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02/04/2009

Pier Paolo Pasolini, C. lu par Yves Ughes

Ypsilon.Éditeur naît en septembre 2007 afin de publier Un coup de Dés – dans le format et avec les caractères et les illustrations (d’Odilon Redon) que devait comporter l’édition originale préparée par Mallarmé chez Ambroise Vollard. À coté, nous publions l’édition originale de la première traduction arabe du poème par Mohammed Bennis.

Ce double premier ouvrage est représentatif de l’esprit de la maison qui va se consacrer à la littérature (française et étrangère), à la typographie (histoire et création) et aux beaux-arts (peinture, dessin, photographie, estampes).

Contact: 29 boulevard de Clichy, 75009 Paris - tel: +33 (0)6 29 45 49 07 ou contact@ypsilonediteur.com



Pasolini - copie.jpgAvec les grands poètes, il est toujours des fragments qui remontent des fonds, monstrueux comme créatures des lieux opaques, comme créations chargées de lourdes ténèbres.

Il en va ainsi de ce texte de Pier Paolo Pasolini, au titre mystérieux, codé, Chatoyant : « C. » que publie Ypsilon.Editeur(17 euros):
« Le 18 novembre 1965, Pasolini écrit à l’éditeur Giulio Einaudi : je vous enverrai d’ici quelques mois un poème, appelons-le ainsi, qui, étant une chose parfaitement extravagante et « hors œuvre », figurerait très bien comme publication isolée, dans votre collection. Il s’intitule « F ».
F. (C. dans notre traduction), la fica, la figue et pour nous, la chatte est l’objet et le destinataire.

L’audace se fait ici calligramme. Un losange ouvre le livre, s’ouvre, s’offre comme lèvres dilatées               (…)
fournit à une mère géant-
e, toi libre du petit sac de la
culotte, au soleil comme un
biscuit trempé de lait,
(…)
on le perçoit d’emblée : l’obsession s’installe et s’exacerbera jusqu’au sacré : le losange de l’origine du monde appellera en écho la croix, figure si proche et marque d’une matrice également mystérieuse. Pasolini rapportait le dicton Celui qui n’aime pas la chatte n’aime pas Jésus.  Ainsi va, se crée et prend forme la démarche poétique, dans la lacération des morales établies, dans l’évaporation des certitudes et la conquête, mot après mot, de la dé-composition. Le cœur palpitant établi, on peut voir s’agencer le chaos du monde.
Et ainsi :
que la poésie soit intégrale,
il faut détruire son unité !

je ne peux pas : l’expression revient en liet-motiv, car la question d’être au monde se révèle au gré des lignes écrites comme une question impossible. Dans la conscience passent drapeaux et cortèges, présences et absences, défilés fantomatiques. Le sens –qui relève  de la démarche officielle et académique- se serait bien installé dans des formes sociales et/ou prophétiques, mais la vulgarité domine toujours et sans cesse elle revient vers ce point central qui fascine : l’humidité aimantée de la chatte :

figue, trou de médiocrité, puits d’égalité,
cloaque de résignation, bassine d’imitation,
vase de conformisme,

Libérer dès lors le cours des vers, jusqu’à ce qu’ils soient « hors œuvre ». Y mêler les cendres de Gramsci, l’enterrement de Togliatti. Car l’œuvre révolutionnaire travaille dans le démembrement, l’écartèlement de la prosodie, l’acharnement frénétique contre la phrase.

Face  à la « C. » le langage prend acte de son impuissance, il se décompose pour nous inviter à une marche collective vers le trou béant du sens. Vertige et recomposition nécessaires.

et  Tu es là, au Centre,
Commun Dénominateur de tous,
derrière  un sale buisson sur la pente glissante.
AU TRAVAIL, AU TRAVAIL,
Œil de chair qui ne voit pas !

Partant de cette publication insolite et excellente, à chacun de s’y mettre.


