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10/04/2011

Balise 65 - à propos de la langue de l'enfance

"Je crois que s'il n'y avait pas, à l'origine, l'ambiguit de la langue de l'enfance, il n'y aurait pas de poésie : nous parlerions comme des notaires."  Octave Mannoni

15:44 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

Yves Ughes a lu L'internationale du rythme, ouvrage consacré à Serge Pey

Serge Pey, poésie, Yves Ughes Il est des notes impossibles à écrire et que l’on doit faire pourtant, impérativement, car les textes éblouissent.

Mais comment dire l’éblouissement ?

Le livre consacré à Serge Pey et l’internationale du rythme donne le tournis ;  scandé, lancinant, fulgurant, jouant sur des accélérations et des instants de calme approfondissement il se bâtit à l’image de celui qui donne la parole aux bâtons, qui hâte la venue de la pluie et fait surgir le soleil. Une pluie de comètes dans la nuit des temps. Que le titre souligne.

L’Atelier des Brisants nous donne ici une leçon de vie, l’ouvrage fait cinq cents pages, et c’est de vitalité poétique qu’il s’agit.

Quelque soixante-quatre contributions s’appellent et se répondent pour laisser une trace lumineuse dans le ciel. A chacun de la lire, comme fulgurance. Car Serge Pey appelle d’emblée une réaction-manifeste : pas de statue pour le poète.

Tout chroniqueur ne peut qu’être confondu par la beauté des titres suscités par l’homme che impugnava un bastone…et qui se livre avec force –lo sforzo fisico- dans la mise en corps de la poésie. Tous les articles convergent pour dire ce claquement d’homme qui déchire le silence compassé du monde établi. Comment dès lors en privilégier certains et en taire d’autres ?

La note est décidément impossible.

Sauf, à prendre les grandes étapes du recueil et à procéder en descente, en spirale vers les horizons ouverts.

Esquisses et portraits de Serge Pey. Halte 1. Fraternité. Halte II. Théorie du poème. Halte III. Le guerrier du sens : éthique et politique du poème. Halte IV. La parole des bâtons. Halte V. Poésie d’action ou « mise en rite du rythme ». Halte VI.

Chacune de ces scansions est ponctuée par des textes de Serge Pey. Deux incursions permettent d’entrer dans le livre et de suivre les rayons d’un soleil qui bascule du XX au XXIème siècle dans une pulsation déclenchée, dans une transe radieuse.

Il faut lire « la porte et la table » comme un mode d’entrée dans ce monde. Parfois en ce temps-là, les animaux remplaçaient les hommes pour crier. Prend corps ici un monde de Gardes civils, de mue de serpent, de grève, mais aussi de raisin et de couteau. Plus d’invités que prévu ? Qu’importe, la porte verticale –faite à grand peine et avec grand soin-  va devenir table horizontale, lieu d’accueil. De l’événement intensément vécu, du partage fraternel et militant mis en place autour des plats, naît un mode de poésie :

Ce trou dans la maison, durant toute une journée, est resté en moi comme la preuve d’un avenir qui accouche.

Pour manger ce que nous avions à dire ou pour écouter l’inconnu, il faut savoir ouvrir le monde.

Ce n’est pas  les mots ni les choses qui firent de moi un homme, mais les trous.

On n’écrit pas de la poésie, on vit en poésie.

Et il faut entendre la gueulante poussée par Serge contre la dispersion quand « les avida-dollars   et les roteurs d’euros se sont donnés rendez-vous à Drouot pour la vente de l’invendable ». Il s’agit bien sûr des objets agencés par André Breton en poème. Vendre ces objets qui sont les mots d’un Grand-Œuvre participe du génocide de la poésie.

Poème de bâton brandi, animé par la rage de traverser ce monde prédateur, qui accumule ses richesses pour se gaver de certitudes, ce monde toujours prompt à dynamiter toute parole qui le dérange.

Sur la tombe de l’amour fou, il ne nous reste que  nos poèmes pour faire basculer le monde du côté de la plus haute clairvoyance.

 Ce qu’il faut d’humanité pour entrer dans la scansion du monde, ce qu’il faut de puissance pour entrer dans le rythme de la fraternité…tout dans cette approche du poète donne à l’entendre. Et le CD accompagnant le livre donne de la vie, de la voie à la richesse des mots qui constituent cet ensemble fertile.

