Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/11/2007

Frédéric Lefeuvre, constructeur d'images

7d54123767274bc0a4d49809514160e6.jpgMon ami Frédéric Lefeuvre m'envoie ses ombres frontières,sa reconquête du regard. C'est un livre d'artiste à douze exemplaires comportant 15 images originales.Il prend place dans cette belle collection des Cahiers du chêne rouge qu'il a fondé il y a quelques années à Seglien, 56160 (Tel: 0297280199) et dont le site est en construction: http://monsite.wanadoo.fr/lechenerougeeditions

 Dix volumes déjà:

-Les caresses de la terre, chant baroque d'Italie et d'Espagne (juin 2004)

-Les chemins du seigle, paysages de Bretagne, I (juin 2004)

-Les chemins du seigle, paysages de Bretagne II (juin 2004)

-De ballades en complaintes, Antonin Artaud, septembre 2004

57ed1784d257a28b3416f93b2fd1a723.jpg-Le passeur solitaire, Joë Bousquet, préface d'Alain Freixe (janvier 2005)

-Sous les drapeaux de l'illusoire, texte de Line Clément (Avril 2005)

-Raconte-moi un mouton!, vendanges 2005 (Octobre 2005, Hors série N°1)

-Sulle colline bruciante, Cesare Pavese, texte d'Yves Ughes, (novembre 2005)

-Faits d'hiver, Paris février/mars 1983 (mai 2006)

-L'odeur du granit, Territoires intimes d'Armorique, février 2007 

 Frédéric Lefeuvre est l'homme du juste loin. Il sait la bonne distance, celle qui laisse la lumière circuler parmi les visages. Et lève leur présence. On pourra se reporter à mes Archives du mois de novembre 2006 à la date du 01 /11/06 pour lire L'oeil de la main, texte que j'ai consacré au travail de Frédéric Lefeuvre.

Dans son Odeur du Granit, ses Territoires intimes d'Armorique, il faisait précéder ses12 photographies d'un texte où il revisite sa démarche de constructeur d'images au plus près de son "désir photographique". Eclairant!

7a4b2e5eee7c2fe79c73f5846fb935e4.jpg


   "Le photographe tranche dans le réel, communément on dit qu'il écrit avec la lumière. Derrière la toile des apparences que capte la rétine, avant que les dès ne soient jetés, il a le pouvoir d'offrir une  face  visible au vécu  intime des choses.


    Je construis des  images en passant, en passeur si possible, tout en laissant disponible ma pensée,   et  en   pansant  les  plaies  du   temps  à   partir d' une géographie intérieure et muette. Aucune chapelle esthétique ne se cache derrière elles. Elles se veulent l'union d'une rencontre et d'une émotion. De celle qui est marquée par une quête de l'insaisissable.


    Tout d'abord, au niveau de l'acte de  prise de vue, mon cheminement se nourrit d'histoires anciennes et de la vibration des lieux ; c'est une forme de photographie contemplative à l'écoute des silences et des signes de ce qui « a été ».  On fait toujours les mêmes photographies, on marche toujours vers le même horizon, on creuse toujours le même trou pour faire  naître  toujours  plus  d'apparitions. Il faut toujours chercher ce qui est derrière le cadre assassin  du  photographe.


    Ce qui m'émeut, c'est le contact direct de la main avec les fibres du papier bromure qui révèle le négatif exposé par la chambre noire. Je procède avec des  produits actifs par tamponnage, par caresses et par glissements successifs d'arabesques sur le support baryté. Les vapeurs murmurent avec le hasard. Parfois l'émulsion dégage des saveurs délétères, elle fume, elle brûle, elle irrupte des ombres sorties de mes mirages ; ce qui doit « être » depuis mes chaudrons infernaux,  persistera et existera.


    Dans mes paysages de Bretagne, j'espère renouer avec l'authenticité et la beauté d'un territoire qui souffre d'un déficit esthétique dans sa perception. Je recherche le lien, puis l'empreinte. La pensée ne se détruit pas,  elle remonte toujours le puits du temps. C'est tout le contraire d'un système : le mode opératoire est aléatoire et détaché de la technique ; le  but est de se perdre en chemin, de se mettre en danger parmi une mosaïque de paysages et de nouvelles frontières.    


    En fait, j'opère en utilisant une forme d'écriture automatique portée par une sensibilité en rupture. C'est une histoire de respiration et de fenêtres ouvertes sur  une ballade poétique. Ma démarche est  une oeuve de « déconstruction » des images telles que la société les conçoit.  Notre regard est devenu économique et sous contrôle. Aussi, il m'importe plus que jamais de maintenir mes désirs photographiques dans la magie et le souffle  si  vulnérable de la vie."


© Frédéric Lefeuvre
  

 

07/11/2007

Claudine Galea - L'heure Blanche


4bab94348035a4f2dc826b2ab38fa1c3.jpg( Claudine Galea écrit du théâtre, des romans pour les adultes et pour la jeunesse. Elle travaille également avec les chorégraphes et créateurs d'images nouvelles n+n corsino. Elle est présente sur Remu.net.

D'elle, elle dit : "Je suis d'origine maltaise, mon père est venu d'Algérie quelques années avant ma naissance et j'ai grandi à Marseille. Je vis à Paris, mais ce sont toujours la lumière du sud et la présence de la mer qui me portent.
Je n'aime pas beaucoup les catégories qui enferment et scindent. C'est sans doute pour ces raisons que j'ai toujours exploré différents territoires, seule ou accompagnée, avec des artistes d'autres horizons.

"

Parmi ses derniers livres :  Le bel échange (récit), Morphoses (roman  graphique avec Goele Dewanckel), Rouge Métro (roman noir à partir de  15 ans) aux éditions du Rouergue,  L'amour d'une femme (récit) au  Seuil, Je reviens de loin (théâtre) aux éditions Espaces 34 et La règle du changement aux éditions de l'Amourier, cadre dans lequel je l'ai rencontrée.Elle me confie aujourd'hui L'heure blanche qui devrait faire l'objet d'une publication avec  des illustrations de Goele Dewanckel très prochainement.)

