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18/04/2010

Alain Freixe / Robert Lobet - Dans les couleurs du froid

DSCF1530.jpgSur papier Conquéror 250g, format 16x15 cm, impression numérique et sérigraphie pour les textes, DSCF1497.jpgaccompagné de deux peintures originales.

Tiré à 99 exemplaires numérotés et signés par les auteurs.

 

Prix : 25 euros

ISBN 978-2-918610-03-8 9782918610030

 

 

Quand les Editions de la Margeride et Robert Lobet, artiste du livre, réunissent arts graphiques et poésie, des rêves de voyage se posent sur les mots. Gravures et dessins accompagnent les poètes dans une secrète complicité pour offrir des ouvrages rares au plus large public. Venus d'horizons parfois bien différents, les textes trouvent, à l'abri des pages, le lieu du passage de l'intime aux grondements du monde. Robert Lobet, fondateur des Éditions de la Margeride, est peintre et graveur, il vit et travaille à Nîmes dans le Gard. Entre Nord et Sud, Norvège et Moyen Orient, ses œuvres nourries d'humanisme portent la marque du voyage et des paysages qu'il affectionne.

 

Contact : alain.freixe@ wanadoo.fr ou robert-lobet@wanadoo.fr

Sites : http://www.robert-lobet.com/ et http://editionsdelamargeride.com

 

08/03/2010

Lu 52 - Quelqu'un plus tard se souviendra de nous - Anthologie de 15 femmes-poètes

POESIE COUV Quelqu'un plus tard se souviendra de nous - copie.jpgCouleur femme, sous ces mots, le printemps des poètes 2010 entend d’une part, rendre hommage aux femmes-poètes, à leur présence et à l’originalité de leur apport dans l’histoire de la poésie et d’autre part, célébrer les représentations du féminin dans l’imaginaire poétique. Le présent volume dont le titre Quelqu’un plus tard se souviendra de nous reprend un vers de Sapphô, la grecque de l’île de Lesbos, répond avec bonheur au premier souhait de l’équipe du Printemps des poètes qu’anime Jean-Pierre Siméon.

Il a suffi à la collection Poésie / Gallimard de puiser dans son fonds pour nous proposer cette anthologie de sorcières du verbe. De Sapphô à Kiki Dimoula, de la Grèce du VIIème à la Grèce du XXème siècle, ce sont 15 poètes – Pernette du Guillet, Gaspara Stampa, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Elizabeth Browning, Emily Jane Brontë, Emily Dickinson, Catherine Pozzi, Marie Noël, Anna Akhmatova, Marina Tsvétaïeva, Louise de Vilmorin, Sylvia Plath - qui dévident le fil rouge de l’amour et du désir, chacune chantant à sa manière « Aphrodite au sein couvert de violettes », selon l’expression de celle que Platon appelait la « dixième muse ».

On sort de la lecture de ce livre en se disant que pas plus qu’il n’y a de poésie masculine, pas plus il n’y a de poésie féminine ! Il y a juste des poètes et leurs poèmes. Et en eux, cette force de la poésie qui troue la langue – ces mots à l’arrêt – pour libérer la parole. C’est cette voix que l’on entend, sous leurs textes, voix singulière qui demeure dans toute son intensité.

C’est elle qui donne raison à Sapphô : oui, quelqu’un plus tard se souviendra de (vous).

En ce printemps, soyez celui-là !

 

Quelqu’un plus tard se souviendra de nous, Anthologie de 15 femmes-poètes, Collection Poésie/Gallimard

( article paru dans le Patriote Côte d'Azur - 05 au 12 mars 2010 )

06/03/2010

Lu 51 - Rouge Rothko de Françoise Ascal

Couv-Rouge Rothko434.jpgPoète, Françoise Ascal aime la peinture. C’est d’un compagnonnage qu’il s’agit. Non qu’il s’agisse de fréquenter, les préoccupations, les œuvres, l’atelier de tel ou tel peintre – en ce sens, il ne s’agit pas ici pour Françoise Ascal d’écrire sur l’art, de chercher le régime de paroles qui convient au silence qui coude les productions de l’art – mais de dialoguer avec ces images d’images, aussi diverses qu’images découpées dans des revues ou cartes postales achetées au sortir d’une exposition, que Françoise Ascal collectionne et qui sont comme son « atelier intérieur », un chantier ouvert sur le rêve. Pauvreté du support donc mais intérêt pour l’œil et la main car ces images secondes, elle va pouvoir les tourner, les retourner ; les approcher, s’en éloigner ; les faire jouer les unes avec les autres jusqu’à trouver la bonne distance, la bonne position qui en fasse comme autant de fenêtres ouvertes sur la peintures certes mais surtout dans la peinture sur la lumière.

