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10/12/2008

Lu 31: Gaston Puel - L'âme errante et ses attaches

L’âme errante fut publié au Dé bleu en coédition avec Le Noroît en 1992. Dans L'âme errante & ses attaches que publie quelques quinze ans plus tard les éditions de l'Arrière-Pays (15 euros), Gaston Puel revisite son ancien livre et hormis quelques corrections de détail, une suppression Couv GP-âme errante785.jpgou autre, rien de bien notable.
Rien, sinon notre joie de lecteur de retrouver un texte aimé. Et le voir repris par son auteur comme amoureusement c’est en soufflant qu’on ravive les couleurs d’un objet aimé qu’on croyait perdu et qu’on retrouve d’une manière inattendue.
Rien de notable donc. Si ce n’est, et c’est l’essentiel, que l’homme-de-Veilhes a touché à sa composition. L’architecture du livre en est changée comme l’indique avec justesse le titre. Gaston Puel a regroupé dix-neuf poèmes de son livre de 1992 pour en faire « dix-neuf attaches » autant d’agrafes pour cette « âme » qui entre mémoire et parole demeure « errante ».
A la vilaine voix qui dirait que finalement il n’y a rien là de nouveau, j’opposerai la protestation de Pascal affirmant haut et fort « mais la disposition des matières est nouvelle ! ». Il est vrai que cela change tout !
Cette nouvelle économie du texte mais en évidence ces dix-neuf poèmes non seulement comme ensemble qui donne sens à ces fines terres des poèmes qui les précèdent, ensemble divisé en trois parties : « L’invivable ; La vie émiettée ; La nuit plus loin ». Mais encore comme ce qui nous attache au monde jusque dans sa finitude, qui nous assure de notre « lien mortel » avec la terre dans toutes ses déclinaisons, ainsi retrouve-t-on  les figures aimées du scarabée, du rouge-gorge ; du merle ; des ormeaux, des collines… Et enfin comme ce qui met en évidence ce vent du désir, « souffle d’énigme et d’évidence »  qui vient raviver le texte jusqu’à le rendre à sa fraîcheur première.
Dès lors que peut-on faire d’autre que d’accepter ce remuement auquel il se prête ? Je suis heureux de retrouver la poésie de Gaston Puel sous sa forme d’ « art des nuages », métaphore d’une création sans clôture, sans fin ni finalité, ouverture sur l’ouvert et n’en désignant jamais que l’ « insaisissable présence ». Ce vent de poésie pousse au devenir, à la série infinie de transformations infinies, élan perpétuellement renaissant.
Il faut lire Gaston Puel comme il regarde les choses du monde - le rouge-gorge, par exemple – d’un « regard vrai ». Cela « rend l’âme légère ». Revient alors l’espoir, cette « grâce de recommencer ». Et donc de poursuivre. Homme debout sous les coups du dehors.
C’est cela que l’on entend dans les poèmes de Gaston Puel, cette voix de l’espoir qui sait acquiescer au temps comme il vient, qui nous délie, nous brasse, nous fait gerbes. Cette voix de l’espoir vient d’où vient le vent et qui souffle entre les attaches que nous offre le monde, elle est l’âme errante qui hante le poème.