 

Je m'appelle Blanche.

Je porte des robes blanches des culottes blanches des socquettes blanches et des tennis blanches.

Je n'aime pas la nuit.

Je n'aime pas les jeux d'enfants. Je n'aime pas plonger dans la piscine. Jouer à cache-cache. Je n'aime pas qu'on me fasse tourner avec un bandeau sur les yeux pour avancer à tâtons à la recherche des autres qui gloussent qui rient qui poussent des cris et appellent : Blanche par ici, Blanche par là.

J'aime l'été. Le sable dans l'île et l'heure de midi.
J'aime quand il n'y a pas d'ombre. Que les ombres même sont blanches.

C'est un pays très chaud où ma mère est née et m'emmène en vacances.

A midi personne ne sort.
Moi je vais jusqu'au bout du port et je vois tout ce que j'aime voir.

La plage à droite comme un voile de mariée.
La plage n'en finit plus de couler vers l'horizon. Une jeune fille en blanc marche sur la plage, la mariée entre dans la mer. Je la perds. Elle devient le ciel le sable l'eau et le soleil.

Ma mère accourt pour me mettre un chapeau blanc sur la tête.
Ma mère a une jupe blanche et un dos nu blanc. Et des lunettes de soleil noires.

Je déteste les lunettes de soleil.

Ma mère dit des mots : folle insolation trop chaud midi aveuglant mourir.

Je ne comprends pas ce qu'elle dit.
Je ne suis pas comme elle. Je n'ai pas chaud, pas mal à la tête et mes yeux aiment la lumière.

Je m'assieds sur la pierre blanche du quai. Je tourne le dos à la mer.
Les rues en pente du village dégringolent, ce sont des cascades.
Les maisons flottent, ce sont les rideaux en mousseline blanche que maman a mis dans le salon.

Qu'est-ce qui ressemble le plus à la neige ? La mer ou les maisons ?

Je fais des dessins sur des feuilles blanches. J'ai une boîte de peinture. Je n'utilise que le blanc. J'ai quarante dessins blancs. Depuis quarante jours.

Qu'est-ce qui ressemble le plus à la neige ? C'est l'heure de midi dans l'île au milieu de la mer.

Maman ne voit pas ce que je peins. Elle ne voit rien.
Elle passe une couche de peinture blanche sur le mur blanc, je vois le nouveau blanc, puis elle passe une deuxième couche, je vois le nouveau nouveau blanc.
Maman s'énerve : tu vois bien c'est blanc pareil, c'est pareil, tu ne peux pas voir du blanc sur du blanc. Mets des couleurs, ce sera beaucoup plus joli. Et plus gai.

Je regarde l'île et autour de l'île. Je regarde mes tennis blanches et mes ongles. Et dans le miroir je regarde mes dents. Et je regarde ma robe d'été en coton et aussi ma culotte. Je vérifie que tout va bien, tout est blanc.

Et je l'entends miauler.
Je la vois, ombre blanche le long du béton blanc.
Qu'est-ce qui est le plus blanc, la route, la maison, Bianca ?

Je lui ai apporté un peu de lait dans ma petite bouteille que maman avait remplie d'eau. Elle lappe dans ma main. Je m'allonge sur la pierre contre Bianca. Dans sa fourrure blanche, je m'endors.

Même les bruits sont blancs. Le cri des mouettes. Les mâts des bateaux qui vibrent dans l'air. Mon cœur qui bat, blanc.

Maman crie, appelle : Blanche !
Elle ne me voit pas.
Je suis la pierre et le béton, la plage et le sable, l'eau et le ciel, la chaleur et la lumière. Je suis l'île et j'ai dix ans. C'est ici que je suis bien moi, c'est ici que je veux vivre. Je veux vivre quand c'est midi et que je suis seule dans les rues de l'île. C'est l'heure blanche dont tout le monde a peur. C'est l'heure où j'oublie tout, où je n'ai plus mal, c'est l'heure du bonheur. Le bonheur est blanc.

Un jour toute ma peau sera blanche, et seront blancs aussi mes yeux bleux et mes cheveux blonds. Et ma langue, et la langue rose de Bianca. Le blanc me pousse dedans.
Quand je serai toute blanche, je disparaîtrai.

Comme mon papa.
Il photographiait les phoques. Neige, congères, lacs gelés. Il me montrait ses images. Il me disait, regarde Blanche, celle-là je l'ai solarisée. Je voyais des ombres banches, des flous blancs, des taches blanches, des mouvements blancs sur l'écran.
Il mettait encore plus de soleil, il appuyait sur le flash, il blanchissait, il illuminait, il aveuglait tout de blanc. Il disait, les aveugles voient dans le noir, moi je vois dans le blanc.
Moi aussi je vois. Je vois bien, je vois tout dans le blanc, je le vois.

Il y a quarante jours, maman a dit : papa a disparu, le blanc l'a pris, il est dans l'hiver éternel.
Elle a pleuré.
Moi je sais où il est.
Il est dans ses photographies, solarisé.
Il est dans l'île à l'heure de midi. Il est dans le sable et maman va le rejoindre dans sa robe de mariée. Il est entre la terre et le ciel à midi quand ça clignote et que tout devient jaune puis orange puis rouge puis noir puis blanc.
Je le peins dans mes dessins.

Qu'est-ce qui est le plus blanc, le vide, l'absence, le désir, l'attente ?

Un jour je serai Bianca et Bianca sera moi. Peut-être qu'il est là, mon papa, à l'intérieur de Bianca. Je caresse sa fourrure blanche, je t'aime Bianca.
Je crois que je sais : le plus blanc, c'est aussi le plus grand, c'est quand j'ai tout le temps, que c'est l'été, les vacances, que je peux faire ce qui me plaît, marcher dans l'île à l'heure la plus blanche de la journée.
Quand je sens dans mon ventre et ma poitrine quelque chose monter, monter.
Le plus blanc, c'est ce qui contient toutes les couleurs, c'est ce qui fait ressembler l'été à l'hiver, c'est ce qu'on met quand on va se marier, c'est ce qui rend le sale propre, c'est le drap qu'on met sur les morts et les premiers vêtements des bébés, c'est ce qui efface les fautes d'orthographe, et c'est la fleur du jasmin, le parfum préféré de maman, c'est les cailloux du petit Poucet, c'est la fin de la nuit, les nuages sur lesquels on vole, la crème chantilly, c'est Bianca et c'est mon papa. Le plus blanc, c'est d'aimer.