30/03/2009

Patrick Joquel - En chemin

( Entre quelques voyages pour les loisirs ou pour la poésie (lectures, conférences ou formation professionnelle pour les enseignants), Patrick pj au bego 007 photo Raphael Thélème - copie.jpgJoquel partage ses jours entre les bord de la Méditerranée sur la côte d’Azur, et les cimes du Mercantour… "Difficile de choisir entre ces deux absolus : l’un de silence et l’autre de solitude, dit-il, les deux nourrissent l’écriture." Pour découvrir ses publications : http://joquel.monsite.orange.fr et suivre les liens…
Depuis 2007, il essaye avec quelques amis un peu fous aussi de faire vivre une revue de poésie Cairns, le numéro quatre est sorti en janvier 09. le site de l’association éditrice : http://monsite.orange.fr/pointesarene )



Nous suivons la langue étroite du torrent
le sentier nous tient
il nous élève
abrupt

Nous allons cœur et souffle en prise avec le dénivelé. Les cuisses flambent l’altitude et nous nous élevons sans autre à coups que le poids du corps qui passe d’un pied sur l’autre.

Nos yeux s’arrêtent sur la falaise à l’affût d’une saxifrage à fleurs multiples. Il y en a deux. Hampes dressées dans l’ombre. Elles nous dominent
verticales
inaccessibles 
patientes et tenaces

Nous calmons nos corps un instant. La sérénité du lac Autier les apaise et nous reprenons la marche les pieds allégés par le silence.

La brèche où nous devons porter nos poids nous appelle et le vaste pierrier qui la défend semble nous inviter à goûter sa minéralité tout en nous narguant de son chaos

La marche nous masse et nous vibrons sur la peau des pierres

Les cairns
dociles
déroulent
si lentement
le passage
que nous envions
l’agilité du chamois

D’un caillou à l’autre
l’œil aux aguets
la beauté des pierres

Je voudrais caresser le grain de leur peau
apprendre à lire leurs géographies intimes
déchiffrer leurs cartographies de lichens

Le lent démantèlement de la montagne par la glace et ces millions d’années d’érosion pour la rendre accessible aux randonneurs fous que nous sommes… car il s’agit bien de folie n’est-ce pas que de vouloir se confronter à ce chaos quand nos fauteuils sont si confortables les documentaires télés si remarquables

Nous nous posons sur la brèche du lac Autier
enfin


et jusqu’au Capelet
nous ne serons plus que regard

Du sommet
nous suivons l’étagement des lacs
vu de cette hauteur le trajet du glacier devient une évidence
son étreinte aussi 
nous demeurons

suspendus à ce plus haut silence
et nous touchons de tous nos yeux notre présence au monde
être vivants pour nous
c’est respirer
ici

Une marmotte siffle sa présence
un aigle
la mort menace
et toujours
tenace
et toujours
emmêlée à la beauté

fragile éphémère

Que sommes-nous
chacun en notre espèce
que sommes-nous en ce vaste monde
sinon quelques kilos de chairs animées de petites étincelles
?
On en surprend parfois de ces étincelles au croisement des regards ou des mains
une impalpable chaleur se partage alors

La même chaleur tactile que les peaux caressées jusqu’à l’orgasme embrasent


extrait de Les cairns m’ouvrent le chemin (inédit)
© Patrick Joquel

Balise 44- Question de rythme (2)

"Le rythme révèle l'espace. Non pas un espace déjà là, constitué en dehors de lui, mais l'espace qu'il ouvre en s'accomplissant et dont la genèse est une avec son apparaître. Un rythme ne se déroule pas dans l'espace. De même que la dimension première du verbe est l'aspect, ce schème de l'image verbale qui apporte et emporte avec soi la tension de durée qui lui est propre, son «temps impliqué» dit Gustave Guillaume, de même un rythme ne s'explique pas dans l'espace (ou le temps) comme fait l'éloignement d'un train qui relève les distances par rapport à celui qui l'écoute dans la nuit. Il n'est pas accessible à une visée intentionnelle, parce qu'il n'est pas de l'ordre de l'objectité. Il n'est objet ni de représentation ni de perception. Il n'est pas : il existe. Il est articulation de l'existence : il articule la spatialité du à..., d'une présence à...
Ce pouvoir du rythme est le fondement de tous les arts."

Henri Maldiney

17:22 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

19/03/2009

Turbulence 30- ça suffit!

Eric Maclos est un poète que j'ai rencontré  à l'occasion de la dernière fête de l'Humanité.Il publie entre autre à l'Atelier La Feugraie. Il est libraire de profession. C'est lui qui depuis quelques années s'occupe du rayon "poésie" de la Fnac du Forum des Halles à Paris . Pour une fois, la poésie contemporaine se voit!