Puisse une note impossible appeler à ce partage.

 

Serge Pey, L’Internationale du rythme, Sous la direction d’Andréas Pfersmann

L’Atelier des Brisants. DUMERCHEZ, 35 €uros.

 

03/04/2011

Balise 64 - Lorca 1931

« L'homme ne vit que de pain. Moi si j'avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j'attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles: ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu'ils profitent de tous les fruits de l'esprit humain car le contraire reviendrait à les  transformer en machines au service de l'état, à les transformer en esclaves d'une terrible  organisation de la  société. »
Federico Garcia Lorca, extrait du discours à la population de Fuente Vaqueros (Grenade) en septembre 1931


02/03/2011

Raphaël Monticelli - L'écriture en bribes, livres d'artiste, oeuvres croisées & autres bricoles

40 ans que Raphaël Monticelli creuse son regard sur l’art et la littérature.monticelli raphaël,livres d'artiste,poésie,littérature

40 ans qu’il traque l’origine du sens dans cette mise en objet – physique et symbolique – de notre présence au monde.

40 ans d’amitiés – on ne saurait toutes les citer ! – de Marcel Alocco aux éditions de l’Amourier en passant par Martin Miguel, Max Charvolen, Henri Maccheroni et les écrivains : Michel Butor, Martin Winckler, Jean-Marie Barnaud…

40 ans que cette amitié – cet autre nom que je donne à la création quand elle se pense comme question ! – d’une part, interagit avec son travail spécifique d’écrivain – On sait que Raphaël Monticelli est l’homme des « bribes » ( 4 tomes des Bribes tirées de la mort de Dom Juan sont parues à ce jour aux éditions de l’Amourier), ces restes d’une expérience du monde, des êtres et des œuvres tels qu’ils se mêlent dans l’histoire, expérience vouée à l’éclatement et à la dispersion et qu’il s’efforce de recueillir en mendiant errant à la poursuite de quelque issue – et d’autre part, a pris la forme de livres particuliers qui naissent de la rencontre entre un artiste et un écrivain que l’on désigne aujourd’hui sous l’expression peu claire de « livre d’artiste ». Ce sont eux qui vont être montrés du 2 mars au 8 mai 2011 à la Bibliothèque à Vocation Régionale Louis Nucera de Nice (Vernissage le 3 mars à 11h). Plus d’une centaine de livres d’artiste et d’œuvres croisées à quoi Raphaël Monticelli n’hésite pas à rajouter le terme de « bricoles ». Oui, « bricoles », ces livres improbables, nés de l’intimité, du croisement des recherches d’un artiste d’un artiste et d’un poète, de la volonté de donner à ces croisements un lieu spécifique d’expression qui ne soit plus tout à fait un livre ni tout à fait un tableau, une toile ou une gravure. La « bricole » est là dans cet entre deux – Avec parfois en tiers, l’intervention d’un éditeur ! – ni tout à fait ceci, ni tout à fait cela. Allant quelque part, les acteurs du livre d’artiste ne savent pas où ils vont. Ils inventent les routes au sein de ce lieu plastique, sorte d’utopie en acte, présente et agissante, dit parfois Raphaël Monticelli. Le livre,  cet objet tangible, manipulable qui a une forme et des limites, ici se transforme, s’ouvre. De messager d’un ailleurs – cet auteur inconnu -  il devient rôdeur de crêtes, éclaireur de lisières, veilleur aux confins mal assurés.

La randonnée sera belle. De vitrine en vitrine, d’écart en écart, toujours à côté des livres avec Martin Miguel, Max Charvolen, Serge Maccaferri, Henri Maccheroni, marcel Alocco  à ceux avec Leonardo Rosa, Jean-Jacques Laurent, Gérard Serée, Gérard Duchêne en passant par François Goalec, Gilbert Pedinielli, Armand Scholtès, Luc Warneck, Martine Orsoni, Monique Thibaudin, Yves Popet, Valérie Sierra, Anne-Marie Lorin, Max Partezana, Giuseppe Becca, Fernanda Fedi, Eric Massholder, Claudio Casavacca, Giorgio Robustelli, Renato Bonardi, Giacomo Lusso…

On n’oubliera pas les mots de Claude Levi-Strauss : « la poésie du bricolage lui vient aussi et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou exécuter ; il raconte (…) le caractère et la vie de son auteur. » Ce sont des vies, des bribes de vie que vous viendrez voir à la BMVR de Nice, si vous passez par là. D’infinis @font-face { font-family: "Cambria"; }p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal { margin: 0cm 0cm 10pt; font-size: 12pt; font-family: "Times New Roman"; }div.Section1 { page: Section1; }paysages – Tiens, le libellé du Printemps des poètes 2011 ! – d’amitié.

