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13/06/2013

In memoriam Rüdiger Fischer -

Rüdiger Fischer est né à Trèves en 1943. Il est décédé cette semaine, peu de jours avant l’ouverture du Marché de la poésie de Paris auquel il participait depuis de nombreuses années.
Il avait enseigné le français et créé les éditions Im Wald en 1991 en Bavière.
Il a publié plus de deux cents livres de poésie, recueils et anthologies, principalement de poète de langue française, en version bilingue, trilingue, voire plus.
Il a aussi publié des poètes américains, israéliens, tchèques, italiens, ...
Nombre de poètes de langue française lui doivent d’avoir leurs textes traduits et diffusés en Allemagne et en Autriche, et dans d’autres pays où il diffusait ses livres. Pour en citer quelques-uns : Laurent Grisel, Gérard Bayo, Odile Caradec, Clod’Aria, Antoine Emaz, Werner Lambersy, Jean Rousselot, Abdellatif Laâbi, Bluma Finkelstein, Gwenaëlle Stubbe, Daniel Leduc, Hélène Dorion, etc. Les citer toutes et tous est impossible.
Nombre de poètes de langue allemande lui doivent d’avoir été publiés dans des revues de langue française, principalement dans sa chronique « Promenade en forêt », dans la revue Décharge de Jacques Morin.
Infatigable travailleur, défricheur, il se définissait lui-même comme un traducteur amateur, n’hésitant pas à traduire du français vers l’allemand et inversement, contrairement à beaucoup d’autres traducteurs. Il avait reçu en 2010 le Prix Horace de la traduction en poésie.
Il était un passeur dans le sens le plus noble du terme, aimant aussi monter sur scène pour dire les textes des autres, ainsi qu’il a pu le faire à la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, pour une lecture théâtralisée de "La Nasse", de Laurent Grisel, qu’il avait publié en version multilingue, français, allemand, anglais et italien.

*

 

rüdiger fischer,éditions im wald( Que ma prise de relais soit une manière de m'associer à l'hommage rendu par jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de saint-Quentin-en-Yvelines.

Ma touche personnelle sera de lier Rüdiger Fischer et Gaston Puel comme ils l'avaient été dans ce projet multilingue lors de la publication en 1997 de ce Chant entre deux astres de Gaston Puel par les éditions Im Wald en français, occitan, allemand, italien, espagnol et anglais. )


 

10/06/2013

In Memoriam Gaston puel -6 par Jean-Marie Barnaud

Avec ce lien http://remue.net/spip.php?article6024 je relaie les propos mis en ligne sur remue.net par mon ami jean-Marie Barnaud à propos de Gaston Puel.

07/06/2013

In Memoriam Gaston Puel-5 par Serge Bonnery

(je relaie ici le texte de mon ami Serge Bonnery, président du Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassponne)

 

 Gaston Puel sans relâche

 

Le poète Gaston Puel s’est éteint lundi 3 juin à l’âge de 89 ans

 

C’est sûrement le privilège d’un âge que de devenir un jour le lien entre des générations. Pour nous, fondateurs du Centre Joë Bousquet en 1999, Gaston Puel fut ce lien. Au commencement de notre histoire commune, il n’était pas seul. Ginette Augier - la destinataire des lettres - était là. Les peintres Jean Camberoque, Charles-Pierre Bru. Le professeur de lettres et de philosophie Henri Tort-Nouguès. Tous avaient franchi la porte derrière laquelle il fallait encore écarter les tombées d’un lourd rideau sombre pour pénétrer enfin dans la chambre du poète où se tenait, érigée en mode de vie, la conversation perpétuelle du monde.

Tous, Gaston en tête, ont accompagné, aidé, soutenu, une démarche qui ne se voulait ni un hommage, ni une célébration mais bien un prolongement. Grâce à eux, notre conviction que le Centre Joë Bousquet ne devait pas devenir un mausolée ronronnant à la mémoire d’un homme a survécu à tous les dangers qui guettent les lieux de création. Il y a une raison à cela : pour eux tous, ce qui s’était passé, là, dans la chambre d’un invalide, comme volé au temps, appartenait à l’ordre du primordial. Et j’ai toujours eu le sentiment qu’en marchant à nos côtés, en nous aiguillonnant, en nous engueulant parfois - Gaston savait secouer le réel ! - tous souhaitaient rendre ce qu’ils avaient reçu.

