02/03/2011
Lu 60 - André Velter - Midi à toutes les portes, NRF, Gallimard
On se souvient de « l’amour extrême » - L’amour extrême et autres poèmes pour Chantal Mauduit, Poésie / Gallimard - cet « ermitage, écrit André Velter, qui n’a pas de toit, pas de fronton » qui « est de plein vent et de pleine clarté », qui est « passage, « esquif aimanté qui s’éloigne de la terre, reste à l’écart du ciel, sans renier la terre ferme, sans congédier le ciel ».
Eh bien, qu’on me permette de voir là le fond du nomadisme d’André Velter, celui d’un « avenir sans nom » qui convient moins à un marcheur qu’à un danseur, ce résistant aux lois mercantiles du monde où tous les parapets sont anciens, à tous les vainqueurs à la bonne foi douteuse ! Son dernier livre Midi à toutes les portes en fait l’éloge. C’est un livre foisonnant. On va de lieu en lieu transporté par une écriture de main légère, d’enjambée allègre, une écriture qui « garde l’élan d’une lecture à ciel ouvert ». De Bénarès à Bagdad, des plateaux du Tibet à l’Andalousie, de Paris à Louxor, De Kaboul à Charleville-Mézières…Mais c’est moins ce goût évident pour les voyages et l’ailleurs qui importe que cette force qui traverse le livre et coud ensemble ces fragments sans les attacher. C’est ce mouvement qui vient du dehors. D’avant les textes, d’avant le livre et qui saute hors de ce fort volume jusqu’à nous donner à voir à travers ce Midi à toutes les portes, le monde comme une terre libre et sans fin.
Il n’y a pas de sauve qui peut chez André Velter mais une errance choisie, travaillée, entretenue. Les lieux qui l’intéressent sont ceux qui permettent de « se mettre hors du monde », qui parce que ce qu’on y trouve échappe à toute dénomination, à toute prière » sont eux-mêmes comme des départs incessants. Des lieux qui permettent de sortir sans cesse « du cadre sans déserter la vie ». Des lieux de déterritorialisation. Des lieux/coupures. Des lieux/écarts. Des lieux qui nous douent de lointain. Ces lieux ressemblent à ces nomades de l’intérieur qui fascinent tant André Velter, moins des migrants que des voyageurs de l’intensité, ceux que Deleuze définissait comme « ceux qui ne bougent pas et qui se mettent à nomadiser pour rester à la même place en échappant aux codes . »
Cette place hors là, ouverte sur « l’inconnu qui creuse » est celle d’André Velter. Celle du poète André Velter qui « a fait de l’infini le dernier rendez-vous » des hommes libres et dont le poème qui sait « (garder) force de mots / jusqu’au bord des larmes », selon les mots de « la soupçonnée » de René Char, définit l’espace. Il nous attend.
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Balise 63 -
"Tout n'est pas veille lorsqu'on a les yeux ouverts"
Macedonio Fernandez
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Lu 59 - Patricia Castex-Menier - Quatre saisons en un jour, éditions de l'Amourier
Vous voulez voyager ? Et que les mots vous portent ? Vers le nord ? L’Irlande ? Alors lisez Quatre saisons en un jour de Patricia Castex-Menier, vous embarquerez pour « un pays de légendes » où « l’épaule de Troll du vent » vous poussera vers quelque « cottage / si bas qu’on le dirait pour des lutins » . Là, « on / allume le feu de tourbe, qui / raconte plus qu’il ne chauffe ». Feu de tourbe, feu du poème de Patricia Castex-Menier !
Et que raconte-t-il ce feu ?
Il éclaire et donne à voir un pays, l’Irlande, dans toutes ses dimensions : sa géographie, intacte comme aux premiers temps du monde ; son histoire ; ses luttes de Cromwell à un certain Bloody Sunday ; ses légendes ; son sens du sacré. Et jusqu’à sa météo si particulière qu’elle a fini par faire titre.