© Alain Freixe

Lu 30: En présence...de Bernard Noël


CouvEnPresence.jpgEn présence... que publient les éditions de l'Amourier dans leur collection Voix d'écrits (30 euros) est un livre d’entretiens de Bernard Noël avec Jean-Luc Bayard auquel est joint le DVD d’un film réalisé par Denis Lazerme, En présence d’un homme, tourné à propos du livre géant que Bernard Noël a réalisé avec le peintre Geneviève Besse et le sculpteur Olivier Seguin pour la maison Rabelais à la Devinière.
Jean-Luc Bayard parle volontiers de voyage à propos de ce projet : voyage dans une vie de création, traversée du temps de la vie d’un homme qui fait surgir aussi bien le passé que ce que ce que l’on pourrait faire si l’on croyait à l’avenir mais voilà si l’on est bien en présence d’un homme – et les questions de Jean-Luc Bayard n’y sont pas pour rien tant elles cherchent moins le renseignement, les anecdotes qu’à se joindre au propos par où s’affirme une solidarité entre questionneur et questionné-  c’est que l’homme y est au présent !
Vous ne trouverez dans ce livre ni inventaire, ni somme, ni un Bernard Noël empaillé au passé, ni un Bernard Noël  ennuagé de futur, soucieux à mourir de son œuvre !
Le poète Bernard Noël – et c’est là à mon sens la grande leçon de ce livre – s’efforce d’être moins poète et toujours plus homme. Un homme que « l’écriture engage gravement », un homme ouvert dans sa division, toujours rendu à ce qui le dessaisit de toute prise et le jette au présent sur les routes où écrire désespère certes dans le présent des mots tant il sait ne pouvoir sauver le vif mais qui d’un autre côté s’offre comme la seule voie possible où poursuivre jusqu’à ce qu’arrive la fin avec pour moteur un désir, inventeur de chemins, et une soif qui ne peut s’étancher que dans de nouvelles fièvres. Un homme que toujours quelque chose pousse dans l’inachevé, le vouant à l’interminable, dimension ouverte par la désertion des noms en lieu et place de Dieu, « vide vivant » dirait Jacques Dupin, vide germinatif où naît le vent qui anime la traversée. L’impossible traversée. Pour que ce soit « la fin qui signe ». Un homme au “non” résistant qui sait que “c’est la guerre”, “guerre avec la société dans laquelle nous vivons. C’est la guerre de continuer à écrire. C’est la guerre de ne pas se plier au commerce, à la consommation”. Un homme pour qui “la poésie est le foyer de résistance de la langue vivante contre la langue consommée, réduite, univoque”, poésie qui ne seprend jamais les pieds à ses propres miroirs. Un homme engagé en tant qu’écrivain moins par les sujets de ses textes que par son engagement dans l’écriture, engagement grave du côté de la vie.

( Article publié dans le Patriote Côte d'Azur du 17-23 octobre 2008 )

Lu 29: Alvaro Mutis - Et comme disait Maqroll el Gaviero

Vous aimez les histoires ? Les romans ? Les romans latino-américains, cette littérature de ports perdus et misérables des Caraïbes avec leurs perroquet criards, leurs crocodiles furtifs,  ces brumes sur les fleuves, cette humidité dévastatrices, ces personnages typiques - femmes dangereuses, hommes interlopes - pris dans un univers animiste et primitif, popularisés par Gabriel Garcia Marquez ? Alors vous avez sûrement aimé la saga narrative d’Alvaro Mutis, les aventures et tribulations de Maqroll et Gabiero : La neige de l’Amiral, Ilona vient avec la pluie, un bel morir et suite à ce tryptique, La dernière escale du tramp steamer, Ecoute-moi Amirbar, Abdul Bashur, le rêveur de navires et le rendez-vous de Bergen, tous publiés chez Grasset et tous tournant autour de ce personnage Maqroll et Gabiero, marin aux aventures terrestres,homme de vigie, veilleur aux confins, arpenteur des frontières, familier des précipices…figure même du poète.
Couv Maproll792 - copie.jpgIl n’est pas inutile de savoir que tous ces romans sont comme des excroissances de la poésie d’Alvaro Mutis, qu’ils sont sortis de son œuvre poétique, celle-là même que la collection Poésie / Gallimard nous donne aujourd’hui à lire avec ce volume Et comme disait Maqroll el gaviero. En effet, Alvaro Mutis est le poète qui contribua à sortir dans les années cinquante la poésie colombienne d’un lyrisme traditionnel, prisonnier de vers à la structure et au rythme convenus sous l’influence conjuguée du surréalisme et de Pablo Neruda.
Dès 1953 avec Les éléments du désastre, l’univers poétique d’Alvaro Mutis est en place, univers de désespérance où terminer importe peu, où il faut toujours poursuivre avec l’échec pour aiguillon . Le personnage de Maqroll et Gabiero en occupe déjà le centre nerveux. Il y tient la place du conteur : « Il déversait sur ses auditeurs la mélancolie de ses longs voyages et la nostalgie des lieux qui étaient chers à sa mémoire, et dont la distillation lui donnait la raison de sa vie ». Celle aussi de l’errant, toujours battu mais jamais abattu dont le désespoir n’est jamais un renoncement à vivre tant il tient de partout à la « réalité rugueuse » d’ici-bas mais force levée contre le monde et son cours.
Il est une figure de la poésie, celle qui ne vit que du désir et de la mort, forces qui la soulèvent et la dressent, l’adressant à l’autre de tout lecteur, celle qui se tient dans « l’imminence d’une révélation qui ne se produit pas » selon l’affirmation de Borgès, attente de ce miracle entrevu quand l’âme est invitée à la fête des sens ; la même qui rend ses amours transparents et libres avec Flor Estevez , Ilona, Ampara maria ou Dora estella ou qui préside à ces rencontres improbables avec ce qui en lui attend « l’effondrement de son être » dans les gorges d’Aracuriante par exemple ou ce sentiment de plénitude où « tout (serait) accompli pour lui » comme dans une rue de Cordoue, moments où « échapper au trafic des ports et de l’étoile toujours contraire de son errance insasiable », moments où s’opère un changement intérieur lui permettant de gagner en lumière, en lucidité.
Les routes du gabier sont géographiques, elles s’enfoncent dans le continent américain mais enlacent aussi bien les autres continents et les peuples d’Europe, d’orient comme du Moyen-Orient. Spatiales, elles sont aussi temporelles. Sur les routes de Maqroll, le passé et l’histoire sont présents. À ces routes du monde et de l’histoire, Alvaro Mutis ajoute les routes du sacré tant il sait mêler approche rationnelle et approche mythique du monde. Si l’âme est ce qui se joue entre les mots, les routes de Maqroll et Gabiero, en la poésie, cette propédeutique aux romans, sont routes de l’âme. Routes qui jamais ne sont de simples moyens mais toujours fin en elles-mêmes. Comme pour Antonio Machado : « caminante, no hay camino / se hace camino al andar ». Marcher fait le chemin. En route !

