01/11/2011
Tomas Tranströmer prix Nobel de littérature 2011 - Poète!
Dans le très beau numéro que la revue Europe consacrait au philosophe Jacques Derrida en mai 2004 – quelques mois avant sa mort – celui-ci disait à Evelyne Grossman qui l’interrogeait sur la vérité blessante propre à tout acte d’interprétation ceci : « traduire, c’est perdre le corps. La traduction la plus fidèle est une violence : on perd le corps du poème ».Et certes, mais on gagne aussi un poète[1], soit quelqu’un qui ne se contente pas de venir avec des mots, alourdis de significations figées – comme tant d’hommes de ce temps misérable – mais avec un langage soit un acte de parole où la langue se trouve remuée, retournée, mise à mal parfois mais amoureusement toujours, un langage comme ces « traces de pattes d’un cerf dans la neige » sur lesquelles tombe le poète un jour de grand écart.
Tomas Transförmer est né à Stockholm en 1931. Ce suédois, par ailleurs grand voyageur, est l’homme d’un espace et d’un temps , il est d’ici et de maintenant, pris dans le mystère des signes, la présence massive et têtue des choses, l’ombre portée des actes des hommes. Poète, il se débat en plein réel au moyen de l’image qu’il n’utilise jamais comme le double fantômatique des choses, mais comme le procès qui permet à l’homme de se situer dans le monde parmi les choses, les cercles dans lesquels elles trouvent à se répartir et qui chez lui interfèrent : la ville et la forêt par exemple, ces deux données de la réalité suédoise :
« Le ciel éclatant s’incline contre la muraille.
C’est comme une prière qu’on adresse au vide.
Et le vide tourne son visage vers nous
Et murmure :
« Je ne suis pas vide, je suis ouvert ».
On comprend que Tomas Transförmer ait été conduit tout naturellement à la pratique du haïku, cette forme brève japonaise qui s’efforce non d’habiller le monde d’images et de figures mais de le laisser être sans peser sur lui du bout de quelques mots. Mots poreux – véritables puits artésiens – par où remonte le « ah ! » des choses quand, étonnées, elles surgissent comme elles sont dans leurs rapports mutuels :
« On marche longtemps et on écoute et on arrive à un moment
où les frontières s’ouvrent
ou plutôt
où tout devient frontière »
La lecture des haïkus de Tomas Transförmer transporte entre les choses, là où c’est la chair du monde qui palpite entre diastole et systole. Son énigme. Ce silence tout vibrant d’intensité. Cela qui nous faut !
[1] Saluons à ce propos Le Castor astral – Et à travers lui les petites maisons d’édition dans leur rôle irremplaçable de passeur de littérature vivante ! – qui dès 1966 s’est attaché à publier ses œuvres. Signalons que si les haïkus de La grande énigme sont bien repris dans Baltiques, Les souvenirs m’observent restent disponibles au Castor astral.
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Lu 70 - Jean-Vincent Verdonnet - Dernier Fagot (Rougerie)
L’âge avance. Le soir descend sur une vie en poésie. Celle de Jean-Vincent Verdonnet qui selon les mots d’Yves Bonnefoy « (aida) la terre à continuer d’être, le langage à ne pas être seulement le gravât des mots dans ses retombées indifférentes », fut en tout point exemplaire.
Il nous apporte aujourd’hui grâce à la fidélité des éditions Rougerie son Dernier fagot. J’aime cette image des poèmes/sarments que le poète à liés, javelle qu’il offre au lecteur pour qu’il y porte le feu d’une lecture fervente. Chaleur et lumière contre tous les froids, au cœur de toutes les nuits.
J’ai toujours au détour d’un poème entendu « cette voix de la lumière absente ». Quand les yeux se taisent, on peut l’entendre. Et l’entendre, c’est l’entrevoir. Les yeux quittent le livre, s’ouvre alors comme la porte du jardin de derrière sur l’image mentale d’un oiseau « ivre de ciel (…) ouvrant de son aile le soir » ou ce travail au rouge du soleil « dans l’eau du lac » à l’aide de son « tisonnier » invisible ou encore cette « pâleur automnale / qui (s’attarde) dans les allées / en deuil du clos à l’abandon ». Et c’est la porte du temps qui s’entrouvre l’espace d’un instant où se brise jusqu’au silence. Entre l’éternité, ce Fugitif éclat de l’être comme l’écrivait Jean-Vincent Verdonnet en 1987, pour une visite où être et vision s’épousent l’espace d’un saisissement qui se dérobe déjà. Règne à nouveau la séparation, la distance, le chemin devant, toute piste perdue.