Comment expliquer ça à maman ?

© Claudine Galea

25/06/2007

Emmanuel Laugier - Crâniennes (extraits)

medium_Didier_leclerc_-_E._L_07_-_2.2.jpgEmmanuel laugier est né en 1969 à Meknès (Maroc). Il vit à Nîmes. Travaille aux Belles Lettres. il fait partie du comité de rédaction de la revue L’Animal (Metz), où il écrit, entre autre, sur le cinéma. Il est un collaborateur régulier du Matricule des anges pratiquement depuis les débuts de ce mensuel.

parmi ses dernières publications, on relèvera

* Strates, Cahier Jacques Dupin (sous la direction d'E. L), Édition Farrago/ Léo Scheer, 2000

* Singularités du sujet (8 études sur la poésie contemporaine), sous la direction de Lionel Destremau et E. L, (Prétexte éditeur,2001)

Pluralités du poème (8 études sur la poésie contemporaine), sous la direction de Lionel Destremau et E. L, ( 2003)


* Suivantes, Didier Devillez, 2004

* Mémoire du mat, Ulysse Fin de Siècle, 2006,

Mon ami Emmanuel Laugier pratique cet exercice vertical de la langue fait de pastilles noires, ces points de pitonnage ; de parenthèses vides qui au lieu d’ajouter semblent au contraire ouvrir l’espace vide où la parole trouverait à se retourner ; de tirets comme autant de jonctions / disjonctions de plans d’écriture, autant de prises à saisir / lâcher pour se hisser, passer un ressaut. Jusqu’au surplomb. Ecrire, non plus comme marcher, mais comme grimper.Et sentir le vent du dehors emporter les dernières poussières. Dans le ciel ouvert. Alors tout peut alors continuer.

Il me confie aujourd'hui ces quelques Crâniennes inédites. 

 

*

25 

crânienne
 est dans le bleu sec du serpent
 de loire — est encore une autre image —
 mais large (panoramique)
 et froide loire elle-même avec lui jacques
 lisant au travers du carreau du train lui
 [qui lisait] ses yeux
 que je ne voyais pas que
 que je ne pouvais voir tournés tournés
 vers je ne sais quel
 autre varech encore
 plus encore enroulé dans du noir-plastique
 brillant échevelé
 venteux dans le loin
 là
 où je n’étais pas
 lui
 regardant une embuscade —
 un grand brasier un feu âcre blanc enrouler le ciel



26

pour serge
et    (incise — au jour ce
jour le 7 demain
le 8 dans le soleil pas loin
montauban — en décembre deux-mille quatre
glisse avec claude l’ongle où
je le voyais ô
ton sourire beau donné
donné — que même au fils pas
sinon
adieu —
te revoir au fond courbe du crâne
lové de la douceur de la
douceur que le jour
continuant enfin le dire le lâcher —   )
ce jour pas
le même
non
jamais



27


pas plus qu’un autre
est jeté en travers de soi ce-
lui

pas autrement
est
fracassé
dans ton jour à toi un
vase
a
coulé
son noir jusqu’
ici
ton temps
y
fait
tâche
tatouage
indélébilité du feutre lent
dans la mémoire voulue fermée
vacante
car pas pour aujourd’hui
son insistance
non


28


crâniennes   



  pas
  aujourd’hui
  pas ce jour de venir
  déconner
  avec ça qu’il
  faut (faudra)
  bien passer de l’autre côté
  pour
  quoi :
  sortir
  revenir nous
  oui
  un peu avec
  la rue qui passe son
  bruit dans le
  tien grand
  blanc vide
  d’esprit
  alors
  alors


29


et ( incise — au jour
     terminé — dit
     fin
     fini
     plié
     parti — dit
     cela qu’il — non
     pas
     seulement
     soit chassé
     dans le coin de tête le plus
     lointain reculé — non —
     mais
     qu’il (ce jour)
     commence cent
     fois sans
     insistance à
     ré-exister sa mort à lui
     passée
     disparue
     pschtt
     envolée
     avec le lent signe que je fais
     de la main au revoir )
te dire
adieu
très bas le dire
et le faire

 

 

© Emmanuel Laugier

© Didier Leclerc pour la photographie.  Pou en savoir plus sur son travail, voir le site contact@atelier-n89.com




 

 

05/06/2007

À propos de 5 rafles de gérard serée

( Gérard Serée, peintre-graveur, est né à Evreux en 1949 où il commence très jeune à montrer ses œuvres.
Il travaille à Nice et dans son atelier de Cuébris. Il a fondé l’Atelier Gestes et traces.
Il a collaboré à un grand nombre d’ouvrages de bibliophilie. Parmi ses amis poètes qu’il a accompagné par ses gravures et/ou ses collages, on peut citer Christian Arthaud, Daniel Biga, Michel Butor, Alain Freixe, Béatrice Bonhomme, Jacques Kober, Raphaël Monticelli, Bernard Noël, James Sacré, Marie-Claire Bancquart, Yves Broussard, Jean-Marie Barnaud…)

 En suspens dans les fonds

 

I



De routes en déroutes s’enroulent des ellipses.medium_serée_1.jpg
De plis en déplis se déroulent des vagues.
Quelles pierres as-tu jeté dans l’eau noire ? Avant les ondes, te souviens-tu de ce froissé des eaux au moment de la percussion? De la fracture de surface? Te souviens-tu de cet enfoncement écumeux qui s'en suivit avec retour des fonds?
C’est cela que j’entends gronder dans la trame de tes noirs. Entre leurs masses. Un roulement sourd d’orages inapaisés.