 

A cette occasion, la BMVR publie un catalogue dans lequel j'ai publié le texte qui suit:

Je lis les écrits de Raphaël Monticelli comme…

 1)    ceux de quelqu’un qui tente une approche effilochée de la réalité. Toujours à l’écoute de cette polyphonie des voix du monde, de la littérature et de la langue.

2)    ceux de quelqu’un toujours dans le déséquilibre, la rupture tant je le vois, je le sais debout, essayant de tenir les deux bouts entre transmission et création : 2 rives, 2 arches d’un pont…dans le danger d’un effondrement sans cesse remis. Toujours possible !

 

 3)    ceux de quelqu’un toujours en route. Une sorte de Don Quichotte, ce chevalier du désir. L’homme qui disait « el camino es siempre mejor que la posada » tant c’est sur le chemin que se produisent les rencontres essentielles

 

4)    ceux d’un qui aime se laisser dérouter. Par les œuvres en général, celles des artistes en particulier ceux-là dont il aime la fréquentation depuis les années 1970. Et pour qui il écrit et c’est toujours manière de reprendre pied…dans les mots.

 

 5)    Ceux de quelqu’un qui essaye d’intégrer dans la pratique de la littérature les problématiques qu’il partageait dans les années 70 avec ses amis peintres : soit écrire comme on peint quand on pratique le commage/décollage (Charvolen, Miguel) ; écrire comme on tisse quand on pratique le patchwork (Alocco) ; écrire comme on sculpte quand on compose comme Pagès.

 

6)    Ceux d’un crocheteur et donc comme autant de rossignols – Voyez ces rossignols d’un crocheteur ! – oui, ceux d’un voleur. Quelqu’un qui aime à faire chanter les serrures. Sauter les verrous. Qui aime entrer par effraction – voir ses intrusions – là où il n’était pas attendu.

 

 7)    Ceux de quelqu’un qui multiplie les pistes au lieu de les fermer. Quelqu’un qui ouvre les possibles du regard. Qui pratique une écriture d’expansion.

 

8)    Ceux de quelqu’un qui a formé ce projet un peu fou de tenter de rendre par le texte littéraire la complexité de ce que nous vivons et pensons. Ce train qui toujours nous emporte. Dans le quotidien. En quoi il retrouvait ses auteurs de prédilection : son ami, Michel Butor  mais aussi Joyce, Simon, Pound et Proust bien sûr…

 

9)    Ceux de quelqu’un dont on sent battre l’inquiétude sous les pages. Celle d’une insatisfaction comme si le compte n’était jamais bon – et il ne l’est jamais, on le sait ! – toujours il y a de l’inassimilable, du réel. Mais quelqu’un qui sait que c’est avec ça qu’il lui faut vivre. Et donner ce qu’on peut donner.

 

 10)  Ceux de quelqu’un qui joue là sa vie – la bribe plus qu’un nouveau genre littéraire ( ce qu’elle pourrait être) est un mode d’existence – et ce sur le mode mineur du mendiant. Il y a un héroïsme de l’humilité chez RM.

 

11) Ceux de quelqu’un qui pousse l’humilité jusqu’à dire que s’il écrit de Bribes c’est pour personne. Surtout pas pour que ses amis écrivains et/ou peintres lui disent en retour que c’est bien, et ceci et cela mais « pour comprendre et aimer ce qu’écrivent ou peignent des gens comme eux ». RM est un homme de la praxis. Quelqu’un qui a besoin de passer par la pratique pour assimiler la théorie.