Si « rien ne saura mieux dire l’âme / que le feu menacé d’une rose / annonce de tous les départs », dans ce Dernier fagot, c’est la mélodie d’une âme qui se trouve renouée et se donne à entendre. L’âme est sur la route disait Gilles Deleuze. On l’entend marcher dans ce dernier livre de Jean-Vincent Verdonnet, apaisée, assurée de son pas vers « les terres / où n’a pas de fin le sommeil » et où « la compassion des neiges » attend le voyageur.
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Lu 69 - In Memoriam Jorge Semprun - L’écriture ou la vie, Gallimard, 1996
Jorge Semprun, l’intellectuel, le rescapé des camps de la mort, l’homme politique –membre du PCE – clandestin sous Franco, le scénariste de Resnais ou Costa-Gavras ; plus tard, ministre de la Culture dans le gouvernement de Felipe Gonzales, l’écrivain - Maurice Nadeau, l’éditeur, le découvreur, le directeur de la « Quinzaine Littéraire », dont on fête le centenaire de son vivant cette année, parlait d’autant de déguisements – vient de mourir. La mort dont il était revenu, rescapé du camp de Büchenvald où il avait été interné après son arrestation par la Gestapo en 1943, l’a rattrapé le 07 juin 2011 à Paris.
Quel autre hommage rendre à cet homme sculpté par tous les vents de la deuxième moitié du XX siècle, cet homme qui a eu, selon les mots du poète Jean Cayrol, arraché lui du camp de Mauthasen, « l’étrange privilège d’être né deux fois », que d’engager à lire ce livre « essentiel, nécessaire, vital » selon les mots de Thierry Guichard dans « Le Matricule des anges » : L’écriture ou la vie.
Survivre à 18 mois de Büchenvald, avoir traversé l’expérience du « mal radical », être plein de l’odeur de la mort, avoir dans les yeux la fumée des crématoires, les cadavres entassés…choisir d’abord la vie contre l’écriture. Choisir la voie de l’oubli, l’amnésie. Pour se garder en vie, «éviter les mots sur le papier. L’écriture ramenait hier, traînait hier jusqu’à aujourd’hui, emplissait le jour de la nuit d’hier. Semprun choisira le chemin inverse de Primo Levi qui, lui, crut se sauver par les chemins de l’encre. Il choisira d’échapper au passé, de l’enfouir sous des pelletées de vie – Et combien furent risquées les 10 années de militantisme clandestin en Espagne dans les rangs du PCE !
Mais telle est la ruse de l’oubli que d’avoir fait de tout ce passé le sang même de sa vie. Il suffira d’un heurt, d’un coup, d’un hasard, d’une rencontre pour fasse retour la vérité - Et ce sera la conjonction de deux occasions en 1987 : la commémoration de la libération des camps et la mort de Primo Levi qui rendront possible la réappropriation des souvenirs, la tâche d’écrire un récit où l’informulable pourrait prendre forme, trouver « le taux d’artifice nécessaire pour élever mon livre au rang d’œuvre d’art », trouver « un je de la narration, nourri de mon expérience mais la dépassant, capable d’y insérer de l’imaginaire, de la fiction, une fiction qui serait aussi éclairante que la vérité ».
C’est cela que Semprun réalise dans L’écriture ou la vie : montrer qu’ « il n’y a que l’écriture, il n’y a que les écrivains qui soient capables de maintenir vivante la mémoire de la mort ». Et c’est libérer de la vie cela.
Fabriquer de la vie à partir de la mort, l’écriture le peut. Fabriquer de l’humain.