En effet, ces Quatre saisons en un jour sont la reprise d’une expression irlandaise qui sert à définir le temps qu’il fait, soit sur l’île ce passage incessant du soleil à la pluie, du froid au chaud, du clair au sombre et inversement bien sûr. Ce temps changeant, ce temps mêlé est celui même du livre de Patricia Castex-Menier. Il définit bien son rythme et son ton fait de ruptures, ces routes qui bifurquent, tournent et nous font passer du grave au léger, du tragique au comique, de l’archaïque à la modernité, du réel à l’imaginaire, de la légende à l’histoire et vice-versa : oui, « on en voit de toutes les couleurs » !
Ainsi va la saisie de ce territoire dans la dessaisie du temps comme il passe, inquiets de cette « lenteur bienvenue » qui « nous / polira la paix du cœur : comme / la pluie les pierres » car il pleut, ici. Terriblement. Une pluie qui semble toiser le temps, tricoter les visages et avec les chiens, garder les hommes de leur folie. Et si « les moutons sont chez eux » à déguster tranquillement « l’herbe de la tombe », les hommes eux sont souvent si seuls qu’ ils boivent fort et n’appareillent plus que sur les trottoirs où ils chantent fort, histoire de se donner « le pied marin / jusqu’au / caniveau / du bout du monde ». À la beauté du monde que ses vers célèbrent, Patricia Castex-Menier mêle la dénonciation de la violence du monde, des malheurs qui, ici comme ailleurs, accablent les hommes.
Quatre saisons en un jour, quatre auteurs pour un livre, quatre irlandais,, quatre paroles pour structurer ce livre : l’une de Seamus Heaney, l’autre de Galway Kinnel, la troisième de Samuel Beckett et la dernière de W.B Yeats. Quatre hommages à ces hommes dont la lecture a nourri son regard. Patricia Castex-Menier développe dans ce livre une grande unité d’écriture faite d’attaques vives comme un musicien entame son morceau ou un marcheur sa randonnée !– un mot isolé au démarrage comme on appui sur l’accélérateur – de vers courts, de registres mêlés, de contrastes accusés.
La poésie est le meilleur des guides. Elle oriente le regard à travers la réalité vers ce qui peut venir la trouer, ces riens – C’est cela le réel ! - qui se laissent rencontrer toujours dans l’inattendu. Ce sont eux qui ouvrent des passages – maître mot de Patricia Castex-Menier ! – afin d’offrir à la réalité cette chance de vie. Oui, l’Irlande, dans ce livre de poésie, est vivante parce que les vers de Patricia Castex-Menier sont vivants !
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10/02/2011
In memoriam Andrée Chédid
"L'hiver compte ses heures / la gorge transpercée / par le seul cri du vent"
Andrée Chédid est morte le 06 février dernier à Paris dans sa quatre-vingt dixième année. Elle disait : ""Je suis née au Caire, en Egypte. J'habite Paris par choix, parce que j'aime cette ville depuis l'enfance. J'écris depuis l'âge de dix-huit ans, pour essayer de dire des choses vivantes qui bouillonnent au fond de chacun". Elle est l'auteur d'une oeuvre consacrée à nommer les relations multiples, contradictoires parfois, qui lient les êtres humains entre eux et avec le monde. Théâtre, romans, nouvelles, elle chercha toujours à se mettre à la portée du plus grand nombre sans jamais abandonner son identité de poète. elle disait: "Du roman au poème, la démarche est autre. Là on suit ses propres pas; ici, on les devance."
Dans un numéro que la revue Sud lui avait consacré en 1991, Jean Tardieu écrivait : "C'est ici le moment de remercier Andée Chédid d'être poète, par des chants qui sonnent toujours juste et vrai, accordés à ce qu'il y a de plus sincère et, en même temps, de plus imprévu et de plus secret, c'est à dire de plus admirable, dans l'art d'écrire."
