05/07/2014
Albertine Benedetto, Le présent des bêtes, extraits inédits
On va aux cimetières, vous savez, pour la vue ou pour s’y reposer, pour causer. A mesure qu’on fait des tours, la foule se masse et s’engage par la colonne d’air venant du ventre encore une fois jusqu’au puits de la bouche. La parole ratisse les allées et les pierres ramenant tel nom à tel autre qui s’étaient oubliés : la tante diseuse de cartes, le grand-père et son fusil jeté, vies sorties de la ferme ou de l’épicerie, ferments mythologiques. Encore une fois refont leurs gestes, on entend leur voix, leur façon bien à eux de parler de bouger accompagne nos pas. Certains noms figurent en très gros, manière de dessiner l’arbre qui se met à verdir par éclats et brisures d’une mémoire à trous. Mosaïques si noircies par le temps que certains disparaissent vraiment. On perd le fil dans l’écheveau des familles. Il faut recommencer pièce à pièce les histoires, s’embrouiller dans les amours, c’est toujours compliqué les amours. Le cœur en deuil se répète les noms et ce n’est pas triste, à cause des oiseaux et des fleurs.
St Martin 09
Paupières baissées, lèvres serrées, ils traversent leur nuit sur une planche de bois. Leurs yeux ne voient pas les lettres s’effacer sur la pierre, les noms se brouiller dans le lointain. Dame de pique sans répit pour celle qui tira les cartes, Gaby au nom léger, Gabrielle Millepied. Douceur d’Octobre où fleurissent les tombes. Eux se tiennent par la main, comme dans la foule des grands départs, eux pourtant seuls debout au milieu des gisants. Se tiennent par la main, par leurs bouches aussi où le souffle voyage. Passent parmi ces distraits qui restent à quai.
St Martin 11
our de pieuse visite. Le regard parti sur les pierres levées, on tire la chaîne. Remontent des eaux noires Eugène, Julie, Marie, Madeleine, ô la vibration entre nos lèvres de vos noms si doux, réchauffés à notre souffle de vivants. Vite avant que la pierre n’avale la dernière syllabe, encore une fois faire signe. Avant que, sur vos tombes désaffectées, le fossoyeur n’appose l’affichette, à qui destinée ? mais réglementaire : prière de se faire connaître.
St Martin 12
17:25 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : albertine benedetto, le présent des bêtes
04/01/2011
Albertine Benedetto -
( Albertine Benedetto, vit et travaille à Hyères depuis 1992, renouant avec ses origines méditerranéennes après des études de Lettres à Paris et une vie professionnelle commencée en région parisienne et dans le Pas de Calais.
Ses poèmes ont été publiés en revues (Friches, Aujourd’hui Poèmes, Rehauts, Autre Sud, Décharge, Poésie sur Seine). Un premier recueil, Lustratio, sous le pseudonyme d’Albertine Héraut, a été publié en 2001 (Prix de l’Edition poétique des Poètes de l’amitié, Beaune).
Son recueil Je sors a été publié aux Editions des Cahiers de l’Egaré, en mars 2008.
Certains de ses textes ont fait l’objet de mise en musique.)
*
ARIZONA DREAM
poignées de terre qui sont des nuages
il suffit de regarder au travers
ou d’écarter les doigts
cette liquidité du monde
du printemps à l’hiver au printemps
planté dans un peu d’eau
que le vent disperse à tout moment
dans des coulées d’oiseaux
de pétales épars sur le sol de la chambre
cailloux qui sont des chemins
fleuves vers la mémoire submergée
quand le lit devient radeau
13 février 2010
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Finir sans les avanies de la fin
le grand lâcher
des humeurs
des odeurs
des pleurs
en matière de désagrégation
préférer le sec
la mue en toute discrétion
pour se dissoudre en paysage
nervures
brindilles
filaments
comme une esquisse chuchotée
sous le trait des paupières baissées
17 février 2010
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08:45 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, albertine benedetto