On trouvera dans ce livre 16 reproductions, 16 vignettes et 16 textes où ce qui importe c’est moins de savoir s’il s’agit d’une lettre – à Joseph Sima par exemple – d’un poème où prose et vers se mêlent que de se laisser prendre par la pente de la rêverie qui suppose des accélérations, des sauts d’une image à l’autre, d’un bruissement à un autre jusqu’à vouloir « devenir torche ou tornade / qu’enfin tombe en cendres le trop qui m’entrave ». 16 vignettes qui s’ouvrent sur Rembrandt, Portrait de la mère assise à table que Françoise Ascal reconnaît comme sa « terre natale » et qui se terminent par Rothko, « toile de feu », « la plus rouge, la plus incandescente », celle qui appelle à « traverser les parois » jusqu’à un « là-bas, derrière les pigments », pays de la joie. Ce « dialogue secret » avec ces images où « l’intime et le collectif se rejoignent », Françoise Ascal le mène de façon non pas à nier « le noir de la peur, de la perte et du deuil », celui de la violence du monde, de la fureur des temps mais à « désencombrer la vue » afin de garder toujours vif cet « instinct de ciel » que la vie même exige.

J’aime que ces 16 cases jouent à partir d’une case vide, celle d’un « Bonnard perdu » alors que fument dans la nuit de la lucarne les bombes incendiaires et les balles traçantes sur « Bagdad, Bassorah, Nejma » - Rappelez-vous l’opération « tempête du désert » déchainée en janvier 1991 ! Manque un Bonnard « aux aubes lumineuses ». Et c’est heureux ! Comme au jeu de pousse-pousse, la case manquante permet la venue des mots possibles, c’est ici l’image perdue qui permet le libre jeu des images et que passe l’air qui au livre va donner sa respiration. Case vide comme « un interstice, une tangente », une poterne ouverte sur le dehors où il y aurait « de quoi (se) dissoudre dans les pigments colorés d’un maître en lumière ». C’est cela que cherche cette dormeuse éveillée qu’est Françoise Ascal : « abandonner son sac de peau », sortir, s’en sortir, trouver une issue ni par le bas, ni par le haut mais en se jetant à côté. Du côté où c’est toujours « de l’âme pour l’âme (…) de la pensée accrochant la pensée et tirant » selon la belle expression d’Arthur Rimbaud.

Françoise Ascal, Rouge Rothko, Editions Apogée, 12 euros

 

17/02/2010

Lu 50 - Et si le rouge n'existait pas (Anthologie poétique)

couv si le rouge.jpgEt si le rouge n’existait pas…les poètes l’inventeraient ! Dans cette anthologie que publie Le temps des cerises, ce sont 67 poètes qui ont été réunis par Françoise Coulmin – impossible de les citer tous, vous l’imaginez ! 67 couleurs du rouge, 67 nuances pour 67 poèmes entre lesquels circule une belle énergie avec quelques sauts à pratiquer ici ou là pour maintenir vive la course.

Françoise Coulmin a eu la bonne idée de placer à la clé de cette anthologie cette affirmation de James Sacré : «  le mot rouge convient parfaitement pour tout dire » qu’elle développe en ces termes : « C’est un rouge de tous les sangs : sang des vignes et des arts, sang des corps et des femmes et sang de la colère des rues. Bain de rouge : volcans, couchant, jardins et feux. Rouge cœur et violence, sang prisons, sang martyrs. Rouge amour, rouge exil, rouge histoire, un sang puissant de vie et mort est ici décliné. Rouge. »

Si Jean Métellus montre combien on peut prendre « littéralement et dans tous les sens » ce rouge comme disait celui du « i » tant il est « propre à servir toutes les opinions / à célébrer toutes les religions », « disponible pour toutes les causes », parce qu’il est mouvement, qu’ il se prête à toutes les métamorphoses, il est force.

Rencontre de la lumière et de l’obscurité selon Goethe, il a le tranchant de tout ce qui sépare. Nous jette à côté. Dans la confusion. La déroute.

Rouge, la surprise, le heurt, l’arrêt. Rouge du poème quand en lui de l’inconnu surgit. Rouge, rupture. Déchirure. Entame. Et déjà la fraîcheur.

( Et si le rouge n'existait pas, Anthologie poétique, Le temps des cerises, 10 euros )

© Alain Freixe

 

08/02/2010

Lu 49 - Maïakovski, De ça (1923) traduit et précédé de L'adresse à Vladimir d'Henri Deluy

Couv Deluy- Maïakovski413 copie.jpgEmpruntant cette parole à Maïakovski, l’attribuant à Henri Deluy, j’oserai un « (ils sont) poètes, c’est ce qui fait (leur) intérêt ». Je poserai cela d’entrée comme une borne, cette limite qui n’enclôt pas mais tient d’abord dans un rythme son propos.Henri Deluy fait précéder sa traduction du poème de Maïakovski De ça (1923) d ‘une Adresse à Vladimir dans laquelle au mépris de toute chronologie, il met son cœur à nu, laissant percer une tendresse crispée. D’une dette l’on s’acquitte, ce qui autorise quelques remarques. Ainsi passe-t-on d’un « je sais tout » (1946) à l’aveu d’un flottement, d’un « je ne sais plus quoi faire de toi », sous les coups de l’Histoire. C’est que l’on ne regardait pas du bon côté, du côté de la lecture des poèmes mais de celui du destin de ce nuage en pantalons. Lourd d’une double question : celle du poème et celle du communisme, c’est une vie, la trame de ses étoffes que nous offre Henri Deluy.