II


Comme boursouflés, les heurts de l’ombre et de la lumière s’ouvrent sur des arrières-fonds, d’étranges clairières après d’épaisses frondaisons, aperçues entre deux troncs d’arbres abritant mousses et lichens. Dans leur lumière embuée d’encre et d’eau. Brouillards à peine colorés dans les creux et rehaussés sur les bords. Vifs aux arêtes. Quelque chose flotte. Un corps. Un sac à dos. Vieux et qui attend un temps propice à la sortie projetée. Non, pas des souvenirs, ces peaux mortes. Pas des rêves, ces vapeurs méphitiques. Mais quelque chose qui pèse aux épaules du marcheur, quelque chose dont les sangles tirent, quelque chose qui donne sa tenue au présent de qui chercherait son Mont Analogue…


III


medium_serée_3.jpg D’incisions en balafres, de fentes en refentes, quelque chose émerge de ces rafles sur plaque. Le visage furtif de ce qui nous manque. Et qui déjà se perd à l’avant de ce qui a pris place sur le papier quand la pression se relâche, entre langes et feutres.


IV


Contre la paroi des plaques, là où ce sont les mains qui voient, de prise en prise, passe un souffle. Ce coup de vent espace nos yeux. Nous éclaire d'un lieu improbable.


V


Et, taille-douce dans la langue, les noirs de Gérard Serée nous parlent de ce pays d’à côté d’où nous vient ce qui nous tient.medium_serée_4.jpg
Vivants. Et obstinés à poursuivre.


© Alain Freixe
 

04/06/2007

Jacques Dupin l'intempestif par Emmanuel Laugier

C'était en et paraissaient coup sur coup  chez POL Écart (2000) le nouveau livre du poète Jacques Dupin, et, en un seul volume, la réédition des Mères et De singes et de mouches (2001): l'expérience à laquelle convit Dupin, toute en syncope et en puissance, fait de son auteur l'un des plus importants poètes de la seconde moitié du XXème siècle. (On lira dans la rubrique Entretiens celui qu'il m'a accordé à l'occasion de la parution de Coudrier, toujours chez POL en 2006)

J'ai plaisir à reprendre ainsi l'article que mon ami Emmanuel Laugier avaiit publié à cette occasion dans le N°  35 du Matricule des Anges en juillet/août 2001, l'excellent "mensuel de la littérature contemporaine" de Thierry Guichard à laquelle il collabore depuis l'origine ou à peu près.

 

 

 

L'œuvre de Jacques Dupin compte aujourd'hui plus d'une vingtaine de livres de poésie, sans y ajouter ses essais sur l'art et les peintres. Pourtant, le mot "œuvre" va mal à cette écriture : elle ne cesse en effet de se remettre en question. La lire, c'est être face à ce qui, en nous, s'accepte le moins. A chaque lecture elle rappelle à vous un animal juste endormi, un singe par exemple, ou cette nuée de mouches qui au coin de l'œil ne perdra pas le temps de vous troubler la vue… Les livres de Jacques Dupin n'assagissent pas. Ils font plutôt tourner le vin en vinaigre, ou l'inverse. Sa poétique est celle de la déflagration et des renversements de tous les corps, du lieu géographique (Ardèche, Japon, Pyrénées) où tout s'éffondre en ravines aux forces les plus abstraites de la psyché. De ce singe «au cul couleur lilas» au pavot rouge sang de la folie, du frère perdu dans sa tête à l'exécration du pouvoir (à commencer par celui des mots), la langue de Dupin propose une arme, un couteau net de braconnier, ce tison la distance ouvert dès les premiers livres : une intempestive manie de couturailler. Pour tout dire, Jacques Dupin rompt l'équilibre entre le signe et la voix : c'est par là qu'il vient en son livre «tempétueux et déchiqueté».

    La voix de l'auteur est irréversiblement marquée par cette exigence : toujours suspendue à un lointain silence, grave et profonde lorsqu'elle se donne, elle surgit parfois quand on ne l'attend pas. Elle ne se «soucie, selon ce qu'en dit justement le poète Claude Esteban, dirait-on, de pas autre chose que de brusquer celui qui l'écoute, de l'interloquer au moment même où il semble s'approcher de lui et, qui sait, le séduire». Tête rasée de boxeur, arcade saillante et soulevée, massif, Jacques Dupin précise de suite que l'entretien n'est pas son fort, qu'il ne les lit ni ne les écoute jamais. A nous, donc, d'entendre sa voix rapportée…

 

Lire la suite

01/06/2007

Luna Miguel, la poésie à 16 ans

Jeune fille, salut! medium_mi2.jpg

Luna Miguel est du genre "Claire"! Allez donc relire les bandeaux que rédigea René Char pour sa pièce de théâtre "Claire" en 1948. Cette jeune "almeriense" - habitante d'Alméria! - a seize ans. Son activité poétique est multiple. Elle dirige un fanzine, anime un blog - www.lunamiguel.blogspot.com -écrit et publie des poèmes en revues. El grito et Menù de sombras sont ses deux recueils publiés. Après avoir passé un an en Première L au Lycée Masséna à Nice, elle retourne en Espagne. De Mundo fantasma manuscrit qu'elle a écrit et mis au point au cours de son séjour niçois , j'ai extrait  et risqué la traduction de ces deux poèmes:

La plage de la réserve 

 Un lugar entre el cielo y el infierno

un punto exacto, càarcel,

espacio sin aire, agua o fuego.

Me encuentro tendida en las sabanas

del otono donde huele a papel quemado

y pegamento

No puedo mirar atras

no puedo girar la cabeza

no puedo decir hola ni adios,

no puedo pensar.

Y aunque en frio haya llegado

antes de lo previsto

sé que estoy en alguna parte. 

 

La plage de la Réserve

 Un lieu entre le ciel et l'enfer

un point exact, une prison,

un espace sans air, eau et feu.

Me voilà étendue dans les draps

de l'automne où ça sent le papier brûlé

et la colle.