La FNAC restructure; Elle a aussi son "plan social"!!!
De plus, Eric Maclos est menacé personnellement de licenciement en raison de ses activités syndicales au sein du groupe Fnac.

Faites-le savoir! Faites savoir que "ça suffit!"

Je reprends les termes mêmes de son message. Reprenez-le à votre tour!Témoignez de votre solidarité en écrivant à <eric.maclos@orange.fr>

 

Eric Maclos
C.G.T FNAC/FORUM
Le 18/03/09


Appel solidarité



Aux ordres du groupe PPR, la Direction de la Fnac veut imposer aux salaries un “plan d’économies » qui programme 400 suppressions d’emplois sur Fnac-France, dont 150 en province, 50 au siège, et 200 sur Fnac-Paris. Toujours à Paris, la Direction entend fermer le magasin de l’Opéra-Bastille, le seul de l’Est parisien (70 emplois environ), dans un projet intitulé … « reconquête du marché parisien » !
Ce magasin, entièrement dédié à la musique et au cinéma, se situe dans les locaux de l’Opéra.
Il participe activement du tissu économique, social et culturel du quartier, et au-delà….
J’en appelle donc à la solidarité inter-pro, j’en appelle donc notamment aux camarades de la CGT-Culture, qui peuvent efficacement intervenir et sur le site, et auprès du ministère….
Par ailleurs, dans ce combat de longue haleine, nous prévoyons d’organiser des rencontres citoyennes avec les clients, les salariés, des écrivains et des artistes de toutes disciplines…
Toutes les suggestions seront les bienvenues !!!!
Enfin, je dois souligner que la Direction utilise bien entendu tous les moyens de pressions et de répressions pour imposer ses projets.
Ainsi, au Forum des Halles, le délégué syndical CNT, mon ami  Jocelyn Faroche, et le délégué syndical CGT, à savoir moi-même, sont convoqué mardi 24 mars pour un entretien disciplinaire pour sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Nous n’avons nullement l’intention de plier les genoux, et nous entendons gagner ce combat….
Merci d’avance pour tout ce que vous pourrez entreprendre pour nous soutenir, déjà en faisant circuler ce message, puis en venant nous rendre visite, notamment à Bastille….
Bien à vous, fraternellement,

Éric

Patricia Cottron-Daubigné - Le corps dans le regard

( Patricia Cottron-Daubigné est née à Surgères en Charente-Maritime, elle vit et travaille aux abords du Marais Poitevin.photopatricia.jpg
Elle a publié des poèmes dans de nombreuses revues telles que Décharge, Friches, Poésie première, Triages, Contre-allées…

Plusieurs recueils ont été édités depuis Portraits pour ma mémoire en 1996 chez Soc et Foc (prix littéraire de la Région Pays de Loire) jusqu’à Elle, grenat noir au Dé bleu (2002), et plus récemment Journal du houx vert et de la bruyère aux éditions Gros textes (2005) et Des paniers de fruits dorés, comme aux éditions Tarabuste (anthologie 2006)...Elle vient de faire paraître Une manière d'aile aux imagemanieredaile.jpgéditions Soc et foc)

 

 

 

 

 

Le corps dans le regard


I


Le  corps est entré dans le cri
le visage aussi
depuis longtemps
elle cherche des mots
vivre si mal dans
le mot rouge par exemple
que faire avec
la couleur celle des fleurs
qui versent la lumière
ça pourrait ressembler à une
prière la lumière les fleurs
rouge pourtant le mot
c’est du cri dans la bouche
rouge mon amour .


II

Lui dans la voix qu’elle entend
de l’homme et le premier regard
le paysage qu’il est
la couleur rouge qui palpite
bordée de larmes
ils savent
les mots
dévorés de chair

Lire la suite

Balise 43-

"La présence qui s'éloigne dégage cette part d'absence qui la garde."