Choisir de traduire De ça, ce poème majeur de l’année 1923 ne saurait être pur hasard. Ce poème « sur des motifs personnels à propos du mode de vie en général » prend appui sur la situation amoureuse personnelle de Maïakovski et de Lili Brik et en écharpe, la situation politique de l’URSS, les débuts du conflit entre Staline et Trotzki … Comment continuer la révolution alors que les premiers effets d’embourgeoisement liés à la NEP commencent à se faire sentir ? Comment parler du quotidien, du byt , ce visage du temps épuisé, figé, solidifié, pétrifié, image en tout de la mort qui semble triompher à nouveau ? Comment poursuivre la marche forcée vers le haut ? Comment garder la tête dans les flammes ? Comment partir encore vers l’avenir et vivre son dû d’amour ? Maïakovski croisera toutes ces questions dans ce poème-fleuve au lyrisme toujours combattant, douloureux, tendu vers une sérénité future de visionnaire. Faire de la douleur, du mal d’amour un moteur pour filer dans les étoiles, les allumer les unes après les autres et entraîner dans son sillage l’humanité toute entière.

Choisir de traduire – Toucher à l’inconnu du texte, tenir la vibration, rendre la voix plus que le sens, « cette soustraction » dit Henri Deluy – De ça, c’est aller voir comment Maïakovski pouvait planterdans l’avenir – car c’est « dans l’œil entrouvert de l’avenir » que « brille le véritable amour humain » pour Maïakovski - le regard de ses images, rouler le rythme de ses vers, faire sonner ses mots-tocsins et y trouver non une leçon mais voir comment un poète se tenait au centre des choses et des événements, comme un homme debout.

Un homme seul, « oursifié », qui crie sa haine de la médiocrité petite-bourgeoise avec ses journalistes criticailleurs et les romances sucrées de ses bouffons-lyriques.. Un homme capable de fouetter le temps pour le faire filer en imagination loin des « cérémonies du thé » et des « chausettes reprisées » vers ce « trentième siècle » qui devrait « (dépasser) l’essaim / des mille riens qui déchiraient le cœur ». Un homme déchiré de poésie qui en appelle à une langue nouvelle.

Un vivant parlant à des vivants, voilà ce que la traduction d’Henry Deluy nous rend. Un poète, porteur de l’amour, seul garant de l’Histoire, même et surtout parce qu’il manque. Encore.

 

Vladimir Maïakovski, De ça (1923), Henri Deluy, L’adresse à Vladimir, Inventaire/Invention, 11 euros

 

(Note parue dans L'Humanité du jeudi 07 janvier 2010 )

31/01/2010

Lu 48 - Figures d'Haïti, 35 poètes pour notre temps de Jacques Rancourt

( C'était en 2005. Les éditeurs Le temps des cerises/ L' Ecrit des forges publiaient dans la collection Miroirs de la Caraïbe du Temps des Cerises ces

Figures d'Haïti, ces 35 poètes pour notre temps présentés par Jacques Rancourt (16 euros).

Que la reprise de cette note ancienne soit vu comme un signe d'amitié et de solidarité à l'égard des haïtiens après le désastre que l'on sait. )

 

 

 

 

Se lancer dans la mise sur pied d’une anthologie, c’est forcément prendre parti. Et à moins d’une neutralité pour le moins désobligeante si Couv Figures d'Haïti.jpgce n’est coupable, il le faut ! Mais toute prise de parti ne tourne pas forcément au parti pris avec ce que ces mots supposent d’arbitraire et surtout d’esprit borné et obtus. Prendre parti, c’est choisir une certaine logique d’exposition, la justifier dans une préface et s’y tenir, ce que fait Jacques Rancourt pour les Figures d’Haïti .

Les 35 poètes présentés sont « 35 poètes de la modernité », 35 figures de la poésie Haïtienne - l’une des plus vives et fécondes de la poésie du monde francophone – Dans cet ouvrage, la poésie en langue créole n’est pas prise en compte – que Jacques Rancourt fait se succéder chronologiquement en distinguant trois grands moments sur la ligne du temps . « La révélation de l’identité » de l’âme haïtienne regroupe les poètes de la première génération de Léon Laleau à René Depestre. « Le déploiement du lyrisme personnel », second temps, commence dans les années soixante au sein du mouvement « Haïti littéraire ». Les voix originales de Antony Phelps, Serge Legagneur, Roland Morisseau, René Philoctète…se retrouveront dans la revue « Semences ». Celle de Jean Metellus restera proche de celles de la première génération continuant à interroger la mémoire et l’âme « pareille / à la mer tropicale » selon les mots de Roussan Camille et à invoquer « les dieux d’Afrique ». Tous auront à s’inquiéter des « hommes en noir » de François Duvalier, les 40000 tontons macoutes du sinistre papa Doc. Tous connaîtront prisons et exil. « Libres parcours » est le moment actuel partagé entre ceux qui pratiquent une poésie d’expérimentation et ceux qui, au plus près d’eux-mêmes, manifestent le désir de « fixer le lyrisme mouvant et émouvant de la réalité » selon les mots de Pierre Reverdy.