C’est là la force des poèmes. Vous ne pourrez pas lire le récit de la mort de Maurice Halbwachs, philosophe, ou celle de Morales, militant communiste espagnol sans être jeté à la renverse. Bouleversé. Ils meurent, réduits par la dysenterie à n’être plus que viande pestilentielle et le jeune Semprun, perdu, ne trouvera que les mots de Baudelaire pour l’un et ceux de Cesar Vallejo pour l’autre. Et aux lèvres comme dans les yeux des mourants une étincelle, un sourire par où toute l’humanité réussit à passer.
A quoi sert la poésie ? à ça !
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Turbulence 47 - C'était en 1883...et aujourd'hui?
« En lisant cela, les banquiers qui savent bien que République ou Monarchie se valent pour eux tant qu’on ne laissera pas le socialisme se mettre à leurs trousses, les banquiers ont plaqué comme un verre de monocle , un louis d’or contre leur œil et ont lorgné par ce carreau, le mourant et le ministre, pouffant de rire, pris de pitié pour ces marionnettes dont leurs mains crochues tiennent les fils »
Jules Vallès, Le tableau de Paris, écrit en 1883
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Balise 68 - Le temps, le rythme
"La raison humaine ordonne le temps, le crée, mais il se peut que le temps ordonne la raison, et c'est alors le rythme poétique"
Joë Bousquet
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31/07/2011
Lu 68 - Francisco de Quevedo, Les furies et les peines, 102 sonnets, choix, présentation et traduction de Jacques Ancet édition Bilingue Poésie / Gallimard, cat 4
Le monde est toujours « la branloire pérenne » dont parlait Montaigne. Peindre le passage ; tout ce qui vacille ; tout ce qui tourne et retourne ; tout ce qui plie, se déplie, se replie et échappe n’offrant que peu ou pas de prise relève de cet esprit baroque contemporain d’un monde en voie de dislocation. Aujourd’hui comme hier. Ici ou là-bas quand il s’agit de résister à la langue imposée toujours plus affadie, abâtardie en quelques représentations visant à toujours plus bloquer la pensée sur elle-même.
Pour cela saluons avec bonheur les poèmes choisis, présentés et traduits par Jacques Ancet du grand poète espagnol Francisco de Quevedo (1580 – 1645). Les furies et les peines, publiées dans la collection Poésie / Gallimard, reprennent 102 sonnets répartis en quatre parties : les sonnets métaphysiques, religieux et moraux ; les éloges, épitaphes et tombeaux ; les sonnets amoureux et les sonnets satiriques et burlesques, disposition qui reprend de manière plus ramassée l’organisation initiale qui classait ces poèmes en neuf chapitres correspondant aux neufs muses.
Les furies et les peines, ce choix de Jacques Ancet renvoie au cœur même du poète, creuset de toutes les contradictions, déchiré entre amour et mort, écartelé de finitude. Ce maître du sonnet fut un maître dans l’ordre de la langue qu’il travaillera au sein même d’une imagerie baroque qu’il partageait avec bien des poètes de son temps, notamment son contemporain et grand rival Luis de Gongora. Ainsi le voit-on passer du langage rauque et dépouillé des poèmes métaphysiques aux jeux de mots les plus subtils, aux images les plus précieuses dans ses poèmes d’amour relevant de cette agudeza, de cet art de la pointe et des figures de l’esprit qui en fit un maître du conceptisme sans que jamais il n’ait sombré dans une froide rhétorique. Au contraire, le plus souvent ses vers nous touchent car sa poésie est toujours incarnée, d’une part dans ce que tout corps peut avoir de mortel et d’autre part dans celui d’une société que le poète espagnol passe au crible de ses mots, de son humour dévastateur sans ménager ni les ruffians ni les monarques.
Comment traduire ces sonnets sans les perdre ? Sans que la « parole juste » ne se perde sous « les mots justes » selon la distinction proposée par Jose Luis Borges - Rappelons à ce propos La proximité de la mer, cette anthologie de 99 poèmes du poète argentin que Jacques Ancet a publié chez Gallimard l’an passé - Lisez Les furies et les peines ! Lisez ces 102 sonnets ! Vous verrez, cela s’entend même si vous ignorez tout de la langue espagnole.
