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02/01/2011

Lu 56 - Henri Michaux, Poteaux d'angle, Poésie/Gallimard, N°400, 2004

Je connaissais le Poteau d’angle paru en 1971 aux éditions de l’Herne – je revois le mince volume à couverture rouge – j’avais raté les ajouts parus en 1978 chez Fata Morgana et négligé les nouveaux Poteaux – Deux grandes balises et un poème final de « retour à l’effacement / à l’indétermination », paru en 1981 chez Gallimard.

Couv Michaux666.jpgPourquoi ai-je emmené avec moi, dans mes montagnes, ce livre republié en 2004 dans la collection Poésie/Gallimard, 400ème volume de la collection ? Sûrement à cause de son titre – ce trou qui permet au regard de pénétrer comme à l’avance - et parce que feuilleté j’y ai reconnu ce style lapidaire dont les éclats sont toujours des événements pour le corps, enfin parce que je connaissais Henri Michaux, la fascinante singularité  nos regards et cadastre nos chemins dans le paysage poétique du XXème siècle de ce désorienteur,  qui à nomadiser en ses propriétés, nous jette toujours à côté, dans la question et l’énigme. Je sais maintenant qu’il répondait à une attente, attente que la parole qui brûle dans ce mince ouvrage ne saurait combler mais aguiserait au contraire : « non, non, pas acquérir, écrit Henri Michaux. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin. » L’étrange leçon ! Si contraire à tout ce qui grillage: « toute une vie ne suffit pas pour désapprendre, ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences » et si tonique pour traverser nos temps incertains où garder une posture humaine, rester ouvert à de l’humain en formation, est la question, le « grand combat » et l’insoumission, toujours le chemin vers une « paix dans les brisements ».

Il y a un côté « manuel » dans ce livre, un côté « pensées », un stoïcisme travaillé par le Tao d’où cet ensemble de sentences écrites par un « barbare » qui serait passé par l’Asie. La tenue d’Henri Michaux y est toujours originale. C’est celle d’un aventurier de l’intérieur : « tu veux apprendre ce qu’est ton rôle ? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi car il n’est pas de gourou pour ce savoir ».

Ces Poteaux d’angle sont comme autant de bornes qui ne bornent pas, ils ne cadrent que l’écart, l’affût, la préparation au bond, au saut de côté. De ce côté-là sont nos lointains, inatteignables bien sûr, nous vouant à une marche interminable au point que « la mort cueillera un fruit encore vert ».

Ces Poteaux d’angle servent tout au plus à délimiter des champs jonchés de cailloux, de rocs. Ce sont des vergers de pierres car selon la leçon de Lao-Tseu, ces injonctions sont des fruits. À peler !

Allez ramasser ces pierres, cueillir ces fruits. Ils se goûtent sur la langue. Saveur et savoir mêlés. Laissez-vous prendre, chaque pierre est une surprise. Et celle-ci est saxifrage – Ah ! l’énergie disloquante de la parole de poésie ! – elle casse, disloque, ouvre en deux, réveille car s’adressant à lui-même, c’est nous, lecteurs, qu’il atteint.

« Voûtés d’un grand silence », c’est ainsi que nous sortons de la lecture de ces Poteaux d’angle, comme leur auteur alors qu’il sortait d’une exposition de Paul Klee.

Silence, fruit de l’action poétique !

 

Lu 55 - Alexandre Romanès, Sur l'épaule de l'ange, Gallimard, collection blanche

Entre l’assaut contre la frontière par lequel Kafka définissait la littérature et la reconduite aux frontières, entre la littérature avec ses loups qui filent ras entre deux silences et les chiens de garde qui aboient, rassurés par la longe qui les retient prisonniers, peu de choses en vérité. Juste cette honte comme un sac à porter, lourd d’obscurités et de haine voilée. Inutile de les énumérer, elles sont connues de tous.

