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05/07/2014

Turbulence 63 - Etre brave?

"Être brave, c'est toujours avoir le dessus, même s'il faut finalement succomber. La menace terrifiante est prise ici à la gorge, sommée de se découvrir et de dire son vrai nom. Le diable ne peut pas nous faire mal, mais il peut nous faire peur. Le brave conjure par sa bravoure cet envoûtement de la frayeur : comme lui gardons-nous simples, pauvres, nus et sans arrière-pensée, indifférents aux détails mesquins, pour que le diable crève de notre innocence et de notre courage."

Vladimir Jankélévitch,  Les Vertus et l'Amour, I.

Albertine Benedetto, Le présent des bêtes, extraits inédits

On va aux cimetières, vous savez, pour la vue ou pour s’y reposer, pour causer. A mesure qu’on fait des tours, la foule se masse et s’engage par la colonne d’air venant du ventre encore une fois jusqu’au puits de la bouche. La parole ratisse les allées et les pierres ramenant tel nom à tel autre qui s’étaient oubliés : la tante diseuse de cartes, le grand-père et son fusil jeté, vies sorties de la ferme ou de l’épicerie, ferments mythologiques. Encore une fois refont leurs gestes, on entend leur voix, leur façon bien à eux de parler de bouger accompagne nos pas. Certains noms figurent en très gros, manière de dessiner l’arbre qui se met à verdir par éclats et brisures d’une mémoire à trous. Mosaïques si noircies par le temps que certains disparaissent vraiment. On perd le fil dans l’écheveau des familles. Il faut recommencer pièce à pièce les histoires, s’embrouiller dans les amours, c’est toujours compliqué les amours. Le cœur en deuil se répète les noms et ce n’est pas triste, à cause des oiseaux et des fleurs.

St Martin 09

Paupières baissées, lèvres serrées, ils traversent leur nuit sur une planche de bois. Leurs yeux ne voient pas les lettres s’effacer sur la pierre, les noms se brouiller dans le lointain. Dame de pique sans répit pour celle qui tira les cartes, Gaby au nom léger, Gabrielle Millepied. Douceur d’Octobre où fleurissent les tombes. Eux se tiennent par la main, comme dans la foule des grands départs, eux pourtant seuls debout au milieu des gisants. Se tiennent par la main, par leurs bouches aussi où le souffle voyage. Passent parmi ces distraits qui restent à quai.

St Martin 11


our de pieuse visite. Le regard parti sur les pierres levées, on tire la chaîne. Remontent des eaux noires Eugène, Julie, Marie, Madeleine, ô la vibration entre nos lèvres de vos noms si doux, réchauffés à notre souffle de vivants. Vite avant que la pierre n’avale la dernière syllabe, encore une fois faire signe. Avant que, sur vos tombes désaffectées, le fossoyeur n’appose l’affichette, à qui destinée ? mais réglementaire : prière de se faire connaître.

St Martin 12



99- Francis combes, Si les symptômes persistent, consultez un poète

Poèmes politiques, ces poèmes de Francis Combes* ? Cela se dirait-il encore ? Quelqu’un oserait reprendre cette dénomination pour un ensemble de poèmes – plus de 140 ! - écrits à ras la rue, à ras « la chose vue dans la rue » comme autant de prises de vue, symptômes de toutes ces injustices, horreurs, bêtises qui rendraient le monde inhabitable si on y consentait ? Francis Combes n’y consent pas ! Faire parler ce qui est senti de ce monde est sa belle querelle, au risque de ce qu’y échappe. Car nommer n’est pas chose aisée. Il faut s’y prendre de biais tant notre monde est bien peu assuré de lui-même. Et de ses lendemains. Dire son mot sur les désastres du monde, Francis Combes qui l’a toujours osé donne avec ce nouveau livre tout son sens à cette dénomination de « poème politique », « en démontrant – sans le dire – affirme Bernard Noël dans sa préface, qu’il relève d’abord d’une pratique de la langue et non d’une profession de foi politique ». Ses poèmes se donnent à lire comme des fables . Qu’il soit clairs qu’ils ne se contentent pas d’illustrer je ne sais quelle moralité préalablement établie ! C’est à nous lecteurs de se confronter à leur corps pour en tirer troubles, leçons et actions !