19:24 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1)
Georges Cathalo - Au carrefour des errances
( Georges Cathalo est né en 1947 à Albi et vit dans la campagne lauragaise, près de Toulouse. Il a publié une vingtaine de plaquettes de poésie depuis « Salves » qui avait obtenu le Prix Voronca en 1979. Il fait paraître régulièrement des notes de lecture et des articles dans de nombreuses revues. Parmi les publications poétiques les plus récentes, on peut citer : « Des mots plein les poches » (Milan éd., 2002), « Noms communs » (Gros Textes éd., 2004), « Quotidiennes pour oublier » (La Porte éd., 2006), « L’Echappée » (Encres Vives éd., 2006), « Quotidiennes pour dire » (La Porte éd., 2007), « A l’envers des nuages » (Encres Vives éd., 2009), « Noms communs, deuxième vague » (Gros Textes éd., 2010), « Au carrefour des errances » (Airelles éd., 2011) et « Quotidiennes pour écrire » (La Porte éd., 2011).)
*
Georges Cathalo vient de publier Au carrefour des errances (RL éd. Airelles, 4 euros, 2011). De ce volume, j'extrais le poème Résilience qu'il nous a permis de mettre en ligne.
Résilience
à Philippe-Marie Bernadou
Quand le malheur frappe
de la mémoire surgissent alors
Le premier lilas d’avril
La saveur d’une pêche
Le souvenir d’un regard croisé
Remontent du fonds du puits
Une odeur de livre neuf
Une date qu’on croyait oubliée
Une chimère vagabonde
Et puis surtout la petite clé
Celle qui ouvre
Les voyages impossibles.
19:19 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0)
Balise 67 - à propos de l'aura
« C’est aux objets historiques que nous appliquions plus haut cette notion d’aura, mais, pour mieux l’éclairer, il faut envisager l’aura comme un objet naturel. On pourrait la définir comme l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. Suivre du regard, un après-midi d’été, la ligne d’une chaîne de montagne à l’horizon ou une branche qui jette son ombre sur lui, c’est pour l’homme qui repose, respirer l’aura de ces montagnes ou de cette branche »
Walter Benjamin-
19:10 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)
Lu 67 - Fabio Scotto, Sur cette rive, L'Amourier, Fonds Poésie, 16 euros
Fabio Scotto, professeur de langue et de littérature française à Bergame vit à Varèse en Italie. Il est, pour ce pays, le spécialiste et le traducteur des poètes Bernard Noël et Yves Bonnefoy. Poète lui-même, il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en français et notamment Le corps du sable aux éditions de l’Amourier en 2006. Ces mêmes éditions publient aujourd’hui Sur cette rive. Patrice Dyerval-Angelini en a assuré la traduction et Yves Bonnefoy l’a préfacé.
C’est un ensemble de 17 proses. De courts récits qui tournent tous autour de la question essentielle de notre présence au monde. Tout se passe comme si la figure du lac qui en est la plaque tournante, comme si cette étendue d’eau, ce miroir était occasion de penser au plus fondamental de la vie et au sens à lui donner.
Chez Fabio Scotto, le lac dans sa réalité multiple est toujours « lago del cor » selon les mots de Dante – « lac du cœur », instrument de connaissance profonde. Point de mélancolie ici mais une alchimie poétique. Sur cette rive est un livre écrit par un poète qui cherche à rendre dans ces récits une lumière qui serait celle des jours à venir. Ecoutons Yves Bonnefoy qui fait de Fabio Scotto « un de ces vigilants grâce auxquels la poésie italienne perçoit clairement de nouvelles voies » : « Le lac, la rive du lac, les clartés au loin sur ses eaux mais aussi les maisons du bord, les paroles qu’on y a dites, les êtres qui y ont été désirés, aimés, est-ce seulement le décor de la vie présente, avec de quoi s’orienter à seulement la surface de sa conscience de soi, non, c’est ce qui a tâche d’être dans un nouveau sol un nouveau germe. Le lieu même de l’impossible mais attestable nouvelle terre. »
19:07 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (2)
20/06/2011
Lu 66 - Pierre Reverdy, oeuvres complètes , Tome I et II, Flammarion
Ça y est, nous les avons les Œuvres Complètes de Pierre Reverdy ! Deux volumes chez Flammarion! En lieu et place des 14 tomes de l’ancienne édition Flammarion – Poésie / Gallimard assurant la présence de ses principaux titres dans l’horizon éditorial de ce temps : La plupart du temps, Sources du vent, Main d’œuvre plus récemment…Deux tomes, soit quelques 3000 pages comme autant de chemins dans l’œuvre et la vie de Pierre Reverdy au fil des jours et des ans : le tome I, c’est Paris jusqu’au retrait à Solesmes ; le tome II, celui de la maturité poétique.