Le mot « rom » en est la figure. Tuant les singularités qu’il est censé désigner, ce mot découpe la figure du bouc émissaire. La parole d’état tient les ciseaux, ses commis les chiens. On interdit, on déloge, on expulse. Avec ces campements détruits, ces familles renvoyées sans ménagement vers nulle part, c’est aussi notre imaginaire que l’on piétine. Nous sommes certainement quelques uns à avoir lu Apollinaire et ses saltimbanques ; Lorca et ses gitans, ceux du Cante Jondo et du duende qui visite et anime le corps des danseurs, les doigts des guitaristes et la voix des chanteurs ; à avoir rêvé de cette plaine où s’en vont les baladins et leurs caravanes. Ah ! Les routes !

Elles ont toujours inquiété les gens d’ordre – Ah ! cette lettre de Flaubert à George Sand qui ne cesse de circuler sur la toile ! - comme les inquiètent toujours les poètes, les artistes, ceux qui échappent aux codes et prennent les routes intérieures, celles de l’intensité. Car il y a voyage et voyage, nomade et nomade !

alexandre-romanes,55655.jpgS'il en est un qui le sait, c’est bien Alexandre Romanès ! Cet équilibriste et dresseur, issu de la famille Bouglione, fondera son propre cirque après la rencontre avec Délia, sa femme gitane. Ses amitiés, Yehudi Menuhin, Jean Genet, Christian Bobin, le mèneront jusqu’au poème. Sur l’épaule de l’ange est paru en avril, aux éditions Gallimard, avant les grands feux sécuritaires de l’été. Ce livre n’ira pas se perdre dans le grand espace des livres, ces sables mouvants quand c’est des livres qu’ils viennent, mais venu de la vie, il y retournera en témoin d’un peuple de plus en plus menacé ! Il y a quelque chose de sauvagement doux dans ces courts poèmes qui rarement dépassent la dizaine de vers. Quelque chose de désencombré du discours comme du silence. Quelque chose comme « une douceur sans mélange » écrit Christian Bobin dans sa préface : une impression de lumière, celle d’un bleu qui sait rendre le monde à ses ombres, à ses mensonges.

Lire Alexandre Romanès, c’est arracher les mots à ce commerce abusif auquel ils sont asservis par tous les présents du monde quand le présent n’est que l’écume irisée de l’actuel. C’est ouvrir et libérer la vie d’où ils viennent. C’est décoller l’âme et laisser passer l’ange – ailes aux pieds, ce vagabond ! – et sur son épaule prendre appui , se jucher pour passer les jours quand leur corde est trop lâche qu’ils ne tiennent plus qu’à un fil quand les heures sont si lourdes qu’elles nous roulent au sol. On ne se repose pas sur l’épaule de l’ange, on y entend juste le vent qui venu du plus ancien, de l’oublié, des paroles perdues, déchire certes, mais aussi rassemble.

Dans ce livre d’Alexandre Romanès, il y a de la légèreté – celle d’un non-savoir revendiqué comme tel – et de la gravité, celle de la présence dont les coups d’aile nous touchent. Dans la distance. Par effleurement.

À tous les sans-regard qui collaborent aujourd’hui, dans le respect des hiérarchies, à tant de forfaits, drapés dans le suaire de la légalité, on aimerait juste leur donner à entendre ces mots d’Alexandre Romanès : « le ciel, donner et Dieu / dans la langue tzigane / c’est le même mot. » Si l’âme est la patrie du beau temps, ils en sont les apatrides, voués à un terrible hiver. Qu’ils y gèlent !

 

