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25/12/2009

Lu 45 - Jacques Ancet - L'identité obscure

Couv Ancet-Identité obsc335.jpgIci, un silence passe. Traverse l’air d’une heure à l’autre. Dans le livre de Jacques Ancet comme dans ce qui s’offre à mon regard : une échappée, la saison qui file son noir, entre douceur et vertige. J’ai lu l’identité obscure de Jacques Ancet qui vient d’obtenir le prix Apollinaire 2009, 71ème du nom, comme on entend cette lumière qui vient de la réalité quand la troue le réel et que nous voilà jetés entre deux chants. Flottants. Suspendus.

L’identité Obscure ( Collection Terre de poésie, Lettres vives, 15 euros) ce sont 13 chants de quelques 85 vers pour la plupart et 76 parfois. Ajoutez 8+5 et 7+6 et vous obtiendrez 13.On sait Jacques Ancet soucieux de « la vertu des nombres ». Ils arment musicalement ses poèmes et ses livres. Ces chants sont portés par la basse continue d’une même énergie provenant de cette « profondeur obscure où les mots sont des actions » selon l’affirmation de Faulkner.

J’aime ces poèmes parce les lire me rejette au plus loin de moi-même, m’éloigne de ce personnage encombrant, ce moi tissé d’ombres pour dans le ballet de la lumière d’entre les mots laisser danser l’inconnu.

J’aime lire Jacques Ancet parce que les yeux, ces bavards, se taisent pour entendre. Ils ne lisent plus le monde, ils ne voient plus, ils entendent ce qui ploie les choses, cette force qui ici jaunit les mélèzes, rougit les sumacs, cette poussée au dehors qui passe par le travers du monde comme un souffle, un appel, dit souvent Jacques Ancet, à plus de réel dans la déroute de nos yeux grillagés de trop de savoirs.

« Seul le regard sauve » : cette affirmation de Simone Weil, Jacques Ancet pourrait la reprendre à son compte. Nous ne voyons pas ce que nous voyons ou plutôt ce que nous voyons, nous le lisons, forts de ce savoir qui ramène tout à du connu, savoirs constitués où la société impose sa vision et ce qu’elle fait du monde et des hommes qui toujours plus servent et sont asservis. Ainsi va la réalité et son identité claire, cet en face où « les images recouvrent le jour », où « les noms (nous) submergent », cette somme de ce « que (nous) pouvons nommer » dont le bruit terrible mêle les fureurs de surface où les hommes chassent les hommes aux fracas des choses qui « s’effondrent sous leur nom » où « la vie ressemble à la vie » et « c’est une image / mais qui peut vivre dans l’image ? ». Qui peut vivre « sans inconnu devant soi », comme le demandait en son temps René Char ? Qui peut vivre sans cette ouverture de la réalité sur le réel qui toujours la déborde : ces riens sans nom qui loin de nous jeter hors du monde nous le rendent comme neuf et toujours jeune ?

C’est sur « le fil du présent » que se tient Jacques Ancet comme sur un chemin de ronde. Il va funambulant sur un vacillement, un presque rien, un je ne sais quoi qui va se perdant toujours sur une fine lame de présence, entre hier et demain : « Je guette dans son imminence la vibration du monde, celui qui vient n’a jamais de forme, c’est comme une aube ». Ce « pur venir », c’est dans la soudaineté de l’instant qu’il se donne, dans « l’éclat d’un instant suspendu ». Et pour faire signe vers cela qui est au-delà de tous les noms, pure qualité de présence qui déjà s’efface », Jacques Ancet risque l’oxymore d’ « explosion immobile ».

Quelque chose comme un « feu » qui « est partout », qui est « insaisissable » sauf – car les derniers pas sont de lui ! – lorsqu’il le saisit et que « soudain tout est désordre noir ». quelque chose qui s’ouvre sur. « Quelque chose comme une embrasure », une meurtrière, cette étroite ouverture par où nous vient cette « beauté du moment qu’il nous faut laisser passer / et garder à la fois », écrit Jacques Ancet. Quelque chose comme une identité obscure, « puits noir » où « rien n’est identique », un éclat redisons le où « soudain toutes les lumières se réunissent, toutes les poussières ».

C’est cela qu’il faut garder. Cela que dans les mots du poème, entre eux – « l’insterstice seul te sauvera » - Jacques Ancet prend sous la sauvegarde de sa parole. Parole fraternelle. Son timbre, je l’entends encore alors que le soir en tombant rapproche le ciel et que déjà deux/trois étoiles se prennent aux branches. Bernard Noël donne le nom de « tendresse » à cette « impression que produit un agencement verbal qui, par sa fluidité, son euphonie, sa simplicité dégage une aisance attentive où le lecteur trouve l’éveil à une harmonisation », à cette voix silencieuse qui porte cette identité obscure par où un « oui » au monde est toujours possible, un « oui » qui puise sa force et sa violence affirmative en un « non » résolu à tout ce qui conspire à perdre cette chance d’homme que nous sommes. Encore.

 

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