 Mais qu’avaient-ils donc reçu de si précieux dans la chambre d’un blessé de la Grande Guerre qui avait laissé l’ancienne peau sur le champ de bataille pour muer en poète ? Une leçon de poésie sûrement. Il s’en parlait beaucoup, la nuit, dans la pénombre, chez Bousquet. Les mots, Gaston Puel leur voua un culte vertigineux tout au long de sa vie d’artiste. Les mots de Bousquet, de Char qu’il édita lorsqu’il ouvrit, grande, la Fenêtre Ardente de son aventure de typographe-éditeur. Et ses mots à lui, mots d’une poésie «à hauteur d’homme», comme aurait sûrement aimé le souligner Joë Bousquet, c’est-à-dire, ainsi que le formule si justement mon ami Alain Freixe sur son blog (1), une poésie qui évite en permanence le «risque de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est issue». Remercions ici les éditions de L’Arrière-Pays d’avoir, ces dernières années, publié l’essentiel de l’oeuvre poétique de Gaston Puel afin de lui donner sa pleine résonance dans le tumulte.

gaston puel,serge bonnery Il est une autre aventure que Gaston Puel vécut avec passion. Celle de son compagnonnage avec les peintres. Il entretenait lui-même un rapport ambigü avec cet art qu’il avait pratiqué dans sa jeunesse. Nous conservons, dans l’exposition permanente consacrée à la vie et l’oeuvre de Joë Bousquet présentée dans sa maison de Carcassonne, rue de Verdun, un tableau du jeune Puel, d’inspiration surréaliste, qui témoigne de ces élans qui portent une jeunesse vers son propre langage. Celui de Gaston sera un jour, définitivement, le langage des mots, pas des mots-miroirs qui ne se parlent qu’à eux-mêmes, mais des mots ouverts, mots du dialogue, mûs par la force même de l’échange. Ce dialogue entre Gaston Puel et les peintres a trouvé sa terre d’élection au catalogue des Editions de Rivière, chez Jean-Paul Martin, le cousin de Pierre-André Benoît qui, entre Alès et Rivières justement, du nom du village où PAB avait élu domicile, a repris si généreusement le flambeau. Une cinquantaine de livres d’artistes racontent aux Rivières cette itinérance inouïe des temps modernes où l’on coud encore à la main des livres minutieusement imprimés à quelques dizaines d’exemplaires. On peut pénétrer cet univers en consultant en ligne l’opulent catalogue des Editions de Rivières (2).

 Et puis, pour Gaston, il y avait le «Centre». Jusqu’au dernier jour, soufflant mot à notre directeur René Piniès, de la route à prendre, du piège à éviter pour l’honneur des poètes Il ne m’appartient pas de dire ici plus avant l’amitié profonde, l’incommensurable complicité entre ces deux hommes. Gaston Puel le veilleur de Veilhes et René Piniès l’infatigable passeur et aussi porteur du fardeau que représente de travailler tous les jours, sans relâche, au rayonnement de la parole poétique des autres. Cette opiniâtreté qui fait toujours mon admiration, René la tenait sûrement de Gaston. Ces deux-là s’étaient trouvés. Leur histoire a un témoin plus sûr que ce que de pauvres yeux peuvent percevoir du secret des hommes : un livre. Les «42 sirventès pour Jean-Paul», publiés à l’automne 2012 par le Centre Joë Bousquet, rassemblent les textes parus en tirages limités aux Rivières. L’édition en a été établie par René Piniès. Une belle édition qui «se rue vers l’ailleurs infini» et dont la vie ne fait que commencer.

 «Au plus vert des embruns

Il n’est plus de répons»...

écrit Gaston Puel, premiers vers d’un poème paru sous le titre «Le fin mot». Mais qui peut dire qu’il a eu, au terme d’une si longue marche, le fin mot de l’histoire ? Gaston Puel répond, à la fin de son poème : «C’est alors que JE sus que TU savais qu’IL savait que NOUS ignorions TOUT du fin mot de l’histoire». Ce jeu typographique du «je-tu-il-nous» dit TOUT de ce que fut la vie de Gaston Puel. Une vie tenue par la promesse du partage et qui n’a de sens que dans ce va-et-vient perpétuel entre le singulier et le pluriel, l’autre et le collectif. Cette leçon de vie que Gaston Puel nous donne, je ne serais pas étonné qu’il l’ait lui-même reçue dans la chambre de Bousquet. «Il n’y a pas d’oeuvre de l’homme seul», savait le poète blessé qui, un jour, avait apostrophé le jeune Puel quittant sa chambre pour lui adresser cette dernière recommandation : «N’oubliez jamais, Puel, il n’y a pas de grands hommes...» Alors, s’est levé un poète.