Bernard Noël

17:20 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

11/03/2009

Lu 36 - Joë Bousquet - Lettres à une jeune fille

couv JB-Lettre JF921 - copie.jpgOn le savait. Joë Bousquet, le poète immobile de Carcassonne (1897-1950), comme on le dit parfois, suite à la balle reçue le 27 mai 1919 sur le front de l’Aisne, à Vailly, vivra au milieu des couleurs de ses amis peintres - Quelques cent toiles de Max Ernst à Fautrier en passant par Tanguy, Miro, Dali, Dubuffet… - entouré d’amis et d’amours, présences dont il vivait.
On le savait. Joë Bousquet est un des grands épistoliers de cette première moitié du XX siècle avec Kafka, Rilke…De lui, on connaissait les « Lettres à Marthe » (Gallimard), celles « à Ginette » (Albin Michel », celles à Germaine appelée « poisson d’or » (Gallimard) enfin celles à Fanny (Verdier / Gallimard ) titrées « un amour couleur de thé », voici que paraissent celles « à une jeune fille », chez Grasset, à Jacqueline, Linette à qui il finira par donner, dans la plus pure tradition troubadouresque,  le « senhal » d’Isel. Toutes ces lettres baignent dans ce ton si particulier que leur donne l’amour qui les dicte, ton sur lequel insiste Bousquet lui-même. On l’y voit parler bas. Comme si c’était dans ses murmures, ces chuchotis que ses mots pouvaient traverser la nuit, franchir la  distance sans la nier, se jouer de la séparation et que ses pensées pouvaient finir par s’incarner en leur destinataire.
La lettre, pour Joë Bousquet, se met où le corps ne peut plus se mettre volontiers. Elle est lien charnel avec l’autre. Se lier par la correspondance, y voir naître l’amour, c’est s’installer dans l’éloignement, c’est accorder à l’absence un pouvoir : « la distance, Linette, bat et vit comme un cœur quand elle confond deux personnes au lieu de les séparer. »
Linette, jeune fille de quelques dix-sept ans, vient d’obtenir son baccalauréat. Sa cousine Suzanne, plus âgée, la conduit – nous sommes en janvier 1946 – jusqu’à la chambre où Bousquet semblait l’attendre, lui qui dès sa première lettre en fait « un charmant émissaire de l’avenir ». Nicolas Brimo, fils de la destinataire de ces lettres, évoque dans une bien éclairante préface, le souffle poétique de cette correspondance qui traduit le désir « d’entrer tout entier dans la personne d’un autre être sans l’empêcher d’être lui. » Entrer dans l’être aîné et l’éveillant à lui-même – On voit Bousquet vouloir tout enseigner, tout transmettre, en moderne Pygmalion, à la jeune fille – naître à son tour de celle qu’il aime.
Ces lettres d’amour sont comme autant de remontées au jour. C’est pourquoi elles le donnent à voir sous ses nombreuses facettes : le retour d’André Breton en France ; l’exposition de ses toiles surréalistes à Toulouse en 1946 ; l’affaire de la « liste noire » du Comité National des Ecrivains qui verra Bousquet prendre le parti de Jean Paulhan, André Breton contre ses propres amis Louis Aragon et Paul Eluard ; les visites de la photographe Denise Bellon venue faire un reportage sur sa vie…Elles véhiculent une idée de la poésie, héritée du surréalisme qui la met toute du côté de la vie : « C’est la vie qui est belle, écrit-il à Linette. Et la poésie est l’art de prendre la vie à sa source, de la reconnaître à sa saveur avant qu’elle ne vous ait reconnue. » Toutes insistent sur un des axes essentiels de la pensée de Bousquet en ces dernières années qui le voient courir sa dernière course que l’on trouve d’une part, au centre de ce très beau texte qu’il rédige pour Denise Bellon Au gîte du regard et que le Centre Joë Couv-Au gîte du regardd925 - copie.jpgBousquet et son temps a republié en 2003, c’est à savoir que « les événements ont leurs voies ; nous ne les créons pas, ils nous créent », et d’autre part, dans ce texte qu’il rédige pour Le journal des poètes de Pierre-Louis Flouquet qui paraît Couv-Soleil souterrain d924 - copie.jpgen janvier 1948 sous le titre de  Confession spirituelle et qui vient d’être repris par les éditions Finn, sous le titre, Le soleil souterrain, texte augmenté d’une lettre de Bousquet à Flouquet et d’une bien intéressante postface de Gaston Puel dans lequel il pose comme « seule morale (qu’il) retienne celle qui nous impose comme seul principe d’existence entière le fait qui nous advient » et le devoir d’y entrer en y portant tout son amour.
À lire ces Lettres à une jeune fille, on voit comment Linette participa de ce mouvement dans lequel était entré Joë Bousquet dans ces dernières années de sa vie : « un art de tout aimer, ainsi qu’il lui écrit, qui « est entrer dans son propre cœur», mouvement même de la poésie quand elle se fait source de vie.

