08/02/2010
Balise 57 - Tchouang-Tseu et la transmission
(...) Le duc de Houan lisait dans la salle, le charron Pien tallait une roue au bas des marches. Le charron posa son ciseau et son maillet, monta les marches et demanda au duc : Puis-je vous demander ce que vous lisez ? - Les paroles des grands hommes, répondit le duc. - Sont-ils encore en vie ? - Non, ils sont morts. - Alors ce que vous lisez-là, ce sont les déjections des Anciens ! - Comment un charron ose t-il discuter ce que je lis ! répliqua le duc ; si tu as une explication, je te ferai grâce ; sinon tu mourras ! - J'en juge d'après mon expérience, répondit le charron. Quand je taille une roue et que j'attaque trop doucement, mon coup ne mord pas. Quand j'attaque trop fort, il s'arrête (dans le bois). Entre force et douceur, la main trouve, et l'esprit répond. Il y a là un tour que je ne puis exprimer par des mots, de sorte que je n'ai pu le transmettre à mes fils, que mes fils n'ont pu le recevoir de moi et que, passé le septantaine, je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge. Ce qu'ils ne pouvaient transmettre, les Anciens l'on emporté dans la mort. Ce ne sont que leurs déjections que vous lisez là.
18:15 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, pédagogie, tchouang-tseu
04/02/2010
Turbulence 44 - Le temps des liquidateurs!
Les liquidateurs sont toujours à l'oeuvre! Après la suppression de la direction du livre et de la culture (voir Turbulence 39 ) voilà que le Monastère de Saorge changerait de vocation: un hôtel! De luxe, on imagine! Ceux -la qui disent avoir le souci des créateurs sont prêts à brader x lieux dont le Monastère de Saorge au tourisme - "culturel" bien évidemment!!!
Je relaie de toute mon énergie mes ami(e)s Michaël Glück et Hélène Sanguinetti qui viennent de m'informer de ces menaces.Faites savoir tout cela autour de vous! Signez la pétition! Faisons-nous entendre! Ici, ailleurs. Partout!
22:53 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poésie
Fabienne courtade, un poète, un poème
( Fabienne Courtade vit et écrit à Paris. Participe à des revues et à des ouvrages collectifs.
Table des bouchers, éditions Flammarion, 2008
Il reste... éd. Flammarion, 2003
Ciel inversé ( II ) , Cadex éditions, 2002 - Ciel inversé ( I ) , Cadex éditions, 1998
Nuit comme jours , éditions Unes, 1999
Lenteur d’horizon , éditions Unes, 1999
Entre ciel , accompagné d’aquarelles originales de Frédéric Benrath, éditions Unes, 1998
Quel est ce silence , éditions Unes, 1993
Nous, infiniment risqués , éditions Verdier, 1987
Livres d’artistes (poésie / peinture), avec notamment Frédéric Benrath, Gilbert Pastor, Joël Leick, Thierry le Saëc, Jean-Michel Marchetti, Jean Brault, Philippe Guitton. ).
Elle m'a confié ce poème extrait d'un Cahier Ö - numéro 13, accompagné d'une peinture originalle de Philippe Guitton.
Quinze exemplaires ont été fabriqués en collaboration avec la galerie de peinture l'Espace Liberté, à Crest et la maison d'édition, les Ennemis de Paterne Berrichon.
*
28 juin de l’année précédente
quelqu’un dit violence noire
sombre
poudrée
point de douceur, un peu de couleurs
sorti des ruines se déplace aussi
ciel gris je ne vois pas
même en ouvrant
le corps des aveugles
avec de petits saignements
alors nous allons en somnambules sont allées de somnambules
sa main se pose juste au-dessus de ma tête
sorte de battement d’ailes
il s’éloigne très vite
la lumière de la fenêtre
se déplace lentement
on ne voit plus
que poussières, débris de peau
Parfois du bleu en ruine
© Fabienne Courtade
22:27 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, fabienne courtade
31/01/2010
Lu 48 - Figures d'Haïti, 35 poètes pour notre temps de Jacques Rancourt
( C'était en 2005. Les éditeurs Le temps des cerises/ L' Ecrit des forges publiaient dans la collection Miroirs de la Caraïbe du Temps des Cerises ces
Figures d'Haïti, ces 35 poètes pour notre temps présentés par Jacques Rancourt (16 euros).