"Les poètes ont visage de vivant
ils assument leur siècle"
Ce visage qu'elle chantait nous restera!
10:00 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chédid andrée, poésie, mort
28/01/2011
Lu 58 - Michel Baglin - L'alcool des vents, éditions Rhubarbe
Michel Baglin n’est pas seulement l’infatigable passeur de poèmes que l’on connaît. Celui qui après avoir animé la revue Texture en sa version papier, vient de la ressusciter sur le net, http://baglinmichel.over-blog.com. Michel Baglin est poète. Un poète attaché à « faire redescendre sur terre la poésie ».
Sur terre, mais quelle ? Pas celle « puritaine et frigide » des réalistes qui ne voient la réalité qu’au travers de sa représentation, mots et images qui l’éloignent et tiennent à distance cela seul qui importe, le réel, soit éveillée, la présence.
Cet Alcool des vents, que les éditions Rhubarbe ont la bonne idée de rééditer – il était paru… - sait libérer la part des anges de sa bonne nouvelle : le vent, figurant de ce qui par déchirure donnera accès à ce réel, soit le présent et son « bruit de source » dont parlait Georges Braque.
Ce livre de Michel Baglin est le chant d’Actions de grâces d’un incroyant. C’est un hymne à la vie, à toutes les ivresses qui la rendent toujours vive et toujours jaillissante. Rendre grâce, remercier, célébrer mais en restant l ‘œil aux aguets, lucide et prompt à se défaire de cette molle tendresse qui fait entrer le cœur en narcose.
Rendre grâce, mais « à des riens » : fragments, éclats de souvenirs, événements, désirs, éclairs qui par instants et hasard toujours heureux viennent trouer, déchirer le cours du monde comme il va. Rendre grâce ainsi, c’est rendre grâce « aux coups de vent, de chance et de tabac ».
Au réel, le vent met une majuscule ! Il est principe d’ivresse. C’est lui qui vous jette hors de vous-même, obligé à tenir si ce n’est le pas gagné du moins est-ce le pas de côté. C’est lui qui vous jette dans « le vertige pour relancer la marche » vers « des lendemains moins froids »<. Toujours en avant de nous, le vent, en ses retours, souvent imprévisibles, coupe, interrompt, appelle à la traversée, à garder un contact puissant avec la vie.
95 poèmes dans ce livre, 4 chapitres, 4 coups de vent, 4 coups de cœur, 4 coups à boire en hommage à la vie, la toujours nouvelle. Si ivresse il y a à lire Michel Baglin, c’est celle qui ouvre sur la fraternité, celle qui nous fait trinquer « à tous les vertiges qui font l’homme incertain », qui nous permet de « nous agrandir de l’autre ».
Avec Michel Baglin, comme le voulait René Char, le poète sait se faire « le conservateur des infinis visages du vivant » !
22:31 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : baglin michel, poésie
Turbulence 46 - Indignez-vous!
On s'en posait des questions tous ces temps où nous avons pu prendre la rue: manifester peut-il déboucher sur un mouvement collectif de plus grande ampleur, une levée en masse du peuple? La réponse vient de Tunisie. Mais il fallut payer le prix du sang et des larmes!
22:24 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (0)
Pierre Maubé -
( Pierre Maubé est né en 1962 à St-Gaudens (Haute-Garonne), vit en région parisienne depuis 1983. Bibliothécaire en université. Sept recueils de poèmes publiés, parmi lesquels : Sel du temps (Fer de Chances, 2002, réédition chez Mazette éditions, 2010), Nulle part (Friches – Cahiers de Poésie Verte, 2006, Prix Troubadours-Trobadors), Psaume des mousses (Éclats d’encre, 2008) et Le dernier loup(Bérénice, 2010).
Publication de deux anthologies de poésie contemporaine : Ce que disent les mots : trente poètes des éditions du Dé Bleu (Éclats d’encre, 2004) et L’Année poétique 2009 (Seghers, 2009, en collaboration avec Patrice Delbourg et Jean-Luc Maxence).