© Alain Freixe

Balise 42 - la sensation d'une aigrette de vent aux tempes

"J'avoue sans la moindre confusion mon insensibilité profonde en présence des spectacles naturels ou des oeuvres d'art qui d'emblée, ne me procurent pas un trouble physique caractérisé par la sensation d'une aigrette de vent aux tempes susceptible d'entraîner un véritable frisson."

23:41 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie

Daniel Schmitt - Les secrets d'alcôve d'un haïku

Schmitt-Photo953.jpgDaniel Schmitt est né le 7 février 1929.
Ecrit depuis toujours .
Lectures dans les écoles, collèges, bibliothèques, depuis plus de 30 années.
Publie depuis 1986 une feuille poëtique La Besace à poëmes qu’il distribue au hasard des rencontres.
Incursions dans la chanson comme parolier, entre autre pour Henri Salvador
Nombreuses plaquettes et livres d’art depuis 1963.


Derniers ouvrages parus :
« le jours des pluviers » aux éditions Tipaza avec des illustrations de Gilles Bourgeade
« Conjugaisons » aux éditions R.A.Editions (Belgique) avec des illustrations de Dominique Maes
« Tomasito et saladelle » avec Jan Van Naeltwijck (éditions du Rocher)


A paraître :
« Petits Pains Poèmes » aux éditions du Jasmin (Pays d’enfance)) avec des illustrations de Gilles Bourgeade




Secrets d’alcôve d’un haïku



Peut-être l’ai-je vue il y a quelques semaines se cogner au carreau

Mais je ne peux pas dire
Absolument si je l’ai vue

J’ai dû la regarder sans la voir

Si je l’avais vraiment vue
Je l’aurais libérée

Je libère – au lieu de les tuer – guêpes et frelons qui entrent dans l’appartement
Pourtant je les redoute

Ce que je sais
C’est que je l’ai vue un jour
Tête dans l’angle de la fenêtre
Et que je l’ai touchée
Et que j’ai constaté qu’elle était morte et même ce geste
J’ai dû le faire un peu inconsciemment
Car ensuite
Du divan où je suis souvent assis
Je me suis surpris à la regarder
Et à me demander encore si…

…mais non ! …
sans doute l’ai-je toujours vue morte

Ces jours-ci
- d’autant qu’elle est toujours là de plus en plus sèche et recroquevillée -
J’ai beaucoup pensé à elle
A – sans doute – son long acharnement à rejoindre
L’espace si immédiat la lumière si présente
Les coups répétés contre la vitre
Jusqu’à l’épuisement
Et puis l’immobilité obstinée
Dans cette dernière tentative

Se mettre dans ce coin
Et mourir là
D’espérer un ultime passage
Sa grosse tête buvant presque
- si proches et si intouchables -
l’espace et la lumière

donc j’ai beaucoup pensé à elle
a la fixer dans cette forme de poësie japonaise qu’est le haïku et que j’essaie depuis longtemps de pratiquer en l’adaptant à ma langue

dire
l’instant ordinaire d’une contemplation où l’on s’absente deans la chose nommée

j’ai fait plusieurs essais
les voici dans l’ordre de leur composition

1-
dans ce coin de vitre
tournée vers la lumière
elle est morte la libellule

2-
contre la vitre
elle est morte
la libellule

3-
dans ce coin vitré
tournée vers l’espace
elle est morte la libellule

4-
a cet angle vitré
face à l’espace
elle est morte la libellule

5-
dans ce coin vitré
une libellule
morte

6-
dans ce coin vitré
face à l’espace
une libellule morte

7-
dans ce coin vitré
face à l’espace
la libellule morte

…et puis la huitième fois, il me semble avoir trouvé

A l’angle vitré
Face à l’espace
Morte – la libellule

Dans les essais 1-2-3-4 la construction du sens « elle est morte la libellule » trop facilement « musicale ». à cause de l’octosyllabe donne au poëme une tonalité qui me paraît molle, trop « sentimentale » et « émouvante ».