Que la reprise de cette note ancienne soit vu comme un signe d'amitié et de solidarité à l'égard des haïtiens après le désastre que l'on sait. )
Se lancer dans la mise sur pied d’une anthologie, c’est forcément prendre parti. Et à moins d’une neutralité pour le moins désobligeante si ce n’est coupable, il le faut ! Mais toute prise de parti ne tourne pas forcément au parti pris avec ce que ces mots supposent d’arbitraire et surtout d’esprit borné et obtus. Prendre parti, c’est choisir une certaine logique d’exposition, la justifier dans une préface et s’y tenir, ce que fait Jacques Rancourt pour les Figures d’Haïti .
Les 35 poètes présentés sont « 35 poètes de la modernité », 35 figures de la poésie Haïtienne - l’une des plus vives et fécondes de la poésie du monde francophone – Dans cet ouvrage, la poésie en langue créole n’est pas prise en compte – que Jacques Rancourt fait se succéder chronologiquement en distinguant trois grands moments sur la ligne du temps . « La révélation de l’identité » de l’âme haïtienne regroupe les poètes de la première génération de Léon Laleau à René Depestre. « Le déploiement du lyrisme personnel », second temps, commence dans les années soixante au sein du mouvement « Haïti littéraire ». Les voix originales de Antony Phelps, Serge Legagneur, Roland Morisseau, René Philoctète…se retrouveront dans la revue « Semences ». Celle de Jean Metellus restera proche de celles de la première génération continuant à interroger la mémoire et l’âme « pareille / à la mer tropicale » selon les mots de Roussan Camille et à invoquer « les dieux d’Afrique ». Tous auront à s’inquiéter des « hommes en noir » de François Duvalier, les 40000 tontons macoutes du sinistre papa Doc. Tous connaîtront prisons et exil. « Libres parcours » est le moment actuel partagé entre ceux qui pratiquent une poésie d’expérimentation et ceux qui, au plus près d’eux-mêmes, manifestent le désir de « fixer le lyrisme mouvant et émouvant de la réalité » selon les mots de Pierre Reverdy.
La francophonie est l’affaire des poètes. Eux seuls remuent la langue française de tout l’insolite de leur imaginaire, l’engrossent de tout le lointain de leur mémoire. Les poètes francophones la tisonnent à l’aide de vents inconnus d’ici. Ils entretiennent ses feux. Puissent nos lectures attiser leurs braises !
15:30 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, haïti
29/01/2010
Turbulence 43 - Haïti
En pensant à Haïti, aux haïtiens et tout particulièrement aux enfants,
En pensant à la simplicité meurtrière de la nature, à sa "force qui va", ni bienveillante, ni hostile... ces quelques lignes de Marguerite Duras:
"Tout est devenu BLEU.
C'est bleu.
C'est à crier tellement c'est bleu. C'est du bleu venu des origines de la Terre, d'un cobalt inconnu. On ne peut pas arrêter ce bleu, ces traînées de poussières bleues des cimetières des enfants.
On souffre. On pleure. Tout le monde pleure.
Mais le bleu reste là. Acharné.
Le bleu des enfants comme celui d'un ciel."
15:12 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, haïti
17/01/2010
Balise 56- Le rythme, contre l'or
"L'or a un rythme, c'est celui de la ruée. Un rythme qui est un poids. Social. Donc une métrique. Car tout rythme social est une métrique. Les mains à l'usine comme les pieds qui marchent au pas. L'or a une métrique, beaucoup plus qu'un rythme. Une métrique internationale. La métrique de l'internationale de l'or. L'or a tout de la métrique, les unités de mesure, l'espace abstrait, le temps abstrait, hors tout sujet. Ce qui ne veut pas dire hors histoire. Mais dans une histoire qui ne connaît rien des sujets. Inaltérable, il n'est pas dans le temps vécu. Quand il y a un objet ancien travaillé, en or.
C'est le travail qui lui donne un rythme, et qui compte, plus que l'or. Mais l'or est un soleil qui ne se couche jamais. Qui supprime le temps. L'or, contre le rythme.