Alain Péglion dit Alan Pelhon -

  pelhon.jpg( Né à Coaraze en 1946 et disparu encore jeune en 1994 des suites d’un cancer du cerveau, Alain Péglion, dit Alan Pelhon compte parmi les voix les plus significatives de la création occitane contemporaine. Élevé par sa grand-mère Sandrine qui fait office de figure maternelle et qui lui apprend le dialecte nissard dans lequel il s’exprimera toute sa vie, Pelhon reste très attaché à son village d’origine, mais rêve du continent africain, où il vécut un temps, durant son service en tant que coopérant, à Madagascar. Il se marie en 1970 à Joëlle Doménec qui donne naissance en 1978 à une petite Aurélie. Aux côtés de son épouse et de son compagnon de toujours, le chanteur Mauris, Pelhon s’implique dans la vie associative et culturelle occitane ; malgré son isolement d’un point de vue pan-occitan, il restera toute sa vie un homme de groupe. Son existence est marquée par des deuils successifs (en particulier la mort de son premier enfant, Aude Bérangère qui ne survit que quelques jours, et le suicide de son frère cadet Guy en 1985) ainsi que par la maladie qui influenceront fortement son écriture. Comme pour nombre d’auteurs occitans, l’écriture se double chez Pelhon d’une performance orale : la déclamation de ses poésies dans la rue ou sur les places de villages étant presque systématiquement accompagnée de concerts. Instituteur, poète, conteur, acteur, militant, Alan Pelhon a su mêler volontarisme structurel de l’écriture et authenticité, poésie populaire et cultivée, toujours avec beaucoup de force, de convictions et d’humanisme.)

 Bibliographie :

I. Canti per tu, Centre Niçois d’Études Occitanes - Païs Niçart Terra d’Oc, collection « Esper », Nice, 1973.

 

II. Jorns sensa testa, Centre Niçois d’Études Occitanes - « L’Estrassa » collection bilingue « Esper », Nice, 1976.

III. Poesia d’aqui, Lo Cepon Vence,1981.

IV. Toponymie de Coaraze et de sa commune, « Mémoire de Mestre Sobran de Lenga d’oc sous la direction de Monsieur Paul Castela », Faculté de lettres et de Sciences Humaines, Nice, 1986.

V. Coma una musica, Z’éditions, Nice, 1989.

VI. L’enfant du Paillon, Derez, Alan Pelhon, Jean Princivalle, L’Amourier, Coaraze, 1995.

VII. Vi devi parlar, La Dralha, Nice, 2004.

 

*

 

Es pas gran cava

Tres còp ren

Un rire que giscla dins la nuèch

Quauques plors

Sus aquò un molon de sudor

Mas putan de dieu es la mieu vida

E li voli ben

D’amics de vin per cantar alentorn de la taula

Lo soleh que s’enauça

Bessai un pauc sassi

L’esper que sus lo camin ensèm

Podrem caminar un momenton

De flors per li jorns de pluèia

E lei nuèchs que m’aclapan d’espavent

De mans qu’ajudan

De mòts per s’enauçar quora l’esper s’en va

Un saqueton per li mieu pantais

Es pas gran cava

Trescòps ren

Mas es la mieu vida

E li vòli ben

img025.jpg

Ce n’est pas grand-chose

Trois fois rien

Un rire qui gicle dans la nuit

Quelques pleurs

Sur tout cela beaucoup de sueur

Mais putain de dieu

C’est ma vie, et je l’aime

Des amis, du vin pour chanter autour de  la table

Le soleil qui se lève

Peut être un peu fatigué

L’espoir que sur le chemin ensemble nous pourrons marcher un tout petit moment

Des fleurs pour les jours de pluie

Et les nuits qui m’écrasent d’épouvante

Des mains qui aident

Des mots pour se lever, quand l’espoir s’en va

Un petit sac pour mes rêves

Ce n’est pas grand-chose

Trois fois rien

Mais c’est ma vie

Et je l’aime

 

 

 

 

Lu 54 - Antoine Emaz, Plaie, Tarabuste éditeur et Jours/Tage, Editions En Forêt/Verlag im wald

J’ai lu dès réception, fin 2009, les deux livres d’Antoine Emaz. Je les ai lus, comme il se doit, en ménageant des palliers comme lors d’une remontée du bleu des fonds, pour filer l’air. Puis, j’ai laissé Plaie et Jours/Tage faire leur travail de lichen en moi, tant il est vrai que si les mots d’Antoine Emaz « bougent peu », ils « vibrent et tremblent dans une lumière de ras de porte.