« Face à l’espace » est meilleur que « tournée » (essai 1 et 2) parce que plus bref plus évident et aussi « lisible » de deux manières différentes : face…de la libellule – (faisant) face…à l’espace.

Dans ce coin de vitre…
Dans ce coin vitré…
A cet angle vitré…

« Dans » n’est pas « juste »
« ce » est trop précis
« coin » pas assez
« angle » est à garder ainsi que
« a » (cet angle…) mais « cet » n’est pas souhaitable.

5l ne « mérite » pas cette « dénonciation ».
Et « vitré » mieux que « vitre » puisque deux e muets vont terminer les deux vers suivants.

« vitre » est ouvert (ou mieux : ouverte !)
« vitré » fermé
fermé à l’espace (e muet ouvert)
à la libellule (e muet ouvert)

Dans l’essai N°2 « contre la vitre » on dirait trop qu’elle s’est tuée de mort violente en se jetant « contre la vitre ». L’image de la mort lente est absente ici.

Dans les essais 5-6-7 « dans ce… » même remarque que précédemment.

Dans l’essai N°5 on ne sait pas comment elle est morte ni pourquoi
Pourtant cet essai N°5 me paraît assez proche d’une réussite – après tout est-il besoin de préciser – même indirectement dans un haïku – le comment et le pourquoi ?
Mais alors il eut fallu écrire :
Dans ce coin vitré
Morte
Une libellule

Dans le 6 et le 7 on le sait – « face à l’espace » qui me paraît mieux convenir au « manque » de la libellule que « la lumière » du premier essai puisque la lumière elle l’a malgré tout – bien qu’indirectement – derrière la vitre et dans l’essai N°7 « la » libellule morte convient mieux qu’ »une ».
Cette libellule je l’ai contemplée longtemps elle s’est personnalisée par sa présence têtue, vivante ou morte, « une » est devenue « la » puisque directement liée à mon « environnement.
(Dans les essais 1-2-3-4, j’avais déjà « trouvé » « la » puis m’en étais à tort éloigné dans les essais 5 et 6)

Mais « la libellule morte »…
…cet assemblage de mots
fait couler le poëme dans une vague « écoute »
qu’elle soit de l’oreille ou de l’œil
et détruit pratiquement l’objet du poëme

Ce n’est qu’un tableau triste qui ne dépasse pas le sentiment

Mais si je place « libellule » en fin de parcours
Je la nomme très fort
Après qu’elle est « morte »
(premier mot du dernier vers annonçant « la couleur »)
Je l’intronise ainsi dans l’absolu du langage puisqu’il n’y a rien après elle
Aucun mot

A l’angle vitré
Face à l’espace
Morte – la libellule

© Daniel Schmitt

Texte écrit les 14 et 15 novembre 1980 et retrouvé ces jours derniers. Merci à Daniel de m'avoir confié cet indédit. Comme une leçon: Quelques mots, un fragment de vue/vie, trois vers et une belle exigence!

 

02/03/2009

Balise 41 - À propos du destin

"Ce sont les hasards qui nous poussent à droite à gauche, et dont nous faisons - car c'est nous qui le tressons comme tel - notre destin.

Nous en faisons notre destin parce que nous en parlons.

Nous croyons que nous disons ce que nous voulons, mais ce qu'ont voulu les autres, plus particulièrement notre famille. Nous sommes parlés, et à cause de cela nous faisons des hasards qui nous poussent quelque chose de tramé, et en effet, il y a une trame .

Nous appelons ça notre destin."