 

 12)  Ceux de quelqu’un qui entend ne se couper jamais de la communauté des hommes. Même si en apparence le risque est celui d’une certaine illisibilité, celle d’une parole vive contre la parole morte qui dévide la clarté morne et hébétée de son évidence et dont on bout du compte on finit par se dire : « Ah ! ce n’était que ça… ! »

 

13)  ceux de quelqu’un qui embrouille, s’empègue moins par perversité que parce que c’est là notre position d’être parlé/parlant, d’êtres jetés dans la langue et le sens, à partir d’une blessure première, cela autour de quoi nous tournons moins pour la cacher ou la suturer que pour la tisser autrement. Toujours autrement !

 

 14) Ceux de quelqu’un qui pratique une écriture de la Reversion, soit le fait de tirer la vie de la mort et donner par là présence à l’absence

 

15)  Ceux d’un ami fauteur de troubles et fauteur d’échanges. Un passeur généreux.

 

 16) Ceux de quelqu’un avec qui je partage l’essentiel. Et c’est une Dame. RM et moi l’appelons Madame !

 

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Ceux de quelqu’un d’empêché. Quelqu’un qui aurait aimé être romancier mais qui n’a pas pu. « Les bribes sont un impossible roman. »

Quelqu’un qui a toutes les qualités pour l’être mais quelqu’un dont l’expérience de vie passera dans la pratique littéraire. Or celle-ci implique l’abandon de l’hypothèse de Dieu, le passage de jeune catholique au matérialiste d’âge mûr. Et rejeter la fiction de Dieu, c’était rejeter toute fiction. Tout récit supposant un être tel que Dieu comme garant de la continuité, de la chronologie, donc du sens.

La pratique du roman n’est possible que si on croit – consciemment ou non – en la fiction d’un Dieu, que si l’on se met face à la fiction comme Dieu face au monde.

Où trouver un référent en l’absence de Dieu sinon dans la langue aussi sacrée que le monde qu’elle figure ?

La langue comme métaphore du monde. Lieu du symbolique « cerveau hors de nous, dans lequel nous naissons, vivons, sans cesse ».

Travailler la langue, c’est nous travailler nous-mêmes et le monde.

 

 

Lu 62 - Jorge-Luis Borges, Proximité de la mer, traduction de Jacques Ancet, NRF, Gallimard

Couv Proximité mer-Borges-Ancet.jpgL’avait-on oublié ? C’est le premier mérite de cette anthologie de 99 poèmes, La proximité de la mer, choisis et traduits par Jacques Ancet, de nous rappeler le fait : Jose-Luis Borges fut d’abord et avant tout poète. El hacedor, le poïetes, celui qui fait avec et dans la langue partager « cette imminence d’une révélation qui ne se produit pas », cela même qui définit le « fait esthétique » pour Borges et qui se tient là, à côté, Buenos Aires dans Buenos Aires, « l’autre rue, celle où je n’ai jamais été, c’est le centre secret des pâtés de maisons, les patios reculés, c’est ce que dérobent les façades (…) c’est cet air de milonga sifflé que nous ne reconnaissons pas et qui nous touche, c’esty ce qui s’est perdu et ce qui sera, l’ultérieur, ce qui nous est étranger, le latéral (…) ce que nous ignorons et chérissons. »

Se lancer dans la mise sur pied d’une anthologie, c’est forcément prendre parti. L’affaire redouble lorsqu’il s’agit bien évidemment de traduction, ce corps à corps des langues, puisqu’on sait combien un poète inflige un traitement particulier à sa propre langue. De cela, Jacques Ancet s’en explique dans une forte préface : belle et, à mes yeux, si juste !

Ici, nulle fidélité, toujours prétendue et qui finalement se résout toujours soit en une plate restitution du sens, soit en une poétisation forcée qui vise à faire du poème traduit quelque chose qui ressemble à l’idée préconçue que le traducteur se fait de la poésie mais bien « une infidélité sainte » - Et pardon en passant pour l’emprunt de ces mots à Hölderlin et utilisés hors contexte ! – puisque Jacques Ancet dit avoir choisi « la voie de la recréation ou trans-création, selon la belle formule d’Haroldo de Campos ». N’oublions jamais ce que disait Borges : « la palabra justa n’est pas le mot juste ». C’est pour cela que c’est plus l’oreille que le savoir qui a guidé Jacques Ancet. Se trouvent alors privilégiées, les vibrations, cela qui se joue entre les mots, cette résonance. Et c’est alors « l’intraduisible d’un autre corps » qui se trouve traduit, soit cela seul qui mérite de l’être.. Voie risquée mais la seule belle ! On l’aura compris, pour moi, Jacques Ancet a réussi magnifiquement sa traversée.