La francophonie est l’affaire des poètes. Eux seuls remuent la langue française de tout l’insolite de leur imaginaire, l’engrossent de tout le lointain de leur mémoire. Les poètes francophones la tisonnent à l’aide de vents inconnus d’ici. Ils entretiennent ses feux. Puissent nos lectures attiser leurs braises !

 

 

 

 

15/01/2010

Lu 47 - Revue faire part, N°24/25 - Parcours singuliers

CouvFaire Part 24-25361.jpgJusqu’à ce numéro double 24/25, les numéros de la revue faire part étaient des monographies. On se souvient parmi les dernières publications des N°22/23 consacré à Henri Meschonnic ; le 20/21, à Jacques Dupin ; le 18/19, à Hubert Lucot et le 16/17 tout entier dédié à revisiter l’aventure de la revue Change des années 70/80. On se souvient surement aussi des couvertures toujours particulièrement soignées et confiées à un artiste contemporain : Joël Leick, Antoni Tapiès, christian Sorg ou encore Gérard Titus-Carmel pour les dernières livraisons. On cherchera chez quelques bouquinistes ou sur internet parmi les numéros épuisés ceux sur Christian Prigent (N°14/15) ou Bernard Noël (N°12/13) ou Philippe Jaccottet (N°8/9) ou encore Michel Butor (N°4).

Nos amis Alain Chanéac, Alain Coste, Christian Arthaud, Jean-Gabriel Cosculluela innovent avec ce N°24/25 puisqu’ils inscrivent quatre poètes à son fronton - Jean-Marc baillieu ; Patrick Beurard-Valdoye ; Nicolas Pesques ; Caroline Sagot Duvauroux – intitulé Parcours singuliers. Quatre poètes et pour chacun un entretien, des approches critiques et des textes. Toujours, la proportion est heureuse .

Multiple est la singularité du sujet comme divers les chemins ouverts par chacune de ces écritures. Leur hétérogénéité, les choix de langue de ces quatre poètes s’il détermine bien des croisements, il interdit en revanche tout commun, toute communauté autre que celle d’être quatre aventures littéraires, soit être sur les routes d’une création attentive aux formes de saisie du réel de notre temps toujours hors de lui.

Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là de représentants de courants ou de tendances de la poésie française contemporaine mais de quatre voix ou mieux de quatre espaces de voix. Quatre territoires de langue. Il faut aller y voir. Là s’invente la littérature !

Ce numéro de faire part est un belvédère. Depuis ses pages, passionnante est la vue !

 

Revue faire part, 8 chemin des teinturiers7160 Le Cheylard. Prix du N°24/25 : 25 euros

Site de la revue : http://perso.orange.fr/revue.faire.part/

 

© Alain Freixe

29/12/2009

lu 46- Jean-Marie Barnaud, Fragments d'un corps incertain

 

Couv Frafgments corps in241.jpgVivre et écrire, écrire et vivre... et... et... c'est la boucle ! On sait que c'est dans cettes pirale que se tient la belle querelle de Jean-Marie Barnaud : « comment parler de sa vie ? » se demande-t-il dans son dernier livre publié chez Cheyne éditeur, Fragments d'un corps incertain (15 euros). Non qu'il faille épancher un moi toujours envahissant mais bien incliner mots, images et formes à partir de « l'angle d'incidence particulière de son existence » selon les mots de Paul Celan. Comment parler desa vie quand c'est au poème que l'on se confie, à l'idée pratique que l'on s'en est faite,chemin faisant, de livre en livre - ici, le onzième dans la collection verte de Jean-François Manier et Martine Mellinette, ça fait une drôle de forêt !

La question se fait plus aiguë, douloureuse dans ses creusements, quand « une voix sonne tout à coup / glaciale », voix du corps vivant qui « dit les choses pour de vrai », qui coupe et arrête, « barre la route, à jamais ». Comment transformer la dévastation qui va s'en suivre, cela qui est arrivé à l'improviste , arrachant le temps à ses gonds, dans la maladie et son cortège d'interventions ; cela qui va mener à ce « corps incertain », troué d'oublis multiples, voué aux fragments, débris certes mais éclats aussi bien qui éclairent son nom nouveau : « blessure » ? Et puis le fallait-il ? Fallait-il « (écarter) les lèvres de cette plaie / et (sonder) jusqu'au fond le désastre » ?

