mon beau château, ma tant’tire lire lire !
Rançon. Et les corps. Portant collier, bracelet. Couronnes de fleurs, boucles. Voici la mort. Formes et stupeurs. Perfection
A 57
Une forêt. Noire. Monte. A travers les arbres. Plus claire-colline. Le jour aux branches. Laisse voir. Par transparence : les baies rouges. Gros levant. Ou gros couchant. Le désespoir. Des brumes de chaleur. Amorce et délitement. Avec nuits successives. Nombreuses. Rapprochées. Espaces menés à saturation. Des écharpes : feuillages. Confins, toitures. Qui flottent
Extraits inédits - © Chantal Danjou
21:08 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, chantal danjou
In memoriam Bruno Mendonça ( 1953 - 2011)
Bruno Mendonça, joueur de mots, lanceur de boomerangs, souffleur de poèmes et détourneur d’échecs, nous a quitté. Plasticien, Bruno était du côté du poème. Ce lieu improbable où l’on ouvre meurtrières et fenêtres à même les murs de l’époque à grands coup d’écarlate, corps et langue mêlés. Performeur, il arpentait le pays d’à côté. C’est là où nous l’avons rencontré. Ici ou là, dans les vernissages ; à Contes, pour notre poésie des deux rives ; à Coaraze , lors de nos Voix du Basilic ; aux Cahiers du Museur…
Le 03 novembre 2011, il a dévalé trop vite les marches des escaliers de son atelier chez Spada à Nice. Comme en une dernière échappée. Ce voyageur de l’art s’est élancé sans prévenir vers d’autres terres où « sur un écran ovale est projeté une version courte / De la Bête et la Pelle » tandis que « les chaises-longues s’allongent, se tirent ailleurs, armes / A l’épaule, pour décoller de la piste d’envol de Trafalgar.
Les Amis de l’Amourier s’inclinent sur son passage de « bâtisseur d’aléatoire ».
( J'écrivais ces mots pour la Gazette Basilic N°40- Décembre 2011. Un Après -midi d'hommage est en cours d'élaboration pour le 4 février 2012 dans l'auditorium du Mamac de Nice - 06 - La premire image a été prise à la galerie des Docks; la seconde à la galerie/Librairie Laure Matarasso courant octobre 2011 )
20:35 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
lu 74 - Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, Notes, proses et poèmes choisis par l’auteur (1946-2008), NRF, Poésie/Gallimard, N°470,10 euros
Plus de 60 ans d’écriture. Après beaucoup d’années, Philippe Jaccottet remet ses pas dans ses traces – celles d’une œuvre poétique contemporaine majeure - et nous donne une anthologie personnelle, une promenade sous langue à travers Notes, proses et poèmes de 1946 à 2008 comme sous les arbres d’un verger d’encre.
Comme il est émouvant de voir le poète de Grignan reprendre ses « beaux chemins » dont parlait mon ami Hans Freibach dans un article déjà ancien paru dans la revue Sud en 1995 dans son N°110-111. De le voir revisiter ses livres. Y saisir les souffles qui les coupent d’une lame de vie. Les ajuster, « ardoises sur le toit – on pense à Pierre Reverdy – pour servir d’abri à nos vies en alarme toujours plus perdues dans un monde toujours plus furieux.
Aucun doute possible la voix qui affirme "qu'il n'y a pas au monde que du malheur" malgré un avenir presque entièrement obscur, qui maintient de manière endurante que, devant nous, persiste toujours, indubitable, dans le cours même du monde, une lumière "bien qu'invisible dans le bleu du ciel / aussi sûre que chose au monde que l'on touche" et qui entend tout faire pour maintenir cette lumière et la "transmettre (...) comme une étincelle ou une chaleur", cette voix-là s’arrache à l’encre, troue l’ombre des 560 pages de ce fort volume, et nous parvient encore et toujours par cette porte dérobée comme « un froissement, très loin, de l’air » du dehors. Elle instaure , porte et maintient ce « contre-sépulcre « dont parlait en d’autres temps René Char.