Trois livres d’artiste aux éditions bdb.
Poèmes, nouvelles, pièces de théâtre et articles publiés dans quelques dizaines de revues, parmi lesquelles : Arc-en-Seine, Décharge, Diérèse, Encres vagabondes, Encres vives, Friches, Froissart, Linea, Le Matin déboutonné, Multiples, Parterre verbal, Poésie-sur-Seine, Polyphonies, La Sape, Sapriphage, Thauma, Vues d’enfance, …
Membre des comités de rédaction des revues ARPA et Place de la Sorbonne.
Textes traduits en anglais, espagnol, russe et italien. Traductions en cours : grec, hongrois et roumain.)
*
Le souvenir que j’ai de toi va son chemin sous le vent froid qui ébouriffe ses cheveux, froisse sa jupe et fait monter aux yeux des larmes inutiles.
Le souvenir que j’ai de toi creuse son nid dans la chaleur des draps, se love dans le temps avec la lenteur douce de la mer, le sel fragile de l’attente.
Le souvenir que j’ai de toi brille dans ma mémoire enténébrée comme brillent dans la nuit le ventre des lucioles et les yeux des chats.
Le souvenir que j’ai de toi est souriant et silencieux, il meurt lorsque je te revois et ressuscite à chaque fois que tu me quittes.
(extrait du Dernier loup, éditions Bérénice, octobre 2010)
*
Maintenant ne nous retient pas,
on regarde le ciel, le soleil éblouit, on cligne des paupières,
la cendre coule des doigts posés sur le front.
Nulle demeure en ce monde
autre que l’exil,
nul abri en ce monde ou dans l’autre,
pas de nid,
pas de bauge,
pas d’utérus,
pas même
le poème,
pas même la peau,
la peau aimante désirante,
la peau qui brûle sous le soleil
de la rencontre impossible,
la peau mendiante,
la peau habit de pauvreté,
nudité assoiffée calcinée,
la peau pitoyable vulnérable désirante,
la peau cette demeure
qui ne nous retiendra pas.
(inédit)
22:11 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maubé pierre, poésie
Lu 57 - Capharnaüm / Douze stations avant Judas, L'Amourier, collection Poésie
Décapole nous offrait un trajet, un parcours vers le sens au travers de dix villes et quelques comptoirs, itinéraire qui s’est poursuivi Par les ratures du corps. Nous traversons aujourd’hui Capharnaüm, Nice, lit-on au détour d’une page, la ville/monde aussi bien, ce lieu de tous les excès, de toutes les filouteries, hypocrisies et misères. Un lieu violent. Un certain Judas – personnage de langue qui n’est pas sans rapport avec l’Iscariote – y erre « comme un homme possible (…) le corps balançant entre la ligne des voix et celle des horizons ». Ce dernier affronte moins les visages que prend la mort qui y rôde qu’à travers eux le fond d’où ils proviennent, comme des masques par les trous desquels la vie nous regarderait. Ce fond est une réserve de sens, un espace aux strates plissées : la Bible et ses Evangiles bien sûr – Jésus n’enseigna-t-il pas à Capharnaüm ? – la littérature avec Kerouac, Pavese, Camus… sur lequel se détache le récit d’une expérience, traversée risquée du monde. Si le récit est mené en caractères romains, le monologue intérieur où le « je » trace sa route, rencontre la figure du Christ – ce « il » majuscule de la troisième station de Marie-Magdelaine, de Marie de Béthanie mais aussi celle de la morte à venir dans les yeux de la compagne, – l’est en italiques.
Je rangerais volontiers ce dernier livre d’Yves Ughes dans le terrain vague de la littérature – Près des villes où campent les nomades entre deux départs, deux marches, deux errances – où le poème se fait narratif et où la narration prend le tranchant et la tension du vers.