Oui, il le fallait. Sans conteste. Il fallait accueillir la nécessité, le monde dans son désordre, transformer l'accident en événement, libérer de sa part factuelle la part spirituelle car F esprit a besoin du corps tout entier, même et surtout parce que devenu « incertain » pour être l'esprit même : « corps penché sur soi / c'est l'âme qui sonde ses dépouilles ». Il le fallait - on me pardonnera de citer encore Paul Celan mais c'est ma manière de rendre hommage au formidable lecteur qu'est Jean-Marie Bamaud ; au lecteur de Paul Celan, en particulier ces derniers temps ! - « la réalité n'est pas la réalité, la réalité veut être cherchée et conquise ».

Ces Fragments d'un corps incertain sont une traversée vers la réalité, donne nouvelle en quête d'atouts. Formellement, il se présente comme une suite de 54 poèmes, souvent des dizains, distribués en 4 parties. Les vers y sont courts comme s'il fallait resserrer le poème, canaliser un flux, rapprocher les rives pour éviter le débordement des affects, l'impudeur.

Retenir, et impersonnaliser. Tenir la juste mesure, celle d'un loin, d'un juste loin à instaurer.

Ce livre n'est pas le journal de bord que tiendrait un marin pris dans la nasse d'un gros temps et subissant grain sur grain. Chaque poème a été ici renvoyé à sa solitude puis appelé, à sa place, dans un projet, un agencement, un processus, une marche qui soit comme une remontée vers le jour. Une mise en route d'une parole où le corps, ce nouveau corps, ce « corps

incertain », trouve à se tenir. Un corps qui a fait l'épreuve de l'étranger, y a perdu sa naïve

assurance, y a laissé tant de lui-même.

Il y a une ferme demeurance de Jean-Marie Bamaud, c'est celle qui témoigne qu'il y a à vivre au-delà des arrêts de mort du dehors, qu'il y a à apprendre à « faire patience », à préférer croire que « la mer en joie m'attend » plutôt que « les bois noirs de la métaphysique » et leurs sentiers où « les mots n'ont pas de chair ». Tant qu'il y a de la parole à risquer, il y a du désir possible. La force de vie est au-delà du vivant quand elle prend en compte la perte, la mort et non sa trouble fascination.

Ici, on sait parler de sa vie. De la vie. Celle à venir jusque dans l'acceptation de l'inconsolable - car il y a de l'inconsolable et le poème de console de rien - grâce à une volte

de l'âme. Et si en elle quelque chose meurt, quelque chose dont on sait qu'il ne pourra être remplacé, autre chose est à naître. Un autre corps est à « enfanter / à nouveau », une nouvelle présence à l'aimée, « la belle agile » ; à l'amour qui sait « vivre de l'impossible » : « nulla dies / quin amorem inveniat» plutôt que « sine linea» ! oui, « aucun jour / qui n'invente

l'amour » ; au temps enfin, à ses dés. Au temps comme il vient, joueur et rieur, tel que dans les mains de l'enfant d'Héraclite sur quoi se closent ces Fragments d'un corps incertain : « et le temps court devant / qui porte l'enfant d'Héraclite / à lui la royauté ».

Dans le livre de Jean-Marie Barnaud, la vie sait s'accompagner elle-même pour inventer les formes nouvelles de sa joie. Pensant à Rainer-Maria Rilke, je me hasarderai à affirmer que « dans les ordres des anges », on doit pouvoir entendre ce cri parce que justement il est tu. Et ce silence-là s'entend !

 

( Cette note de lecture est parue dans le dernier numéro de la revue Europe consacré à Jean-Luc lagarce)

25/12/2009

Lu 45 - Jacques Ancet - L'identité obscure

Couv Ancet-Identité obsc335.jpgIci, un silence passe. Traverse l’air d’une heure à l’autre. Dans le livre de Jacques Ancet comme dans ce qui s’offre à mon regard : une échappée, la saison qui file son noir, entre douceur et vertige. J’ai lu l’identité obscure de Jacques Ancet qui vient d’obtenir le prix Apollinaire 2009, 71ème du nom, comme on entend cette lumière qui vient de la réalité quand la troue le réel et que nous voilà jetés entre deux chants. Flottants. Suspendus.

L’identité Obscure ( Collection Terre de poésie, Lettres vives, 15 euros) ce sont 13 chants de quelques 85 vers pour la plupart et 76 parfois. Ajoutez 8+5 et 7+6 et vous obtiendrez 13.On sait Jacques Ancet soucieux de « la vertu des nombres ». Ils arment musicalement ses poèmes et ses livres. Ces chants sont portés par la basse continue d’une même énergie provenant de cette « profondeur obscure où les mots sont des actions » selon l’affirmation de Faulkner.

J’aime ces poèmes parce les lire me rejette au plus loin de moi-même, m’éloigne de ce personnage encombrant, ce moi tissé d’ombres pour dans le ballet de la lumière d’entre les mots laisser danser l’inconnu.