Nous les avons ces « pièces détachées », ces notes – si importantes aux yeux de Pierre Reverdy qui disait : « je ne pense pas, je note » - ces articles, ces récits, ces recueils, tous ces poèmes.
Nous les avons avec un appareil critique discret mais d’une rigueur et d’une précision magnifiques. Merveilleux travail d’Etienne-Alain Hubert qui a assuré la mise au net de cette édition.
Nous les avons et pouvons prendre la mesure de l’importance, de la richesse et de la place de cette œuvre dans la première moitié du XX siècle par rapport aux avant-gardes picturales et poétiques : cubisme et surréalisme.
« Comme Phrynis de Mitylène qui ajouta deux cordes à la cithare grecque, Pierre Reverdy sera loué plus tard d’en avoir ajusté une à la lyre française », nous étions alors en 1918, Louis Aragon signait un court article sur Les ardoises sur le toit dans la revue Sic. On peut aujourd’hui avec ces deux tomes louer le poète qui a fait de l’image la chair et le sang du poème, image qui n’est pas, à ses yeux, « moyen de quitter le réel » mais au contraire d’ « en retrouver la saveur profonde, âcre », image creusant de tout son air la réalité, ce que nous croyons savoir du monde et qui ne le rend lisible que parce qu’il l’obscurcit et l’opacifie. Louer, l’analyste de cette émotion appelée poésie qui ébranle la sensibilité et l’esprit plaçant au lieu où se fomentent les grandes révélations qui précèdent toujours les grandes transformations. Louer, l’homme à la vie traversée de passions, soleils et orages mêlés, d’une fidélité à soi-même aussi rugueuse dans la vie que dans le poème conformément à cette sentence selon laquelle « l’éthique est l’esthétique du dedans » qui sut être à la hauteur de ce signe ascendant du désir qui toujours se dégage, se désentrave, se désembourbe, émerge tout ruisselant encore des terres où « l’on aligne les cadavres ». Et avec lui cette saveur du réel qui nous porte à « aimer le poids qui nous fait tomber ». Et plus qu’accepter, aimer notre finitude. Aimer la saveur mortelle de notre condition humaine. Déchirures comprises. Tragique porté à bout de langue comme à bout de formes par un « art de création et non de reproduction ».
Il faut garder près de soi ces deux pierres levées. Il faut lire les poèmes de Pierre Reverdy comme ceux d’un qui n’hésitait pas à affirmer « ce n’est que la vie qui m’intéresse », vous y trouverez toujours sur les devants ce « parti pris de la vie » dont parle Jacques Ancet dans ce Vingt-trois poètes et Reverdy vivants qu’ont publié les éditions Tarabuste en 2007 sous la direction d’Antoine Emaz, et entre les mots, les images, les vers, vous y verrez venir la lumière depuis ce « noir derrière les étoiles », ce vide où le vent tient sources et réserve.
15:36 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pierre reverdy, poésie, flammarion, oeuvres complètes
Claude Vercey - Ode au président S
( Claude VERCEy est né en 1943 à Dijon.
Après quelques années d'enseignement, administre de 1974 à 1984 le Théâtre de Saône-et-Loire, où il est pleinement associé à la vie théâtrale (comédien, assistant metteur en scène, dramaturge) et écrit une dizaine de pièces.
Crée en 1984 un poste de permanent dans l'association de poésie du collectif Impulsions (Chalon-sur-Saône). De la poésie il fait ainsi pendant plus de vingt-cinq ans son métier, œuvrant à la défense et illustration de la poésie contemporaine à travers lectures ou spectacles, en Bourgogne et dans toute la France. Conseiller artistique pour le Festival Temps de Paroles (Dijon).