Rien ne nous méduse ici, tout nous questionne. L’écriture d’Yves Ughes est un geste d’intervention de soi, de traversée d’histoires et de territoires, de déplacement des forces. Il ne s’agit de rien d’autre que de « tenir là / dans la carcasse du temps ».
Le « Judas » d’Yves Ughes a ceci de commun avec celui de la tradition qu’il est bien un traître. Mais attention pas celui dont nous avons hérité depuis Saint-Jean Chrysostome qui a ouvert la voie à cette longue histoire de l’antijudaïsme et pour « les fidèles », cet antisémitisme chrétien qui a fait tant de ravages ; pas celui non plus proposé par Kazantzakis dans La dernière tentation du Christ où la trahison n’est que la figure d’une entente entre Jésus et Judas pour que ce dernier accepte de prendre sur lui toute l’ignominie d’un geste nécessaire à l’économie du salut. Le « Judas » d’Yves Ughes a trop souffert d’avoir eu à porter une demande d’amour excédant ses capacités propres d’homme en prise avec le monde comme il va. S’il trahit au terme de onze stations, c’est la scène du théâtre mortifère où l’on passe sa vie à la perdre dans les marécages du malheur. S’il trahit, c’est ce monde de mort. Le « Judas » d’Yves Ughes est un livreur qui en livrant se délivre. C’est sa manière à lui de porter la mort dans la mort. Ainsi, par contre coup, est-il rendu à la vie. Ainsi a-t-il la possibilité de renouer ce lien mortel à la terre qui nous voue à la distance, fondatrice d’humanité.
Comme s’ouvre dans le mur noir de la vie, une fenêtre. Dehors, le jour éclaire un paysage méditerranéen : oui, c’est bien la mer allée avec le soleil qui est retrouvée ! C’est bien l’éternité enfin « amoureuse des ouvrages du temps » selon William Blake qui vient transfigurer celui-ci et les choses visibles avec lui. Alors l’horizon se courbe, « le soleil flambe dans la réconciliation des oliviers ». Là, on peut « (se) refaire sans haine », lavé, nettoyé, dans « le salut du lieu ».
Bonne nouvelle, « Judas » est ressuscité !
21:46 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
Balise 62 -
"Seule la parole nous met en contact avec les choses muettes. La nature et les animaux sont toujours déjà prisonniers d'une langue, ils ne cessent de parler et de répondre à des signes, même en se taisant ; l'homme seul parvient à interrompre, dans la parole, la langue infinie de la nature et à se poser pour un instant face aux choses muettes. La rosée informulée, l'idée de la rosée n'existe que pour l'homme."
Giorgio Agamben
21:40 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agamben, la parole
04/01/2011
Albertine Benedetto -
( Albertine Benedetto, vit et travaille à Hyères depuis 1992, renouant avec ses origines méditerranéennes après des études de Lettres à Paris et une vie professionnelle commencée en région parisienne et dans le Pas de Calais.
Ses poèmes ont été publiés en revues (Friches, Aujourd’hui Poèmes, Rehauts, Autre Sud, Décharge, Poésie sur Seine). Un premier recueil, Lustratio, sous le pseudonyme d’Albertine Héraut, a été publié en 2001 (Prix de l’Edition poétique des Poètes de l’amitié, Beaune).
Son recueil Je sors a été publié aux Editions des Cahiers de l’Egaré, en mars 2008.
Certains de ses textes ont fait l’objet de mise en musique.)