© Alain Freixe

11/11/2008

Lu 28 - Philippe Jaccottet - Ce peu de bruits

Couv Jaccottet707 - copie.jpgCe peu de bruits (NRF, Gallimard, 12 euros), dernier livre de Philippe Jaccottet s’ouvre sur un « obituaire », ce registre où l’on écrit le nom des morts. Entrer par la mort, faire d’elle le guide sombre de cet âge cassant dans lequel est entré le poète avec le siècle nouveau, c’est faire d’elle l’éclaireuse de ce qui reste. Comme c’est mettre sous sa lumière les pages qui suivent ces saluts aux ami(e)s disparus.
Suivent au fil des pages des brins d’existence comme de langue : « des bribes ultimes sauvées dans un ultime effort du désastre » par un survivant. Soit des miettes, des touches, des fragments de choses vues, des bouts d’images, autant de mots que l’on peut dire quand on revient des contrées de l’absence et de la perte, quand on remonte du « ravin » ces « notes » tirées de la mort comme de l’oubli et du silence pour, grimpant, se sentir encore un peu léger à parier toujours pour la transparence et le délié et « jusqu’au bout, dénouer, même avec des mains nouées ».
Ce peu de bruits est donc celui que fait cet ensemble de notes, de citations, de morceaux de poèmes, d’impressions de lectures. C’est un murmure que l’on entend. Quelque chose de rasant, une lumière de bas de porte mais qui insiste et trouve à passer, à faire encore danser les poussières. Un chuchotis endurant, cette musique même de l’âme quand elle défroisse ses plis sous les souffles des mots que tisse encore ce « vieux chinois anonyme » sous les traits duquel se peignait le jeune poète Philippe Jaccottet dans ses Remerciements pour le prix Rambert, toujours là, dans sa cave, à peindre des « riens », « débris » qui seraient comme d’un « nouveau livre des Morts » et tels que nous pourrions les brandir au moment de franchir le mince ruisseau de la fin. Et passer « sans peur ni regrets le seuil du très sombre espace qui (nous) attend pour nous engloutir ou nous changer ».
On est là, dans ce livre,  comme sur un site archéologique, ces fragments épars ici rassemblés sont autant de témoignages que la fouille a arraché au silence et à la nuit de la terre des jours et qui, de façon terriblement intempestive à mesure que le pas se fait plus « caduc », comme le dit Luis de Gongora, affirment qu’il y a encore bien des occasions d’être surpris par cet insaisissable qu’est la beauté lorsque nous en faisons l’expérience dans une rencontre soudaine et hasardeuse.
Je ne me lasserai jamais de remercier Philippe Jaccottet de nous apprendre à « être ouvert » aussi bien à l’enfer et au malheur qu’à ce qui devant nous, persiste, dans le cours du monde, cette lumière qui coule comme l’eau d’un ruisseau inverse – « Cela ruisselle vers le haut », écrit Jaccottet  - dans le chant du rossignol.
Mon ami Hans Freibach sait que « les beaux chemins » de Philippe Jaccotet – son étude parue dans le N°110/111 de la revue Sud en 1995, a été reprise sur le blog lapoesieetsesentours.blogspirit.com le 12/09/2006 - sont des chemins de vie. Mon salut au seuil de l’été pour lui. Et vous !