Je ne peux regarder en arrière

je ne peux tourner la tête

je ne peux dire ni bonjour ni adieu

je ne peux penser.

Et même si le froid est arrivé

avant l'heure

je sais que je suis de quelque part.

 

Les choses et les poèmes sont inconciliables (Francis Ponge)

 No te estoy hablando de las cosas

del dia

minuto

no te hablo del momento

del espacio

de mis manos

 

mira los aviones

comprende qué te digo

 

todo es verde

 

no queda poema.

 

Les choses et les poèmes sont inconciliables (Francis Ponge)

 Je ne te parle pas de la chose

du jour

min ute

je ne te parle pas du moment

de l'espace

de mes mains.

 

Rezgarde les avions

comprends ce que je te dis

 

tout est vert

 

Plus de place pour le poème. 

08/05/2007

Jean-Gabriel Cosculluela- La proche attente de la lumière

medium_Cosculluela_Jean-Gabriel.jpg(Né en 1951 à Rieux-Minervois (Aude). Origines aragonaises (Pyrénées espagnoles). Vit en Haute-Ardèche. Conservateur territorial des bibliothèques. Écrivain, traducteur de l’espagnol, éditeur (directeur de la collection Lettre Suit, maintenant aux éditions Jacques Brémond, après une co-édition Atelier des Grames-Brémond) ). Membre du comité de rédaction de la revue Faire Part (dernier N° sur Jacques Dupin-mars 2007)Ses livres: De  L’Affouillé  (Jacques Brémond, 1980) à   Une prière nue, d’emblée  (Atelier des Grames, 2005),  une trentaine de livres. Parmi les plus récents

Terre d’ombre (éd. Voix d’encre, 2001) avec des monotypes d’Anne Slaci

Âpre aveuglement (éd. La Porte, 2002) avec un dessin de Claire Dumontei

Buée (éd .Jacques Brémond, 2003) avec des encres de Joël Frémiot

L’Envers de l’eau (éd. Fata Morgana, 2005) avec des photographies de Jacqueline Salmon      

Stèle du seul encore (éd. La Sétérée, 2005) avec des gravures de Jacques Clerc

Une prière nue , d’emblée (Éd. Atelier des Grames, 2005) avec une mise en livre et des gravures d’Anik Vinay

À paraître

À fleur de lumière  (éd. Mano à Mano / Les Cahiers du Museur) avec des travaux d’Albert Ràfols-Casamada)

 

Jean-Gabriel me confie ce poème dont je ne puis respecter ici toutes les blanches respirations.

Jean-Gabriel est un lecteur. Il a fait sienne l'affirmation de Andrès Sanchez Robayna: "L’écrivain est d’abord un lecteur"

On trouvera ainsi dans Dans La proche attente de la lumière, des mots  d’Andrea Zanzotto, Christian Dotremont, Andrés Sanchez Robayna, Joë Bousquet  

 

 La proche attente de la lumière

 

 

 

Journalier de lumière
tu regardes le feu blanc
tu regardes le feu noir
pour brûler l’invisible







 

Braises, cendres sur le sable, sur les rochers
pour garder encore le secret
tu regardes toujours la lumière
sur le seuil







L’ordre du jour où tu écris
la terre nue de la terrasse
où la lumière a soif
de la lumière obscure






La terre nue de la terrasse
 tu écris la terre de loin
et chaque mot est manque







L’eau s’éteint ce soir d’été
l’île est la terre de personne
elle se donne
dans le silence au-delà de chaque mot









Tu bois la lumière
où la terre ce soir
veille l’invisible
là sur la terrasse et plus loin
dans l’air et son silence
un oiseau s’abandonne







L’air et l’eau, les rochers
chaque mot à traverser
chaque manque

la proche attente de la lumière









Vienne le jour l’air
en une sorte de pluie de baisers offerts
à l’eau par les mouettes

dit Andrea Zanzotto
dans Au-delà de la brûlante chaleur





aux marges qui quoi qu’il en soit sont parmi
et aux marges qui quoi qu’il en soit sont dehors
dit Christian Dotremont
dans  Commencements lapons






Comment  dire le silence avant un seul mot,
comment   dire le silence après un seul mot,
le temps qu’il fait du rien, de la nudité,
la suite d’une saison bleue et blanche
de trop regarder le bleu et le blanc,
le temps qu’il fait du vide sur la pierre extrême,
comment trouver les noms ?



 

 

 

a. gravé de corps bas de casse
sur la pierre extrême
pour nu le recommencement:
tu épelles la lumière, a.,
tu épelles le gravier sous le pas
la grève les rochers
a. où bat le bleu où bat le blanc
le recommencement
l’eau de roche

           quand la lumière même
s’approchera des bords de la lumière



les rochers l’eau l’été
la soif la nuit
les cordes d’écume et de nuit noire sur les rochers

           l’oeuvre de la nuit, mais de la nuit
qui nous donne des yeux, elle a pour vertu de boire
les ombres







a. reprend tes mots
composant sans cesse le silence:
le climat d’encre  la roche les rochers
les paumes sur la dalle froide
le feu blanc et la pierre extrême



et ce jour d’air, a.




        .Plus haut le corps errant
nomade dans le noeud de la lumière


Juin 1997-Juin 2000  




 © Jean-Gabriel Cosculluela, 2007 

02/05/2007

Jérôme Bonnetto - Lavomatique (extraits)

Écrivain et photographe, Jérôme Bonnetto enseigne les lettres dans le sud de la France. Il est l'auteur du Livre de Brouillon, (poésie, L'Amourier, 2003), et de Vienne le Ciel, roman paru aux éditions de l’Amourier  en 2006 (voir ici même dans la catégorie « Du côté de mes interventions » - Lu 6 en septembre 2006).