Il y a les amas, la thésaurisation, l'usure. Qui ont des rapports physiques et symboliques avec l'or. Là, il y a des structures, des fréquences, des régularités : tout ce qui fait la définition traditionnelle du rythme. Qui suggère sa cohérence avec l'or comme signe. Une cohérence qui a fait que, de Marx à certains structuralistes, l'argent a été comparé au signe linguistique. La critique de cette analogie a déjà été faite. Cette fausse monnaie a longtemps eu cours. Elle avait cependant cet intérêt de montrer qu'elle tenait à une notion abstraite du langage, à une méconnaissance significative du langage ordinaire, et, par là, autant à une méconnaissance de l'art et de la littérature que de l'homme ordinaire. Ainsi l'or n'est pas par hasard solidaire de la théorie traditionnelle du rythme, au bénéfice de la métrique, et de la théorie traditionnelle du signe, théorie du pouvoir autant que de la langue. L’or et le signe partagent une même stratégie. Une théorie critique du langage, qui retravaille le rythme non plus comme alternance métrique, mais comme l'organisation du sens en mouvement, l’historicité du sens, dans le discours comme activité des sujets, passe par une critique de la socialisation des rythmes. Une critique des métriques sociales. Le rythme, contre l'or.
Henri Meschonnic, Rythme de l’or in La rime et la vie, Verdier, 1989
10:33 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, meschonnic henri
15/01/2010
Eric Dubois - Deux poèmes
Eric Dubois est né en 1966 à Paris. Poète, lecteur-récitant et performeur avec l’association Hélices et le Club-Poésie de Champigny sur Marne. Auteur de plusieurs recueils dont « L’âme du peintre » ( publié en 2004) , « Catastrophe Intime » (2005), « Laboureurs » (2006), « Poussières de plaintes »(2007) , « Robe de jour au bout du pavé »(2008), « Allée de la voûte »(2008), « Les mains de la lune » »(2009) aux éditions Encres Vives, « Estuaires »(2006) aux éditions Hélices ( réédité aux éditions Encres Vives en 2009), « C'est encore l'hiver » aux éditions Publie.net, « Le canal », « Récurrences » (2004) , « Acrylic blues »(2002) aux éditions Le Manuscrit, entre autres. Participations à des revues : « Les Cahiers de la Poésie », « Comme en poésie », « Résurrection », « Libelle », «Décharge », « Poésie/première », « Les Cahiers du sens », « Les Cahiers de poésie », « Mouvances.ca », « Des rails », « Courrier International de la Francophilie »
Il est le responsable de la revue de poésie « Le Capital des Mots ».
coordonnées internautiques:
http://www.ericdubois.fr
http://ericdubois.over-blog.fr
http://le-capital-des-mots.over-blog.fr
*
Poème 1: ATTENDRE, extrait de C'est encore l'hiver, publie.net
Il faut attendre
prolonger
La présence
l'absence
La chair ouverte
fermée
Quand le ciel est
attendre quand même
Noir
que les jours aient un sens
Drapé dans un hiver
comment dire?
Opaque
quand on cherche la transparence
Oui
la transparence
Attendre
c'est notre part d'humanité.
*
Poème 2: (Inédit)
La mort suce le cerveau
dans les rêves du chagrin
Que fait le temps dans cette histoire?
Il accompagne
nos pas
© éric Dubois
15:52 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, eric dubois
Lu 47 - Revue faire part, N°24/25 - Parcours singuliers
Jusqu’à ce numéro double 24/25, les numéros de la revue faire part étaient des monographies. On se souvient parmi les dernières publications des N°22/23 consacré à Henri Meschonnic ; le 20/21, à Jacques Dupin ; le 18/19, à Hubert Lucot et le 16/17 tout entier dédié à revisiter l’aventure de la revue Change des années 70/80. On se souvient surement aussi des couvertures toujours particulièrement soignées et confiées à un artiste contemporain : Joël Leick, Antoni Tapiès, christian Sorg ou encore Gérard Titus-Carmel pour les dernières livraisons. On cherchera chez quelques bouquinistes ou sur internet parmi les numéros épuisés ceux sur Christian Prigent (N°14/15) ou Bernard Noël (N°12/13) ou Philippe Jaccottet (N°8/9) ou encore Michel Butor (N°4).
Nos amis Alain Chanéac, Alain Coste, Christian Arthaud, Jean-Gabriel Cosculluela innovent avec ce N°24/25 puisqu’ils inscrivent quatre poètes à son fronton - Jean-Marc baillieu ; Patrick Beurard-Valdoye ; Nicolas Pesques ; Caroline Sagot Duvauroux – intitulé Parcours singuliers. Quatre poètes et pour chacun un entretien, des approches critiques et des textes. Toujours, la proportion est heureuse .