*
ARIZONA DREAM
poignées de terre qui sont des nuages
il suffit de regarder au travers
ou d’écarter les doigts
cette liquidité du monde
du printemps à l’hiver au printemps
planté dans un peu d’eau
que le vent disperse à tout moment
dans des coulées d’oiseaux
de pétales épars sur le sol de la chambre
cailloux qui sont des chemins
fleuves vers la mémoire submergée
quand le lit devient radeau
13 février 2010
*
Finir sans les avanies de la fin
le grand lâcher
des humeurs
des odeurs
des pleurs
en matière de désagrégation
préférer le sec
la mue en toute discrétion
pour se dissoudre en paysage
nervures
brindilles
filaments
comme une esquisse chuchotée
sous le trait des paupières baissées
17 février 2010
*
08:45 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, albertine benedetto
02/01/2011
Lu 56 - Henri Michaux, Poteaux d'angle, Poésie/Gallimard, N°400, 2004
Je connaissais le Poteau d’angle paru en 1971 aux éditions de l’Herne – je revois le mince volume à couverture rouge – j’avais raté les ajouts parus en 1978 chez Fata Morgana et négligé les nouveaux Poteaux – Deux grandes balises et un poème final de « retour à l’effacement / à l’indétermination », paru en 1981 chez Gallimard.
Pourquoi ai-je emmené avec moi, dans mes montagnes, ce livre republié en 2004 dans la collection Poésie/Gallimard, 400ème volume de la collection ? Sûrement à cause de son titre – ce trou qui permet au regard de pénétrer comme à l’avance - et parce que feuilleté j’y ai reconnu ce style lapidaire dont les éclats sont toujours des événements pour le corps, enfin parce que je connaissais Henri Michaux, la fascinante singularité nos regards et cadastre nos chemins dans le paysage poétique du XXème siècle de ce désorienteur, qui à nomadiser en ses propriétés, nous jette toujours à côté, dans la question et l’énigme. Je sais maintenant qu’il répondait à une attente, attente que la parole qui brûle dans ce mince ouvrage ne saurait combler mais aguiserait au contraire : « non, non, pas acquérir, écrit Henri Michaux. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin. » L’étrange leçon ! Si contraire à tout ce qui grillage: « toute une vie ne suffit pas pour désapprendre, ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences » et si tonique pour traverser nos temps incertains où garder une posture humaine, rester ouvert à de l’humain en formation, est la question, le « grand combat » et l’insoumission, toujours le chemin vers une « paix dans les brisements ».
Il y a un côté « manuel » dans ce livre, un côté « pensées », un stoïcisme travaillé par le Tao d’où cet ensemble de sentences écrites par un « barbare » qui serait passé par l’Asie. La tenue d’Henri Michaux y est toujours originale. C’est celle d’un aventurier de l’intérieur : « tu veux apprendre ce qu’est ton rôle ? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi car il n’est pas de gourou pour ce savoir ».
Ces Poteaux d’angle sont comme autant de bornes qui ne bornent pas, ils ne cadrent que l’écart, l’affût, la préparation au bond, au saut de côté. De ce côté-là sont nos lointains, inatteignables bien sûr, nous vouant à une marche interminable au point que « la mort cueillera un fruit encore vert ».
Ces Poteaux d’angle servent tout au plus à délimiter des champs jonchés de cailloux, de rocs. Ce sont des vergers de pierres car selon la leçon de Lao-Tseu, ces injonctions sont des fruits. À peler !
Allez ramasser ces pierres, cueillir ces fruits. Ils se goûtent sur la langue. Saveur et savoir mêlés. Laissez-vous prendre, chaque pierre est une surprise. Et celle-ci est saxifrage – Ah ! l’énergie disloquante de la parole de poésie ! – elle casse, disloque, ouvre en deux, réveille car s’adressant à lui-même, c’est nous, lecteurs, qu’il atteint.
« Voûtés d’un grand silence », c’est ainsi que nous sortons de la lecture de ces Poteaux d’angle, comme leur auteur alors qu’il sortait d’une exposition de Paul Klee.
Silence, fruit de l’action poétique !