Couv Jours-Tage d'Emaz746.jpgJe les rouvre aujourd’hui. Et c’est le même coup, la même frappe. Certes, il s’agit Couv Plaie d'Emaz745.jpgde deux livres différents quant à leur facture : Plaie est un long poème, une coulée entre le 02 septembre 2007 et le 23 novembre 2007 : 28 stations pour un trajet, 28 scansions pour une même force, celle qui pousse à dire le quelque chose qui a fait effraction, a « ruiné toute clarté » et dont il a fallu sortir, tandis que Jours/Tage est un recueil recensant 14 poèmes, 14 jours entre le 18.03.07 et le 09.06.08 – tous traduits en allemand. On imagine aisément que ce qu’Antoine Emaz appelle « menuiserie », ce travail du poème et ensuite du livre a différé d’un ouvrage à l’autre.

Pourtant, même coup, même frappe. Et non seulement pour les thèmes abordés – la mort, la maladie, la solitude, le vide…- mais aussi pour ce qu’il y a d’énergie, de vie risquée dans cette traversée de la mort ou de la blessure, cette expérience du peu de mots pour toute douleur : « sur ce qui fait mal », rien, tout glisse, aucun mot ne tient, vraiment. Pas d’accroche, trop de faiblesse pour « soulever du comme ». Et enfin pour cette interrogation toujours présente au cœur de la poésie d’Antoine Emaz et qui en définit sa position éthique : Comment écrire ce qui est quand ce qui est défaille ? Comment « fermement / se tenir » ? Comment « tenir droit dans un monde de travers » et dans un corps blessé qui vous coupe non seulement de vos sources mais des autres ? Comment faire tenir les mots ensemble, dans le poème, et de poème en poème, s’encorder à eux, tenir le chemin et passer debout car « digne / c’est debout » !

Un non, ferme, farouche, se dresse sur fond de faiblesse. Il dit le refus d’être écrasé, piétiné. Il dit le refus de tout idéalisme consolateur qui empoisonnerait jusqu’au langage. Il dit l’effort vers le jour . Une remontée d’être.

Ce n’est pas tout d’accueillir ce qui arrive comme il arrive quand il arrive. Un accident n’est pas encore un événement. L’écriture du poème chez Antoine Emaz vise à séparer de l’accident – ce « bloc d’ardoise tombé / sur le jour / et les yeux » - sa part immaculée, cet éclat d’être qu’il faudra mener – « les mots tendus comme mains » - jusqu’au jour, jusqu’à se remettre debout « et à l’intérieur » et « de nouveau / sortir » dans « le jardin d’automne / l’air / l’hiver qui vient ».

Ce qui a arrêté est devenu - on peut, à se retourner le dire - l’origine de cette avancée. Avec le temps redressé, l’homme trouve à se maintenir comme homme, soit cette chance qu’il est de pouvoir « (prendre) le dessus ». Avec Antoine Emaz, on passe d’un monde où ce qui nous arrive est accident qui nous affecte à un monde où cela devient événement qui nous engendre.

L’œuvre que, les mains dans le Cambouis (cf, son livre de notes paru au Seuil en 2009), Antoine Emaz construit, pas à pas, est capable de faire œuvre de vie parce que c’est sa  personne morale qui s’y trouve engagée.

Optimistes, les livres d’Antoine Emaz ?

Oui ! Optimistes parce qu’ils ouvrent sur un devenir, un temps qui loin d’être perdu est seulement passé en mots formant comme un archipel de paroles !

 

 

LU 53 - Emmanuel Laugier, For, éditions Argol, collection l'estran

Laugier-_133 - copie.jpgIl est des livres qui vous tiennent non à distance mais dans la distance, des livres qui vous imposent une posture. Le dernier livre d’Emmanuel Laugier For que publient les éditions Argol  est de ceux-là.