Multiple est la singularité du sujet comme divers les chemins ouverts par chacune de ces écritures. Leur hétérogénéité, les choix de langue de ces quatre poètes s’il détermine bien des croisements, il interdit en revanche tout commun, toute communauté autre que celle d’être quatre aventures littéraires, soit être sur les routes d’une création attentive aux formes de saisie du réel de notre temps toujours hors de lui.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là de représentants de courants ou de tendances de la poésie française contemporaine mais de quatre voix ou mieux de quatre espaces de voix. Quatre territoires de langue. Il faut aller y voir. Là s’invente la littérature !
Ce numéro de faire part est un belvédère. Depuis ses pages, passionnante est la vue !
Revue faire part, 8 chemin des teinturiers7160 Le Cheylard. Prix du N°24/25 : 25 euros
Site de la revue : http://perso.orange.fr/revue.faire.part/
© Alain Freixe
15:35 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, revues
31/12/2009
Turbulence 42 - 2010!
Aux ami(e)s, aux passant(e)s du blog, tous mes voeux de belle énergie pour affronter la dureté des temps! Debout, sur les barricades mystérieuses de la poésie et de ses entours!
16:33 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie
Turbulence 41 - André Pieyre de Mandiargues et Yannis Ritsos, centenaires!
Je reçois ce jour, 28 décembre 2009, les deux forts volumes des oeuvres poétiques complètes d'André Pieyre de Mandiargues,
Ecriture ineffable précédé de Ruisseau des solitudes de L'Ivre Oeil et suivi de Gris de perle (N°454, 9,90 euros) ; L'âge de craie suivi de Dans les années sordides, Astyanax et Le point où j'en suis (N°455, 9, 90 euros), en Poésie/Gallimard. Depuis un an au moins, je tournais autour de André Pieyre de Mandiargues, du centenaire de sa naissance que personne ne saluait ou si peu. Et commei ces 2 tomes de celui qui aux côtés des romans, récits, nouvelles, pièces de théâtre et essais tenait la poésie pour la "forme suprême" que pouvait prendre "la littérature" sont les bienvenus! Bienvenus pour saluer celui qui avait "pris la robe de l'ordre des insatisfaits": "vouloir peindre et écrire l'impossible". Sûr qu'on y reviendra au cours du Printemps des poètes 2010 à propos de "couleur femme"!
*
Comme je tournais autour de Yannis Ritsos. Ritsos qui écrivait un "(...) J'insiste; je ne rends pas les armes" que tôt j'avais fait
mien. Je saisis cette occasion pour signaler les deux volumes parus chez Ypsilon éditeur: Temps pierreux, Makronissiotiques, poèmes écrit lors de sa première déportation et Pierres, répétitions, grilles, édition intégrale que Gallimard avait publié de manière partielle en 1971; ainsi que le blog de Jacques Ancet (http://jancet.canalblog.com)dans lequel vous pourrez trouver l'article qu'il a consacré sous le titre de L'Inépuisable au poète grec, en 2007.
Que ce soit là mon salut à ces deux poètes! Mon salut comme une invite à les lire!
15:46 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, mandiargues, ritsos
29/12/2009
lu 46- Jean-Marie Barnaud, Fragments d'un corps incertain
Vivre et écrire, écrire et vivre... et... et... c'est la boucle ! On sait que c'est dans cettes pirale que se tient la belle querelle de Jean-Marie Barnaud : « comment parler de sa vie ? » se demande-t-il dans son dernier livre publié chez Cheyne éditeur, Fragments d'un corps incertain (15 euros). Non qu'il faille épancher un moi toujours envahissant mais bien incliner mots, images et formes à partir de « l'angle d'incidence particulière de son existence » selon les mots de Paul Celan. Comment parler desa vie quand c'est au poème que l'on se confie, à l'idée pratique que l'on s'en est faite,chemin faisant, de livre en livre - ici, le onzième dans la collection verte de Jean-François Manier et Martine Mellinette, ça fait une drôle de forêt !
La question se fait plus aiguë, douloureuse dans ses creusements, quand « une voix sonne tout à coup / glaciale », voix du corps vivant qui « dit les choses pour de vrai », qui coupe et arrête, « barre la route, à jamais ». Comment transformer la dévastation qui va s'en suivre, cela qui est arrivé à l'improviste , arrachant le temps à ses gonds, dans la maladie et son cortège d'interventions ; cela qui va mener à ce « corps incertain », troué d'oublis multiples, voué aux fragments, débris certes mais éclats aussi bien qui éclairent son nom nouveau : « blessure » ? Et puis le fallait-il ? Fallait-il « (écarter) les lèvres de cette plaie / et (sonder) jusqu'au fond le désastre » ?