Rien n’est perdu. Définitivement perdu, malgré l’utilitarisme et le profit, une époque qui évacue la mort, banalise la misère et renoue avec les guerres. Vivre ici est possible à condition que l’on « (rende) au regard son plus haut objet". Changer la vue pour change la vie comme peut le dire Bernard Noël. Et quel est-il cet objet pour Philippe Jaccottet sinon cette coïncidence entre la merveille et l'énigme, cet invisible qui, touchant en nous ce qui nous est le plus intérieur et le plus dérobé à la fois, et le faisant vibrer, ouvre en nous "ces beaux chemins" où l'on va vers ce col d'où semble monter, impérieusement, une lumière toujours plus vive. Loin de nous éloigner de la vie, les " beaux chemins" de Philippe Jaccottet nous y ramènent. Il en va ici comme de toute conversion. Rien n'a changé et tout a changé. C'est toujours de notre monde dont il s'agit, mais vu autrement, vu "à partir de ce qui ne peut se voir", vu à partir de ce à quoi nous sommes devenus si aveugles, nous qui vivons dans l'aveuglement, nous qui ne voulons plus voir. Oui, "le regard est ce qui sauve » comme le pensait Simone Weil.
Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet sont des chemins de vie. S'ils ne consolent pas, s'ils ne guérissent rien de nos malheurs, ni de ceux, effroyables, de ce monde, au moins mènent-ils "un pas / au-delà des dernières larmes". Ils aident à vivre parce qu'ils se tiennent toujours sur le versant "où la proue fend l'eau", et qui, pour n'être pas le présent de l'émerveillement - cet insu qui appartient en propre à Jaccottet - est, avec un minimun de perte, ce que le passeur a su amener jusqu'à nos rives. Avec lui, nous nous sentons à nouveau vivants, et comme assurés de nous-mêmes et du monde. Un peu moins lourds, un peu moins sérieux, un peu plus légers. Toujours plus résistants. Debouts. Encore.
20:06 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (2)
lu 73 - Carl Sandburg, Chicago Poems, Le temps des cerises, 15 euros
Au Temps des cerises, on ose dire – par les temps qui courent, c’est nager contre le courant ! – qu’on est pour « une poésie engagée », une poésie qui prend à bras le corps le monde, ses horreurs, ses odeurs de sang et de poudre, ses opacités, ses brumes .« J’ai écrit un poème sur la brume / Et une femme m’a demandé ce que j’entendais par là (…) J’ai répondu : / Le monde entier n’était que brume il y a longtemps et un jour il retournera tout entier à la brume » écrit Carl Sandburg (188-1967). Aussi, on a décidé au Temps des cerises de revisiter la collection « la petite bibliothèque de poésie » et d’en renouveler l’aspect et la tenue. A côté des rééditions du Nuage en pantalon de Maïakovski, Chansons du peuple de Jean-Baptiste Clément, Le tambour de la liberté d’Henri Heine, une belle nouveauté : les Chicago Poems de Carl Sandburg. Proposés avec beaucoup d’à propos en bilingue, ils sont traduits par Thierry Gillyboeuf qui, dans une précieuse préface, fait du poète américain le « chaînon manquant entre Whitman et la Beat Generation ». Les Chicago Poems sont publiés en 1916. Le livre connut un gros succès . Carl Sandburg choisit le peuple. Il fait de la ville – Chicago « la dépravée », la « malhonnête », Chicago qui pourtant « chante la tête haute, aussi fire d’être vivante, vulgaire, forte et roublarde » qui va « démolissant / concevant, / construisant, cassant, reconstruisant » - un travailleur fait de tous les travailleurs ; une âme faite de toutes les âmes comme « la gratte-ciel » qui « se dessine dans la fumée et le soleil » ; une langue faite de toutes les langues qui ici se mêlent. Parce que rien de ce qui est humain et jusqu’à la prostitution, jusqu’au crime n’est omis par Carl Sandburg, ses poèmes lèvent « un visage d’homme le regard plongé dans ces mâchoires et la gorge de la vie ».
1916 : l’Amérique, Chicago, ses rues, leur atmosphère, les hommes et leurs activités, leur vie difficile bordée de toutes les misères, toutes les joies, toutes les beautés, en quoi cela nous concernerait-il aujourd’hui ? C’est justement parce que Carl Sandburg n’écrit pas de la poésie-écho que ses poèmes n’ont pas ce ton blafard que l’on connaît aux voix réverbérées. Ici, on ne paraphrase pas le monde mais on retourne ses événements vers le ciel pour les matérialiser dans les bouleversements d’un langage où vibre l’inspiration du futur.