Jacques Lacan

27/02/2009

Ménaché: Zone libre, un poème dédié à Ernest Pignon-Ernest

P Ménaché par Didier Devos.jpgMénaché est né à Lyon, le 15 juillet 1941.
Poète, chroniqueur, collaborateur de la revue Europe.
Publié dans de nombreuses anthologies et revues (Aube Magazine, Bacchanales, Coup de Soleil, Décharge, Europe, Foldaan, L’arbre à paroles, Les Lettres Françaises, Lieux d’être, Nouvelle Revue Moderne, NU(e), La Polygraphe, Poésie-Europe, Poésie-Rencontres, Poésie 1, Racines, Résonance Générale,  Utopia, Verso, etc.). Il fonde en 1973 le collectif de poètes et plasticiens ARPO 12 qu'il anime jusqu'en 1985 et, en 1977, en collaboration avec Jean-Louis Jacquier-Roux, la revue et le collectif IMPULSIONS.
Il a animé des ateliers d’écriture et publié une douzaine d’ouvrages collectifs réalisés dans le cadre de ces ateliers (en relation avec des lycées, collèges, écoles primaires, Musée-Mémorial des enfants d’Izieu, MJC, Bibliothèques, Museum d’Histoire Naturelle de Lyon, etc.) Parmi ses dernières publications, on relèvera:
Rue Désirée, une saison en enfance, Editions La Passe du Vent, 2004
Mélancolie baroque, d’après une exposition de Fabrice Rebeyrolle, éditions Mains-Soleil, 2005
Ellis Island’s Dreams, peinture de Roudneff en couverture,
Carnets du Dessert de Lune, éditeur, 2007

Une anthologie de ses poèmes a été enregistrée par Alain Carré : CD Excès de Naissance,  éditions Autrement dit, 2004


ZONE LIBRE

à Ernest Pignon-Ernest



Rue Neyret à gauche de l’Ecole des Beaux Arts
un mur lépreux couvert de graffiti
Une flèche se détache dirigée vers l’ouest
« Zone d’affichage libre sur 40 000 kms »

Soudain dans cette rue grise l’espace s’étire
s’étire et respire
les frontières s’effondrent
les armées s’étonnent de leur inanité
mortifère
les uniformes tombent à terre
Ecce homo
Voici l’homme
Voici les hommes
Zone d’amour libre sur 40 000 kms
La rue se love et respire

Un peintre a ouvert la voie
Zone d’intervention libre
sur 40 000 kms
La poésie éclate de rire
Le printemps lève le pied
Surtout ne pas se retourner…

©Ménaché

Photographie: Didier Devos

19/02/2009

In memoriam Thierry Bouchard

 

Dans l'édito du  N° 30 du Basilic, gazette de l'Association des Amis de l'Amourier,septembre 2008, j'écrivais: "(...) j'aimerais saluer un autre poète également éditeur, ouvrier typographe, héritier de la grande tradition Guy Levis Mano, Thierry Bouchard et ses beaux livres - Je pense tout particulièrement à un Butor / Alechinski - ainsi qu'à sa collection "Terre" où figurent bon nombre de titres de notre ami Gaston Puel."

Aujourd'hui, Alain Paire signe un très bel hommage In memoriam Thierry Bouchard sur son site http://www.galerie-alain-paire.com. C'est là l'adresse internet de la librairie/galerie qu' Alain Paire, écrivain et critique d'art a fondé au 30 de la rue du Puits Neuf à Aix-en-Provence, 131000 (tel: 0442962367).

Jusqu'au 07 mars 2009, Alain Paire expose des huiles et pastels d' Evelyne Cail à propos de laquelle Marie Daumal écrit:

thumb_evelyne_cail_na.jpg" Cela devrait être un bruissement, d’ailes et d’eaux, le chuintement de l’écume aux marges de l’estran, le cri des fous, peut-être, s’ils viennent jusqu’ici, et, cependant, où les matières croisent le jusant, c’est le silence.Comment savoir si ce sont les oiseaux d’Evelyne Cail que le visiteur qui pousse la porte de la Galerie regarde ? Ils sont là, certes, ils font signe, cols déployés qui brisent en oblique non pas les horizons de cobalt, de terres ou d’outremer, mais les multiples plans que l’œil, accompagné, traverse. Passeurs, les oiseaux. Car il ne suffit pas de dire « lumière », « reflet » ou « transparence » pour rendre compte des huiles et des pastels d’Evelyne Cail. Quelle langue faut-il parler qui ne soit à la fois mystère et lieu commun ? Pour que la lumière soit, comme une évidence, encore faut-il qu’elle touche sa limite, le seuil qui la retient et donne sa profondeur aux paysages étales. Aussi, les oiseaux, peut-être simples graphes griffés de bruns souples ou nerveux, accomplissent-ils ce que l’œil seul ne saurait voir sans se noyer. Et quand les oiseaux s’absentent, demeure une trouée."