Appartient au comité de rédaction de la revue Décharge. Responsable de la collection Polder. Chronique sur internet : les I.D sur www.dechargelarevue.com .
Dernier livre publié : Mes escaliers, Le Carnet du dessert de lune éd.)
*
A l'École Nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, l'artiste chinoise Siu-Lan Ko a été censurée pour une installation jugée provocatrice à l'encontre du Président S, installation qui a été retirée avant l'ouverture de l'exposition. L'œuvre avait été mise en place sur le façade, et était composée de quatre banderoles géantes, chacune portant un des mots suivants : travailler, gagner, plus, moins.
(Selon Libération du 12 février 2010)
Une jurisprudence semble donc s'établir selon laquelle un mot ou une expression utilisés par le président (pov' con par exemple) doit être à la suite retiré du langage courant ou n'être utilisé qu'après autorisation préalable. Nous laisserons-nous ainsi confisquer des mots qui nous appartiennent ?
Ode au président S.
Je travaille moins
car je ne travaille plus
mais je gagne un peu
un peu chaque mois je gagne un peu
un peu un peu moins chaque mois.
Alors je travaille un peu
de loin en loin
pour gagner un peu
un peu plus que le peu que je gagne.
Et en effet miracle
plus je travaille plus je gagne, oui.
*
Travailler pour gagner sa vie
plus ou moins
Traverser la vie tout en travaillant
Gagner sa vie en travaillant
Ne pas perdre sa vie à travailler
Travailler moins pour travailler mieux
Travailler plus aujourd'hui pour
ne plus travailler demain
ou travailler moins
au moins
Pour ce qu'on gagne autant ne pas
se tuer au travail
travailler plus ou moins pour
s'en sortir
Mais qui vous travaille
qu'est-ce qui vous gagne ?
Être travaillé par le travail
être gagné par la gagne
Travailler plus
pour plus ou moins gagner plus, vous raillez ?
Ne déraillez-vous pas un peu
plus ou moins ?
*
A travailler plus on
gagne plus et
qu'est-ce qu'on gagne ?
Qu'est-ce qu'en plus on gagne quand on gagne ?
Et quand on gagne ce qu'on gagne
qu'est-ce qu'au final on a gagné ?
La considération d'une foule émue,
celle de son patron, les embrassades de ses
collègues, ou gagne-t-on
la sortie ? La berge opposée ?
La vie ? A-t-on gagné sa vie au moins
ou aurait-on gagné du temps ?
Et qu'est-ce qui te travaille là
tout d'un coup puisque tu as gagné ?
*
Ceux qui travaillent plus
et ceux qui gagnent plus
sont-ce les mêmes ?
Ceux qui travaillent encore plus
et ceux qui gagnent toujours plus
sont-ce les mêmes
comme il était indiqué dans la notice ?
Un soupçon plus ou moins
me gagne
me travaille
plus ou moins.
*
Ce qu'on gagne
à travailler plus
c'est
ce qui se goûte à plein
dans les moments où on ne travaille pas
*
Travailler moins
pour goûter davantage
De temps en temps s'y mettre
selon l'humeur et le temps
partager la tâche
assurer sa partie
travailler juste
juste ce qu'il faut
Travailler en douce
Aller piano aller son train
Ne pas travailler
Ne pas gagner gros gagner son pain
travailler à mi-temps pour casser la croute
Bosser pour le plaisir
travailler selon ses moyens son âge
ses besoins prendre congés
donner de son temps
prendre son temps
battre le fer pendant qu'il est chaud
et le dimanche s'en aller tranquillou
rouler sa bosse à la campagne
s'en foutre
toujours plus ou moins
et de plus en plus
joyeusement reprendre la main
Claude Vercey
Dernière minute : Sur intervention du ministre de la culture, les Quatre mots incriminés ont été rendus à la liberté, et l'œuvre de Siu-Lan Ko réinstallée sur la façade de l'Ecole des Beaux-Arts.
15:31 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, claude vercey, revue décharge
Lu 65 - André Velter, Paseo Grande, Gallimard
On sait que la belle querelle d’André Velter depuis Poésie sur parole émission créée en 1987 sur France Culture avant de rendre l’antenne quelque 20 ans après a été et est toujours de réconcilier musique et poésie, qu’il n’est pour lui de poésie qu’orale, qu’ « un poème qui ne peut se dire, qui n’engage ni le souffle ni le corps ressemble à un violon dont l’âme a été volée ou faussée », qu’il est « pour la parole haute et vive, pas pour le papier mâché ».