Et puisque Francis Combes est le directeur du BIPVAL (Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, 8 promenée Venise Gosnat – 94200 Ivry-sur-Seine) j’ai plaisir la saluer la naissance de Zone sensible, revue de poésie dont les 3 objectifs sont : Mieux faire connaître la poésie contemporaine ; ouvrir un espace de rencontres et de réflexions et parce que la poésie se vit dans la cité, rendre compte de la création, de la diffusion et de la réception de la poésie. Son numéro de mars 2014 – N°1 - a pour thème : « poésie et engagement ».

*Francis Combes, Si les symptômes persistent, Consultez un poète, Poèmes politiques, Collection Le Merle Moqueur, Le temps des cerises, 14 euros

 

Lu 98 -Rienzi Crusz, L'amour là où les nuits sont vertes

rienzi crusz,l'amour là où les nuits sont vertes,l'amourierRienzi Crusz* ? ça ne vous dit rien, n’est-ce pas ? Et pour cause. Le voilà édité pour la première fois en France traduit par Isabelle Metral de cet anglais que l’on parle au Canada et dont elle a su capter les vibrations jusqu’à les faire résonner dans notre langue. Rienzi Crusz est né à Galle à Ceylan (maintenant Sri Lanka)en 1925. Il s’est établi depuis 1965 au Canada où il réside actuellement.

Sa poésie sent la route – là où est l’âme disait Deleuze à la suite de Kerouac – l’errance, les changements de direction, les carrefours où l’on s’arrête le nez dans les parfums et les yeux loin devant dans les couleurs quand c’est « l’heure de la surprise », quand « le divin (prend) chair », « (fait) jouer les humeurs prodigues / des hommes, le pot-pourri du monde / en une neuve symphonie » et fait signe vers « le pays immigré / sans saison contraire », le « vert pays » !

 Là où les nuits sont vertes , là est l’amour, cet amour dont Rimbaud qui avait rêvé des « nuits vertes aux neiges éblouies » disait qu’il « (était) à réinventer ».

Ah ! Le vert ! Il est bien la couleur dominante de ce recueil de Rienzi Crusz ! C’est que « le paradis des amours enfantines » était vert lui aussi déjà chez Baudelaire – vous vous souvenez de ces « violons vibrant derrière les collines ». Du côté de Ceylan, de l’enfance de Rienzi Crusz, il y eut de tels violons. Leurs vibrations passaient au vert ces fragments de paysage, ces recoins d’enfance, ces gestes qui reviennent dans les poèmes témoigner de cette traversée nocturne, de ce travail de terrassier et de carrier qu’est l’écriture poétique quand elle cherche à déboucher à l’air libre. Cet air dont nous avons tous besoin, vous le trouverez dans L’Amour là où les nuits sont vertes, il souffle entre les poèmes, entre les vers de Rienzi Crusz.

Rienzi Crusz*, L’Amour là où les nuits sont vertes, Traduit de l’anglais (Canada) par Isabelle Metral, L’Amourier, 16 euros

 

Balise 90 - Vous avez dit flâner?

La foule est son domaine, comme l’air est celui de l’oiseau, comme l’eau celui du poisson. Sa passion et sa profession, c’est d’épouser la foule. Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Etre hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques-uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que maladroitement définir.

Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, 1859.

 

17:02 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : baudelaire, flâneur

15/02/2014

Balise 89 - Perdre la tête

( Cette balise Venu  provient par l'intermédiaire de Jean-Marie Barnaud (Lire son article sur remue.net) des « Philippines, prédelles" d’Hélène Cixous ; Galilée )

 

Ainsi les livres réactivent le désir, et parlent à l’âme d’une voix plus intime encore que la sienne propre. Et c’est sans doute qu’ils se confondent en elle avec la « voix de source ». Elle n’est pas, cette voix-là, celle de l’intelligence…
Car toute vraie lecture, sachons-le bien, fait perdre la tête :

 Oui il y a une tête qu’il faut perdre, la tête qui sait c’est-à-dire qui croit savoir, trop vite, celle que Proust dénonce et fuit, cette tête à intelligence qui empêche la sensation de trouver son nom et les arbres aux tendres bras tendus en supplication de ressusciter. Car ce sont ceux qui croient savoir qui sont les vrais crédules, les croyants, les arrivés, les immobiles. Alors que ceux qui sont en promenade et ne savent pas, et sont tentés par les sirènes de l’oubli et de la mémoire, et scrutent le morceau de rideau vert tendu devant l’écran de verre brisé en se demandant ce qui leur arrive, ceux-là approchent du point d’apocalypse. Une ivresse leur souffle qu’elle va avoir lieu, elle va avoir lieu... Les temps sont proches. Voici : les prisons s’écroulent. Les grilles ouvrent grand leurs barreaux.