J’aime lire Jacques Ancet parce que les yeux, ces bavards, se taisent pour entendre. Ils ne lisent plus le monde, ils ne voient plus, ils entendent ce qui ploie les choses, cette force qui ici jaunit les mélèzes, rougit les sumacs, cette poussée au dehors qui passe par le travers du monde comme un souffle, un appel, dit souvent Jacques Ancet, à plus de réel dans la déroute de nos yeux grillagés de trop de savoirs.

« Seul le regard sauve » : cette affirmation de Simone Weil, Jacques Ancet pourrait la reprendre à son compte. Nous ne voyons pas ce que nous voyons ou plutôt ce que nous voyons, nous le lisons, forts de ce savoir qui ramène tout à du connu, savoirs constitués où la société impose sa vision et ce qu’elle fait du monde et des hommes qui toujours plus servent et sont asservis. Ainsi va la réalité et son identité claire, cet en face où « les images recouvrent le jour », où « les noms (nous) submergent », cette somme de ce « que (nous) pouvons nommer » dont le bruit terrible mêle les fureurs de surface où les hommes chassent les hommes aux fracas des choses qui « s’effondrent sous leur nom » où « la vie ressemble à la vie » et « c’est une image / mais qui peut vivre dans l’image ? ». Qui peut vivre « sans inconnu devant soi », comme le demandait en son temps René Char ? Qui peut vivre sans cette ouverture de la réalité sur le réel qui toujours la déborde : ces riens sans nom qui loin de nous jeter hors du monde nous le rendent comme neuf et toujours jeune ?

C’est sur « le fil du présent » que se tient Jacques Ancet comme sur un chemin de ronde. Il va funambulant sur un vacillement, un presque rien, un je ne sais quoi qui va se perdant toujours sur une fine lame de présence, entre hier et demain : « Je guette dans son imminence la vibration du monde, celui qui vient n’a jamais de forme, c’est comme une aube ». Ce « pur venir », c’est dans la soudaineté de l’instant qu’il se donne, dans « l’éclat d’un instant suspendu ». Et pour faire signe vers cela qui est au-delà de tous les noms, pure qualité de présence qui déjà s’efface », Jacques Ancet risque l’oxymore d’ « explosion immobile ».

Quelque chose comme un « feu » qui « est partout », qui est « insaisissable » sauf – car les derniers pas sont de lui ! – lorsqu’il le saisit et que « soudain tout est désordre noir ». quelque chose qui s’ouvre sur. « Quelque chose comme une embrasure », une meurtrière, cette étroite ouverture par où nous vient cette « beauté du moment qu’il nous faut laisser passer / et garder à la fois », écrit Jacques Ancet. Quelque chose comme une identité obscure, « puits noir » où « rien n’est identique », un éclat redisons le où « soudain toutes les lumières se réunissent, toutes les poussières ».

C’est cela qu’il faut garder. Cela que dans les mots du poème, entre eux – « l’insterstice seul te sauvera » - Jacques Ancet prend sous la sauvegarde de sa parole. Parole fraternelle. Son timbre, je l’entends encore alors que le soir en tombant rapproche le ciel et que déjà deux/trois étoiles se prennent aux branches. Bernard Noël donne le nom de « tendresse » à cette « impression que produit un agencement verbal qui, par sa fluidité, son euphonie, sa simplicité dégage une aisance attentive où le lecteur trouve l’éveil à une harmonisation », à cette voix silencieuse qui porte cette identité obscure par où un « oui » au monde est toujours possible, un « oui » qui puise sa force et sa violence affirmative en un « non » résolu à tout ce qui conspire à perdre cette chance d’homme que nous sommes. Encore.

 

17/11/2009

Vient de paraître - Charles Gardou: Au nom de la fragilité

Couv-Fragilité-1257.jpgCharles Gardou avec le soutien de Tahar Ben Jelloul a réuni trente écrivains, trente voix pour dire dans la plus grande diversité à Couv-Fragilité-2258.jpgceux que la vie malmène qu'ils ne  sont pas seuls. "Votre fragilité est la nôtre" écrit Charles Gardou, porteur de ce beau projet auquel les éditions érès viennent de donner corps.

On peut se procurer cet ouvrage en  écrivant aux éditions érès,33 rueMarcel-Dassault, 31500 Toulouse ou par mel: eres@editions-eres.com. Prix de vente:20 euros.

On peut consulter le site des éditions érès à l'adresse WWW.editions-eres.com

14/10/2009

Lu 44 - Jacques Dupin: Par quelque biais vers quelque bord, P.O.L, mai 2009

L’espace autrement dit publié aux éditions Galilée en 1981 était épuisé. Les textes de Jacques Dupin sur Miro, Giacometti, Tapiès sortaient à part. restait à reprendre les autres textes, à leur adjoindre ceux parus entre temps, à conserver le beau texte de Jean-Michel Reynard - Placé en fin de volume, il partage avec la foudre son tracé de nuit. Touchant terre, ici ou là, en tel ou tel texte, sur tel ou tel peintre, ses propos remontent en lumière – confier à Emmanuel Laugier, à qui l’on doit Strates, ensemble d’études sur l’œuvre de jacques Dupin, paru chez Farrago en 2000, le soin d’ouvrir ce volume par une préface, don d’air, prise de souffle avant de se lancer dans la lecture de ces 47 textes, le plus souvent de commande, écrits entre les années 1953 (texte sur Max Ernst, paru aux Cahiers d’Art) et 2006 ( texte sur Jean Capdeville, paru dans le catalogue Un peintre et des poètes, Centre Joë Bousquet et son temps, Carcassonne)

