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07/08/2015

Lu 109-Jean-Marie Barnaud, Le don furtif, Cheyne éditeur, collection verte, 2014

J’ai toujours vu/connu Jean-Marie Barnaud fasciné par les poètes pour qui la poésie était chemin de l’homme dans le temps, humanisation du temps par la parole , recherche angoissée et souvent douloureuse de leur parole de vivant, la parole de la dernière chance. Car c’est toujours la dernière chance. Aujourd’hui comme hier. Demain aussi bien !

Un spectre hante la poésie de Jean-Marie Barnaud: la question de l’à quoi bon Je sais bien que les esprits forts ne croient pas aux fantômes mais la langue comme la science des membres absents le dit, ce sont des revenants !

Le nouveau livre de Jean-Marie Barnaud, Le don furtif, paru comme les précédents – dix sans compter les rééditions, chez Cheyne éditeur ! – en voilà un compagnonnage ! – ne déroge pas à ce retour : à quoi bon la poésie si elle n’a pas à voir avec « vivre », avec ce qu’il en est de vivre, ses contradictions, ses fatigues, cet épuisement qui parfois nous tient et nous serre encore plus peut-être alors que vient « le grand âge » et « ses jours friables » ? A quoi bon la poésie face aux « chiens de la force », quand l’Histoire bégaie, que les malheurs montent, que s’empourprent les dangers ? A quoi bon la poésie si elle n’est que jeu de langage, belles fleurs de serre stériles, simple jeu de l’intellect ? Que peut la poésie face à « la langue close / qui savoure ses outils » ?

De quoi souffre la poésie de ce temps, notre présent, si ce n’est de l’absence d’une image, de cette « grande image » dont Lao-Tseu pouvait dire qu’à partir d’elle on pouvait être du monde, le parcourir, en étant en accord – Ah ! ces jours où l’  « on se croirait encore / les élus d’un ciel » ! - , en harmonie avec les choses.

Il ya une profonde nostalgie chez qui « cherche encore / espérant que la chose se lève / de l’obscur / et qu’elle éclaire toute la scène » et donne sens par là au monde. Nostalgie qui fonde une mélancolie difficile à juguler. Mais elle a disparu la grande image et sa voix, « tout au fond ». Reste le ravin noir, le bord du précipice, le seuil du vide…Inquiétant pour sûr mais pas rien pour autant ce retour de l’ancien chaos ! Et si cette faille d’abîme était à accueillir ?

J’aime les mots qui terminent ce livre. Ces mots disent l’accueil : « Bonjour la terre qui vient / droit devant ». Cette terre vous l’entendrez comme vous voudrez, de celle des marins où reprendre pied à celle de la tombe où perdre pied, moi, j’y verrai bien cette « mère de toutes choses / et qui contient l’abîme » dont parlait Hölderlin souvent présent dans ce livre de Jean-Marie Barnaud. Et si ce qui soutenait était le vide, « la blancheur de l’inconnu : en avant de moi » aurait dit André du Bouchet ? Et s’il nous fallait cesser d’être dans cette douleur qui nous enserre sans nous déchirer entre constatation qu’il n’y a plus de « grande image » qui soutiendrait toutes les images - le monde avec ! – et le souhait qu’il y en ait une quand même, malgré tout, au fond ? La belle querelle de JMB, son drame – cette action sur lui du plus que lui-même – c’est de ne point arriver à décider : la voix de la « chose », celle du « disparu », de « celui qui avait fait briller l’éclat », n’est-elle qu’ »un rêve / un déguisement (…) une pantomine », oui ou non ?

Faudra-t-il toujours être de ces « voyageurs », de ces « obstinés » qui « (repartent) en chasse (…) blessure aux yeux » ? Et s’il suffisait de s’arrêter, de se tenir debout dans le petit matin, - cette lumière du petit jour Jean-Marie Barnaud la nomme « la discrète » ! – qui, tous les jours, à la dérobée – le furtif, cet instant, tient du vol ! – vient et revient ? C’est à pas légers qu’ « il porte le temps sur ses épaules » et s’en va « dénouer les ombres ». Et si c’était ce passage-là qui seul importait – « tous les matins / cette jeunesse passe / notre chance peut-être » - ce saut, ce bond. Pour rien que la brûlure d’un passage. Mobilité pure. Musique sous le silence. Les mots manquent, les mains manquent, et alors ? A Jean-Marie Barnaud, j’aimerais offrir ces mots de Nietszche : « L’instant infinitésimal est la réalité, la vérité supérieure, une image-éclair surgie de l’éternel fleuve ».