 C’est qu’il y a aussi ce « livre secret » - « chacun d’entre nous a un livre secret (…) c’est un livre chéri » - Peter Ibbetson, de George du Maurier.
C’est ce livre dont la présence est toujours opérante comme une grâce efficace ; elle inspire la passion de l’origine, des premiers temps, donne sens et réalité au désir du retour au « Jardin », qui n’est pas une nostalgie, mais quelque chose de beaucoup plus puissant et dynamique qu’une nostalgie, fût-elle « prospective », comme celle que souhaitaient les surréalistes : il s’agit au contraire de cet improbable « enthousiasme de mélancolie ».
Autrement dit d’un certain rapport au temps qui se résume dans la belle formule selon laquelle certaines lectures réactivent la présence de « l’enfant-qui-joue-en-moi-sur-les ruines ».

 

Lu 97- Et voici la chanson d'Hélène Sanguinetti, collection Accents graves/accents aigus, L'Amandier, Poésie

sanguinetti hélène,éditions de l'amandierEy ! Il faut aller voir du côté des livres d’Hélène Sanguinetti ! Si ses précédents étaient publiés pour l’essentiel chez Flammarion – De la main gauche, exploratrice en 1999, D’ici, de ce berceau en 2003 et Le Héros en 2008 - ce dernier, cet Et voici la chanson est publié par les éditions de l’Amandier dans leur collection Accents graves : Accents aigus que dirigent Claude Ber et Laurent Citrinot. Il faut y aller comme on va en terre étrangère quand on quitte les sentiers, les GR balisés de nos marches en poésie et qu’on s’aventure à nu par les pierres et les combes, les forêts et leurs clairières. On sait vite de quelles routes l’on s’écarte, de quelle langue ! Et c’est de celle de nos jours dont on ne s’aperçoit pas toujours de ce sombre qu’y font tomber les pouvoirs, langue qu’ils dégradent, abaissent jusqu’au propre et lisse de toute identité soumise à quelque mortelle pureté.

 Avec Hélène Sanguinetti, ça commence mal : « la parole se cassa parmi les pierres » et il fallait cette chute, cette « mort à moitié » pour les « éclats brillants » d’une énergie nouvelle alors libérée prise entre « joug » et « joui », deux noms pour une histoire, la nôtre. Celle prise dans les intrications des pulsions, Eros et Thanatos ; des principes de plaisir et de réalité qui fait nos vies incertaines et fragiles. Le livre d’Hélène Sanguinetti se risque jusqu’au cœur de cette empoignade entre rien et tout, tout et rien, empoignade sans cesse renouvelée qui voit la fin du livre reprendre le début avec juste quelques accents graphiques différents où se note toute la force de « joui » qui donne ses formes à « joug », formes qui peuvent aller jusqu’aux déchirures sur les bords desquelles on va pouvoir chanter et danser, ey !

 Il vrai, Hélène Sanguinetti prend le risque de l’illisibilité, celui de heurter le sens commun qui aime à s’emprisonner au filet de quelques fictions toujours plus ou moins bien ficelées. Mais si la poésie est plus acte que dépôt d’écriture, un moment de l’existence en route vers son sens, cela qui file devant - Loin. Toujours plus loin – alors se risquer « dans ce qui n’est pas. Dans ce qui nous manque » selon les mots de Reverdy, alors c’est courir le beau risque de la poésie. Oui, on peut être dérouté par ce livre, par cette partition graphique où jouent des caractères aux tailles différentes, des signes de ponctuation bizarres et bizarrement placés,  des mots inventés, des onomatopées  mais aussi par ces répétitions/refrains, ces anaphores, ces ruptures syntaxiques…Oui, on le peut mais laissez donc résonner les mots, les phrases, le texte d’Hélène Sanguinetti, jouez de ses scansions, de ses ruptures vous retrouverez son timbre, sa voix de sous le texte, quelque chose de continu sous les discontinuités, une force, un courant qui fait avancer, tient et maintient et vous comprendrez pourquoi Marina tsvétaïéva a pu écrire qu’en poésie « il y a quelque chose de plus important que le sens : la résonance » ! Il y a une vocalité dans le poème d’Hélène Sanguinetti, une invite à délier l’écriture mais s’il chante c’est à contre-musique, à contre-chant comme quand c’est le contretemps qui est le véritable commencement, ce moment où c’est l’improbable qui arrive.