Dupin-Peintres (POL)187 - copie.jpgAh ! Les indéfinis du titre Par quelque biais vers quelque bord ! C’est que nous voilà perdu en pays de peinture : 5 chapitres, 47 textes, 35 artistes dont 5 sculpteurs . De Kandinsky à Capdeville en passant par Braque, Sima, Pollock, Kolar, De Staël, Michaux, Adami, Saura, Bacon, Riopelle, Rebeyrolle, Alechinsky…on ne saurait tous les citer.
Perdus comme il convient quand c’est dans l’inconnu qu’on avance.
C’est entendu Jacques Dupin n’est ni historien, ni critique. Jacques Dupin est poète. Il est le poète de l’écart, quelqu’un qui partage avec les artiste cet « œil de rapace » fixé sur cet « au-delà de la peinture qui pourrait bien n’être que l’avenir de la peinture » comme il le dit dans ce texte inaugural sur Max Ernst en 1953. Voilà que nous ne reconnaissons plus rien de ce que l’on connaissait ou plutôt croyait connaître. Alors il nous faut bien avancer, pousser quelques pas et pour cela emprunter « quelque biais » moins pour arriver quelque part que pour se diriger vers ce qui pourrait faire bordure. Du coup, lire ces textes comme des marins tirent des bords quand la mer est toute au vent et que s’est imposé le tourmentin. Quand « chaque pas naît de la nuit », que « chaque geste naît du chaos » se trouve alors instauré un ordre, celui de la forme qui déploie l’espace. Ordre « aussitôt contesté et ruiné au hasard, à l’attente du prochain élan ». Ainsi les œuvres restent-elles ouvertes, toujours en route vers elles-mêmes, hors conclusion, du côté de l’oiseau de Braque, « oiseau terrestre » qui incarne « l’impossibilité de conclure (…) le perpétuel contre l’éternel » rappelle Jacques Dupin, le perpétuel et son bruit de source.

« Un air vif souffle sur la forme ouverte et les couleurs soulevées », il passe sur ce livre en de brusques à coups, c’est dire si l’on respire dans ces pages où tout se renonce, se reprend sans fin comme dans ces œuvres d’Henri Michaux où les signes « (captent) l’énergie par (leur) indétermination même. La (captent) et la (relancent) aussitôt à d’autres signes et à leur unanime agitation. Toutes les communications sont ouvertes par ce pouvoir de liaison et de rupture du signe avec le plus prochain et le plus lointain. Et dans cet incessant rebond… » Voilà, on y est !
Nous voilà au plus près de ce que Jacques Dupin nomme un « nerf actif  et plus éveillé que tout être vivant », « énergie universelle, qui de la partie au tout, de proche en proche, fait poindre et surgir l’espace », force qui travaille les œuvres, ces territoires du corps à corps. « Surcroît d’énergie » libéré par « un affrontement où la violence, l’érotique, la lucidité, le jeu et le défi de peindre se (relayent) et (fusionnent) pour transgresser le constat et faire surgir la vie et son inconnu de la destruction des apparences ». Cette force qui « soulève et irrigue l’espace pictural » est le produit « d’ un acte plus que d’une pratique » écrit Jacques Dupin à propos d’Antonio Saura. Un acte où il s’agit d’  « être / le premier venu » - Je ne saurais oublier que ce sont là les deux vers d’un poème de René Char intitulé « Amour » !
À lire ces textes on sent bien que les artistes ici accompagnés travaillent non avec ce qu’ils ont, ce dont ils disposent, mais avec ce qu’ils n’ont pas. On comprend qu’ils puisent leur force dans le vide qu’ils ouvrent et auquel ils osent confier leur désir d’arracher à l’inconnu quelque chose qu’ils ne connaissent pas encore. Leur force est de se mettre en danger, de se démunir de tout et de se lancer dans la pente si le terrain est à la descente ou d’attaquer la paroi si les pieds ont besoin des mains pour se hisser ! C’est alors que s’ouvre, pour eux, l’espace, à partir d’un trait, d’une couleur, d’une forme risquée. Marche en avant qui toujours désaccorde le paysage, nerfs et rage le ravageant comme le grand vent tient ensemble sans les unifier les éléments contraires sous grand soleil décapant.