Imaginez 250 pages d’un poème en continu avec ce qu’il faut d’asyntaxie, de syncopes, de coupes, de graphies inattendues, de récits concassés, de remontées de mémoires, de glissades, de pans de fantasmes et tout cela dans un flot, un torrent au débit impétueux, aux écumes irisées. Hors signification immédiate, on est jeté dehors – c’est le sens le plus évident de ce titre aussi court qu’énigmatique, renvoyant à l’étymologie latine for, foris – et lire dès lors revient à se tenir comme on se tient face à un être vivant. Un autre qu’il ne s’agit pas de décrypter, de déchiffrer, de déboutonner, de déplier pour l’expliquer mais  de regarder d’un œil étonné, attentif à voir comment il bouge, se délie, se déplie, ouvre les yeux, les ferme, se penche, avance, glisse, saute, se jette à côté, traverse les pages.

Regarder le corps du texte – cette danseuse ! - comme le conseillait le poète E.E Cummings à propos de la beauté, n’est-ce pas le seul moyen de deviner – on ne dira pas son âme par crainte de faire retour sur quelques vieux débats –  sa part immortelle. Sa singularité.

Ce titre For, on pourrait le prendre pour un nom. Un nom propre. Celui en verlan d’or-f, Orphée, figure du poète Figure de celui qui remue, use et abuse de la langue commune, attaque son corps massif pour la chance d’y voir naître comme étrangère sa langue singulière. Dans ce travail, le poète Emmanuel Laugier ne craint ni le manque de suite, ni les coupures, ni les sauts d’une scène d’enfance marocaine aux cahots d’un voyage en voiture en passant par la rencontre avec cet autre museur qu’est parfois l’analyste pour finir par approcher l’île, celle « intérieure / (…) pliée dans l’enveloppe / du jour ». Emmanuel Laugier pratique l’interruption, la séparation, la refente. Il y a tellement d’épais à entamer que tout se passe comme s’il ne pouvait tracer chemins de langue où marcher qu’en entamant et pris dans le mouvement rester sur cet élan afin qu’à peser sur l’avant, on dépasse. Nulle confession. On ne déroule ici ni affres, ni souffrances, à peine si l’on reconnaît des fragments d’images remontées, ballotées, polies à tous les courants du vivre.

Plus s’effondre le monde de la veille, plus on s’enfonce « dans l’infini du sommeil : venu en creux / faire un autre temps dans le temps » et plus viennent les mots au poème. Attention, à sommeil, sommeil et demi ! On ne peut qu’être frappé par cet état intermédiaire entre la veille et le sommeil qu’au moyen Age on nommait dorveille quand le chevalier errant sur son cheval composait une pièce de vers – Rappelez-vous…Guillaume IX , comte de Poitiers, et son aveu : « farai un vers / pos mi somelh » (Je ferai un vers puisque je suis endormi) ,  c’est lui qu’Emmanuel Laugier affectionne ! Ainsi c’est à partir de rien , comme notre premier troubadour, de ces « linéaments », lignes, plis, feuillette cérébral entre mémoire, veille et dormance que le museur tente encore et toujours de faire monde à partir de ce qui reste sans langue dans le « noir sur fond noir » du for d’un crâne.

Dès lors le poème se dévide non pour combler manques et lacunes, non pour ravauder, coudre les pièces décousues, non pour ramer contre le courant mais au contraire pour l’épouser, suivre le flux, la force qui se joue des articulations dans cette mêlée perpétuelle. Un rien tient tout cela, passes de vent qui déchirent. Et éclairent.

C’est cela qui émeut au long de ces pages, assister à un processus de subjectivation, au cours duquel un homme s’invente.

 

18/04/2010

Alain Freixe / Robert Lobet - Dans les couleurs du froid

DSCF1530.jpgSur papier Conquéror 250g, format 16x15 cm, impression numérique et sérigraphie pour les textes, DSCF1497.jpgaccompagné de deux peintures originales.

Tiré à 99 exemplaires numérotés et signés par les auteurs.