 

medium_bonnetto.gifJe me souviens parfaitement de l’histoire qu’elle m’avait racontée. Je ne me souviens plus de son visage, des émotions qu’elle laissait transparaître. Me reste juste l’histoire. C’est une histoire de lavomatique, je ne veux pas dire par là que c’est une histoire qui se passe dans un lavomatique, non, c’est une histoire de lavomatique parce qu’on peut la raconter à un inconnu que l’on rencontre dans un lavomatique, c’est peut-être même la meilleure personne – l’inconnu du lavomatique, en l’occurrence moi. Elle m’a raconté cette histoire comme ça en regardant son linge blanc tourner dans le tambour de la machine 6. La femme qui m’a raconté cette histoire n’était pas jeune mais l’histoire qu’elle m’a racontée est l’histoire d’une jeune femme. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose la tête sur la poitrine d’un jeune homme. Une jeune femme. C’est l’histoire d’un jeune homme aussi. Ils sont deux, une jeune femme et un jeune homme. Un jeune homme avec un cœur sous sa poitrine. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose sa tête sur le cœur d’un jeune homme. Voilà, c’est ça l’histoire, la tête d’une jeune femme, un jeune homme, un coeur. C’est l’histoire d’un cœur. C’est aussi l’histoire d’une jeune femme qui veut devenir médecin. Cette jeune femme pose sa tête sur le cœur de son amant, parce qu’ils viennent de faire l’amour pour la première fois. Souvent les jeunes femmes font ça, elles posent leur tête sur la poitrine d’un jeune homme, tendrement, voilà, comme ça. Là, c’est la première fois. Pour la jeune femme mais aussi pour le jeune homme. Ce jeune homme a un don pour les sciences physiques. C’est de la physique qu’il veut faire, il veut chercher là-dedans, dans la physique. Chercheur en physique. Il veut fouiller la physique et trouver des trucs. Fouilleur en physique, c’est ce qu’il dit pour ne pas trop effrayer les gens qui n’aiment pas la physique. La jeune fille va devenir cardiologue mais elle ne le sait pas encore. C’est l’histoire d’une jeune fille qui voulait juste être médecin et qui va devenir cardiologue. Une grande cardiologue, non parce qu’elle se destine à devenir cardiologue mais parce qu’ils viennent de faire l’amour et que ça va la destiner à devenir cardiologue. Les cardiologues aiment faire l’amour aussi, ils aiment tout court même s’ils ne se font pas la même image que nous de ce qu’est un coeur. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pose sa tête sur la poitrine d’un jeune amant après avoir fait l’amour et suite à cela, elle veut devenir cardiologue. Cet homme, elle en est éperdument amoureuse, elle sait déjà qu’elle passera toute sa vie à ses côtés, elle sait qu’il ne pourra plus en être autrement, qu’elle est de ces femmes pour qui il ne peut y avoir qu’un homme et un seul, que c’est celui-là, c’est sûr. On voit bien que c’est une histoire d’un autre temps. Mais elle entend quelque chose, quelque chose de bizarre, d’irrégulier. Elle pose sa tête sur le cœur du jeune homme et elle remarque une irrégularité dans le battement. Elle n’est pas encore cardiologue mais elle est déjà un peu médecin. A l’université, on étudie depuis plusieurs semaines les irrégularités du cœur, elle reconnaît cette irrégularité caractéristique du cœur. On dit que Bambaboum Bambaboum, c’est irrégulier. On en dit beaucoup de choses de cette irrégularité à l’université, on lui donne des noms savants, on explique que c’est une malformation congénitale et que les gens qui souffrent de cette malformation dépassent rarement les 25 ans, qu’on le sait, qu’on ne sait pas quoi faire, qu’il n’y a rien à faire. La jeune femme a la tête posée sur la poitrine du jeune homme, amoureusement et cliniquement. Il n’existe pas de mot pour dire à la fois qu’elle l’aime et qu’elle l’ausculte. Tant pis. La jeune femme, pas encore cardiologue, vient de tomber amoureuse d’un condamné à mort qui ignore qu’il est condamné à mort. La jeune femme se demande si elle doit dire au condamné à mort qu’il est condamné à mort. Pendant ce temps-là, le linge blanc tourne toujours dans le tambour de la machine 6. C’est tout. 

© Jérôme Bonnetto 

Claire Legendre - Le rendez-vous de juillet

medium__MG_4006_copie.jpgClaire Legendre est l'auteur de plusieurs romans, notamment Making-of, (éditions Hors Commerce, 1998) et Viande (Grasset, 1999), Elle a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome et a reçu en 2004 la Bourse jeune Écrivain de La Fondation Hachette Jean-Luc Lagardère. Son dernier livre La Méthode Stanislavski  est paru chez Grasset en 2006 (voir ici même dans la catégorie « Du côté de mes interventions » - Lu7 en septembre 2007)
 
 
 