19:58 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
20/11/2011
Bernard Mazo - Testament
Né à Paris en 1939, poète, critique et essayiste, Bernard Mazo a publié une dizaine de recueils dont La cendre des jours (Voix d’encre, 2009), Prix Max Jacob 2010, Cette absence infinie (L’Idée bleue, 2004), La vie foudroyée (Le Dé bleu, 1999) et un essai : Sur les sentiers de la poésie (Melis Ed., 2008).
Il figure dans plusieurs anthologies dont Poésie de langue française, 144 poètes d’aujourd’hui (Seghers, 2008), L’Anthologie de la poésie française (Larousse, 2007), La Poésie française contemporaine (Le Cherche-Midi, 2004), Pour Jean Orizet, c’est un poète qui « élève sa désespérance à la hauteur d’une morale avec du Cioran chez lui ».Dans Le Monde, Alain Bosquet souligne que « Lapidaire parmi les lapidaires, Bernard Mazo arrive à une densité lumineuse que peuvent lui envier bien des poètes célèbres. » Monique Petillon dans le même journal écrit, à propos de La vie foudroyée : « Voici une poésie magnifique que traverse une lucidité lumineuse, une tension constante entre parole et mutisme.»
La nouvelle revue de poésie Phoenix (Marseille) vient de lui consacrer un dossier dans son N°3.
*
TESTAMENT
Soleil plus altier
plus brûlant
que le plus brûlant des étés
O saisons
de toutes mes douleurs !
Incendie mes jours
consume ma vie
que je m’endorme enfin
dans l’oubli secourable !
J’aurai alors ce regard vide
des insectes sur la pierre
la mémoire vraiment saccagée
le corps bien froid
Ah ! Recouvrez-moi de cendres
ensevelissez-moi !
Je ne suis d’ici ni d’ailleurs
ni poussière dans le vent
ma terre est plus lointaine
que le plus lointain des confins
et mes mains
ne sont plus habitables…
Gassin, été 2010
22:07 Publié dans Inédits, Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, bernard mazo, phoenix
Lu 72 - Mon beau navire ô ma mémoire, Un siècle de poésie française - Gallimard 1911-2011
Encore une anthologie ? Une anthologie consacrée à la poésie d’expression française du siècle dernier dans toute sa diversité et sa richesse ? Ici, nul axe de rencontre n'est privilégié - tous les choix formels et esthétiques, tous les tons se côtoient - le seul critère est éditorial: en effet, tous les poètes – 100 poètes, 100 poèmes pour 100 ans de poésie! – appartiennent au fonds poétique Gallimard, Antoine Gallimard se chargeant d’ailleurs lui-même de la préface.
Insistons sur le fait qu’ à l’exception de quelques noms toutes les grandes voix d’encre de ce temps sont là suivant un ordre alphabétique aussi simple qu’efficace.
Le vers d’Apollinaire qui fait titre invite à une odyssée: retour à quelques grands textes comme à quelques autres oubliés. Poésie, fille de mémoire !
Cet ouvrage témoigne de la présence importante, essentielle de la poésie dans la fondation et le développement des éditions Gallimard qui fêtent leur centenaire et de cette belle vitalité de la poésie, si l'on entend par là cette écriture acharnée à travailler la langue pour lui arracher une parole qui, sur fond d'abîme, tente de dire le présent, cette question.
21:56 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anthologie, nrfgallimard, poésie
Balise 69 -
"Nous aimons cette seconde si chargée qui brûle encore après que ce qui nous emporte a fui."
René Char
21:50 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rené char, poésie
Lu 71- Vladimir Maïakovski, L’amour, la poésie, la révolution, Collages d’Alexandre Rodtchenko,Traduction d’Henry Deluy
Henri Deluy, le poète fondateur de la toujours jeune revue Action Poétique – On fêtait l’été dernier à Lodève la parution de son N°200 ! – et de la manifestation La Poésie en Val-de-Marne, récidive. Il nous redonne le grand poème de Maïakovski De ça (1923) qu’il avait publié aux éditions Inventaire / Invention, précédé de La flûte des vertèbres (1915), poème d’amour dédié à Lili Brik ; de J’aime (1921-1922) où l’amour brûle sans consumer le désir et son Lénine (1924) commencé avant la mort de celui-ci et achevé peu après où son attachement à la révolution bolchevique va de pair avec son refus d’un culte de la personnalité qui se met pourtant déjà en place .