On se souvient du premier livre des éditions Alphabet de l’espace (Annecy, 2007) Tant de soleils dans le sang d’André Velter, livre-récital composé dans la résonance de la guitarra flamenca de Pedro Soler. On se souvient qu’il y avait là un beau livre avec les dessins d’Ernest Pignon Ernest et le DVD du récital intégré en 3ème de couverture.
Tant de soleils dans le sang, quelle belle traduction pour ce mot espagnol que l’on doit à Federico Garcia Lorca, ce duende que toujours tente de rejoindre et d’éveiller André Velter dans son écriture.
C’est lui que l’on retrouve dans ce Paseo grande qui vient de paraître aux éditions Gallimard. Nouveau livre-récital avec Olivier Deck augmenté de 7 poèmes-talismans avec Antonio Segui, 7 quatrains qui « (relèvent) le défi / d’être toujours vivant ». C’est un livre-conséquence d’un acte, d’un événement artistique : le mano a mano – ce tête à tête qui dit le polemos, cette harmonie des contraires comme contraires dans la tension du face à face – entre André Velter et Olivier Deck lors du festival de jazz d’ Orthez. C’est un livre-passerelle qui invite à se rendre sur internet pour entendre le chant d ‘Olivier Deck et visionner quelques séquences filmées sur le site www.gallimard.fr/paseogrande.
Furieusement espagnol, son titre qui renvoie à l’entrée des toreros à las cinco de la tarde, heure de vérité où l’inconnu entame son creusement avec la sortie des toros, « heure exacte / où l’ombre et la lumière / s’en vont d’un même pas » jusqu’à « tutoyer les anges ou les dieux / et la mort les yeux ouverts », le montre. Toutefois, ce Paseo est Grande de courir les horizons et les arènes de la terre « sur les chemins de grand vent », sur les versants des montagnes afghanes, du côté du Pamir et du Taklamakan d’asie centrale, vers Samyé, sur la rive gauche du Tsang-Po. Avec l’arène, ces lieux fournissent tous l’occasion d’une part, de se trouver « au centre, le plus vif, le plus vivant / dans la distance la plus gale / de la blessure à la beauté » ; d’autre part, d’être point de passage « au bord du précipice / où la mort est fugace / où le souffle est lumière » comme entre les cornes du toro avant l’estocade et enfin, d’être comme autant d’instants suspendus, hors du monde comme hors du temps, possibilité de « s’en sortir sans sortir » selon les mots de Gherasim Luca.
L’écriture d’André Velter est toujours de main légère, d’enjambée allègre. Elle cite. Citar- je me permets d’ajouter ce mot à ceux que mobilise André Velter : Sitio, llamada, temple –c’est appeler le toro suite à un infime mouvement du pied vers la gauche et qui amène le torero à se présenter de frente, face au toro et non de profil. C’est le moment du risque maximun. Peu visible, il fait le silence sur la faena comme sur le poème images et rythme s’approchent par saccades, alternant lenteur et vitesse, délicatesse et violence. Citer ainsi, c’est appeler l’indicible à se montrer dans le dire comme indicible. C’est là comme un instant d’éternité, un moment suspendu, hors du temps des horloges. C’est le moment du duende qui selon la définition de Lorca dans Théorie et jeu du duende ne vient pas du dehors comme la muse ou l’ange mais s’éveille depuis « les ultimes demeures du sang ». Par ouches fragiles mais aussi parfois violentes, André Velter sait dans ses poèmes le réveiller. C’est lui qui blesse le poème t y fait lever un soleil qui ne se couche jamais . Là est l’originalité de la poésie d’André Velter, là se trouve sa capacité à renouer et élargir la mélodie de notre âme, là la vie trouve ses ressorts secrets pour toujours partir, toujours aller, « pour rester en partance » et « vivre sur le qui-vive / et dans un cri d’amour / comme un amour perdu ».
15:25 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : velter, paseo grande, duende, poésie