Dans ce livre, il y a du savoir et donc de la saveur. Le plaisir y est partout palpable, celui qui a su « être (lui)-même en l’autre et l’autre en (lui)-même ». La préférence de Jacques Ancet est allée aux « poèmes méditatifs et élégiaques en vers comptés et rimés ». On y rencontre des Haïkus, des tankas, des milongas, des hommages à Keats, Joyce, Spinoza, Emerson…et à Buenos Aires, « éternelle ainsi que l’eau et l’air ». On y retrouve des labyrinthes, des tigres, des miroirs, des « petites frappes », des guitares, des couteaux…On y goûte la pratique de ce double amour dont parlait Georges Braque qui disait aimer « la règle qui corrige l’émotion et l’émotion qui corrige la règle », cela qui fait le ton propre de la poésie de Borges. On y comprend enfin que certes la mer importe mais que compte surtout son approche, ces chemins qui mènent jusqu’à la proximité de ses abords. Ces chemins là sont poèmes et comme tels à vivre ! Par chacun d’entre nous. À vivre et donc inépuisables. Toujours proche la mer, comme le dernier mot ! Celle qui « unit et sépare » ne s’atteint pas. Dans le vers !

 

Lu 60 - André Velter - Midi à toutes les portes, NRF, Gallimard

On se souvient de « l’amour extrême » - L’amour extrême et autres poèmes pour Chantal Mauduit, Poésie / Gallimard - cet « ermitage, écrit André Velter, qui n’a pas de toit, pas de fronton » qui «  est de plein vent et de pleine clarté », qui est « passage, « esquif aimanté qui s’éloigne de la terre, reste à l’écart du ciel, sans renier la terre ferme, sans congédier le ciel ».

Eh bien, qu’on me permette de voir là le fond du nomadisme d’André Velter, celui d’un « avenir sans nom » qui convient moins à un marcheur qu’à un danseur, ce résistant aux lois mercantiles du monde où tous les parapets sont anciens, à tous les vainqueurs à la bonne foi douteuse ! Son dernier livre Midi à toutes les portes en fait l’éloge. C’est un livre foisonnant. On va de lieu en lieu transporté par une écriture de main légère, d’enjambée allègre, une écriture qui « garde l’élan d’une lecture à ciel ouvert ». De Bénarès à Bagdad, des plateaux du Tibet à l’Andalousie, de Paris à Louxor, De Kaboul à Charleville-Mézières…Mais c’est moins ce goût évident pour les voyages et l’ailleurs qui importe que cette force qui traverse le livre et coud ensemble ces fragments sans les attacher. C’est ce mouvement qui vient du dehors. D’avant les textes, d’avant le livre et qui saute hors de ce fort volume jusqu’à nous donner à voir à travers ce Midi à toutes les portes, le monde comme une terre libre et sans fin.

Il n’y a pas de sauve qui peut chez André Velter mais une errance choisie, travaillée, entretenue. Les lieux qui l’intéressent  sont ceux qui permettent de « se mettre hors du monde », qui parce que ce qu’on y trouve échappe à toute dénomination, à toute prière » sont eux-mêmes comme des départs incessants. Des lieux qui permettent de sortir sans cesse « du cadre sans déserter la vie ». Des lieux de déterritorialisation. Des lieux/coupures. Des lieux/écarts. Des lieux qui nous douent de lointain. Ces lieux ressemblent à ces nomades de l’intérieur qui fascinent tant André Velter, moins des migrants que des voyageurs de l’intensité, ceux que Deleuze définissait comme « ceux qui ne bougent pas et qui se mettent à nomadiser pour rester à la même place en échappant aux codes . »

Cette place hors là, ouverte sur « l’inconnu qui creuse » est celle d’André Velter. Celle du poète André Velter qui « a fait de l’infini le dernier rendez-vous » des hommes libres et dont le poème qui sait « (garder) force de mots / jusqu’au bord des larmes », selon les mots de « la soupçonnée » de René Char,  définit l’espace. Il nous attend.

