15/02/2014
Lu 96 - Vaguedivague de Pablo Neruda, Traduction Guy Suarès, Poésie/Gallimard, N°485
C’était hier. C’était un onze septembre. La soldatesque prenait le pouvoir au Chili avec la bénédiction active de l’administration américaine. C’était au Chili. Vous vous souvenez ? Là, « un étranger / venu cogner aux portes du silence », un homme « venu du sud, des pluies australes » et qui était « remonté vers le nord du peuple », Ricardo Neftali Reyes Morales, un poète , Pablo Neruda, travaillait à donner des yeux aux mots de ses poèmes. Pour voir. Le monde et les hommes qui en font l’histoire. Le putsch militaire eut besoin de neuf jours pour emprisonner, torturer, tuer, réduire au silence le pays. Sa maison de Santiago comme celle de Valparaiso furent saccagées. Il mourut quelques jours plus tard : le 23 septembre 1973. 40 ans ! Après avoir publié entre autres livres Résidence sur la terre, La centaine d’amour et surtout Le chant général, chant dans lequel un continent avec ses fleuves, ses montagnes, ses hommes, son histoire celle nationales des différents peuples mêlés et une époque tentent de prendre conscience d’eux-mêmes - et c’est alors la réalité de l’homme américain du sud tel que l’ont façonné un ciel, un sol, un climat, une histoire, qui est le véritable héros de ce livre – voici aujourd’hui Vaguedivague, recueil de 1958 qui mêle souvenirs, expériences, voyages. Cette « voguante vaguedivague » reste pourtant bien ancrée en terre. « Faisons profession terrestre / Touchons terre avec l’âme », écrit Neruda. A ses yeux, il convient de « mélanger le sable et l’homme » car si nous sommes dans la nature, c’est sur la terre que nous existons, là où la langue labourée, remuée, aérée par le travail du poète se retourne contre ceux qui croient la posséder pour nous mieux asservir et s’approche au plus près ce qui lui échappe conscient qu’il ne « (vient) rien résoudre » juste « chanter / et pour que tu chantes avec moi. »
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02/01/2011
Lu 56 - Henri Michaux, Poteaux d'angle, Poésie/Gallimard, N°400, 2004
Je connaissais le Poteau d’angle paru en 1971 aux éditions de l’Herne – je revois le mince volume à couverture rouge – j’avais raté les ajouts parus en 1978 chez Fata Morgana et négligé les nouveaux Poteaux – Deux grandes balises et un poème final de « retour à l’effacement / à l’indétermination », paru en 1981 chez Gallimard.
Pourquoi ai-je emmené avec moi, dans mes montagnes, ce livre republié en 2004 dans la collection Poésie/Gallimard, 400ème volume de la collection ? Sûrement à cause de son titre – ce trou qui permet au regard de pénétrer comme à l’avance - et parce que feuilleté j’y ai reconnu ce style lapidaire dont les éclats sont toujours des événements pour le corps, enfin parce que je connaissais Henri Michaux, la fascinante singularité nos regards et cadastre nos chemins dans le paysage poétique du XXème siècle de ce désorienteur, qui à nomadiser en ses propriétés, nous jette toujours à côté, dans la question et l’énigme. Je sais maintenant qu’il répondait à une attente, attente que la parole qui brûle dans ce mince ouvrage ne saurait combler mais aguiserait au contraire : « non, non, pas acquérir, écrit Henri Michaux. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin. » L’étrange leçon ! Si contraire à tout ce qui grillage: « toute une vie ne suffit pas pour désapprendre, ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences » et si tonique pour traverser nos temps incertains où garder une posture humaine, rester ouvert à de l’humain en formation, est la question, le « grand combat » et l’insoumission, toujours le chemin vers une « paix dans les brisements ».
Il y a un côté « manuel » dans ce livre, un côté « pensées », un stoïcisme travaillé par le Tao d’où cet ensemble de sentences écrites par un « barbare » qui serait passé par l’Asie. La tenue d’Henri Michaux y est toujours originale. C’est celle d’un aventurier de l’intérieur : « tu veux apprendre ce qu’est ton rôle ? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi car il n’est pas de gourou pour ce savoir ».
Ces Poteaux d’angle sont comme autant de bornes qui ne bornent pas, ils ne cadrent que l’écart, l’affût, la préparation au bond, au saut de côté. De ce côté-là sont nos lointains, inatteignables bien sûr, nous vouant à une marche interminable au point que « la mort cueillera un fruit encore vert ».
Ces Poteaux d’angle servent tout au plus à délimiter des champs jonchés de cailloux, de rocs. Ce sont des vergers de pierres car selon la leçon de Lao-Tseu, ces injonctions sont des fruits. À peler !
Allez ramasser ces pierres, cueillir ces fruits. Ils se goûtent sur la langue. Saveur et savoir mêlés. Laissez-vous prendre, chaque pierre est une surprise. Et celle-ci est saxifrage – Ah ! l’énergie disloquante de la parole de poésie ! – elle casse, disloque, ouvre en deux, réveille car s’adressant à lui-même, c’est nous, lecteurs, qu’il atteint.
« Voûtés d’un grand silence », c’est ainsi que nous sortons de la lecture de ces Poteaux d’angle, comme leur auteur alors qu’il sortait d’une exposition de Paul Klee.
Silence, fruit de l’action poétique !
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