Quatre grands poèmes que Le temps des cerises réunit dans la collection commun'art, accompagnés d’une riche iconographie : reproductions de collages du constructiviste Rodtchenko et de couvertures d’éditions originales des poèmes de Maïakovski.
Rien n’y fera : le vers de Maïakovski, comme il l’avait prévu, déchire encore « la masse des ans » et c’est une « arme ancienne / mais terrible » que, lecteurs, nous découvrons – lire et fouiller entretiennent bien des rapports ! Cette arme est celle des questions. De celles que l’homme ne pose pas mais qui ben plutôt le posent comme homme dans son humanité même. Ces questions sont celles par lesquelles Henri Deluy clôt son « adresse à Vladimir (II), Lettre ouverte à V.I Lénine aux bons soins de V.Maïakovski ». Ces questions perdurent par delà les statues, les momies, une révolution « qui va devenir le panier percé de la mort / ce que découvrent (les) archives » , pour celui qui dans une « adresse à Vladimir (I) », au mépris de toute chronologie, met son cœur à nu, laissant percer une tendresse que les années, les coups de l’histoire, ont quelque peu crispées ; après les déceptions, après « Marina l’autre poète », ces questions pour celui qui continue à écrire, qui signe Henri Deluy, sont toujours celles du poème et du communisme. Ces questions ne sont toujours pas réglées pour lui.
Ces questions demeurent à l’avant de toute écriture. Ces questions ne sont pas de celles que posent une « commande pratique » mais relèvent bien de cette « commande sociale » qui est liée à l’existence « dans la société d’un problème dont la solution n’est imaginable que par une œuvre poétique ». L’enjeu alors n’est pas celui de l’actuel mais du présent qui se laisse entrevoir et difficilement nommer, présent qui ne trouve plus sa mesure dans le temps comme il va. C’est dans cette mesure là qu’il y a encore à interroger les vers de cet homme déchiré de poésie qui en appelait à une langue nouvelle, Vladimir Maïakovski. Oui, « c’est dur le futur » ! Surtout quand on a décidé, une fois pour toutes, que la vie devait triompher de la mort, qu’il fallait pour cela l’accélérer toujours – « camarade la vie / au trot / plus vite » - voire sauter dans l’avenir d’un bond, instaurer par là origine nouvelle. Où ? Sinon dans le poème. Là où la poésie existe. Se met à exister. Ce poème qu’Henri Deluy interroge dans sa traduction, matière verbale qu’il arpente fort de ce savoir qui lui faisait écrire que « la frappe du vers est une frappe de sens ».
Oui, il y a encore à lire ces « quatre grands poèmes épiques et lyriques » de Maïakovski, on y entend mugir encore « les coursiers / haletants / du temps ». Ils nous mordent la nuque !
21:45 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : deluy, maïakovski, poésie
18/11/2011
In memoriam Pierre Dumayet
(Dans L'Indépendant de ce jour 18 novembre 2011, Serge Bonnery, Président du Centre Joë Bousquet et son temps rend hommage à Pierre Dumayet. Que publier ici son article soit manière de m'associer au chagrin de son épouse Françoise et à celui de tous ses amis.)
Pierre Dumayet avait épousé l’Aude
Homme de télévision, écrivain, auteur de documentaires consacrés pour la plupart à des peintres et écrivains, Pierre Dumayet s’est éteint hier à l’âge de 88 ans à son domicile parisien.
Il avait été, aux côtés de Pierre Sabbagh et Pierre Desgraupes, le pionnier de l’information télévisée avec la présentation des actualités, ancêtres du journal télévisé et bien sûr l’émission « Cinq colonnes à la Une » qu’il co-dirigeait avec Igor Barrère, un grand classique du petit écran. Défenseur convaincu de la liberté d’expression et de l’indépendance de l’information, il avait fait les frais de son engagement en 1968 – on ne pardonnait déjà pas facilement aux hommes de conviction - mais n’avait pas moins poursuivi une trajectoire personnelle originale.