(article paru dans le Patriote Côte d'Azur N°2128 du 11-17 juillet 2008))

Jean-Max Tixier - Les chants de l'évidence (entretien avec Alain Freixe)

Cet entretien devait paraître dans la collection "Visages de ce temps" que dirigeait Jean Digot chez Subervie. La mort de ce dernier remit tout en question. Thierry Renard et ses "Paroles d'aube" voulut reprendre le projet. Mais l'économie eut raison de cette maison d'édition. Les années passaient. Enfin, les éditions "Autre temps" accueillirent ce qui était devenu, au fil des lettres échangées, des questions posées, des réponses engrangées et discutées, un vrai livre. Il vient de paraître (Autre temps éditions, Parc d'activités de la plaine de Jouques,200 avenue de Coulins, 13420 Gémenos - 16 euros).Couv Tixier-Evidence789.jpg

Je reproduit ci-dessous la quatrième de couverture signée par notre ami Jacques Lovichi:

"Pour qui croit vraiment le connaître, Jean-Max Tixier apparaît, poétiquement, politiquement, affectivement, comme le lieu privilégié d'un affrontement permanent, d'une inextricable et inconcevable mais féconde contradiction qui le fonde et le meut dans une effervescence continue dont il domine les sursauts et les apparentes incohérences par l'usage constant d'une implacable logique.
Son humour est celui du doute qu'il doit à son maître Montaigne, sa violence est celle de l'éternelle jeunesse domptée par un cartésianisme très relatif et spécifique, sa poésie - diverse et multiple en sa
somptuosité verbale - n'appartient qu'à lui. Refermant le présent livre, dans lequel Alain Freixe (il y fallait un autre poète) exerce une maïeutique serrée qui tente de cerner l'homme et l'œuvre, en saura- t-on davantage sur le phénomène Tixier ?
Oui, sans nul doute. Mais le cœur du mystère résiste à toute investigation. Dans cette « mise en scène » qu'organise subrepticement le principal intéressé, on frôlera parfois de si près la vérité (existe-t-elle
en ces matières, du moins n'est-elle pas multiple, insaisissable ?) que l'on croira avoir tout compris de la poésie, des poètes, et spécialement de celui-là.
Fort heureusement, il n'en est rien.
Peut-être même l'énigme s'épaissit-elle dans l'ambiguïté qui fouaille, constitue, détermine le funambule, lui tenant lieu de balancier.
Ci-gît l'éternel paradoxe.
Et c'est très bien ainsi."