 

Prix : 25 euros

ISBN 978-2-918610-03-8 9782918610030

 

 

Quand les Editions de la Margeride et Robert Lobet, artiste du livre, réunissent arts graphiques et poésie, des rêves de voyage se posent sur les mots. Gravures et dessins accompagnent les poètes dans une secrète complicité pour offrir des ouvrages rares au plus large public. Venus d'horizons parfois bien différents, les textes trouvent, à l'abri des pages, le lieu du passage de l'intime aux grondements du monde. Robert Lobet, fondateur des Éditions de la Margeride, est peintre et graveur, il vit et travaille à Nîmes dans le Gard. Entre Nord et Sud, Norvège et Moyen Orient, ses œuvres nourries d'humanisme portent la marque du voyage et des paysages qu'il affectionne.

 

Contact : alain.freixe@ wanadoo.fr ou robert-lobet@wanadoo.fr

Sites : http://www.robert-lobet.com/ et http://editionsdelamargeride.com

 

12/04/2010

Jalel El Gharbi- Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête (extrait)

photo.jpgJalel El Gharbi : universitaire tunisien, critique littéraire auteur d’essais sur Deguy, Baudelaire, Supervielle, Claude Michel Cluny, José Esnch.
Il se sent fortement concerné par le dialogue des cultures et œuvre pour ce qu’il nomme Orcident ou Occirient.

Il est également traducteur et poète. Il vient de publier un recueil  Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête couvert.jpgaux éditions du Cygne, Paris.) Il nous en a confié un extrait:

 

Extrait de l'Abécédaire du vieux maître soufi Alif

 

J''aurais pu en rester à l'alif

Au seuil de l'alphabet

Au seuil des chiffres

Parce que l'alif est le un

La droite ligne du matin

La taille élancée de l'amour

Que je n'ai pas encore étreint

La première lettre du Livre

Et du verbe lire à l'impératif

L'alif est dans toutes les lettres

J'aurais pu en rester au seuil

Trouver le pain dans une miette

J'aurais pu n'avoir qu'un amour d'alif

Parce que l'alif dit que toute lettre

Peut devenir alif, que tout peut devenir un

Il suffit que chaque lettre pense très fort

Au grand Amour pour devenir un alif

Alif alif alif

 

Balise 60 - Pierre Legendre

" Les espaces infinis, les sciences à profusion, la^ surabondance industrielle, mais aussi l’effroi de vivre, l’individu périssable, et les dieux, mortels eux aussi.

Inlassable et solitaire, l'humanité jamais ne se renie. Elle vit, elle meurt sans compter.

Mais il ne suffit pas de produire la chair humaine pour qu'elle vive, il faut à l’homme une raison de vivre.

 

*

 

La raison de vivre, l’homme l’apprend par les emblèmes, les images, les miroirs. Qui manie le Miroir tient l’homme à sa merci."

 


Florence Pazzottu -

( Florence Pazzottu vit à Marseille. Elle a animé pendant 10 ans la revue Petite qu'elle avait fondée avec Christiane Veschambre en 1995. FloPanierNB15*22.jpgElle a publié dans de nombreuses revues et anthologies et est membre du comité de rédaction d'Action poétique. Expositions de dessins et de gribouillis à l'IME "les grands laviers", en Picardie, en 2007, à Casteldo Caldeiras et à Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, en 2008 (commissaire d'exposition : Emilio Araùxo). Elle vient d'achever la réalisation d'un film, la Place du sujet, et son récit, la Tête de l'Homme, qui a été créé par François Rodinson à la Manufacture (CDN) de Nancy en janvier 2009, est repris à la maison de la Poésie de Paris du 3 mars au 4 avril 2010. Participe à la demande de l'artiste Giney Ayme à un projet d'exposition-film-performance qui sera présenté à la galerie la Traverse et à la Compagnie, à Marseille, en novembre 2010.

