07/08/2014
Lu 104 - Amelia Rosselli, Variations de guerre et La libellule, Ypsilon éditeur
Il y a des livres comme ça qui restent là à attendre*. On les prend, les reprend. On attend aussi d’engager la lecture, un peu interdits sur ce qui en eux faiseuil : Ici, dans ces Variations de guerre d’Amelia Rosselli, ce « croisement de fièvre et de rigueur » dont parle Jean-Baptiste Para dans sa préface. On sait parce qu’on les a feuilletés qu’ils sont importants, terriblement importants.
Le temps passe. Sans vraiment passer. C’est dans ses calmes que vient de paraître La libellule, ce texte de 1958, toujours aux éditions Ypsilon. Texte fondateur d’une poétique dont le mouvement de rotation de cette « tournoyeuse langue », avec ses arrêts et ses brusques démarrages, est mouvement de libération.
On sait qu’écrits de l’autre côté du désespoir, à mains fatiguées de tourner et retourner la langue comme terre gaste, stérilisée à force de mots trompeurs, dégradés, trahis, ces textes en portent la marque, flamme vivante au-dessus des cendres qui ne saurait manquer de nous requérir. Affaire de jour !
Il y a dans les poèmes de ces Variations de guerre, comme dans cette Libellule, cette force qui tient les écrits, qui « défamiliarise la langue » selon la juste expression de Marie Fabre, la tord tout en la gardant dans des formes contre lesquelles elle vient résonner. Et c’est poésie cela ! Il y a là un ton que j’aimerais donner à voir à travers les mots mêmes d’Amelia Rosselli comme celui de « la rixe hivernale de vent, grêle et souffle de printemps mitigé» qui en « radieuses terrasses », bandes passantes, « (labourent) le sol de leurs rayures féroces ». c’est lui qui tient les poèmes en un tout organique, présence intermittente du sujet qui se fait dans le langage et par lui. Ce ton est celui de la guerre quand la guerre est ce « combat spirituel » dont parlait Arthur Rimbaud, cette « volonté d’ouvrir les yeux, de voir en face ce qui arrive, ce qui est » selon les mots de Georges Bataille, celle de ne pas se dérober – « contre tout le mal : voir et savoir » -, de s’efforcer de voir ce que l’on nous invite à ne pas voir, de faire face à son temps, temps corrompu de part en part où « amitié et fidélité » apparaissent comme « choses impossibles » à désirer. Ce ton est celui d’un « esprit vigoureux » secoué par cette mélancolie active qui échoit en partage à l’éternel retour des défaites où l’on voit « sous son pied s’arrêter la lumière » et bégayer l ‘histoire. Défaites, abandons, trahisons, enfer pour l’ « âme rebelle » d’Amelia Rosselli.
Dans cet espace, parfois je vois l’écriture d’Amelia Rosselli se glisser de si en si, de si…alors en si …alors, de contre en contre, entre mots, images et phrases comme entre cailloux et mottes de terre coulent et fuient les serpents ; d’autres fois, je la vois comme une manière de se tenir et de se hisser, de prise en prise, jusqu’aux mots suivants, aux souffles suivants, aux reprises suivantes. Ecrire en enfer, enfer dont on tient battante la porte tant qu’on a la force de jeter le pied contre le chambranle pour qu’elle ne puisse se fermer ce qui rendrait tout possible, toute bifurcation, tout poème impossible.
Viendra un jour de février 1996 où la révolte sera trop grande pour elle, un jour où elle rejoindra les vaincus, ceux qui jusque dans la mort affirment cette part d’inaliénable et irréductible liberté, ce non majeur, ce refus des portes closes, ce principe de résistance « en attente de l’espérance ».
* Amelia Rosselli, Variations de guerre, Traduction et postface de Marie Fabre, Ypsilon.éditeur, 2012 et La libellule, Traduction Marie Fabre Ypsilon éditeur , 2014
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