Lu 27 -"La poésie, c'est autre chose", sous la direction de Gérard Pfister

Couv Poésie, autre chose791.jpgLa poésie, mais qu'est-ce ? Une inconnue délaissée ? Il faut dire qu'elle joue perdant. Rebelle à tous les attributs dont on voudrait l'affubler, on ne peut la saisir. Les poètes ne se sont pas privés de lui proposer, parfois de manière péremptoire, des définitions. Mais voilà, elle est toujours autre chose !
Oui, Gérard Pfîster a raison de rappeler le mot de Guillevic : "la poésie, c'est autre chose » et d'en faire le titre de son anthologie où sont recensées « 1001 définitions de la poésie », publié dans la collection « Les Cahiers d'Arfuyen », éditions Arfuyen (15 euros). Bien sûr tout tient dans ce « 1000 + 1 » qui maintient la voie ouverte vers quelque soleil futur !
C'est ce vacillement que nous donne à lire Gérard Pfîster. On feuillettera ce livre comme on tournerait un cristal. Huit facettes, huit approches défînitionnelles : Affirmation, Connaissance, Emotion, Licorne, Musique, Objet, Révélation, Vie. Le tout réunissant quelques 650 citations de quelques 250 auteurs d'époques, de langages et de sensibilités très diverses.
C'est un sacré service que Gérard Pfîster rend à la poésie contemporaine tant il est vrai que ce livre aide à nous la faire comprendre et aimer. Les passionnés sont toujours passionnants ! Gérard Pfîster est de ceux-là !
Parce que nous fêtons cette année le centenaire de sa naissance dans un silence assourdissant, j'aimerais souligner ce chemin ouvert par René Daumal dans ce toujours fameux débat entre prose et poésie : « la prose parie de quelque chose, la poésie fait quelque chose par des paroles ». Le poète est celui qui fait. Que ce sens grec du mot reste à notre horizon et nous comprendrons que là où l'on a « rythmé la langue dans l'émoi », comme le rappelait Pierre Michon, à Mouans-Sartoux le 5 octobre dernier, là se trouve la poésie.

© Alain Freixe

02/06/2008

Lu 25 - Coleridge, La ballade du vieux marin

( Vient de paraître, Samuel Taylor Coleridge, La ballade du vieux marin et autres textes, Poésie/Gallimard, Cat 7)113432f5134e6a0ccc338f32cb4acff8.jpg



Romantique Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) ?
Oui, et pour plusieurs raisons. Dans une très éclairante préface Jacques Darras qui a assuré la traduction de ces textes – l’essentiel de l’œuvre poétique de Coleridge -  s’attache à mettre en évidence ses errances de marcheur puissant – Il faut l’imaginer en « voyageur perdu au-dessus d’une mer de nuage », de dos, les yeux perdu au loin surplombant la nature sauvage du pays de Galles et des Lacs du côté de son ami le poète Wordsworth avec qui il composera durant l’année 1797 ces Lyrical ballads, publiées sans nom d’auteur, qui vont « révolutionner la sensibilité poétique » d’alors – ou de voyageur – Avant les deux années passées à Malte entre 1804 et 1806 d’où il reviendra profondément changé physiquement, ce sera l’Allemagne où il séjournera entre septembre 1798 et décembre 1799, année de rupture où il découvre les philosophies de Kant, Schelling et Hegel et d’où il reviendra profondément changé intellectuellement.
Romantique, certes, mais avec un pied déjà dans la modernité comme en témoigne son amour pour les grandes villes, Londres notamment où il retournera toujours pour ses lieux de parole : cafés, salles de conférence.
Pour Jacques Darras, il est la figure exemplaire de « l’esprit européen (…) pionnier, découvreur de langues, de littératures et de sensibilités », figure malheureuse tant il eut à vivre la césure entre sensibilité et rationalité, poésie et philosophie. De fait, les grands poèmes de Coleridge sont tous d’avant son séjour en Allemagne. Tout se passe comme si à 26/27 ans il « s’opérait vivant » de la poésie comme Mallarmé le dira plus tard pour Arthur Rimbaud !
Il faut lire ces poèmes dont la célèbre Ballade du vieux marin, cette errance maritime d’un vieux marin coupable d’avoir tué un jour un albatros, « l’oiseau par qui le vent soufflait ». C’est dans ses mots qu’erre le vieux marin. Et nous avec lui, pris au filet de sa parole, renvoyés à notre propre errance de sujet sans place. À l’image d’un souffle sur la mer, ainsi allons-nous !

20/01/2008

Lu 20 - Avec Guillevic sur le chemin des sèves

( cet article est paru dans une version abrégèe dans L'Humanité du jeudi )
Il s'agissait de fêter le centenaire de la naissance de Guillevic et de faire signe vers deux publications importantes:D'abord, Possibles futurs, Poésie/Gallimard, cat 2; puis, Relier, poèmes (1938-1996) NRF, Gallimard,29 euros.)