 

Livres parus :

L'espace blanc (gare maritime, maison de la poésie de Nantes, juin 2009)

S'il tranche, (Inventaire/Invention, sept. 2008)

La tête de l'homme (Seuil, collection déplacements, 2008)

Sator… (Cadastre8zéro, 2007)

La place du sujet (L'Amourier, 2007)

L'inadéquat (le lancer crée le dé) (Flammarion, Poésie, 2005)

L'Accouchée (récit, avec une postface d'Alain Badiou) (éd. Comp'Act, 2002)

Vers ce qui manque, in Venant d'où, 4 poètes, (Flammarion, 2002)

Petite, (L'Amourier, 2001)

Les heures blanches (éd. Manya, 1992 )

 

*

Pour le quotidien l'Humanité, à la faveur du Printemps des poètes 2010 dont le thème était le très discuté "couleur femme", j'ai demandé à quelques poètes de répondre à la question suivante: Quelle interprétation donnez-vous au titre de cette douzième édition du Printemps des poètes « couleur femme ? À cette volonté déclarée de louer la créativité féminine d’hier et d’aujourd’hui ? Introduiriez-vous quelques bémols dans cette partition ?

De Florence Pazzottu, nous avons publié, à côté de celles de Marie-Claire Bancquart, Patricia Castex-Menier, Valérie Rouzeau, Fabienne Courtade, Véronique pittolo, Liliane Giraudon, Suzanne Doppelt, dans l'Humanité (www.humanite.fr) du 8 mars 2010 - voir  la réponse suivante:

 

"En 2007, Florence Trocmé avait pour le site de Poezibao lancé une enquête dont la première question était : "Pourquoi si peu de femmes poètes de grande stature?" La question me semblait, avais-je dit, à la fois étrange et nécessaire. Sans doute, sont-ils moins nombreux aujourd'hui ceux qui affirment comme Shopenhauer que, "dénuée de tout esprit", la femme est tout juste "bonne à la préservation de l'espèce", — même si cette pensée persiste et revient sous la forme édulcorée d'une féminité tout épanouie dans sa domesticité moderne, si bien occupée à procréer et à veiller sur son petit monde que la "création" justement ne pourrait être son affaire car elle ne verrait pas plus loin que la rondeur charnelle de son cercle terrestre. Sans doute serions-nous quelques-uns, hommes et femmes, à pouvoir partager une analyse radicalement différente : ce n'est ni par carence de génie ou de talent, ni par absence de nécessité à inventer, mais pour des raisons historiques, sociologiques, politiques, que les grandes figures de l'art, mais aussi de la science, de la découverte et de la conquête, sont essentiellement des figures masculines. Il ne fait pour moi aucun doute que ceux qui, partant de ce constat, décident de donner alors, en ce printemps, la parole aux "femmes poètes", sont animés des meilleures intentions, qu'ils sont convaincus sincèrement qu'il s'agit maintenant de "d'affronter la question et de passer à l'action". La difficulté — et elle est de taille — c'est que la question ici est mal posée, se manque dans sa formulation même. C'est que le poète Dominique Fourcade est une femme et que je suis un homme. C'est que la femme que je suis aussi ne respire que dans la mixité.  C'est que je revendique le droit pour chacun d'être étranger à soi-même. C'est que je ne sais pas ce qu'est une femme (ni, donc, un homme). C'est que d'être ainsi sans cesse renvoyée à sa "féminité" (comme l'est aussi le banlieusard à sa banlieue, l'homosexuel à sa sexualité, la musulman à sa religion, etc.), la femme, surtout si elle est poète, bondit, fait un pas de côté, sent monter en elle le cri, l'élan d'une pensée qui ne peut s'écrire que contre — contre ce qui dans la langue fige et assigne,  contre la main qui se levant pour vous aider (car "il est scandaleux, n'est-ce pas, que vous n'ayez pas plus de place!"), vous montre dans le même geste quelle place est la vôtre : femme parmi les femmes en ce nouveau printemps. C'est qu'à vouloir partir d'un constat, on s'y enlise, et n'est pas long à faire retour ce dont on voulait exorciser la menace. (Comme si on avait soudain redonné consistance aux frontières que tant d'auteurs, de lecteurs, de revues, d'éditeurs, patiemment, audacieusement, déplacent et brouillent). C'est que l'émancipation est ailleurs justement, dans l'ailleurs, dans le déplacement, dans le risque et dans le tremblement des espaces. Et ce "couleur femme" semble soudain très vieux, incroyablement immobile et rouillé, et il produit alors un petit grincement... — ah, ce doux murmure pourtant qu'il voulait être à votre oreille : "femme", n'entendez-vous pas? c'est une tonalité particulière! c'est une sensibilité, une variation délicate!... "Couleur femme" déploie devant vous, et vos yeux d'homme en sont tout émus, un panel de nuances, un miroitement d'images, si délicieusement familières : ah! que la femme est belle, exposée sur une scène ou charmant le public, ah, que la femme est précieuse et, voyez, voyez comme elle est tranquille... quand on lui fait un peu de place...