Oui, il le fallait. Sans conteste. Il fallait accueillir la nécessité, le monde dans son désordre, transformer l'accident en événement, libérer de sa part factuelle la part spirituelle car F esprit a besoin du corps tout entier, même et surtout parce que devenu « incertain » pour être l'esprit même : « corps penché sur soi / c'est l'âme qui sonde ses dépouilles ». Il le fallait - on me pardonnera de citer encore Paul Celan mais c'est ma manière de rendre hommage au formidable lecteur qu'est Jean-Marie Bamaud ; au lecteur de Paul Celan, en particulier ces derniers temps ! - « la réalité n'est pas la réalité, la réalité veut être cherchée et conquise ».
Ces Fragments d'un corps incertain sont une traversée vers la réalité, donne nouvelle en quête d'atouts. Formellement, il se présente comme une suite de 54 poèmes, souvent des dizains, distribués en 4 parties. Les vers y sont courts comme s'il fallait resserrer le poème, canaliser un flux, rapprocher les rives pour éviter le débordement des affects, l'impudeur.
Retenir, et impersonnaliser. Tenir la juste mesure, celle d'un loin, d'un juste loin à instaurer.
Ce livre n'est pas le journal de bord que tiendrait un marin pris dans la nasse d'un gros temps et subissant grain sur grain. Chaque poème a été ici renvoyé à sa solitude puis appelé, à sa place, dans un projet, un agencement, un processus, une marche qui soit comme une remontée vers le jour. Une mise en route d'une parole où le corps, ce nouveau corps, ce « corps
incertain », trouve à se tenir. Un corps qui a fait l'épreuve de l'étranger, y a perdu sa naïve
assurance, y a laissé tant de lui-même.
Il y a une ferme demeurance de Jean-Marie Bamaud, c'est celle qui témoigne qu'il y a à vivre au-delà des arrêts de mort du dehors, qu'il y a à apprendre à « faire patience », à préférer croire que « la mer en joie m'attend » plutôt que « les bois noirs de la métaphysique » et leurs sentiers où « les mots n'ont pas de chair ». Tant qu'il y a de la parole à risquer, il y a du désir possible. La force de vie est au-delà du vivant quand elle prend en compte la perte, la mort et non sa trouble fascination.
Ici, on sait parler de sa vie. De la vie. Celle à venir jusque dans l'acceptation de l'inconsolable - car il y a de l'inconsolable et le poème de console de rien - grâce à une volte
de l'âme. Et si en elle quelque chose meurt, quelque chose dont on sait qu'il ne pourra être remplacé, autre chose est à naître. Un autre corps est à « enfanter / à nouveau », une nouvelle présence à l'aimée, « la belle agile » ; à l'amour qui sait « vivre de l'impossible » : « nulla dies / quin amorem inveniat» plutôt que « sine linea» ! oui, « aucun jour / qui n'invente
l'amour » ; au temps enfin, à ses dés. Au temps comme il vient, joueur et rieur, tel que dans les mains de l'enfant d'Héraclite sur quoi se closent ces Fragments d'un corps incertain : « et le temps court devant / qui porte l'enfant d'Héraclite / à lui la royauté ».
Dans le livre de Jean-Marie Barnaud, la vie sait s'accompagner elle-même pour inventer les formes nouvelles de sa joie. Pensant à Rainer-Maria Rilke, je me hasarderai à affirmer que « dans les ordres des anges », on doit pouvoir entendre ce cri parce que justement il est tu. Et ce silence-là s'entend !
( Cette note de lecture est parue dans le dernier numéro de la revue Europe consacré à Jean-Luc lagarce)
18:39 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, jean-marie barnaud
25/12/2009
Lu 45 - Jacques Ancet - L'identité obscure
Ici, un silence passe. Traverse l’air d’une heure à l’autre. Dans le livre de Jacques Ancet comme dans ce qui s’offre à mon regard : une échappée, la saison qui file son noir, entre douceur et vertige. J’ai lu l’identité obscure de Jacques Ancet qui vient d’obtenir le prix Apollinaire 2009, 71ème du nom, comme on entend cette lumière qui vient de la réalité quand la troue le réel et que nous voilà jetés entre deux chants. Flottants. Suspendus.