 

 

Balise 63 -

"Tout n'est pas veille lorsqu'on a les yeux ouverts"

Macedonio Fernandez

Lu 59 - Patricia Castex-Menier - Quatre saisons en un jour, éditions de l'Amourier

Couv de castex-menier028.jpgVous voulez voyager ? Et que les mots vous portent ? Vers le nord ? L’Irlande ? Alors lisez Quatre saisons en un jour de Patricia Castex-Menier, vous embarquerez pour « un pays de légendes » où « l’épaule de Troll du vent » vous poussera vers quelque « cottage / si bas qu’on le dirait pour des lutins » . Là, « on / allume le feu de tourbe, qui / raconte plus qu’il ne chauffe ». Feu de tourbe, feu du poème de Patricia Castex-Menier !

Et que raconte-t-il ce feu ?

Il éclaire et donne à voir un pays, l’Irlande, dans toutes ses dimensions : sa géographie, intacte comme aux premiers temps du monde ; son histoire ; ses luttes de Cromwell à un certain Bloody Sunday ; ses légendes ; son sens du sacré. Et jusqu’à sa météo si particulière qu’elle a fini par faire titre.

En effet, ces Quatre saisons en un jour sont la reprise d’une expression irlandaise qui sert à définir le temps qu’il fait, soit sur l’île ce passage incessant du soleil à la pluie, du froid au chaud, du clair au sombre et inversement bien sûr. Ce temps changeant, ce temps mêlé est celui même du livre de Patricia Castex-Menier. Il définit bien son rythme et son ton fait de ruptures, ces routes qui bifurquent, tournent  et nous font passer du grave au léger, du tragique au comique, de l’archaïque à la modernité, du réel à l’imaginaire, de la légende à l’histoire et vice-versa : oui, « on en voit de toutes les couleurs » !

Ainsi va la saisie de ce territoire dans la dessaisie du temps comme il passe, inquiets de cette « lenteur bienvenue » qui « nous / polira la paix du cœur : comme / la pluie les pierres » car il pleut, ici. Terriblement. Une pluie qui semble toiser le temps, tricoter les visages et avec les chiens, garder les hommes de leur folie. Et si « les moutons sont chez eux » à déguster tranquillement « l’herbe de la tombe », les hommes eux sont souvent si seuls qu’ ils boivent fort et n’appareillent plus que sur les trottoirs où ils chantent fort, histoire de se donner « le pied marin / jusqu’au / caniveau / du bout du monde ». À  la beauté du monde que ses vers célèbrent, Patricia Castex-Menier mêle la dénonciation de la violence du monde, des malheurs qui, ici comme ailleurs, accablent les hommes.

Quatre saisons en un jour, quatre auteurs pour un livre, quatre irlandais,, quatre paroles pour structurer ce livre : l’une de Seamus Heaney, l’autre de Galway Kinnel, la troisième de Samuel Beckett et la dernière de W.B Yeats. Quatre hommages à ces hommes dont la lecture a nourri son regard. Patricia Castex-Menier développe dans ce livre une grande unité d’écriture faite d’attaques vives comme un musicien entame son morceau ou un marcheur sa randonnée !– un mot isolé au démarrage comme on appui sur l’accélérateur – de vers courts, de registres mêlés, de contrastes accusés.

La poésie est le meilleur des guides. Elle oriente le regard à travers la réalité vers ce qui peut venir la trouer, ces riens – C’est cela le réel ! - qui se laissent rencontrer toujours dans l’inattendu. Ce sont eux qui ouvrent des passages – maître mot de Patricia Castex-Menier ! – afin d’offrir à la réalité cette chance de vie. Oui, l’Irlande, dans ce livre de poésie, est vivante parce que les vers de Patricia Castex-Menier sont vivants !