 Et certes la langue d’Hélène Sanguinetti courait le risque de se refermer sur sa singularité mais ce qui la sauve de la solitude où elle pouvait s’engloutir, ce qui la ramène au sens – même si toujours promis – d’un vivre-ensemble, au temps, c’est le rythme et le ton qui l’animent, soit cet ineffable qui passe et touche ceux qui écoutent. Cette intonation d’Hélène Sanguinetti n’est qu ‘à elle. C’est elle ! Ey, alors on entend « les ronces, les rosiers (s’ouvrir) » aux gorges des chanteurs, on vibre au zapateado des danseurs, ce martèlement du sol, ey ! « c’est rien et tout qui dansent et chantent ». Wouah ! Nous aussi on veut pouvoir dire : « je veux / joie / je veux / chanter tout / regoupiller / tout le chanter / Ey ! ».

(article paru dans la revue Europe, N° )

 

 

 

 

Lu 96 - Vaguedivague de Pablo Neruda, Traduction Guy Suarès, Poésie/Gallimard, N°485

  C’était hier. C’était un onze septembre. La soldatesque prenait le pouvoir au Chili avec la bénédiction active de l’administration américaine. C’était au Chili. Vous vous souvenez ? Là, « un étranger / venu cogner aux portes du silence », un homme « venu du sud, des pluies australes » et qui était « remonté vers le nord du peuple », Ricardo Neftali Reyes Morales, un poète , Pablo Neruda, travaillait à donner des yeux aux mots de ses poèmes. Pour voir. Le monde et les hommes qui en font l’histoire. Le putsch militaire eut besoin de neuf jours pour emprisonner, torturer, tuer, réduire au silence le pays. Sa maison de Santiago comme celle de Valparaiso furent saccagées. Il mourut quelques jours plus tard : le 23 septembre 1973. 40 ans ! Après avoir publié entre autres livres Résidence sur la terre, La centaine d’amour et surtout Le chant général, chant dans lequel un continent avec ses fleuves, ses montagnes, ses hommes, son histoire celle nationales des différents peuples mêlés et une époque tentent de prendre conscience d’eux-mêmes  - et c’est alors la réalité de l’homme américain du sud tel que l’ont façonné un ciel, un sol, un climat, une histoire, qui est le véritable héros de ce livre – voici aujourd’hui Vaguedivague, recueil de 1958 qui mêle souvenirs, expériences, voyages. Cette « voguante vaguedivague » reste pourtant bien ancrée en terre. « Faisons profession terrestre / Touchons terre avec l’âme », écrit Neruda. A ses yeux, il convient  de « mélanger le sable et l’homme » car si nous sommes dans la nature, c’est sur la terre que nous existons, là où la langue labourée, remuée, aérée par le travail du poète se retourne contre ceux qui croient la posséder pour nous mieux asservir et s’approche au plus près ce qui lui échappe conscient qu’il ne « (vient) rien résoudre » juste « chanter / et pour que tu chantes avec moi. »

 

 

 

Michel Ménaché a lu "Phares, balises et feux brefs suivi de Périples" de Frédéric-Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple, poète planétaire, publie un double recueil qui, de ses eaux vives, désaltère le lecteur. Alain Borer présente fraternellement l’auteur en « adolescent nonagénaire », en loup de mer, en bourlingueur (comme son ami Cendrars), en savant lettré, en Apache. « Temple est une nature », il est la réincarnation de l’Achab de Moby Dyck, -son nom de code-. Et s’il « est revenu de l’Enfer » de la bataille de Monte Cassino en 1943, c’est pour « en rapporter la bande-son » dans La route de San Romano.En quête d’un ailleurs perpétuel, « voyageur immobile, explorateur égaré, […] il n’a cessé de résister à la dislocation du monde. »