 Serge Bonnery

 

(1)  Blog d’Alain Freixe : http://lapoesieetsesentours.blogspirit.com/

(2)  Les éditions de Rivières : http://leseditionsderivieresoulaprespab.midiblogs.com/

(3) La photographie est de Paola di Prima

05/06/2013

In Memoriam Gaston Puel - 4 - Lu 93

Le Centre Joë Bousquet et son temps qui non seulement abrite, à Carcassonne, au 53 rue de Verdun dans La Maison des Mémoires une exposition permanente consacrée à la vie et à l’œuvre du poète Joë Bousquet, mais aussi organise des rencontres et des expositions autour de la question des relations entre peinture et écriture vient d’ajouter au catalogue de ses publications ces 42 sirventès pour Jean-Paul* .

René Piniés a établi cette édition en choisissant parmi les quelques 65 titres de Gaston Puel ; tous accompagnés de peintures, dessins ou gravures d’artistes contemporains et publiés à tirage limité aux éditions Rivières entre 2006 et l’été 2012 par Jean-Paul Martin, leur maître d’œuvre. Cette édition fait suite à l’exposition « PAB- JPM, les passeurs de Rivières » que le Centre Joë Bousquet et son temps avait organisé en février-mars 2012 , exposition qui entendait rendre hommage à ces deux créateurs dans le domaine du livre de dialogue plus fréquemment nommé livre d’artiste. Jean-Paul Martin est le cousin de Pierre-André Benoit, plus connu sous le nom de PAB, dont on peut visiter le beau musée du château de Rochebelle à Alès. Cet « artiste-artisan-poète » « amoncellera les pages dont chacune est un tableau », selon ses mots, de près de 800 titres. Ses « minuscules » sont de petites merveilles ! Héritant de Rivières, vaste maison que PAB avait restaurée, Jean-Paul Martin va servir et la maison et l’œuvre de PAB notamment en reprenant le flambeau, en imprimant des poèmes et en appelant des artistes contemporains à reprendre l’ancien compagnonnage.

Gaston Puel, ami de Joë Bousquet et de PAB, appartient à cet après-Bousquet qui grâce à « la mémoire de quelques uns qui s‘est saisie de son œuvre » reste toujours vivant comme à cet après-PAB que poursuivent les éditions Rivières auxquelles le Centre Joë Bousquet et son temps prête attention et main amie.

Il faut voir ces poèmes présentés ici sous le nom occitan de « sirventès » comme autant d’hommages, autant de « signes de reconnaissance et d’affection » de Gaston Puel à l’égard de celui qui leur a donné vie, quasi miraculeusement, au cours de ces six dernières années en demandant à un artiste de partager l’aventure du livre.

J’aime à voir ces 42 textes comme autant de feuilles qui tremblent dans la nuit, autant de notes qui déchirent délicatement le silence, autant de mies de pain blanc qu’un « petit poucet rêveur » aurait semé sur sa route, de quoi arrêter, le temps d’une halte précaire, le temps d’en goûter la saveur – ce ton de la voix d’encre – sur la langue, les marcheurs égarés que nous sommes en ces temps d’asphyxie. J’aime à y retrouver Gaston Puel dans sa posture préférée « à genoux dans l’herbe sèche / à l’affût des dessous des choses », posture sur laquelle malgré la solitude, la maladie, la dureté des temps et leur folie n’ont pas de prise, posture qui va de pair avec cette tournure du regard qui le voue à « racler le fond ténébreux ou, entre deux eaux, louvoie l’insaisissable présence » là où « la vie et la mort indivises (…) s’affirment et s’affrontent ». Cela qui fut et reste sa belle querelle. J’aime voir les mots dans les poèmes de Gaston Puel se faire « murmure au museau de neige », parole « à l’ailleurs dédiée », nuage qui file ses brumes « du son au sens, du chant à l’être. » La poésie de Gaston Puel nomadise en plein ciel, passe sans s’attarder, ne « (répondant) de rien », ne « (donnant) rien qu’on pourrait posséder » mais nous offrant ce qui s’affirme en s’effaçant comme la cascade de Rilke se vêt de ce qui la dénude, « l’ange blanc de l’effroi » qui « (paraphe) le silence » de son « aveuglante lumière ». Ainsi rencontre-t-on dans un « faire toujours en chemin » l’inconnu, du sens qui s’éveille.