 

 

 

10/02/2011

In memoriam Andrée Chédid

"L'hiver compte ses heures / la gorge transpercée / par le seul cri du vent"

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Andrée Chédid est morte le 06 février dernier à Paris dans sa quatre-vingt dixième année. Elle disait : ""Je suis née au Caire, en Egypte. J'habite Paris par choix, parce que j'aime cette ville depuis l'enfance. J'écris depuis l'âge de dix-huit ans, pour essayer de dire des choses vivantes qui bouillonnent au fond de chacun". Elle est l'auteur d'une oeuvre consacrée à nommer les relations multiples, contradictoires parfois, qui lient les êtres humains entre eux et avec le monde. Théâtre, romans, nouvelles, elle chercha toujours à se mettre à la portée du plus grand nombre sans jamais abandonner son identité de poète. elle disait: "Du roman au poème, la démarche est autre. Là on suit ses propres pas; ici, on les devance."

Dans un numéro que la revue Sud lui avait consacré en 1991, Jean Tardieu écrivait : "C'est ici le moment de remercier Andée Chédid d'être poète, par des chants qui sonnent toujours juste et vrai, accordés à ce qu'il y a de plus sincère et, en même temps, de plus imprévu et de plus secret, c'est à dire de plus admirable, dans l'art d'écrire."

"Les poètes ont visage de vivant

ils assument leur siècle"

Ce visage qu'elle chantait nous restera!

28/01/2011

Lu 58 - Michel Baglin - L'alcool des vents, éditions Rhubarbe

Couv Baglin665 - copie.jpgMichel Baglin n’est pas seulement l’infatigable passeur de poèmes que l’on connaît. Celui qui après avoir animé la revue Texture en sa version papier, vient de la ressusciter sur le net, http://baglinmichel.over-blog.com. Michel Baglin est poète. Un poète attaché à « faire redescendre sur terre la poésie ».

Sur terre, mais quelle ? Pas celle « puritaine et frigide » des réalistes qui ne voient la réalité qu’au travers de sa représentation, mots et images qui l’éloignent et tiennent à distance cela seul qui importe, le réel, soit éveillée, la présence.

Cet Alcool des vents, que les éditions Rhubarbe ont la bonne idée de rééditer – il était paru… - sait libérer la part des anges de sa bonne nouvelle : le vent, figurant de ce qui par déchirure donnera accès à ce réel, soit le présent et son « bruit de source » dont parlait Georges Braque.

Ce livre de Michel Baglin est le chant d’Actions de grâces d’un incroyant. C’est un hymne à la vie, à toutes les ivresses qui la rendent toujours vive et toujours jaillissante. Rendre grâce, remercier, célébrer mais en restant l ‘œil aux aguets, lucide et prompt à se défaire de cette molle tendresse qui fait entrer le cœur en narcose.

Rendre grâce, mais « à des riens » : fragments, éclats de souvenirs, événements, désirs, éclairs qui par instants et hasard toujours heureux viennent trouer, déchirer le cours du monde comme il va. Rendre grâce ainsi, c’est rendre grâce « aux coups de vent, de chance et de tabac ».

Au réel, le vent met une majuscule ! Il est principe d’ivresse. C’est lui qui vous jette hors de vous-même, obligé à tenir si ce n’est le pas gagné du moins est-ce le pas de côté. C’est lui qui vous jette dans « le vertige pour relancer la marche » vers « des lendemains moins froids »<. Toujours en avant de nous, le vent, en ses retours, souvent imprévisibles, coupe, interrompt, appelle à la traversée, à garder un contact puissant avec la vie.

95 poèmes dans ce livre, 4 chapitres, 4 coups de vent, 4 coups de cœur, 4 coups à boire en hommage à la vie, la toujours nouvelle. Si ivresse il y a à lire Michel Baglin, c’est celle qui ouvre sur la fraternité, celle qui nous fait trinquer «  à tous les vertiges qui font l’homme incertain », qui nous permet de « nous agrandir de l’autre ».

Avec Michel Baglin, comme le voulait René Char, le poète sait se faire « le conservateur des infinis visages du vivant » !

 

 

Pierre Maubé -

( Pierre Maubé est né en 1962 à St-Gaudens (Haute-Garonne), vit en région parisienne Pierre - copie.JPGdepuis 1983. Bibliothécaire en université. Sept recueils de poèmes publiés, parmi lesquels : Sel du temps (Fer de Chances, 2002, réédition chez Mazette éditions, 2010), Nulle part (Friches – Cahiers de Poésie Verte, 2006, Prix Troubadours-Trobadors), Psaume des mousses (Éclats d’encre, 2008) et Le dernier loup(Bérénice, 2010).