2007 : que de centenaires ! De René Char à Maurice Blanchot en passant par André Frénaud, Georges Schéhadée , comment pourrais-je oublier Eugène Guillevic dont s’est aussi le dixième anniversaire de la mort ? À côté de colloques, exposition, rencontres – j’écris cette chronique alors que se déroule bien loin de mes montagnes un Hommage à Guillevic à Saint-Arnoult-en-Yvelines, Maison Elsa Triolet et Aragon -  des publications. Si je commencerai par signaler Du pays de la pierre aux éditions de la différence qui réunit le poète, Lucie Guillevic-Albertini et le sculpteur Boris Lejeune, les deux livres des éditions Gallimard retiendront mon attention. Le premier, c’est la réédition de Possibles futurs dans la collection Poésie/Gallimard ; le second, Relier est un fort volume – quelques 800 pages ! – que nous devons aux soins attentifs de son épouse qui a réuni les recueils ou poèmes parus entre 1938 et 1996.

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11/10/2007

Vient de paraître : Alain Freixe - Dans les ramas

1c4415c33e4d90bf1ebc93b9f50901c9.jpgAux éditions de l'Amourier, route du col Saint Roch, 06390 Coaraze vient de paraître dans la collection Grammages (19 euros) mon troisième livre après Comme des pas qui s'éloignent (1999) et Avant la nuit (2003). Je l'ai intitulé Dans les ramas.

J'ai demandé à mon amie Anne Slacik de m'accompagner au moyen d'un frontispice. Plus tard dans un1914af1924050320686b7f0295e7dd94.jpg tirage de tête.

 

 

 

 

J'ai risqué le mot « ramas » pour aller contre le sens péjoratif qui s’attache aujourd’hui à l’idée de « ramassis », amas informe, tas et pour valoriser au contraire l’idée d’ajustement qui préside à cet art de confectionner ces fagots de bois tombé à partir des brisées abandonnées au sol soit par les vents et les orages, soit par les bêtes de la nuit en leurs passées et qu’on laisse en forêt au pied de quelques arbres.

 

Ce sont ces ramas qui permettent de démarrer tous les feux. Ceux tournant des livres aussi.
Histoire de faire signe vers ce bois partageable qui attend en nos forêts et sur lequel aucun pouvoir n’a de prise. Ici donc cinq ramas, passeurs de feu, de silence, de sens. Qu’un vent tisonnier avive.

 *

Extrait de la note de Jean-Marie Barnaud mise en ligne sur le site remue.net:

On ne progresse pas, en écriture: on endure une expérience qui, peu à peu, apprend qui l'on est. Appelons ce creusement une fidélité, et acceptons qu'il donne quelque chose d'autre encore à endurer, s'il est vrai que le poème ne prétend à aucune solution mais enseigne simplement l'évidence d'une sorte de cogito de l'énigme. Le poème ouvre la parole à toujours plus d'incomplétude, en effet, à plus d'incertitude, dès lors qu'il se refuse aux plaisirs esthètes et qu'il accueille et fait entendre l'inquiétude d'une voix qui habite et interroge ses apories.
Je me suis redit cela, lisant ce dernier livre d'Alain Freixe, et y retrouvant une telle inquiétude dans le frémissement si particulier que procure chez lui la rencontre du halètement des phrases, de leurs coupes brutales, de leurs intermittences, avec la surprise d'images violentes ou complexes, et que soutiennent plus particulièrement tout au long de ce texte-ci le jeu insistant de couleurs opposées (...) 

*

On lira une présentation et quelques larges extraits de Dans les ramas sur le site de l'écrivain Claude Ber: http:/www.wmaker.net/claudeber2/

27/06/2007

Salah Stétié - Lampe du sens sur le sentier obscur

( Cet entretien que j'ai mené en février 2004 avec Salah Stétié est paru au printemps de la même année dans le N° 86 de la revue Friches, Cahiers de poésie verte, Le gravier de Glandon, 87500 Saint-Yrieix, que dirige mon ami Jean-Pierre Thuillat. Daniel Aranjo avait participé à la mise sur pied  de ce dossier. )