 Avec Phares, balises & feux brefs (Préfacé par Alain Borer, éd. Bruno Doucey  15 €), le lecteur est d’emblée invité au voyage. Par mers et continents, au plus près de la faune et de la flore que l’auteur étudie depuis l’enfance. Dans Calendrier du sud, Temple égrène les douze mois de l’année sous la forme de courts poèmes riches en métaphores telluriques et animalières. Août :« Le mois de ma naissance / Invincible torpeur / dans la sueur pesante. / L’aigre violon du moustique / perce la nuit molle. / Il faut durer / jusqu’à l’orage. » Octobre : « Triomphe de la rouille / et gloire des renards / le cuivre et l’or / incendient les herbages. »  Paysages lointains, dédié à la mémoire de son premier éditeur algérois, Edmond Charlot, évoque le port d’El Biar, les odeurs de la casbah,  le Chenoua, « royaume des vipères », les oursins de Tipasa « gorgés de pourpre » arrosés d’un « vin sombre », ouvrant « la porte / du bonheur. » La mémoire du poète est « un grenier / à mirages où puiser / et les paysages sont des jouets perdus / ranimés pour notre survie. » Les amitiés traversent le recueil, de René Depestre à Yves Berger, d’Henri Pichette à Alain Borer pour lequel c’est à la course obsédante de Rimbaud, en fuite perpétuelle, qu’il fait écho : « Poésie, la belle imposture, / leurre pour piéger l’éternel. / Oui, je préfère l’aventure / à ce pathos sempiternel. » Le poète prête aussi sa plume à l’entomologiste pour observer le rituel impitoyable de « l’amante religieuse » : « La mante prégadieu / tête sèche ventre mou / joint les faulx de ses mains / en sa prière carnassière / et pend à ses crochets / le mâle / au sommet du jouir. »

Périples s’ouvre sur le Larzac : « Enfant, berger de mes troupeaux de rêves, / j’allais foulant la folle avoine / sur les ardents plateaux déserts / où règne la senteur enivrante des buis / entre les épineux soleils des cardabelles / dans le thrène du vent parmi les herbes rases… » Temple évoque aussi Max Rouquette, l’ami disparu des errances communes en pays d’Oc, avec La fleur adverse, - la ronce -, « dont l’ombre s’étale souveraine / sur la tombe de Rimbaut d’Aurenga / à qui je parle / une langue adverse. » De courts poèmes reconstituent en fragments le village et quelques figures ayant marqué l’enfance du poète : Auguste-Hercule, la petite fille au chat, le garde-chasse... Les murets de pierres sèches demeurent qui sont « gardiens de la mémoire. » Un long poème en prose fait renaître un jardin au bord de l’eau surgi du passé : « Nerveuse, agile, musicale, une rivière accompagne de tout temps le chant de ma mémoire, en basse continue. » Description méticuleuse, leçon de choses à vif, inventaire d’un arpent fondateur du rapport intime au monde. Puis le vagabondage reprend : Venise, Dublin, Namur, Vision du Neguev, Jérusalem, l’Amérique des « nations premières », pour revenir aux premières chevauchées, sur le sable du temps : « Mon cheval à roulettes / noir et blanc pommelé / galope encore / sur la terrasse de l’enfance… » L’amour referme la boucle avec ces vers dédiés à Brigitte : « Sous ton ombre / je me dresse / fier soleil / et j’avance / délivré de ma torpeur / dans l’oubli des cicatrices / enfant nouveau entre tes bras / qui m’enserrent / comme des branches / et me bercent. » Enfin, Temple se révolte contre la mort prochaine : « Je m’insurge, / maudis le fatal rendez-vous, / insulte l’ignoble bête noire, / mais ne perds de la vie / la moindre goutte de son miel. »

Hymne solaire avant la nuit. Temple résiste encore à la dislocation du monde…    

Paru dans la revue Europe, n° 1007 mars 2013

 

Balise 88 - A propos du bonheur (1)

« En vérité, le bonheur qui prend élan sur la misère, je n'en veux pas. Une richesse qui prive un autre,je n'en veux pas. Si mon vêtement dénude autrui, j'irai nu. Il y a sur la terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d'horreur, que l'homme heureux n'y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant ne peut rien pour le bonheur d'autrui celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l'impérieuse obligation d'être heureux. Mais tout bonheur me paraît haïssable qui ne s'obtient qu'aux dépens d'autrui et par des possessions dont on le prive... Pour moi, j'ai pris en aversion toute possession exclusive; c'est de don qu'est fait mon bonheur, et la mort ne me retirera des mains pas grand'chose. Ce dont elle me privera le plus c'est des biens épars, naturels, et communs à tous; d'eux surtout je me suis soûlé. »

André GIDE - Les Nouvelles Nourritures, Gallimard, Paris, 1960.