Chacun des textes ici repris est une coulée de lave, de celles qui vont lentes au long des pentes portant la musique tue des explosions ou qui, parfois, sautent, brusques, comme font les eaux au dévalé d’un torrent. Ces textes de Jacques Dupin sont tous écrits « avec le souffle qui (les) traverse, comme il l’écrit dans Echancré – paru chez P.O.L, livre aujourd’hui repris avec Contumace et Grésil dans Ballast dans la collection Poésie/Gallimard – l’inutile et le nécessaire « qui vient d’ailleurs, et qui va plus loin ». Quelque chose de « fatal ». « Fatal », premier mot du premier texte – il est consacré à Malevitch -  et que l’on retrouve dans un texte sur Braque. Fatal, ce qui « (rompt) l’amarre entre le peintre et son tableau et le jette sur les routes. Fatal comme source inépuisable d’action et seule manière de se découvrir soi-même tendu vers l’autre, vers l’insaisissable autre. Fatal que ressent Jacques Dupin au contact des œuvres. Fatal comme « violence et jouissance confondues (…), écrit-il, la vérité de toute la peinture, l’immédiateté de sa rencontre et l’approfondissement de la commotion ».
Sur la scène de la création, ces textes de Jacques Dupin sont répliques aux pointes des artistes. Tous disent, oui, vos œuvres sont vivantes. Et je vis d’elles ! Là où personne ne s’attend à me trouver. Dans ma forêt. Entre hure de sanglier, sabot de cerf et violettes des fourrés ! Et nous vivons de ces textes !

© Alain Freixe

01/07/2009

lu 43 - Bernard Mazo - La cendre des jours

Poète, on sait Bernard Mazo homme de patience. Sa lenteur à publier – son dernier livre, Cette absence infinie, au Dé bleu, date de 2004 – est veille obstinée sur la langue et souci de composer non un recueil mais un livre, bâti comme on choisit les pierres du mur que l’on entend dresser moins pour séparer que pour pouvoir retenir les terres et s’adosser à lui afin que file, libre et tranquille, le regard. Au loin.Couv Mazo- Cendre des jo142.jpg
Armé, La cendre des jours l’est d’abord par les toujours belles reproductions auxquelles Voix d’Encre nous a habitué dans toutes ses productions – Ici, ce sont des lavis d’Hamid Tibouchi dont les tons grisés de mousseuses écumes font vibrer les noirs – ensuite, par les paroles choisies par Bernard Mazo d’Héraclite à Yves Bonnefoy qui ouvrent les différentes sections de cet ouvrage. Lavis et citations sont moins clés qu’armure, et qu’on veuille bien entendre ce mot en son sens musical comme ce qui détermine la tonalité d’une partition.
J’aime la posture de Bernard Mazo, j’en partage la cambrure, c’est celle qui pose en ouverture : « l’espoir est une veilleuse fragile », poème qui « sur cette terre vouée au désastre », « au cœur de la nuit carnassière » lève haut l’endurance de l’homme à tenir comme chance à venir : « nous tenons nous résistons / nous nous arc-boutons / contre vente et marées » à partir de « l’ombre désespérée de la beauté » qui traverse les mots du poème. Les redressant, ils redressent les hommes que nous nous efforçons de toujours plus devenir. « Désespérée » car « le poème / ne peut se fonder / que sur ce qui est / condamné à mourir ». C’est qu’en effet le monde se défait comme travaillé par les forces du déclin. Nous voyons cela. Aussi ne pouvons-nous que tenter – Et c’est toujours à reprendre, à recommencer. C’est pourquoi Bernard Mazo avoue : « C’est toujours / le même poème imparfait / que j’écris et réécris «  - de « nommer ce qui va s’effacer », cette « insaisissable beauté / du monde », soit cela qui nous saisit, nous transit, avec quoi nous fusionnons dans l’instant, cette « inespérée » qui ne cesse de se défaire dans les mots qui prétendent articuler sa présence.
Le poème qui, pour Bernard Mazo, « n’est pas / seulement / le poème / mais la mémoire / préservée / du monde », est cendre où il y a de quoi protéger pour qu’elle dure, la graine du feu.
Bernard Mazo ne pousse pas la voix, ne hausse pas le ton. Il va inquiet et fragile, avec simplicité, amant définitif de la poésie qui à ses yeux reste « la seule à (inscrire) / dans la chair des vivants », « la seule trace durable », celle de « l’obscure rumeur du temps » comme de « l’éblouissement / du premier matin. »
Traverser le monde, traverser la langue, sans « (réveiller) les dieux », sans « renoncer » même si « la vie / nous oppresse », en résistant à tout ce qui nous défait, en espérant « trouver / la parole juste / pour pleinement / exister / combler / le manque / ressusciter / la respiration légère / des choses », c’est traverser certes un champ de ruines mais au moins celui-ci est-il « un labour ensemencé », selon les mots de Jacques Dupin, prêt, dans l’attente de la rencontre avec « l’absente », « l’inespérée », « bel oiseau frémissant / que la beauté foudroie ».
Bernard Mazo l’appelle « Poésie » !

Bernard Mazo, La cendre des jours, Lavis d’Hamid Tibouchi, Voix d’Encre, 18 euros