Tu arriverais par la route, dans une décapotable rouge, avec un jeune type aux cheveux longs ramassé pour la nuit. Tu porterais une robe blanche. Je t’attendrais à l’Hôtel du Commerce, dans ma chambre trois étoiles moi aussi j’aurais emmené mon gigolo, pas encombrant, il ferait un somme entre deux cuites, et moi je serais sortie t’attendre à la terrasse de l’hôtel, avec mes lunettes noires en fumant des cigarettes, me dorer au soleil, boire un Martini Blanc. Sur le dos de la main gauche une petite croix gravée à l’encre noire dans la peau, je survolerais d’un œil las le journal du jour. Il y aurait le soleil et l’air doux de la montagne en été. Les villageois me lanceraient des regards curieux. J’aurais un bracelet de force en cuir noir et des bas résilles blancs, et de gros godillots de soldat, et un vieux cahier relié où noter mes dernières impressions. Dans mon sac un échantillon de chaque drogue pour y goûter rien qu’une fois, et les œuvres complètes de Jim Morrison pour les relire, les psalmodier.    On se retrouverait vers seize heures sur la place du village et tu boirais un jaune ou de la Tequila, et on dirait des conneries et peut-être on emprunterait le chemin de croix jusqu’à la petite chapelle aux ex-voto qui donne sur le vallon. Peut-être aussi qu’on irait voir la secte au bord du lac, celle qui ressemble au village des schtroumfs, mais ils l’ont détruite, maintenant, la secte, ça on ne pouvait pas le prévoir.  Peut-être aussi que je n’aurais pas de gigolo mais que je séduirais un des jeunes serveurs de l’Hôtel du Commerce et qu’il passerait la nuit avec nous. Vers dix-huit ou dix-neuf heures on irait se changer pour l’apéro et puis on mangerait un dîner de reines dans la cour intérieure sous la tonnelle, un dîner aux chandelles avec des tartines d’oignon confit et des ravioles à la truffe et tout un enchaînement de petits plats incroyables et du vin de Bordeaux et des alcools forts pour le dessert. Les clients de l’hôtel nous verraient d’un mauvais œil et on aimerait ça, payer pour avoir le droit de se comporter mal sous les yeux des bourgeois et subvertir leurs privilèges en y goûtant goulûment.    On se ferait porter du champagne dans les chambres et on continuerait à s’enivrer et on ferait l’amour avec nos deux gigolos, et on mettrait de la musique, très fort, et peut-être les gens se plaindraient et on s’en foutrait bien qu’ils se plaignent.    Vers cinq heures du matin on abandonnerait les deux types souls et repus sur leur couche, et on se barrerait dans la décapotable rouge, avec les drogues et la Tequila, et on chanterait à tue-tête sur la route avec Jim Morrison, et on se marrerait terriblement juste avant l’aube. On arrêterait la voiture au Point Sublime, à douze bornes du village. On laisserait la musique allumée, le moteur continuerait de tourner et on courrait vers la falaise et tout au bord on goûterait les acides, la coke, le LSD, et on s’écrirait sur la poitrine nos slogans morrisonniens et puis le jour commencerait à poindre et je te prendrais la main et on s’avancerait toutes les deux jusqu’au bord et on regarderait en bas et on serait très heureuses au moment de sauter. Quelques heures plus tard des touristes effarés apercevraient nos corps fracassés sur les rochers. Ce serait le 3 juillet 2007. 

Lire la suite

Claire Legendre et Jérôme Bonnetto - Photobiographies

medium_Photobiographies.jpgParu aux éditions Hors Commerce,, 83 rue de Reuilly, 75012 Paris, ce livre est un livre amoureux.

Que dit la 4ème de couverture ? 

"Claire et Jérôme se rencontrent autour de l'an 2000. Elle est écrivain... lui aussi. Mais Jérôme dissimule dans sa poche un compagnon gênant, témoin de toutes les histoires : son appareil photo. Et Claire se méfie beaucoup des appareils photos.Celui-ci est d'autant plus redoutable que, minuscule, il se dissimule partout, dans les chambres d'hôtel, les salles de bains, les trains, les cafés. Au fil des jours et des images, l'espion va s'immiscer dans le couple, subrepticement et tendrement, jusqu'à amadouer les soupçons, et apprivoiser ta récalcitrante. Elle finira même par s'en emparer, le déclencher à son tour. Il deviendra alors la métaphore du lien amoureux qui unit le photographe et son modèle. Les images répondent aux textes pour raconter cette histoire, entre fiction et vérité, ces petites histoires du couple qui sont devenues les photobiographies."


04/04/2007

Claude Ber, Promesse à Petit Pops

Poète, auteur dramatique, essayiste, Claude Ber a publié une dizaine d’ouvrages, dont Lieu des Epars, Ed. Gallimard, Sinon Lamedium_151188-208291.jpg Transparence Ed Via Valeriano, La Mort n’est jamais comme, Ed. de l’Amandier Prix International de poésie Ivan Goll, La Prima Donna suivie de l’Auteurdutexte Ed. de l’Amandier ,  Monologue du preneur de son pour sept figures, Ed. Léo Scheer,  Orphée Market, Ed. de l’Amandier, Libres paroles, Ed du Chèvre Feuille Etoilé…Elle participe aussi à des ouvrages collectifs ou en collaboration avec des plasticiens, à de nombreuses revues de poésie ainsi qu’à de multiples lectures et colloques en France et à l’Etranger.
Visitez son site : www.claude-ber.org
 
 
 