23:28 Publié dans Du côté de mes interventions, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : henri michaux, poésie, poteaux d'angle, poésiegallimard
Lu 55 - Alexandre Romanès, Sur l'épaule de l'ange, Gallimard, collection blanche
Entre l’assaut contre la frontière par lequel Kafka définissait la littérature et la reconduite aux frontières, entre la littérature avec ses loups qui filent ras entre deux silences et les chiens de garde qui aboient, rassurés par la longe qui les retient prisonniers, peu de choses en vérité. Juste cette honte comme un sac à porter, lourd d’obscurités et de haine voilée. Inutile de les énumérer, elles sont connues de tous.
Le mot « rom » en est la figure. Tuant les singularités qu’il est censé désigner, ce mot découpe la figure du bouc émissaire. La parole d’état tient les ciseaux, ses commis les chiens. On interdit, on déloge, on expulse. Avec ces campements détruits, ces familles renvoyées sans ménagement vers nulle part, c’est aussi notre imaginaire que l’on piétine. Nous sommes certainement quelques uns à avoir lu Apollinaire et ses saltimbanques ; Lorca et ses gitans, ceux du Cante Jondo et du duende qui visite et anime le corps des danseurs, les doigts des guitaristes et la voix des chanteurs ; à avoir rêvé de cette plaine où s’en vont les baladins et leurs caravanes. Ah ! Les routes !
Elles ont toujours inquiété les gens d’ordre – Ah ! cette lettre de Flaubert à George Sand qui ne cesse de circuler sur la toile ! - comme les inquiètent toujours les poètes, les artistes, ceux qui échappent aux codes et prennent les routes intérieures, celles de l’intensité. Car il y a voyage et voyage, nomade et nomade !
S'il en est un qui le sait, c’est bien Alexandre Romanès ! Cet équilibriste et dresseur, issu de la famille Bouglione, fondera son propre cirque après la rencontre avec Délia, sa femme gitane. Ses amitiés, Yehudi Menuhin, Jean Genet, Christian Bobin, le mèneront jusqu’au poème. Sur l’épaule de l’ange est paru en avril, aux éditions Gallimard, avant les grands feux sécuritaires de l’été. Ce livre n’ira pas se perdre dans le grand espace des livres, ces sables mouvants quand c’est des livres qu’ils viennent, mais venu de la vie, il y retournera en témoin d’un peuple de plus en plus menacé ! Il y a quelque chose de sauvagement doux dans ces courts poèmes qui rarement dépassent la dizaine de vers. Quelque chose de désencombré du discours comme du silence. Quelque chose comme « une douceur sans mélange » écrit Christian Bobin dans sa préface : une impression de lumière, celle d’un bleu qui sait rendre le monde à ses ombres, à ses mensonges.
Lire Alexandre Romanès, c’est arracher les mots à ce commerce abusif auquel ils sont asservis par tous les présents du monde quand le présent n’est que l’écume irisée de l’actuel. C’est ouvrir et libérer la vie d’où ils viennent. C’est décoller l’âme et laisser passer l’ange – ailes aux pieds, ce vagabond ! – et sur son épaule prendre appui , se jucher pour passer les jours quand leur corde est trop lâche qu’ils ne tiennent plus qu’à un fil quand les heures sont si lourdes qu’elles nous roulent au sol. On ne se repose pas sur l’épaule de l’ange, on y entend juste le vent qui venu du plus ancien, de l’oublié, des paroles perdues, déchire certes, mais aussi rassemble.
Dans ce livre d’Alexandre Romanès, il y a de la légèreté – celle d’un non-savoir revendiqué comme tel – et de la gravité, celle de la présence dont les coups d’aile nous touchent. Dans la distance. Par effleurement.
À tous les sans-regard qui collaborent aujourd’hui, dans le respect des hiérarchies, à tant de forfaits, drapés dans le suaire de la légalité, on aimerait juste leur donner à entendre ces mots d’Alexandre Romanès : « le ciel, donner et Dieu / dans la langue tzigane / c’est le même mot. » Si l’âme est la patrie du beau temps, ils en sont les apatrides, voués à un terrible hiver. Qu’ils y gèlent !
23:20 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre romanès, rom, poésie, épaule, ange, cirque