 

16:45 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : andré gide, bonheur

04/01/2014

A propos de Vers les riveraines paru dans la collection Fonds Poésie des éditions de L'Amourier en septembre 2013

Vers les riveraines, l'Amourier éditions, Alain FreixeOn peut commander mon dernier livre sur le site des éditions: amourier.com.

On pourra sur ce même site ou directement sur les site concernés consulter les articles suivants:

- Ménaché, à propos de Vers les riveraines, Basilic N°46, septembre 2013

- Sophie Ersham, Poésie d'errance, La Quinzaine Littéraire, Novembre 2013

- Jean-Marie Barnaud, Vers les riveraines ou le "musement" d'Alain Freixe, site remue.net, octobre 2013

- Claude Haza, à propos de Vers les riveraines, blog P/oesie, octobre 2013

- Sylvie Fabre G., Ce quelque chose qui appelle, site Terre de Femmes.blogs.com, novembre 2013

- Angèle Paoli, ,site Terre de femmes.blogs.com, décembre 2013

- Alain Nicolas, La "couleur nouvelle" d'Alain Freixe, L'Humanité du 18/12/2013

- Benjamin Taïeb, à propos de Vers les riveraines, Patriote Côte d'Azur, décembre 2013

- Ménaché, à propos de Vers les riveraines, revue Europe, janvier 2014

- Yves Ughes, à propos de Vers les riveraines, à paraître sur le site de Performarts.net

Claude Haza a lu Vers les riveraines d'Alain Freixe, Fonds Poésie, éditions de l'Amourier

Je cherche la porte d’accès au texte. Je m’y adonne plusieurs fois de suite sans savoir encore si j’ai franchi la bonne entrée. Mais peu importe, puisqu’il me semble déceler dans cette longue fresque poétique une sorte de visite, de marche sans doute, ou encore une approche « vers les riveraines » réelles ou symboli-ques que sont la vie et la mort.

 Ces deux dimensions de l’existence se côtoyant en tous lieux et à tout instant de la rencontre existentielle  − notre principale préoccupation. Que l’on soit attentif à leur présence, à leur passage furtif ou pas, on est toujours quelque peu chargé du poids de l’une et de l’autre. Les Riveraines sont en nous et devant nous. On les voit agir. On les ressent nous façonner l’esprit, le désir, le besoin d’être. Elles nous font vivre et elles nous font peur.

 Ainsi, dans ce recueil on avance et on pense à travers elles comme présences irrévocables du début jusqu’à la fin. On accompagne le poète aux prises avec ses propres riveraines, avançant vers elles à tâtons ou frontalement. Il les côtoie alternativement ou il les assemble dans une même contingence.

Alain Freixe parle donc ici à la vie et à la mort, de leur vide et de leur plein de présence comme aussi de souvenirs, de vision du monde, de choses réelles ou imaginaires. Tel ce poème : « corps et terre démembrées / je suis passé derrière / leur vie / d’eux / je n’ai vu / que des morceaux du temps / restés là à flotter / sur l’eau noire / qu’ils avaient bue … ».

Au fur et à mesure de ma lecture j’ai trouvé ce que je cherche moi aussi : nostalgie, interrogation, étonnement, espoir et même tristesse    dont l’accent ici indique une force à se laisser bercer par elle, le temps de reprendre la route, comme dans ce poème : « après / c’est comme une musique / qui rouvre les yeux / et lance le regard / drapé de déchirures / de mots écrasés /d’images écorchées / pour au loin / l’entendre tinter / (…) / ferrée de silence / la route à présent / est rendue à son asphalte / à ses mirages (…) »

 Claude Haza - 11. 10. 2013