 * Note publiée dans la Revue des Belles-Lettres

15/02/2014

Balise 89 - Perdre la tête

( Cette balise Venu  provient par l'intermédiaire de Jean-Marie Barnaud (Lire son article sur remue.net) des « Philippines, prédelles" d’Hélène Cixous ; Galilée )

 

Ainsi les livres réactivent le désir, et parlent à l’âme d’une voix plus intime encore que la sienne propre. Et c’est sans doute qu’ils se confondent en elle avec la « voix de source ». Elle n’est pas, cette voix-là, celle de l’intelligence…
Car toute vraie lecture, sachons-le bien, fait perdre la tête :

 Oui il y a une tête qu’il faut perdre, la tête qui sait c’est-à-dire qui croit savoir, trop vite, celle que Proust dénonce et fuit, cette tête à intelligence qui empêche la sensation de trouver son nom et les arbres aux tendres bras tendus en supplication de ressusciter. Car ce sont ceux qui croient savoir qui sont les vrais crédules, les croyants, les arrivés, les immobiles. Alors que ceux qui sont en promenade et ne savent pas, et sont tentés par les sirènes de l’oubli et de la mémoire, et scrutent le morceau de rideau vert tendu devant l’écran de verre brisé en se demandant ce qui leur arrive, ceux-là approchent du point d’apocalypse. Une ivresse leur souffle qu’elle va avoir lieu, elle va avoir lieu... Les temps sont proches. Voici : les prisons s’écroulent. Les grilles ouvrent grand leurs barreaux.

 C’est qu’il y a aussi ce « livre secret » - « chacun d’entre nous a un livre secret (…) c’est un livre chéri » - Peter Ibbetson, de George du Maurier.
C’est ce livre dont la présence est toujours opérante comme une grâce efficace ; elle inspire la passion de l’origine, des premiers temps, donne sens et réalité au désir du retour au « Jardin », qui n’est pas une nostalgie, mais quelque chose de beaucoup plus puissant et dynamique qu’une nostalgie, fût-elle « prospective », comme celle que souhaitaient les surréalistes : il s’agit au contraire de cet improbable « enthousiasme de mélancolie ».
Autrement dit d’un certain rapport au temps qui se résume dans la belle formule selon laquelle certaines lectures réactivent la présence de « l’enfant-qui-joue-en-moi-sur-les ruines ».

 

10/06/2013

In Memoriam Gaston puel -6 par Jean-Marie Barnaud

Avec ce lien http://remue.net/spip.php?article6024 je relaie les propos mis en ligne sur remue.net par mon ami jean-Marie Barnaud à propos de Gaston Puel.

29/12/2009

lu 46- Jean-Marie Barnaud, Fragments d'un corps incertain

 

Couv Frafgments corps in241.jpgVivre et écrire, écrire et vivre... et... et... c'est la boucle ! On sait que c'est dans cettes pirale que se tient la belle querelle de Jean-Marie Barnaud : « comment parler de sa vie ? » se demande-t-il dans son dernier livre publié chez Cheyne éditeur, Fragments d'un corps incertain (15 euros). Non qu'il faille épancher un moi toujours envahissant mais bien incliner mots, images et formes à partir de « l'angle d'incidence particulière de son existence » selon les mots de Paul Celan. Comment parler desa vie quand c'est au poème que l'on se confie, à l'idée pratique que l'on s'en est faite,chemin faisant, de livre en livre - ici, le onzième dans la collection verte de Jean-François Manier et Martine Mellinette, ça fait une drôle de forêt !

