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20/01/2008

Lu 20 - Avec Guillevic sur le chemin des sèves

( cet article est paru dans une version abrégèe dans L'Humanité du jeudi )
Il s'agissait de fêter le centenaire de la naissance de Guillevic et de faire signe vers deux publications importantes:D'abord, Possibles futurs, Poésie/Gallimard, cat 2; puis, Relier, poèmes (1938-1996) NRF, Gallimard,29 euros.)

2007 : que de centenaires ! De René Char à Maurice Blanchot en passant par André Frénaud, Georges Schéhadée , comment pourrais-je oublier Eugène Guillevic dont s’est aussi le dixième anniversaire de la mort ? À côté de colloques, exposition, rencontres – j’écris cette chronique alors que se déroule bien loin de mes montagnes un Hommage à Guillevic à Saint-Arnoult-en-Yvelines, Maison Elsa Triolet et Aragon -  des publications. Si je commencerai par signaler Du pays de la pierre aux éditions de la différence qui réunit le poète, Lucie Guillevic-Albertini et le sculpteur Boris Lejeune, les deux livres des éditions Gallimard retiendront mon attention. Le premier, c’est la réédition de Possibles futurs dans la collection Poésie/Gallimard ; le second, Relier est un fort volume – quelques 800 pages ! – que nous devons aux soins attentifs de son épouse qui a réuni les recueils ou poèmes parus entre 1938 et 1996.


Ces textes, introuvables ou peu accessibles, ont connu une édition limitée, fruit  des rencontres entre le poète et des peintres, des graveurs, des sculpteurs…Et on se prend à rêver : quelle belle exposition il y aurait à faire avec ces compagnonnages, ces livres d’artistes – « livres de dialogue » selon Yves Peyré, « livres singuliers » selon Jean-Gabriel Cosculluela… - livres d’amitié  car c’est elle qui dresse le texte sur les  pages – Et c’est déjà tout Guillevic pour qui le poème trouvait à s’inscrire verticalement comme un menhir sous le ciel vide., face au temps !
De ces livres là, nous sont offerts aujourd’hui les textes. Ici, reliés.
Relier ? S’il y a dans ce mot toute la patience du lierre, le silence de ses crampons ; il y a aussi le mot relire et donc, a fortiori, le mot lire. Et y a-t-il autre manière de commémorer un poète que de le lire ? D’aller écouter dans ses textes d’hier et d’aujourd’hui sa voix ?
La voix d’Eugène Guillevic est une des voix singulières de la seconde moitié du XXème siècle.
Voix qui s’est tenue éloignée de l’influence surréaliste ; voix qui saura se dégager d’abord de cette « poésie nationale » qui tourna court au sortir de la seconde guerre mondiale puis de l’action politique qui un temps a suscité et imprégné ses poèmes sans que sa poésie cesse pour autant d’être fraternelle. Pour cette raison au moins qu’écrire des poèmes pour Guillevic ce fut chercher à tenir en ce monde avec les hommes, partager les colères, les espoirs de ceux qui n’acceptent pas comme une donnée fatale et définitive le monde comme il va mal – « on tue dans le monde / et tout massacre nous vieillit » - ; partager les mêmes questions et la même inquiétude : « il s’agit depuis toujours, écrit Guillevic, de prendre pied / de s’en tirer » et d’apprendre, toujours davantage et davantage toujours moins ce que l’on est que ce que l’on peut être. Solidaire, Guillevic le fut sa vie durant, traversant maladresses et erreurs politiques non sans quelques naïvetés mais solitaire dans son métier de pointe, sa pratique poétique. S’en sortir, certes mais en repassant par là où nous sommes entrés : par la langue, une langue travaillée – « Moi, façonnier », écrit-il – transformée jusque dans le change des formes.
Voix du peu de mots. Du peu d’images. Voix serrée. Voix verticale. Voix dont la parole saura accueillir, aimer et sculpter le silence. Oui, les poèmes d’Eugène Guillevic savent faire parler le silence Et s’il dit chercher « le secret qu’on appelle beauté », beauté qui n’est pas « un lieu où l’on arrive » mais « un point de départ », ses poèmes sont des « tremplins ». On y entend quelque chose comme le phrasé de ce qui n’a pas de nom. Quelque chose qui dans la déclosion de la parole se laisse entrevoir comme ce qui de toute manière restera toujours à dire : « cette chose / dont tu ne sais rien / qui te maintient en cet état / d’équilibre, de bien-être / où tu aimes / te sentir vivre ». Quelque chose qui se tient dans sa distance, ce « mystère » qui « est notre demeure », cela qu’il a toujours cherché à dire. Non dans le vertige mais dans la soif d’un contact – Ah ! Relier ! – avec le monde. Les poèmes d’Eugène Guillevic sont portes. Ils nous mettent au monde.
Lucie Guillevic-Albertini, dans sa préface, nous rappelle ces mots du poète Jean Tortel – trop oublié de nos jours ! – à qui l’on doit un très beau « Eugène Guillevic » dans la collection Poètes d’aujourd’hui (Seghers) : « c’est du Guillevic, comme on dirait c’est du tilleul ! ». Et elle ajoute : « l’entendant, je pensai en moi-même, non, Guillevic, c’est plutôt du pommier » avant que ne s’impose à elle l’image d’un « rugueux pied de bonne vigne ». Je dirai quant à moi que c’est du Guillevic comme c’est du bois, matière ligneuse dont sont faites les racines. Noueuses et que la terre a durcies de sorte qu’en soit protégée la chair toujours riche en sève. En vie. Et « sève à sève / nous sommes », «écrivait Guillevic !

Commentaires

Relier. Relier le corps à l'arbre, la terre au ciel, le coeur aux coeurs autres, les mots aux mots, comme on tisse de multiples fils, patiemment, avec l'attention juste, le regard émerveillé, jusqu'à ce qu'apparaisse un seul tissu.
Relier. Unir. Aimer. Les plus somptueux verbes du monde.

Écrit par : Rosemai | 05/02/2008

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