Alain FREIXE. - Vous me pardonnerez, mais je ne puis commencer cet entretien sans vous poser la même question que celle que vous posait, en 1995, Daniel Leuwers, dans la revue Europe: « Salah Stétié, comment vivez-vous cette "question arabe" dans ses développements récents les plus tragiques ? ».4d88038a17ff69c7dfe282375cbf9f5d.gif

Salah STÉTIÉ. -Question pour moi douloureuse –plus douloureuse encore qu'elle ne se posait en 1995. Jamais le monde arabe, sous l'apparence calme qu'en donnent certains Etats, sous celle, ô combien tumultueuse, qu'en fournissent d'autres, n'a été aussi fragile, aussi peu maître de son destin, aussi réduit à l'impuissance, aussi livré à l'autodestruction et aux macérations amères qui en découlent. J'avais, aux divers postes de responsabilité où je m'étais trouvé par la force des choses (Ambassadeur à l'UNESCO, aux Pays-Bas, au Maroc, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères à Beyrouth), très mal vécu sur plus de quinze ans la guerre « civile » libanaise. On appelle « civile » la guerre la plus incivile qui soit, c'est là l'une des dérisions du sens dont je n'ai pas fini d'épuiser le non-sens. Il est vrai que la guerre libanaise, à part quelque soixante mille hommes recrutés et armés par des puissances extérieures, n'avait de libanais que le fait d'avoir pour théâtre le territoire qui lui servait de scène au quotidien: meurtres, violences de toute nature, attentats, assassinats, bombardements aveugles, tout ce que le monde devait voir par la suite se reproduire dans l'ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Iraq, et, par-ci, par-là, sur le inode mineur, dans d'autres régions du monde. Mon pays avait pourtant le privilège d'avoir derrière lui une longue, très longue histoire, et il a de ce fait réussi, au bout de quinze ans de délires et d'exactions de toute sorte qui lui ont été imposées, à retrouver sa sagesse millénaire et, dans la mesure du possible, se reprendre en main et réorganiser son système politique qui doit gérer, dans l'équilibre, le destin commun de dix-huit communautés différentes sur le plan religieux et, jusqu'à un certain point, culturel. Pour le reste, à savoir la question arabe en général, j'ai - tout en me félicitant de l'élimination de l'affreux Saddam Hussein - le plus grand mal à accepter l'occupation, par la coalition créée autour des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, d'un pays de vieille civilisation comme l'Iraq. J'attends aussi avec impatience et colère, oui: colère, la fin de ce qui se passe actuellement en Palestine: il faut que ces  deux peuples, le palestinien et l'israélien, trouvent enfin le chemin du dialogue, du respect mutuel, du droit international, que justice soit rendue au dépossédé et que le bon voisinage remplace la méfiance et la haine réciproques: « Si tu veux la paix, prépare la paix », dit Platon.AF - « Satah Stétié, poète arabe », c'est là le titre du livre que Daniel Aranjo vous a consacré aux éditions Autres Temps (l septembre 2001). Le substantif dit un droit, droit à l'exil de tout homme qui, parce qu'il parle, perd le monde et tente obstinément d'y reprendre pied, souffle et sens; I'épithète un fait, difficile à cerner. Existe-t-il un « pays arabe », une patrie linguistique et culturelle arabe ?SS - Il existe une langue arabe, une culture arabe, une civilisation arabe, complexe, qui a produit, à travers et au-delà du fait religieux, une littérature, une philosophie, une architecture, une poésie, une musique, un art de vivre, que sais-je, et c'est tout cela qui alimente la conscience et l'inconscient collectifs. Je suis le fils de cet héritage-là comme je suis le fils de ma culture française. J'ai la chance-je l'ai souvent écrit d'être un métis intellectuel et spirituel, un homme à cheval sur deux mondes. C'est cela que Daniel Aranjo a compris et c'est cela qu'il met en évidence dans son livre aussi renseigné qu'intuitif.


AF- Je ne me souviens plus dans lequel de vos articles consacrés à la poésie vous rappeliez ce mot de Flaubert: « la civilisation est une histoire contre la poésie ». Cette guerre, de quoi est-elle fondatrice à vos yeux ?


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15/06/2007

Lu 13 - André Velter et la "fée des glaciers"

medium_Velter-L_amour_extrême.jpgLettera amorosa, fin de partie ? Voire ! « La poésie est le lien privilégié où se disent ensemble l’amour des êtres (Amors) et l’amour de la langue » Comme ces mots de Jacques Roubaud bornent bien le livre d’André Velter, L’amour extrême et autres poèmes pour Chantal Mauduit (Poésie/Gallimard) dans lequel il a regroupé les trois livres dédiés à sa femme céleste.
Trois chemins. Le premier est celui d’un cœur dévasté qui avec Pavese réclame que « la mort vienne » puisqu’ »elle aura tes yeux » ; le second mènera André Velter jusqu’au sommet de « l’amour extrême », il prendra le troisième pour redescendre avec un « oui définitif / qui n’abdique jamais », en lieu et place d’âme, cette « part divine / qui ne vit que de toi ».De même que le troubadour Peire Vidal écrivait, à propos de ses poèmes, que les amants trouveraient réconfort à lire ses vers, de même nous trouvons de quoi nous réchauffer au « feu clair » qu’André Velter a su tirer de « la neige glacée » qui s’abattit sur lui comme sur « la fée des glaciers » un certain jour de mai 1998 sur les pentes du Dhaulagiri. Il faut lire André Velter pour voir comment « l’amour extrême » , mots qu’il emprunte au troubadour Jaufré Rudel – « Ta mort, mon amour, a changé l’amour en destin » - n’est pas exclusif mais extensif. Puissance démultiplicatrice. Ainsi lorsque l’Ami dans les magnifiques dialogues de l’Ami et l’Aimé du grand philosophe et mystique catalan Ramon Lull demande à son Aimé s’il reste encore quelque chose à aimer, l’Aimé lui répond « tout ce qui peut multiplier l’amour, est encore à aimer » Tel est « l’amour extrême » : un « ermitage, écrit André Velter, qui n’a pas de toit, pas de fronton, il est de plein vent et de pleine clarté ». « L’amour extrême » est passage, « esquif aimanté qui s’éloigne de la terre, reste à l’écart du ciel, sans renier la terre ferme, sans congédier le ciel ». Il faut lire André Velter pour voir comment la poésie sait  sait « (garder) force de mots / jusqu’au bord des larmes », selon les mots de « la soupçonnée » de René Char et comment elle est forme d’homme !

02/04/2007

Lu 11 - La lettera amorosa de Jean-Pierre Siméon

( Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Cheyne Editeur, 2005, 13, 50 euros)medium_Siméon066.jpg

 

Peut-on écrire encore des poèmes d’amour ?
L’entreprise semble impossible depuis le grand feu surréaliste ! L’amour la poésie, vous vous souvenez ? Eluard, 1929 ! L’amour la poésie, et sans coordonnant s’il vous plaît ni même l’ombre d’une virgule pour couper/lier ces deux mots. Rien, fusion.
Et voilà que m’arrive cette Lettre à la femme aimée au sujet de la mort de Jean-Pierre Siméon. Une lettre d’amour, cela s’ouvre un peu à contre jour. À l’abri, dans le calme et le repos. Pour une joie.
Les poèmes de Jean-Pierre Siméon « (ôtent) la pierre sur (nos) souffles ». oui, dans l’excès de leurs coups de vent – ce lyrisme qui « (sait) être dans le cri / sans le cri » - ils nous aident à déchirer l’asphyxie qui nous menace. Avec eux, l’air accourt, la fraîcheur, la tendresse de « cet autre cœur / qui n’est pas un muscle ». Oxygéné de cet air autre qui fait claquer les mots des poèmes, il s’ouvre « au sens inexprimé des choses ».
Lyrique, Jean-Pierre Siméon ? Oui, c’est un grand remueur et rumineur de mots. En images, ils remontent des quatre coins : Amour, révoltes, mort, vie. Saturés de richesse, ils se clarifient au feu de l’effusion. Alors la verdeur du chant se prend à eux. On reconnaît bien là le directeur artistique du Printemps des poètes, sa fougue mise au service de la poésie, cette manière bien à lui de traverser le monde avec étonnement et générosité, ferveur et fermeté. Poésie qui sous toutes ses formes « mets les pieds dans le plat de l’existence » !