La question se fait plus aiguë, douloureuse dans ses creusements, quand « une voix sonne tout à coup / glaciale », voix du corps vivant qui « dit les choses pour de vrai », qui coupe et arrête, « barre la route, à jamais ». Comment transformer la dévastation qui va s'en suivre, cela qui est arrivé à l'improviste , arrachant le temps à ses gonds, dans la maladie et son cortège d'interventions ; cela qui va mener à ce « corps incertain », troué d'oublis multiples, voué aux fragments, débris certes mais éclats aussi bien qui éclairent son nom nouveau : « blessure » ? Et puis le fallait-il ? Fallait-il « (écarter) les lèvres de cette plaie / et (sonder) jusqu'au fond le désastre » ?

Oui, il le fallait. Sans conteste. Il fallait accueillir la nécessité, le monde dans son désordre, transformer l'accident en événement, libérer de sa part factuelle la part spirituelle car F esprit a besoin du corps tout entier, même et surtout parce que devenu « incertain » pour être l'esprit même : « corps penché sur soi / c'est l'âme qui sonde ses dépouilles ». Il le fallait - on me pardonnera de citer encore Paul Celan mais c'est ma manière de rendre hommage au formidable lecteur qu'est Jean-Marie Bamaud ; au lecteur de Paul Celan, en particulier ces derniers temps ! - « la réalité n'est pas la réalité, la réalité veut être cherchée et conquise ».

Ces Fragments d'un corps incertain sont une traversée vers la réalité, donne nouvelle en quête d'atouts. Formellement, il se présente comme une suite de 54 poèmes, souvent des dizains, distribués en 4 parties. Les vers y sont courts comme s'il fallait resserrer le poème, canaliser un flux, rapprocher les rives pour éviter le débordement des affects, l'impudeur.

Retenir, et impersonnaliser. Tenir la juste mesure, celle d'un loin, d'un juste loin à instaurer.

Ce livre n'est pas le journal de bord que tiendrait un marin pris dans la nasse d'un gros temps et subissant grain sur grain. Chaque poème a été ici renvoyé à sa solitude puis appelé, à sa place, dans un projet, un agencement, un processus, une marche qui soit comme une remontée vers le jour. Une mise en route d'une parole où le corps, ce nouveau corps, ce « corps

incertain », trouve à se tenir. Un corps qui a fait l'épreuve de l'étranger, y a perdu sa naïve

assurance, y a laissé tant de lui-même.

Il y a une ferme demeurance de Jean-Marie Bamaud, c'est celle qui témoigne qu'il y a à vivre au-delà des arrêts de mort du dehors, qu'il y a à apprendre à « faire patience », à préférer croire que « la mer en joie m'attend » plutôt que « les bois noirs de la métaphysique » et leurs sentiers où « les mots n'ont pas de chair ». Tant qu'il y a de la parole à risquer, il y a du désir possible. La force de vie est au-delà du vivant quand elle prend en compte la perte, la mort et non sa trouble fascination.

Ici, on sait parler de sa vie. De la vie. Celle à venir jusque dans l'acceptation de l'inconsolable - car il y a de l'inconsolable et le poème de console de rien - grâce à une volte

de l'âme. Et si en elle quelque chose meurt, quelque chose dont on sait qu'il ne pourra être remplacé, autre chose est à naître. Un autre corps est à « enfanter / à nouveau », une nouvelle présence à l'aimée, « la belle agile » ; à l'amour qui sait « vivre de l'impossible » : « nulla dies / quin amorem inveniat» plutôt que « sine linea» ! oui, « aucun jour / qui n'invente

l'amour » ; au temps enfin, à ses dés. Au temps comme il vient, joueur et rieur, tel que dans les mains de l'enfant d'Héraclite sur quoi se closent ces Fragments d'un corps incertain : « et le temps court devant / qui porte l'enfant d'Héraclite / à lui la royauté ».

Dans le livre de Jean-Marie Barnaud, la vie sait s'accompagner elle-même pour inventer les formes nouvelles de sa joie. Pensant à Rainer-Maria Rilke, je me hasarderai à affirmer que « dans les ordres des anges », on doit pouvoir entendre ce cri parce que justement il est tu. Et ce silence-là s'entend !

 

( Cette note de lecture est parue dans le dernier numéro de la revue Europe consacré à Jean-Luc lagarce)