 
Promesse à Petit Pops
 
 
Un jour je te ramènerai Petit Popsdans le brouillard de ces collines où tu courais Tu seras libre comme le vent du soir qui rabattait la lumière sur tes yeux et tu auras ces mains étranges difficiles à décrire car elles ne sont ni petites ni maladroites mais un peu de tout cela comme des pattes de chat griffes rentrées dont elles ont la manière à la fois prudente sûre et souple de se poseret tu auras ces mains  posées sur le monde avec confianceTu as tant craint et tremblé Petit Pops avec ces mains ouvertes sur tes genoux, et disant plus ces mains inquiètes et désoeuvrées que toi dans le mutisme de la peur murmurant:- Je ne comprends pas bien, c'est difficile la vie pour moi....avec ces yeux désolés de ne plus savoir Comme tes mots étaient pauvres à ces moments là Petit Pops,  si élimés comme des mots de pauvres gens que furent tes parents et les miens
Toi de la langue imagineuse et des fêtes de l'esprit, comme tu étais pauvre  et sans même la paix du dénuement
Je te ramènerai, Petit Pops, dans l'arrière pays du temps
                                            dans l'abondance de la fête
                                            dans la clarté
Maintenant que je suis sans plus d' illusion sur le pouvoir des mots et que je ne peux même plus me prendre aux leurres de mon époque qui sont aussi le partage d'une danse à plusieurs, maintenant que je suis moi aussi séparée irrémédiablement et que je considère mes propres mains et  mes propres paroles dans la démesure de leur impuissance, maintenant je pourrai
je te promets
Et je saurai employer les mots imposés par le jeu auxquels nous jouions quand tu osais encore jouer
sureau, sang, cirque, paille, piéride, vairon...
Le dernier seulement est difficile comme un regard qui surimpressionnerait ta vue à la mienne
je me souviens bien d'un chien plus loup que chien qui regardait par deux yeux distincts, brun bleu, mi confiant mi sauvage, mais c'est dans une autre histoire que la tienne
Il y avait aussi  tailleur, étain, cambouis et lampadaire
Tu te souviens de ce jeu Petit Pops?
Oublie! Oublie vite! Oublie tout.
La clef du temps est un couteau qui tranche les paupières.
Piéride donc! J'ai collectionné leurs ailes blanches point noir, il y a si longtemps, au pied d'une montagne dont le socle affleurait entre les très hautes herbes parmi les rires et les envolées de papillons minuscules d'un bleu moiré et brillant comme un pigment de ciel sur le rose des oeillets sauvages, papillons précieux que le moindre coup de vent emportait et auprès desquels les grandes reines jaunes à éperons  déployaient des ailes de milans. Près de la source poussaient aussi des sureaux à l'odeur entêtante et des orties que l'oncle cueillait pour la pâtée des poules; la grange sentait le lait et la paille
comme tes cheveux
Tu vois, je respecte le pacte sauf pour l'étain dont la Marroune disait qu'il portait malheur, et le malheur se porte suffisamment bien tout seul sans avoir en plus besoin qu' on le porte
toutes ces années de sang et de cambouis, Petit Pops, passons vite
De tailleur, je n'ai jamais connu que celui qui affichait sur sa ceinture "7 d'un coup" comme s'il s'agissait de géants et non des mouches engluées dans sa tartine de groseilles; déjà je ne retenais que le rouge gourmand des groseilles et le 7 semblable à celui des femmes de Barbe Bleue, des 7 nains et de tous les 7 de l'enfance, y compris ce Seth qui tronçonnait son frère renaissant dans les replis d'un fleuve à pouvoir de jouvence
si ce fleuve existait... tant de boue, Petit Pops, tant de terre et de temps recouvrent ces ruisseaux d'espérance ... et la vie terreuse elle aussi comme au confluent de rivières mortes
Je ne sais pas que faire du mot front. J'ai passé bien des fois ma main sur le tien mais ce mot le dit mal car il n'a pas le son qu'il faut
Les lampadaires ne me parlent pas non plus sauf sous la pluie, quand l'eau brille en épingles si fines dans leur lumière qu'elle paillette la nuit d'un or imputrescible... espérance, Petit Pops, comme une pluie d'été la nuit au coin de cette rue où tu habiteras encore, promis, dans ma mémoire
chez moi, dans des séjours d'emprunt où tu ne serais pas et la tristesse que j'ai de tout cela, ma vie me la jette sur le comptoir enveloppée dans un papier rose de boucherie
Ainsi moi non plus je ne sais pas où j'habite et je te rejoins à ma manière dans le sédiment de la douleur
Pourtant j'avais promis de t'emmener là-bas: martres, renards, lièvres fuyant en rebonds d'allégresse entre les  myrtilles et les bogues de châtaignés par dessus le ruisseaux à truites et l'étang aux anguilles
nous tresserons les fils vénéneux de la rhubarbe et le pollen noir des asters
Oh Petit Pops, un nom d'étoile est déjà dans la graine que tu dispersais par poignées
laissant dans l'incendie du soir un sillage sombre et lumineux
les capillaires des rhubarbes emmêlés entre tes doigts irriguent une vie invisible à odeur de muguet et à bruit de feuilles
Il suffit de la revêtir
pour que l'aube rejoigne le crépuscule, ce soir, ce matin, dans l'éveil d'un jour à naître à travers la mémoire
Maintenant que je suis allée te chercher au bout du silence où les mots n'ont plus cours, bien au delà du langage, dans un lieu si désert que même le désert est luxuriance à côté de ce dénuement, maintenant que j'ai appris à remercier la plus balbutiante des paroles quand elle réaccoste au langage des hommes, je saurai  ramener au fil de nos mots de misère comme un noyé à une corde ce lieu au centre d'une mer de prairies et de sapins noirs où roulent d'autres vagues que celles de la douleur, et si je ne sais pas, si je n'ai pas encore été assez dépouillée pour le faire, toi, Petit Pops, qui sais ce qu' est n'avoir plus rien et moins encore que le rien de ceux qui ont cessé toute souffrance, toi tu sauras.


© Claude BER 

07/01/2007

Guy Freixe : Le Masque dans la pratique théâtrale occidentale : entre Protée et Psyché

medium_guyfreixe3.jpg( Je ne vais pas y aller par quatre chemins pour dire que c'est avec un très grand plaisir que j'accueille mon frère dans ce lieu de partage. Après avoir été comédien au Théâtre du soleil- cycle Shakespeare et L'histoire inachevée de Norodom Sihanouk) , il fondera la compagnie qu'il dirige toujours aujourd'hui Le théâtre du frêne - Pour en savoir plus sur son parcours et le passé et les projets de sa compagnie voir notre lien - Il enseigne aujourd'hui dans la section Théâtre de l'université d'Amiens.)
 
 
 
 
Le masque peut jouer de sa capacité de métamorphose, qui le projette de forme en forme à la manière du dieu grec Protée  , mais aussi d’une force inverse, menant vers l’intériorité, et qui le rapproche de Psyché, dont le nom, en grec, signifie l’âme  . L’Occident, marqué par les fondements de sa culture chrétienne, dans laquelle le masque n’est qu’un leurre, a privilégié au théâtre cette voie de Protée : le masque ne cherche pas alors à donner accès à une connaissance, il est tout entier dans le choc visuel et dans la projection d’image. Il doit surprendre, dérouter, étonner. Ce masque-là ne vient pas agir sur le porteur. L’acteur le revêt simplement pour impressionner les spectateurs. L’effet seul est recherché. Ce type de masque est souvent utilisé pour représenter ce qui est hors de la sphère humaine : les esprits démoniaques ou les animaux, comme Bob Wilson l’a fait dernièrement dans sa mise en scène des Fables de La Fontaine. Il peut aussi proposer des images merveilleuses, poétiques, qui s’inscrivent dans notre tradition du baroque, comme par exemple un visage dédoublé, ou surdimensionné, ou démultiplié à la manière de ces jeux de société dont nous parle Saint-Simon dans ses Mémoires  . Protée invente sans cesse de nouvelles formes !

Lire la suite