J’en terminerai par un retour à Bousquet, à une de ses grandes leçons que Gaston Puel incarne magnifiquement dans ce livre, à savoir que « la difficulté pour un poète n’est pas de trouver la poésie » mais « de rester un homme en devenant un poète ». c’est que toujours la poésie risque de tomber dans ses propres eaux, de se laisser déborder par les forces qui la meuvent. Il y a cela de toujours revigorant dans la poésie de Gaston Puel, c’est qu’il connaît bien ces dangers que court la poésie qui risque toujours de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est sortie. Or, c’est en gardant ses attaches avec la vie dont elle est issue, une vie toujours en formation, qu’elle peut toucher et ouvrir la conscience des hommes.

Avec Gaston Puel, nous sommes servis ! Ce sont des présences que nous voulions, par delà proses ou vers, eh bien, avec ces sirventès ce sont des présences que nous avons !

 

* Cette note de lecture vient de paraître dans le N° 1009 de la revue Europe en mai 2013

 

 

 

In Memoriam Gaston Puel - 3

( j'ai publié ce texte en 2003 dans Gaston Puel, En chemin eux éditions du Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassonne )

 Gaston Puel ou les pouvoirs du Non

 

 

 

 

 

 « Nous avons toujours la capacité de dire non. C’est, chez l’homme, l’expression la plus naturelle d’un tempérament de lutteur qui se transforme, se renouvelle, s’éteint et renaît sans cesse. La capacité de dire non mais pas le courage. Pourtant vivre c’est dire non, dire non est une affirmation. »

 Kafka

 

 

 

 

Dans la vie et l’œuvre de Gaston Puel, il est un moment important. Une vraie rupture, soit ce qui doit être protégé contre toutes les sirènes qui guettent de tels actes, arrêts où l’on risquerait de s’enliser à nouveau. Lorsque l’on reçoit « l’aube comme un baquet d’eau fraîche » - on ne recourra pas à l’anecdote, disons que nous sommes en 1957 - , la surprise qui fend tous les savoirs anciens ouvre comme un secret, celui de la lumière d’une compréhension : « c’est le moment de dire notre saveur mortelle ».

 Je vois dans cette décision son souci farouche d’authenticité, celui-là même que relevait Georges Mounin quand il disait que Gaston Puel n’écrivait pas mais s’exprimait dans la franchise absolue de lui-même. Aucune naïveté ici. Ici, il ne s’agit pas de se répandre. Mais à partir du plus personnel de se dégager de l’emprise de son modèle intérieur, de se guérir de soi en libérant la part d’universel prisonnière du circonstanciel terriblement personnel :

 Le poème ne méprise pas l’anecdote, mais n’en saurait tirer son viatique. S’il l’accueille c’est pour l’utiliser comme un degré qui donnerait accès à un espace universel dans lequel s’insérerait justement cette part d’éternité que recélait l’anecdote. C’est ainsi que le poème parle une langue utérine où affluent les gênes les plus hétéroclites. Ce qui décide de sa valeur c’est ce noyau d’éternité qui le fonde, sa vibration de parole dans les plis du temps . 

 Je vois également dans cette décision de dire « notre saveur mortelle » son souci éthique de garder intacte une vue simple de la vie et de sa valeur. « Ne pas se pencher pour l’ordure mais pour la rosée, cela fait partie de l’urgence de ce qu’on a appelé l’honneur d’être un homme » dit-il à André-François Jeanjean dans une lettre que publie ce dernier dans la numéro que la revue Tribu a consacré à Gaston Puel e n 1984. J’y vois enfin l’origine de « cette profonde tendresse pour tout ce qui vit ; les plantes, les bêtes, les hommes aussi, malgré leur férocité et la tristesse de leur condition » selon l’exergue de Roger Bissière que Gaston Puel a choisi pour une de ses scansions de son livre L’âme errante .

