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02/01/2011

Lu 56 - Henri Michaux, Poteaux d'angle, Poésie/Gallimard, N°400, 2004

Je connaissais le Poteau d’angle paru en 1971 aux éditions de l’Herne – je revois le mince volume à couverture rouge – j’avais raté les ajouts parus en 1978 chez Fata Morgana et négligé les nouveaux Poteaux – Deux grandes balises et un poème final de « retour à l’effacement / à l’indétermination », paru en 1981 chez Gallimard.

Couv Michaux666.jpgPourquoi ai-je emmené avec moi, dans mes montagnes, ce livre republié en 2004 dans la collection Poésie/Gallimard, 400ème volume de la collection ? Sûrement à cause de son titre – ce trou qui permet au regard de pénétrer comme à l’avance - et parce que feuilleté j’y ai reconnu ce style lapidaire dont les éclats sont toujours des événements pour le corps, enfin parce que je connaissais Henri Michaux, la fascinante singularité  nos regards et cadastre nos chemins dans le paysage poétique du XXème siècle de ce désorienteur,  qui à nomadiser en ses propriétés, nous jette toujours à côté, dans la question et l’énigme. Je sais maintenant qu’il répondait à une attente, attente que la parole qui brûle dans ce mince ouvrage ne saurait combler mais aguiserait au contraire : « non, non, pas acquérir, écrit Henri Michaux. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin. » L’étrange leçon ! Si contraire à tout ce qui grillage: « toute une vie ne suffit pas pour désapprendre, ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences » et si tonique pour traverser nos temps incertains où garder une posture humaine, rester ouvert à de l’humain en formation, est la question, le « grand combat » et l’insoumission, toujours le chemin vers une « paix dans les brisements ».

Il y a un côté « manuel » dans ce livre, un côté « pensées », un stoïcisme travaillé par le Tao d’où cet ensemble de sentences écrites par un « barbare » qui serait passé par l’Asie. La tenue d’Henri Michaux y est toujours originale. C’est celle d’un aventurier de l’intérieur : « tu veux apprendre ce qu’est ton rôle ? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi car il n’est pas de gourou pour ce savoir ».

Ces Poteaux d’angle sont comme autant de bornes qui ne bornent pas, ils ne cadrent que l’écart, l’affût, la préparation au bond, au saut de côté. De ce côté-là sont nos lointains, inatteignables bien sûr, nous vouant à une marche interminable au point que « la mort cueillera un fruit encore vert ».

Ces Poteaux d’angle servent tout au plus à délimiter des champs jonchés de cailloux, de rocs. Ce sont des vergers de pierres car selon la leçon de Lao-Tseu, ces injonctions sont des fruits. À peler !

Allez ramasser ces pierres, cueillir ces fruits. Ils se goûtent sur la langue. Saveur et savoir mêlés. Laissez-vous prendre, chaque pierre est une surprise. Et celle-ci est saxifrage – Ah ! l’énergie disloquante de la parole de poésie ! – elle casse, disloque, ouvre en deux, réveille car s’adressant à lui-même, c’est nous, lecteurs, qu’il atteint.

« Voûtés d’un grand silence », c’est ainsi que nous sortons de la lecture de ces Poteaux d’angle, comme leur auteur alors qu’il sortait d’une exposition de Paul Klee.

Silence, fruit de l’action poétique !

 

Commentaires

Plaisir, cher Alain, en ce deuxième jour de l'année (qu'elle vous soit féconde et riche d'heureux chahuts) de vous voir citer ce "Poteaux d'angle" qu'apprécient aussi beaucoup nos amis Daniel Biga et Monia Courchet. J'avais, à dessein, emporté ce petit livre avec moi lorsque je suis parti écrire "Bacs de Gironde" entre les quatre poteaux (bornes) du Verdon, de Lamarque, de Blaye et de Royan (La Part des anges Éditions - http://www.lapartdesanges.net/bacs.html). Il a accompagné toutes mes allées et venues, mes lentes errances. «Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger. Qu’irais-tu mettre à la place ?» «Si un contemplatif se jette à l’eau, il n’essaiera pas de nager, il essaiera d’abord de comprendre l’eau. Et il se noiera.» «Le continent de l’insatiable tu y es. De cela au moins on ne te privera, même indigent.» «Mais il est temps de me taire. J’en ai trop dit. À écrire, on s’expose décidément à l’excès.» «N'apprends qu'avec réserve.» Etc. Michaux, le sage, nous met en garde contre le «barrage» du savoir et le rêve de totalité. Salutaire ! Oui, "Silence, fruit de l'action poétique !". Silence, retenue...
La première partie du livre, "Bacs de Loire", je l'avais écrite sous le tutelle de Supervielle dont Michaux disait qu’il était un poète «habité», «révélation de la poésie vivante». Ah, ces bonnes compagnies. Nous en aurons d'autres, souhaitons-le(-nous), en 2011.
En complicité.
Bernard

Écrit par : Bernard Bretonnière | 03/01/2011

Quitter ses préjugés, savoir qu'on ne sait rien, redevenir humain...
Ce billet m'a donné envie de lire ce livre. Merci.

Écrit par : Victordali | 23/02/2011

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