Homme de culture, Pierre Dumayet était un amoureux de l’art et des lettres. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de « Lectures pour tous », cette émission littéraire qui fut en quelque sorte l’ancêtre d’Apostrophes. Sur le plateau, Pierre Dumayet reçut quelques pointures de la littérature de son temps : Marguerite Duras par exemple, et le toujours très controversé Louis-Ferdinand Céline dont l’entretien fut, lui aussi, un moment exceptionnel de télévision.
Outre ces activités, Pierre Dumayet a aussi écrit de nombreux films pour la télévision, sur des artistes qu’il aimait. Citons son ami le peintre Pierre Alechinsky dont il dévoila l’atelier au grand public, le poète Pierre Reverdy (né à Narbonne) dont le film co-signé avec le réalisateur Robert Bober a encore été projeté la semaine dernière lors du Banquet du Livre d’automne à Lagrasse, et enfin les écrivains Marcel Proust et Gustave Flaubert. Tous ces documentaires avaient été diffusés dans le cadre de l’émission de Bernard Rapp, « un siècle d’écrivains ».
« La vie est un village »
Et puis tout près de nous, plus près en tout cas que de Paris où il vécut une immense carrière de journaliste et d’homme de télévision, Pierre Dumayet avait épousé l’Aude. Avec Françoise, son épouse artiste peintre, ils avaient acquis une maison à Bages, dominant l’étang éponyme qu’il contemplait toujours avec bonheur pendant les longs mois de printemps et d’été où il s’installait « à la campagne », comme il disait. « La mer qui est loin derrière la mer que je vois ne doit pas être belle à voir. Si j’étais un bateau, je pourrais décrire la tempête, mais je suis assis à ma table et je n’ai peur de rien… » (1) Ainsi décrivait-il ce qu’il voyait de sa fenêtre, à Bages où il goûtait à la sérénité des paysages et où, à ses heures, il était lecteur de L’Indépendant qu’il épluchait avec une tendresse particulière pour les chroniques des villages dont il restituait la saveur lors de lectures partagées.
Pierre Dumayet avait tissé des liens forts avec la région. A Perpignan, il comptait quelques amis fidèles parmi lesquels la galeriste Thérèse Roussel qui avait consacré dernièrement une exposition aux travaux de son épouse Françoise. Dans l’Aude, il était devenu un proche du Centre Joë Bousquet pour lequel il donna de son temps en se révélant un soutien sûr dans l’organisation de bon nombre d’expositions et de rencontres consacrées à la littérature et aux arts plastiques.
Enfin, il était le compagnon de route du Banquet du Livre de Lagrasse et des éditions Verdier où il a publié pas moins de cinq romans. Car Pierre Dumayet, qui avait tant fréquenté les auteurs et les livres, était aussi un authentique écrivain, pas un écrivain « à temps perdu » mais l’homme d’une langue lumineuse par son élégance et pétillante d’intelligence. Une langue accueillante et radieuse.
Pierre Dumayet était un écrivain du soleil, de la sieste railleuse et de l’apéritif rieur : sa vie à Bages était un village, pour paraphraser le titre d’un de ses livres, et sa disparition laisse ses amis audois et catalans dans la peine, eux qui le voyaient comme un roc indestructible.
Alors puisqu’il parlait si bien, si juste, laissons à Pierre Dumayet le mot de la fin avec cette évocation nonchalantede la mort incongrue : « Dans une centaine d’années, je ne me souviendrai plus de la couleur de ma voiture. J’aurai perdu ma mémoire en même temps que le reste. Mon nom ne sera plus le mien. A ma place il n’y aura personne… ».
Serge Bonnery
(not) (1) Les citations sont extraites de « Brossard et moi » et « La nonchalance », romans publiés aux éditions Verdier. Pierre Dumayet est également l’auteur de « La maison vide », « Le parloir », « La vie est un village » (Verdier) et « Autobiographie d’un lecteur » (Pauvert et Le Livre de Poche).
18:46 Publié dans Dans les turbulences, Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (1)