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14/10/2009

Lu 44 - Jacques Dupin: Par quelque biais vers quelque bord, P.O.L, mai 2009

L’espace autrement dit publié aux éditions Galilée en 1981 était épuisé. Les textes de Jacques Dupin sur Miro, Giacometti, Tapiès sortaient à part. restait à reprendre les autres textes, à leur adjoindre ceux parus entre temps, à conserver le beau texte de Jean-Michel Reynard - Placé en fin de volume, il partage avec la foudre son tracé de nuit. Touchant terre, ici ou là, en tel ou tel texte, sur tel ou tel peintre, ses propos remontent en lumière – confier à Emmanuel Laugier, à qui l’on doit Strates, ensemble d’études sur l’œuvre de jacques Dupin, paru chez Farrago en 2000, le soin d’ouvrir ce volume par une préface, don d’air, prise de souffle avant de se lancer dans la lecture de ces 47 textes, le plus souvent de commande, écrits entre les années 1953 (texte sur Max Ernst, paru aux Cahiers d’Art) et 2006 ( texte sur Jean Capdeville, paru dans le catalogue Un peintre et des poètes, Centre Joë Bousquet et son temps, Carcassonne)

Dupin-Peintres (POL)187 - copie.jpgAh ! Les indéfinis du titre Par quelque biais vers quelque bord ! C’est que nous voilà perdu en pays de peinture : 5 chapitres, 47 textes, 35 artistes dont 5 sculpteurs . De Kandinsky à Capdeville en passant par Braque, Sima, Pollock, Kolar, De Staël, Michaux, Adami, Saura, Bacon, Riopelle, Rebeyrolle, Alechinsky…on ne saurait tous les citer.
Perdus comme il convient quand c’est dans l’inconnu qu’on avance.
C’est entendu Jacques Dupin n’est ni historien, ni critique. Jacques Dupin est poète. Il est le poète de l’écart, quelqu’un qui partage avec les artiste cet « œil de rapace » fixé sur cet « au-delà de la peinture qui pourrait bien n’être que l’avenir de la peinture » comme il le dit dans ce texte inaugural sur Max Ernst en 1953. Voilà que nous ne reconnaissons plus rien de ce que l’on connaissait ou plutôt croyait connaître. Alors il nous faut bien avancer, pousser quelques pas et pour cela emprunter « quelque biais » moins pour arriver quelque part que pour se diriger vers ce qui pourrait faire bordure. Du coup, lire ces textes comme des marins tirent des bords quand la mer est toute au vent et que s’est imposé le tourmentin. Quand « chaque pas naît de la nuit », que « chaque geste naît du chaos » se trouve alors instauré un ordre, celui de la forme qui déploie l’espace. Ordre « aussitôt contesté et ruiné au hasard, à l’attente du prochain élan ». Ainsi les œuvres restent-elles ouvertes, toujours en route vers elles-mêmes, hors conclusion, du côté de l’oiseau de Braque, « oiseau terrestre » qui incarne « l’impossibilité de conclure (…) le perpétuel contre l’éternel » rappelle Jacques Dupin, le perpétuel et son bruit de source.

« Un air vif souffle sur la forme ouverte et les couleurs soulevées », il passe sur ce livre en de brusques à coups, c’est dire si l’on respire dans ces pages où tout se renonce, se reprend sans fin comme dans ces œuvres d’Henri Michaux où les signes « (captent) l’énergie par (leur) indétermination même. La (captent) et la (relancent) aussitôt à d’autres signes et à leur unanime agitation. Toutes les communications sont ouvertes par ce pouvoir de liaison et de rupture du signe avec le plus prochain et le plus lointain. Et dans cet incessant rebond… » Voilà, on y est !
Nous voilà au plus près de ce que Jacques Dupin nomme un « nerf actif  et plus éveillé que tout être vivant », « énergie universelle, qui de la partie au tout, de proche en proche, fait poindre et surgir l’espace », force qui travaille les œuvres, ces territoires du corps à corps. « Surcroît d’énergie » libéré par « un affrontement où la violence, l’érotique, la lucidité, le jeu et le défi de peindre se (relayent) et (fusionnent) pour transgresser le constat et faire surgir la vie et son inconnu de la destruction des apparences ». Cette force qui « soulève et irrigue l’espace pictural » est le produit « d’ un acte plus que d’une pratique » écrit Jacques Dupin à propos d’Antonio Saura. Un acte où il s’agit d’  « être / le premier venu » - Je ne saurais oublier que ce sont là les deux vers d’un poème de René Char intitulé « Amour » !
À lire ces textes on sent bien que les artistes ici accompagnés travaillent non avec ce qu’ils ont, ce dont ils disposent, mais avec ce qu’ils n’ont pas. On comprend qu’ils puisent leur force dans le vide qu’ils ouvrent et auquel ils osent confier leur désir d’arracher à l’inconnu quelque chose qu’ils ne connaissent pas encore. Leur force est de se mettre en danger, de se démunir de tout et de se lancer dans la pente si le terrain est à la descente ou d’attaquer la paroi si les pieds ont besoin des mains pour se hisser ! C’est alors que s’ouvre, pour eux, l’espace, à partir d’un trait, d’une couleur, d’une forme risquée. Marche en avant qui toujours désaccorde le paysage, nerfs et rage le ravageant comme le grand vent tient ensemble sans les unifier les éléments contraires sous grand soleil décapant.

Chacun des textes ici repris est une coulée de lave, de celles qui vont lentes au long des pentes portant la musique tue des explosions ou qui, parfois, sautent, brusques, comme font les eaux au dévalé d’un torrent. Ces textes de Jacques Dupin sont tous écrits « avec le souffle qui (les) traverse, comme il l’écrit dans Echancré – paru chez P.O.L, livre aujourd’hui repris avec Contumace et Grésil dans Ballast dans la collection Poésie/Gallimard – l’inutile et le nécessaire « qui vient d’ailleurs, et qui va plus loin ». Quelque chose de « fatal ». « Fatal », premier mot du premier texte – il est consacré à Malevitch -  et que l’on retrouve dans un texte sur Braque. Fatal, ce qui « (rompt) l’amarre entre le peintre et son tableau et le jette sur les routes. Fatal comme source inépuisable d’action et seule manière de se découvrir soi-même tendu vers l’autre, vers l’insaisissable autre. Fatal que ressent Jacques Dupin au contact des œuvres. Fatal comme « violence et jouissance confondues (…), écrit-il, la vérité de toute la peinture, l’immédiateté de sa rencontre et l’approfondissement de la commotion ».
Sur la scène de la création, ces textes de Jacques Dupin sont répliques aux pointes des artistes. Tous disent, oui, vos œuvres sont vivantes. Et je vis d’elles ! Là où personne ne s’attend à me trouver. Dans ma forêt. Entre hure de sanglier, sabot de cerf et violettes des fourrés ! Et nous vivons de ces textes !

© Alain Freixe

Jean-Claude Villain: Trois diurnes

JC à Florence (sans micro).JPG( Né en Bourgogne Jean-Claude Villain a très tôt choisi un ancrage au Sud, et après avoir beaucoup fréquenté la Grèce, partage sa vie alternativement sur les deux rives de la Méditerranée entre Var et Tunisie. Depuis 1974 il a publié une vingtaine de livres de poèmes, tous accompagnés de la contribution de plasticiens, ainsi que des chroniques et nouvelles, des pièces de théâtre, des essais, des études critiques, des versions françaises de poètes étrangers, et de nombreux livres d’artistes. Ses deux derniers titres (parus en 2008) sont : Fragments du fleuve asséché (Ed. L’Arbre à paroles) et Vrille ce vertige (Ed.Propos2).)

 

 

Trois diurnes

 


1-      Un jet de lumière traverse la mer. Le ciel n’est plus qu’un arc bandé. Pourtant encore l’aube, à peine. Flux de comète, du blanc gicle. Sans forme. Sans feu. Sans nuit. Traîne luminescente. Se peut-il que les pétales neufs d’une saison s’aventurent à poursuivre le vent ? A l’extrémité de leurs branches, les arbres poudroient une neige fine. Or stellaire aveuglant les oiseaux. Les faisant paraître ivres. Au point du jour sur l’autre rive que sera le chant si aucun migrateur ne le précède?




2-      Le jour est monté. Sous le soleil battent des ailes sanglantes qui étouffent tout cri. Aveugle, une promesse torride touche son terme. Inutile flamboiement. Apothéose, stérile de toute suite. Les désirs consumés se transmutent en calcite noire. Se précipitent dans la froideur du vide. Rouges gouttes glacées. Tombées à l’aplomb de vastes trous. Ouverts dans la terre. Figés ils stagnent en couches. Sédiments. Que la vrille du doute. Taraude.




3-      Il est tard. Un corbeau blanc s’est échappé du jour. Rivé à la terre son œil sait tout. Il cherche désormais un nuage pour se confondre. S’oublier. Ils disent : « c’est Phénix, c’est lui, il était noir ». Au crépuscule le soleil manigance de telles métamorphoses. Pourtant tout vol n’appelle pas le vent. Ce soir, à qui donc se fier ? Le rossignol qui chante, l’as-tu vu ?

Turbulence 37: Il était temps de rentrer...

Durant trois jours s'est tenu le festival du mivre de Mouans-Sartoux: Dans la fureur du monde. M'a accompagné une réflexion de Marguerite Duras tirée de son livre Ecrire:

"Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres charmants, sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s'inscrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée."

02/07/2009

Balise 49 - En marche!

"Sur l'autre versant l'oiseau module ses appels. pour l'atteindre ce ne sont pas des rameaux englués qui porteront secours. Mieux vaut marcher, simplement décidés d'aller à sa rencontre, le sachant, d'arbre en arbre, irréprochable ami. Il est là-bas sur un vieil arbre mort, au sommet de la colline comme un fruit. Alors la procession des choses s'organise et le vent, en tête, la fait vivre. Quel meilleur conseiller que le vent? Je marche donc à nouveau parmi les pierres."

Pierre-Albert Jourdan, La marche, éditions Unes, 1985

10:26 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie

01/07/2009

lu 43 - Bernard Mazo - La cendre des jours

Poète, on sait Bernard Mazo homme de patience. Sa lenteur à publier – son dernier livre, Cette absence infinie, au Dé bleu, date de 2004 – est veille obstinée sur la langue et souci de composer non un recueil mais un livre, bâti comme on choisit les pierres du mur que l’on entend dresser moins pour séparer que pour pouvoir retenir les terres et s’adosser à lui afin que file, libre et tranquille, le regard. Au loin.Couv Mazo- Cendre des jo142.jpg
Armé, La cendre des jours l’est d’abord par les toujours belles reproductions auxquelles Voix d’Encre nous a habitué dans toutes ses productions – Ici, ce sont des lavis d’Hamid Tibouchi dont les tons grisés de mousseuses écumes font vibrer les noirs – ensuite, par les paroles choisies par Bernard Mazo d’Héraclite à Yves Bonnefoy qui ouvrent les différentes sections de cet ouvrage. Lavis et citations sont moins clés qu’armure, et qu’on veuille bien entendre ce mot en son sens musical comme ce qui détermine la tonalité d’une partition.
J’aime la posture de Bernard Mazo, j’en partage la cambrure, c’est celle qui pose en ouverture : « l’espoir est une veilleuse fragile », poème qui « sur cette terre vouée au désastre », « au cœur de la nuit carnassière » lève haut l’endurance de l’homme à tenir comme chance à venir : « nous tenons nous résistons / nous nous arc-boutons / contre vente et marées » à partir de « l’ombre désespérée de la beauté » qui traverse les mots du poème. Les redressant, ils redressent les hommes que nous nous efforçons de toujours plus devenir. « Désespérée » car « le poème / ne peut se fonder / que sur ce qui est / condamné à mourir ». C’est qu’en effet le monde se défait comme travaillé par les forces du déclin. Nous voyons cela. Aussi ne pouvons-nous que tenter – Et c’est toujours à reprendre, à recommencer. C’est pourquoi Bernard Mazo avoue : « C’est toujours / le même poème imparfait / que j’écris et réécris «  - de « nommer ce qui va s’effacer », cette « insaisissable beauté / du monde », soit cela qui nous saisit, nous transit, avec quoi nous fusionnons dans l’instant, cette « inespérée » qui ne cesse de se défaire dans les mots qui prétendent articuler sa présence.
Le poème qui, pour Bernard Mazo, « n’est pas / seulement / le poème / mais la mémoire / préservée / du monde », est cendre où il y a de quoi protéger pour qu’elle dure, la graine du feu.
Bernard Mazo ne pousse pas la voix, ne hausse pas le ton. Il va inquiet et fragile, avec simplicité, amant définitif de la poésie qui à ses yeux reste « la seule à (inscrire) / dans la chair des vivants », « la seule trace durable », celle de « l’obscure rumeur du temps » comme de « l’éblouissement / du premier matin. »
Traverser le monde, traverser la langue, sans « (réveiller) les dieux », sans « renoncer » même si « la vie / nous oppresse », en résistant à tout ce qui nous défait, en espérant « trouver / la parole juste / pour pleinement / exister / combler / le manque / ressusciter / la respiration légère / des choses », c’est traverser certes un champ de ruines mais au moins celui-ci est-il « un labour ensemencé », selon les mots de Jacques Dupin, prêt, dans l’attente de la rencontre avec « l’absente », « l’inespérée », « bel oiseau frémissant / que la beauté foudroie ».
Bernard Mazo l’appelle « Poésie » !

Bernard Mazo, La cendre des jours, Lavis d’Hamid Tibouchi, Voix d’Encre, 18 euros

 

Alain Richer: un homme en marche est une cause libre

ALAIN  RICHER est né à Angers en 1946. Après différents séjours en Languedoc, Lozère, Pyrénées, Rhône Alpes, Cévennes, Normandie, il vit à La_Users_alainricher_Desktop_100_2927.JPG Rochelle depuis 1991. Il a publié dans différentes revues telles que : Phréatique, Laudes, Cahiers de l’Archipel, Encres Vives, Triages, Friches, Arpa etc…
En édition, on relèvera: Economie de l’air (Ed. G.Chambelland 1992); Les îles sont des rivages de sel (Ed. Océanes 1996); Le mûrier dans la mer (Ed. Rumeur des âges  1996); Grande patience de la Loire (Ed. Encres Vives  1997); Les sources du Lathan (Ed. Clapas  2000)


Il vient de publier Chemins du Monde Carré aux Ed. des Vanneaux en 2009, chemins des hommes libres selon Le livre des serfs de l'abbaye de Marrmoutiers (Xème), sur lequel pèse ce "ciel" que j'extrais de cet ouvrage:

Le ciel

 

Petite halte dans la nuit

 

Le chasseur s'est tu

l'if soudain

déchire l'oeil de la biche

 

pur comme le sang

qu'il sale sur les lèvres

le temps siffle sans chair

 

d'un souffle l'arbre se plaint

feuilles arrachées, fables qui montent

restes figés de matins accomplis

 

peut-être le froid plus froid

sur l'éternel vécu du givre

 

 

09/06/2009

Balise 49 - Où l'homme?

"Un beau visage est peut-être le seul lieu où il y ait vraiment du silence. Alors que le caractère laisse sur le visage les marques de paroles non dites, d'intentions inaccomplies, alors que la face de l'animal semble toujours sur le point de proférer des paroles, la beauté humaine ouvre le visage au silence. Cependant, le silence qui advient alors n'est pas une simple suspension du discours, mais silence de la parole même, le devenir visible de la parole : l'idée du langage. Aussi le silence du visage est-il la vraie demeure de l'homme. "

Giorgio Agamben

20:07 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie

24/05/2009

In Memoriam Antoinette Jaume

jaume.gifDébuts des années 80. Montgeron. La revue La Sape organisait des Feux de bois. Jean-Marie Barnaud et moi-même y avons été invités avant d'entrer au comité de rédaction de cette revue qu'Antoinette Jaume avait fondée avec Maurice Bourg et dont elle s'est occupée pendant près de trente ans. Une relation privilégiée s'est établie entre elle et nous favorisée par une montagne: le Canigou; un pays: le Midi Noir; un poète: Joë Bousquet. Relieur d'art, peintre, son oeuvre poétique se tient entre "angoisse et fascination du trop-plein basculant dans le vide; de l'instant unique où pourrait apparaître l'invisible,murmurer l'inaudible; où un seul mot pourrait dire l'indicible".

Sur le site du Printemps des poètes (www.printempsdespoetes.com/)ou sur celui des éditions de l'Amourier (www.amourier.com) qui a publié Le temps du sel en 2003, on trouve sa bibliographie.

J'ai demandé à Jean-Marie Barnaud de rédiger quelques mots pour accompagner celle qui est partie. Quant à moi, je couv La Sape057.jpgreprends ici ce Vol de l'hirondelle, paru dans La Sape, N°23/24, en 1990 et consacré à son livre Instances paru chez Dominique Bedou.

*

Sois à la fois la page
la plume et le pinceau m'as-tu dit
pareillement nécessaires
et négligeables


Je relis ces vers d'Antoinette Jaume, extraits de son beau livre d'artiste, Paroles de vent, paru à La Bartavelle en 2000 et illustré, en contrepoint, par des pastels de l'auteur – c'était un choix de poèmes tirés de Rives du temps publié cinq ans auparavant chez le même éditeur.
Et je les trouve, ces mots, qui portent et la fermeté d'une injonction, et l'humilité d'un constat sans appel, parfaitement fidèles, dans l'aveu simple qu'ils expriment, au souvenir que j'ai de l'humanité d'Antoinette.
On ne sait qui lui donne cet ordre, quel ange secret peut-être, de se faire elle-même l'outil "nécessaire" de sa querelle, et de poursuivre, inlassable, sa chimère par le tableau et le poème, tout en lui enseignant la sagesse, si rare, de se garder de toute vanité.
Mais voilà: notre chasse, oui, est à la fois nécessaire, on ne transigera pas là-dessus, et en même temps elle ne pèse rien.

Je me dis que c'est la conjonction de cette force et de ce doute qui lui inspirait, outre la nostalgie de certains lieux et d'un paradis improbable, la mélancolie qu'on voit dans ses poèmes, venue de ce qu'elle nomme elle-même son "exil intérieur hors d'âge", à côté de l'amour des choses simples et évidentes, "l'hirondelle a de ces vols/parfois", et de sa fascination pour les visages…

Demeure aussi dans mon  souvenir des années 80, alors qu'elle était si active au comité de rédaction et au secrétariat de La Sape – elle y a tenu trente années ce rôle – la  générosité de son accueil et de son écoute, sa fidélité.

J'ai regardé longuement son beau et fin visage sur la photo du site du Printemps des poètes; elle est bien jeune alors; mais son regard déjà, un peu lointain, un peu ailleurs, n'est tourné que vers l'essentiel:
Ces yeux ne voient plus que leur ciel intérieur

© Jean-Marie Barnaud

*

Le vol de l’hirondelle

"Et tu glisses entre les vents comme un oiseau."1


Avez-vous vu voler une hirondelle ?
Avez-vous vu comme à la limite extrême de son plané, celle-ci brusquement se détourne et vire en folles saccades,comme si la Familière se sentait, menacée d’évanouissement dans cet accomplissement même qui la portait ?
Cela saisit comme un désastre, d'où sort pourtant à nouveau l'oblique calme d'une ligne parfaite avant la foudre de nouvelles ruptures.
Souvenez-vous du vol des hirondelles avant de lire Instances d'Antoinette Jaume. Du visible au lisible, la traverse ici est heureuse.
Souffles balancés,virtualités murmurantes,enroulements,reprises,plané des images,.ruptures : telle est cette écriture qui dans Instances  sait rester ténue,entre "affleurement de 1'immobile"2 et "effleurement du silence",écriture aux trous blancs par où remonte l’étrange  clarté de cela même qui,sans rapport, retiré dans son ouverture,nous parvient, dans le mystère de 1'Instant, cette lisière, en flammes entre "accompli" et "désastre".

*

Instances est le poème brûlant de l'approche du "coeur inapprochable où / tout ne serait rien / tout et rien d'autre"', poème du basculement hors du "jardin angélique", car être entraîné vers, c'est aussi dans le même mouvement, effet inéluctable,être entraîné hors de. Aborder, c’est déjà déborder. L'avant est toujours suivi d'un après.
Tel est l’incessant de l’Instant. Pourtant cette dualité ne saurait se penser sans qu'un tiers temps ne s'intercalât entre ces deux mouvements : temps de l’espoir, du rêve d'un "possible paradis en ce pur suspens "à figure d'éternité", en ce seuil où "le temps trouve grâce"; moment de la prière ou du délire où Antoinette Jaume avoue: "Oh retenir le jet de 1'arc / serrer dans sa main ferme toutes /' les
Rênes du désir / cristalliser l'instant unique / de l'immobile. »
Mais, ce moment est aussi bien celui de tous les dangers.
L'image du « paradis" est dangereuse, en ce qu’elle semble faire signe
vers un lieu apaisé d’où il n'y aurait plus à partir, pur repos dans « l’abandon de l’étale. »
S'il est vrai que l'instant est étymologiquement ce qui se tient dans l'entre-deux en tant qu'il n'est ni l'avant, ni l'après, mais cet "éclair foudroyé de paradis", ce moment où nous nous trouvons comme suspendus dans la durée pure d'un moment d'équilibre, pur suspens qui ne trouve de mesure que rapporté à l’éternité, « ajustement paisible" entre l'avant et l' après, il reste qu’ on ne s'installe pas ence "lieu sans lieu' / hors d'exil", proche en son étale de la mort. eu son étale de la mort.

*

Si Antoinette Jaume ne peut, éviter cette fascination, son attention de poète, ce regard amoureux porté par les yeus du jour de ceux qui savent laisser sur les rives du malheur "leur vêtement d'orgueil et de possession"3 la sauve. Ainsi quand "le visage intérieur / éclate et se disperse aux lèvres de la fontaine", son regard sait subvertir le savoir Jusqu’à dévêtir la vie de ce que lui ajoute l’ombre de nos personnes, "ce visage de tous les jours".
Alors, il est émergence, dans le feu de son amour de nouvelles naissances se laissent deviner. Alors, le brasier l’Instant est rendu à son essence: pur échappement perpétuel à soi, et c'est "l'abîme" qui "prolonge encore le murmure de la vie / le démembre / 1'éparpille".
Parce que "toute jubilation éclate comme une graine trop mûre, Instances est bien alors le poème brûlant du passage. C'est à ce "devenant" qu'Antoinette Jaume se voue, à cet instant comme "tension immédiate et agissante sans qui n'existeraient ni l'avant, ni  l’après".4
C'est Cela, cet « essentiellement passant" que sa parole-funambule trace,  souffle qui «  a retrouvé la cadence de ce qui se noue et se défait".5
Et c'est alors la vie même, ce battement  - nouaison, dénouaison  tissé d'attente, cette trame de nos jours,qui triomphe dans la lucidité
douloureuse de la reconnaissance de ce que le désir a de flamboyant
quand il s ' entretient à ses propres braises :
« Nouée, dénouée, renouée / l'attente dans l'avant / dans l’après / est infinie".

Figure inverse de l'espoir, le désespoir n'est pas ici de mise. Nous dirions plutôt que ce livre d'Antoinette Jaume  ouvre sur une sagesse de l'inespoir, ce savoir des rnétamorphoses qui sait ne rien attendre eu retour. Il n'y a pas de passe dernière à franchir,il n'y a pas de combe dernière. L'ultime demeure intact dans le désir: "Départ sans cesse en instance / pour le lieu pur dormant au coeur de l’apparence. »

*

Ces Instances sont bien, en un sens second, des sollicitations pressantes,des prières à nous adressées.
Oui, le "paradis" est possible, ici et maintenant, telle est la bonne nouvelle de ces Instances. Ce n'est pas qu'il y ait à rêver d'un lieu, lointaine origine préservée où remonter serait pacifier toutes les contradictions qui tiennent au temps hideux des jours comme ils vont, mais c'est révéler qu’une ouverture autre à ce monde est possible qui le rendrait enfin à lui-même, à sa "tendre indifférence", disait Albert Camus. Dans cette "paisible parenté distante des choses à moi, de moi a elles"7, je suis rendu à son battement vital.
Disparu le regard nostalgique d’arrière, s'ouvre celui amoureux de ce qui vient, à l’avant de nos; pas, incessamment comme "se déploie / parmi les nuages / ailes et vent" le poème, cette parole d'hirondelle.

© Alain Freixe

Notes :

1) Antoinette Jaume, Egrégore, éd Saint-Germain-des-prés, 1976
2) Toutes nos citations non numérotées sont extraites de Instance, éd Dominique Bedout, I989
3) Antoinette Jaume, Abrupts, Le Connier, I978
4) Antoinette Jaume, Entretien avec André Miguel, Le Journal des
Poètes, N°3-4, I985
5)Antoinette Jaume, Egrégore, éd Saint-Germain-des-prés, 1976
6) Idem
7) Roger Munier, Le contour, l’éclat, éd de la Différence, 1977

 

 

Turbulence 36 - ...et toujours plus de contrôle!

On ne peut plus s'absenter quelques jours, quitter les tiédeurs d'un printemps qui se traîne  - Voir ici même Turbulence 22 du 02 juin 2008 -sans être rattrapé par des nouvelles venues d'en bas. Voilà que les fins limiers de l'antiterrorisme après Eric Hazan, directeur des éditions La Fabrique, s'en s'ont pris à deux éditeurs, Johanna et François Bouchardeau des éditions HB et samuel et Helena Autexier qui dirigent la revue Marginales. Il est vrai qu'ils ont manifesté à Forcalquier le 8 mai dernier pour soutenir Julien Coupat, toujours incarcéré depuis novembre 2008. Il est vrai qu'ils ont créés le CSA (Comité de Sabotage de l'Antiterrorisme). Il est vrai qu'ils ont leurs idées et qu'ils entendent les exprimer.

On croit rêver! Ou plutôt on est bien réveillé, c'est l'heure du laitier! On se dit que ces aubes-là sont toujours aussi navrantes! Restons vigilants!

Lu 42 - Pierre Garnier par Cécile Ordatchenko

Que les éditions des Vanneaux ouvrent leur collection Présence de la poésie par un volume consacré à Pierre Garnier et que ce soit Cécile Couv Pierre Garnier965.jpgOrdatchenko, directrice de ces mêmes éditions, qui en assure la très sensible et documentée introduction est à souligner.
Pierre Garnier (1928-…), c’est une vie en poésie qui va se développer à parrtir des destructions de la seconde guerre mondiale jusqu’à celles d’aujourd’hui, une vie en songe qui s’ouvrait avec la rencontre de « la fleur bleue » de Novalis – à qui il consacrera chez Seghers un Poète d’aujourd’hui – signe et porte du merveilleux qui plus jamais ne se refermera. Ce merveilleux n’est pas celui d’une tête perdue dans les nuages mais d’un corps engagé dans le monde, sa lumière, le chant de ses oiseaux, ses mots – « L’ornithopédie est un de mes recueils de poèmes préféré » avouera-t-il .
Ah ! les mots ! Ce sera là la grande querelle de Pierre Garnier après sa rupture avec la poésie issue de la résistance : « poésie nationale » d’Aragon et celle de ses amis de l’école de Rochefort : Bouhier, Cadou, Manoll…c’est que « le temps réclamait, exigeait une autre poésie ». Quittant le PCF, c’est chez Novalis qu’il va trouver le chemin pour poursuivre son aventure poétique. Si Mallarmé avait dans son « coup de dés » rendu aux mots leur présence : sens, son, graphisme, espace…déjà chez Novalis s’était fait jour l’idée d’une autonomie de la langue qui loin de se contenter de chanter pouvait créer des mondes nouveaux : « Il faut s’étonner de cette erreur grossière, écrivait-il, que font les gens quand ils s’imaginent parler au nom des choses. Le propre de la langue est justement de ne se préoccuper que d’elle-même. » La rencontre d’Henri Chopin en 1957 fut pour lui déterminante et l’amener à écrire en date du 30 septembre 1962 son « premier manifeste pour une poésie nouvelle visuelle et phonique » - reproduit avec bonheur en fin de volume . Parce que « le mot n’existe qu’à l’état sauvage », que « la phrase est l’état de civilisation des mots », Pierre Garnier a voulu libérer les mots. Et libérer les mots, c’est les donner à voir – et ce sera la tendance de la poésie visuelle, du spatialisme…celle de Pierre Garnier - et les donner à entendre – ce sera alors celle de la poésie sonore d’Henri Chopin : « surface sur la page. Volume dans la voix ». Rappelons que « les concrets » de tous bords, géographiques comme poétiques, continuent aujourd’hui : Chopin, Heisieck, Bory, Blaine ; Pey…et Sarenco, Gappmays, Gomringer…
À côté de cette « poésie spatiale », Pierre Garnier a continué à écrire et publier des recueils de « poésie linéaire » et Cécile Odartchenko a raison d’insister sur l’importance de l’amour pour Pierre Garnier : « l’amour est rayonnant comme est rayonnant  le soleil de Pierre », écrit-elle. Les lois d’amour sont pour lui lois de vie. Ce sont elles qui président à la venue des mots, aux oiseaux qui les traversent, aux vers qui planent, aux poèmes « qui se dressent parfois à la verticale comme les stèles et restent parfois à l’horizontale comme les tombeaux. »
Nous parlions du merveilleux, celui des lumières qui passent sur le monde, terminons par cet « anti-impérialisme humain » qu’est la poésie pour Pierre Garnier., poésie qui garde l’homme, dans sa dimension créative, à son horizon.


Pierre Garnier, Cécile Odartchenko, Présence de la poésie, Editions des Vanneaux , 17 euros

© Alain Freixe

Balise 48 - Ce qui demeure

Avril-juin 1998, Le Courtrier du Centre International d'Etudes Poétiques, N°218, Antoinette Jaume publiait "L'éblouissante audace d'une aurore". De ce texte sur Le livre de l'hospitalité d'Edmond Jabès (Gallimard, 1991) j'extrais ces lignes:

 

"Ce qui demeure. Une image perdue dans son reflet, comme si le double rejoignait son image matricielle, la référence possible à une particule indestructible, l'épure d'une beauté éphémère : mise en abyme du réel. Tout vient d'en deçà, tout va au-delà, seulement désir en devenir. Dans la soumission au jeu des métamorphoses, l'errance vers quelque centre hasardeux, un dépassement mal défini : toute vie ne serait-elle que leurre où ne demeurent, pareils à une aile passante, qu'un souvenir sans consistance, un rêve tôt effacé, la pulsion d'une aube, d'un amour étiolé avant son plein été.
Ce qui demeure ? Quelques arpèges, les mille lignes d'un livre, les formes et les couleurs sur une toile, et qui resurgiront un .jour sous d'autres mains, d'autres yeux, ailleurs, en des temps différents. Dans l'inachevé, l'adieu n'est jamais qu'une promesse, une parole à peine formulée qui sans fin s'élabore, se transmet et s'efface, se réécrit et se redit.

"Tout livre s'écrit dans la transparence d'un adieu", disait-il.
(...)
Une nuit pour la mort ; un jour pour la vie.
Invariable est le cycle altérable des années.

L'automne est au cœur des saisons.

"L'aurore n'est pas l'adieu — avait-il noté ; mais tout adieu
est l'éblouissante audace d'une aurore."
Edmond Jabès, Le Livre de l'hospitalité, Gallimard, 1991.

10:09 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

Turbulence 35 : Mais Antoinette Jaume et Fernand Verhesen viennent de mourir...

Le 20 avril 2009, Fernand Verhesen nous quittait. Le 03 mai, c'était au tour d'Antoinette Jaume de pousser la porte du jardin de derrière. L'un était né en 1913, l'autre en 1915. Poètes d'une même génération, d'un même engagement dans la poésie. Pour l'un, spécialiste de littérature espagnole, ce fut la traduction de nombreux poètes latino-américains dont Octavio Paz et Roberto Juarroz; la fondation en 1954 du Centre International d'Etudes Poétiques - Qui ne se souvient de cette belle revue que fut le Courrier International d'Etudes Poétiques? - dont les fonds sont aujourd'hui transférés à la Bibliothèque royalme Albert I; la fondation de la maison d'édition La Cormier dès 1949 qui accueillit Maurice Blanchard, René Char, Claire Lejeune, Werner Lambersy...et par deux fois Antoinette Jaume pour ses Abrupts en 1978 et son Inachèvement de la toile en 1983.

Tous deux avaient tôt Franchi(s) la nuit, selon un des titres de Fernand Verhesen, s'étant habitués à faire d'elle un des éléments essentiels du jour, celui du point de friction de l'instant où lève une présence jetée déjà dans l'insaisissable: ainsi Antoinette Jaume écrivit-elle Instances, publié chez Dominique Bedout en1989 et  L'instant de présence en 2007 fut le dernier livre publié par Fernand Verhesen.