L’identité Obscure ( Collection Terre de poésie, Lettres vives, 15 euros) ce sont 13 chants de quelques 85 vers pour la plupart et 76 parfois. Ajoutez 8+5 et 7+6 et vous obtiendrez 13.On sait Jacques Ancet soucieux de « la vertu des nombres ». Ils arment musicalement ses poèmes et ses livres. Ces chants sont portés par la basse continue d’une même énergie provenant de cette « profondeur obscure où les mots sont des actions » selon l’affirmation de Faulkner.
J’aime ces poèmes parce les lire me rejette au plus loin de moi-même, m’éloigne de ce personnage encombrant, ce moi tissé d’ombres pour dans le ballet de la lumière d’entre les mots laisser danser l’inconnu.
J’aime lire Jacques Ancet parce que les yeux, ces bavards, se taisent pour entendre. Ils ne lisent plus le monde, ils ne voient plus, ils entendent ce qui ploie les choses, cette force qui ici jaunit les mélèzes, rougit les sumacs, cette poussée au dehors qui passe par le travers du monde comme un souffle, un appel, dit souvent Jacques Ancet, à plus de réel dans la déroute de nos yeux grillagés de trop de savoirs.
« Seul le regard sauve » : cette affirmation de Simone Weil, Jacques Ancet pourrait la reprendre à son compte. Nous ne voyons pas ce que nous voyons ou plutôt ce que nous voyons, nous le lisons, forts de ce savoir qui ramène tout à du connu, savoirs constitués où la société impose sa vision et ce qu’elle fait du monde et des hommes qui toujours plus servent et sont asservis. Ainsi va la réalité et son identité claire, cet en face où « les images recouvrent le jour », où « les noms (nous) submergent », cette somme de ce « que (nous) pouvons nommer » dont le bruit terrible mêle les fureurs de surface où les hommes chassent les hommes aux fracas des choses qui « s’effondrent sous leur nom » où « la vie ressemble à la vie » et « c’est une image / mais qui peut vivre dans l’image ? ». Qui peut vivre « sans inconnu devant soi », comme le demandait en son temps René Char ? Qui peut vivre sans cette ouverture de la réalité sur le réel qui toujours la déborde : ces riens sans nom qui loin de nous jeter hors du monde nous le rendent comme neuf et toujours jeune ?
C’est sur « le fil du présent » que se tient Jacques Ancet comme sur un chemin de ronde. Il va funambulant sur un vacillement, un presque rien, un je ne sais quoi qui va se perdant toujours sur une fine lame de présence, entre hier et demain : « Je guette dans son imminence la vibration du monde, celui qui vient n’a jamais de forme, c’est comme une aube ». Ce « pur venir », c’est dans la soudaineté de l’instant qu’il se donne, dans « l’éclat d’un instant suspendu ». Et pour faire signe vers cela qui est au-delà de tous les noms, pure qualité de présence qui déjà s’efface », Jacques Ancet risque l’oxymore d’ « explosion immobile ».
Quelque chose comme un « feu » qui « est partout », qui est « insaisissable » sauf – car les derniers pas sont de lui ! – lorsqu’il le saisit et que « soudain tout est désordre noir ». quelque chose qui s’ouvre sur. « Quelque chose comme une embrasure », une meurtrière, cette étroite ouverture par où nous vient cette « beauté du moment qu’il nous faut laisser passer / et garder à la fois », écrit Jacques Ancet. Quelque chose comme une identité obscure, « puits noir » où « rien n’est identique », un éclat redisons le où « soudain toutes les lumières se réunissent, toutes les poussières ».
C’est cela qu’il faut garder. Cela que dans les mots du poème, entre eux – « l’insterstice seul te sauvera » - Jacques Ancet prend sous la sauvegarde de sa parole. Parole fraternelle. Son timbre, je l’entends encore alors que le soir en tombant rapproche le ciel et que déjà deux/trois étoiles se prennent aux branches. Bernard Noël donne le nom de « tendresse » à cette « impression que produit un agencement verbal qui, par sa fluidité, son euphonie, sa simplicité dégage une aisance attentive où le lecteur trouve l’éveil à une harmonisation », à cette voix silencieuse qui porte cette identité obscure par où un « oui » au monde est toujours possible, un « oui » qui puise sa force et sa violence affirmative en un « non » résolu à tout ce qui conspire à perdre cette chance d’homme que nous sommes. Encore.
15:48 Publié dans Du côté de mes publications, Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)