Publication de deux anthologies de poésie contemporaine : Ce que disent les mots : trente poètes des éditions du Dé Bleu (Éclats d’encre, 2004) et L’Année poétique 2009 (Seghers, 2009, en collaboration avec Patrice Delbourg et Jean-Luc Maxence).

Trois livres d’artiste aux éditions bdb.

Poèmes, nouvelles, pièces de théâtre et articles publiés dans quelques dizaines de revues, parmi lesquelles : Arc-en-Seine, Décharge, Diérèse, Encres vagabondes, Encres vives, Friches, Froissart, Linea, Le Matin déboutonné, Multiples, Parterre verbal, Poésie-sur-Seine, Polyphonies, La Sape, Sapriphage, Thauma, Vues d’enfance, …

Membre des comités de rédaction des revues ARPA et Place de la Sorbonne.

Textes traduits en anglais, espagnol, russe et italien. Traductions en cours : grec, hongrois et roumain.)

*

 

Le souvenir que j’ai de toi va son chemin sous le vent froid qui ébouriffe ses cheveux, froisse sa jupe et fait monter aux yeux des larmes inutiles.

 

 

Le souvenir que j’ai de toi creuse son nid dans la chaleur des draps, se love dans le temps avec la lenteur douce de la mer, le sel fragile de l’attente.

 

 

Le souvenir que j’ai de toi brille dans ma mémoire enténébrée comme brillent dans la nuit le ventre des lucioles et les yeux des chats.

 

 

Le souvenir que j’ai de toi est souriant et silencieux, il meurt lorsque je te revois et ressuscite à chaque fois que tu me quittes.

 

 (extrait du Dernier loup, éditions Bérénice, octobre 2010)

 

*

 

Maintenant ne nous retient pas,

on regarde le ciel, le soleil éblouit, on cligne des paupières,

la cendre coule des doigts posés sur le front.

Nulle demeure en ce monde

autre que l’exil,

nul abri en ce monde ou dans l’autre,

pas de nid,

pas de bauge,

pas d’utérus,

pas même

le poème,

pas même la peau,

la peau aimante désirante,

la peau qui brûle sous le soleil

de la rencontre impossible,

la peau mendiante,

la peau habit de pauvreté,

nudité assoiffée calcinée,

la peau pitoyable vulnérable désirante,

la peau cette demeure

qui ne nous retiendra pas.

 

 (inédit)

 

 

 

 

 

 

04/01/2011

Albertine Benedetto -

( Albertine Benedetto, vit et travaille à Hyères depuis 1992, renouant avec ses origines DSC00041.JPGméditerranéennes  après des études de Lettres à Paris et une vie professionnelle commencée en région parisienne et dans le Pas de Calais.

 Ses poèmes ont été publiés en revues (Friches, Aujourd’hui Poèmes, Rehauts, Autre Sud, Décharge, Poésie sur Seine). Un premier recueil, Lustratio, sous le pseudonyme d’Albertine Héraut, a été publié en 2001 (Prix de l’Edition poétique des Poètes de l’amitié, Beaune).

Son recueil Je sors a été publié aux Editions des Cahiers de l’Egaré, en mars 2008.

 Certains de ses textes ont fait l’objet de mise en musique.)

 

*

 

ARIZONA DREAM

 

 poignées de terre qui sont des nuages

il suffit de regarder au travers

ou d’écarter les doigts

 

cette liquidité du monde

 

du printemps à l’hiver au printemps

planté dans un peu d’eau

que le vent disperse à tout moment

dans des coulées d’oiseaux

 

de pétales épars sur le sol de la chambre

cailloux qui sont des chemins

fleuves vers la mémoire submergée

quand le lit devient radeau

 

13 février 2010 

 

*

 

Finir sans les avanies de la fin

le grand lâcher

des humeurs

des odeurs

des pleurs

 

en matière de désagrégation

préférer le sec

la mue en toute discrétion

 

pour se dissoudre en paysage

nervures

brindilles

filaments

 

comme une esquisse chuchotée

sous le trait des paupières baissées

 

 17 février 2010

 

*