"Mais nous ne manquerons pas d'explorer également les "représentations féminines" dans la poésie (des hommes)". Ouf! ( C'est quand même sacrément bon de se retrouver chez soi, non?) "

 

 

18/03/2010

Balise 59 - Effets de Poésie

Mr Higginson, retour d'Amherst, en 1870, rapporta à son épouse les propos suivants d'Emily Dickinson à qui il venait de rendre visite:

« Si je lis un livreet qu’il rend mon corps entier si froid qu’aucun feu ne pourra jamais me réchauffer, je sais que c’est de la poésie. Si je ressens physiquement comme si le sommet de ma tête m’était arraché, je sais que c’est de la poésie. Ce sont les deux  seules façons que j’ai de le savoir. Y en a-t-il d’autres ? »

08/03/2010

Lu 52 - Quelqu'un plus tard se souviendra de nous - Anthologie de 15 femmes-poètes

POESIE COUV Quelqu'un plus tard se souviendra de nous - copie.jpgCouleur femme, sous ces mots, le printemps des poètes 2010 entend d’une part, rendre hommage aux femmes-poètes, à leur présence et à l’originalité de leur apport dans l’histoire de la poésie et d’autre part, célébrer les représentations du féminin dans l’imaginaire poétique. Le présent volume dont le titre Quelqu’un plus tard se souviendra de nous reprend un vers de Sapphô, la grecque de l’île de Lesbos, répond avec bonheur au premier souhait de l’équipe du Printemps des poètes qu’anime Jean-Pierre Siméon.

Il a suffi à la collection Poésie / Gallimard de puiser dans son fonds pour nous proposer cette anthologie de sorcières du verbe. De Sapphô à Kiki Dimoula, de la Grèce du VIIème à la Grèce du XXème siècle, ce sont 15 poètes – Pernette du Guillet, Gaspara Stampa, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Elizabeth Browning, Emily Jane Brontë, Emily Dickinson, Catherine Pozzi, Marie Noël, Anna Akhmatova, Marina Tsvétaïeva, Louise de Vilmorin, Sylvia Plath - qui dévident le fil rouge de l’amour et du désir, chacune chantant à sa manière « Aphrodite au sein couvert de violettes », selon l’expression de celle que Platon appelait la « dixième muse ».

On sort de la lecture de ce livre en se disant que pas plus qu’il n’y a de poésie masculine, pas plus il n’y a de poésie féminine ! Il y a juste des poètes et leurs poèmes. Et en eux, cette force de la poésie qui troue la langue – ces mots à l’arrêt – pour libérer la parole. C’est cette voix que l’on entend, sous leurs textes, voix singulière qui demeure dans toute son intensité.

C’est elle qui donne raison à Sapphô : oui, quelqu’un plus tard se souviendra de (vous).

En ce printemps, soyez celui-là !

 

Quelqu’un plus tard se souviendra de nous, Anthologie de 15 femmes-poètes, Collection Poésie/Gallimard

( article paru dans le Patriote Côte d'Azur - 05 au 12 mars 2010 )

Balise 58 - Se souvenir d'Olympe De Gouges

XXème année - Journée internationale de la femme. Chacun en dira ce qu'il voudra. Juste l'occasion pour moi de mettre en avant la parole decelle qui monta sur l'échafaud le 13 brumaire 1793 et qui 2 ans auparavant avait rédigé une Déclaration des droits de la femme:

"Femme, réveille toi! Le tocsin de laz raison se fait entendre dans tout l'univers. Reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstitions et de mensonges. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne."

11:28 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie