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04/03/2013

Lu 88- Ahuc, poèmes stratégiques de Serge Pey

serge pey,ahuc,poésie,oeésie action,dvdAhuc, vous l’entendez ? Redoublez et faites bien sonner, dans les graves avec raucité,  les « i » que l’on ne voit pas dans la graphie. C’est un cri. Sur l’Aubrac. Un cri vertical. Il monte depuis la terre d’avant. Dans la marge du monde, il se tient. Et résonne. Un cri qui ouvre les bouches et laisse passer de vieilles voix. C’est ainsi que du dessous surgit le vrai pays, un pays sans patrie égal à « une vieille fontaine de lumière » où l’homme, ce remous, aussi déroutant, aussi incertain qu’aux premiers jours, est toujours à venir.

 Ahuc, poèmes stratégiques…Diable, ce serait donc la guerre dans la langue ! Quelque chose de l’ordre de ce combat spirituel aussi brutal que la bataille d’hommes dont parlait le jeune homme depuis ses Ardennes ? Car enfin s’il y a stratégie c’est bien qu’il y a combat et objectif à la clef.

 Défenseur de la poésie – celle qui se moque de la poésie, comme disait l’autre – « résistant du sens » et de l’homme, « guerrillero du poème sans espérance historique, » « ouvreur du sens, gardien et casseur du sens » tant les mots dans le poème fuient, échappent et filent devant en quête de leur signification et c’est là tout leur sens, tel est Serge Pey. Tel il se montre dans cette constellation de textes publiés entre 1985 et 2012 que reprennent aujourd’hui les éditions Flammarion qui ont la bonne idée d’accompagner cette reprise d’un DVD où l’on pourra entendre et voir Serge Pey écraser des tomates, dénoncer la torture en plaçant avec la lenteur qui convient à ces horreurs des erzats d’électrodes à cru sur un poulet, briser des vitres en proclamant que « dans un pays où les poètes sont enfermés dans les prisons, seules les prisons sont libres » - N’est-ce pas Messieurs du Quatar qui tenez dans les fers le poète Al Ajami !... 8 chapitres, 8 performances – on dit ça encore ? oui, on aime bien répéter…mais gare à la farce ! – Ici, et à chaque fois 8 actes. Et qu’est-ce qu’un acte sinon une affaire vitale, une expérience, cette traversée risquée, que l’on fait moins qu’elle ne nous fait et défait, où se risque de l’ homme le sujet qu’il ne se sait pas être !

 La question, la seule peut-être, est celle qui tourne et retourne le fait de savoir comment se tenir debout. C’est la question même de la résistance. Avec Serge Pey, on sait. C’est par les pieds que ça commence ! - Les pieds comme fondement de la pensée, voire ? – Par le zapateado quand les pieds du danseur martèlent le sol jusqu’à déchirer l’âme pour laisser sa chance au duende, tapi au plus profond du sang, duende qui ouvre la bouche pour que passent ces « mots de passe pour la lumière » qui voient une porte dégondée devenir table pour les amis et cette même table devenir porte par où passera l’amour et l’amitié.

 J’aime à imaginer Serge Pey demandant comme Emily Dickinson à Mr. Higginson à propos de ses vers, « sont-ils vivants ? » ? Eh bien oui, c’est dans la vie que déboulent les vers de Serge Pey, une vie où le poème est « toujours un souvenir de l’avenir ». Henri Meschonnic avait bien raison lorsqu’il affirmait que toute la poétique de Serge Pey était une poétique de la vie. D’une vie battante, combattante, en lutte contre toutes les semblances, les contrefaçons, les fétiches de la marchandise généralisée.

 Que celui qui dit venir « des lisière de la Révolution Permanente et du soleil noir des anarchies » soit le bienvenu ! Qui dirait que nous n’avons pas besoin aujourd’hui de tels guerriers de l’imaginaire dont Patrick Chamoiseau disait qu’ils savaient que « la bataille sera sans fin, et de tout instant », qu’ »il ne devra jamais baisser la garde », que « c’est seulement cette veille qui fait de ce pacifique non-dominateur, un guerrier. »

Serge Pey, Ahuc, poèmes stratégiques (1985-2012), Flammarion, 25 euros