Gaston Puel est l’homme d’un acquiescement. Le mot revient souvent dans son œuvre. Il fera même titre :

 Acquiescer

 Enseveli dans la confusion, abîmé dans le refus, désaccordé, on souhaite s’éloigner, s’exiler, se sauver du désastre. Il faut s’accepter, épave dans la flotille, fane de la jonchée. Ce NON que nous murmurions se défait dans notre bouche. Nous acquiesçons au futur sans oreille, à la terre qui se dérobe sous nos pieds . 

L’effet de ce Oui est double .

D’une part, il rompt avec un non désordonné qui n’est jamais que l’expression d’un refus de soi. Mauvaise fuite. Colère vaine qui ne traduit qu’un désespoir où s’exaspère le refus non seulement de soi mais encore du monde. D’autre part, il fonde un Non , assuré de lui-même, un Non comme comme condition de possibilité d’un Oui authentique. Un Non qui s’ouvre sur une âme insurgée « toujours », qui « éructe vive chaleureuse », qui « craque fuse étincelle », une « âme qui s’ouvre au vent qui vient ».

Si « l’acquiescement éclaire le visage, écrivait René Char, le refus lui donne la beauté ». Et l’un ne saurait aller sans l’autre, sans leur embrassement/embrasement.

Tel est Gaston Puel. Moins auteur que produit de cette rupture-là. Fils de cet événement-là. C’est qu’il y eut là le choix non d’un avenir mais d’un devenir, « secoués par le doute / sur la route hasardeuse / suspendus à l’espoir ». À la nuit. La sans-appui :

On ne peut s’adosser à la nuit

Elle est toujours devant soi

Comme le front têtu de l’Obscur

Comme le péril de la liberté

Comme le risque d’en finir

Avec une tâche qui n’a pas de fin.


Et l’entrée dans ce devenir lui fait dire à André-François Jeanjean : « Je ne me prends pas pour une personne : j’essaie d’être. C’est difficile mais il faut être rien pour y parvenir. »

C’est ainsi que l’on devient, « espoir et désespoir (s’embrasant) ». Le premier sachant accueillir et épouser le second pour en faire son moteur le plus secret, tant son essence est « la grâce de recommencer ». C’est ainsi que l’on donne la main à l’inconnu que l’on devient. Cela s’appelle poésie quand on partage avec Gaston Puel ces mots :

La poésie n’ajoute rien parmi les ombres

Son battement excède tout

Je ne suis rien  Elle m’invente.

Poésie, voix de l’espoir qui sait acquiescer au temps comme il vient, qui nous délie, nous brasse, nous fait gerbes. Vent, « âme errante » qui hante le poème.

 

Il est urgent aujourd’hui de lire Gaston Puel !

 

 

 

 

 

In Memoriam Gaston Puel - 2

 

( ce poème de Gaston Puel que je lisais, anticipant sur ma lecture du 30 juin 2013 à Sigean, au moment où j'appris sa mort )


XXIX.

 

A Suzanneet Ralph.

 

Sur des remparts minés, délaissant des escaliers envahis par lesorties, nous avons rencontré la Gitane.Elle s'est aussitôt saisie de mes mains, 1'odeur d'un figuier montait des jours anciens dans la chaleur matinale.L'eau était fraîche encore et tremblait dans le seau sur la margelle d'un puits. Elle parlait lentement et comme machinalement, dans 1'ombre des tilleuls quelques-uns de ses mots dansaient avec des pastilles de lumière.Soudain ellese tut, ferma les yeux et serrant ma main dans la sienne:vous ne mourre zpas !

Elle rompit,s'éloigna toute droite,s’effaçant dans 1'affairement mensonger du jour, dans le charroi des cris des martinets, dans le ventre vide de la mort...

 

L’Herbe de l’oubli, Thierry Bouchard, 1995

In Memoriam Gaston Puel- 1

 Gaston Puel, le poète de Veilhes, s'est éteint hier, lundi 3 juin. Gaston, c'était mon lien de chair avec JoëFév 88- Gaston Puel à Ka579.jpg Bousquet. C’était l'ami avec qui nous avons tenu, contre bien des vents et des  marées, grâce à l'amitié de quelques-uns - comment ne pas penser à Ginette Augier, Charles-Pierre Bru, Jean Camberoque, Hrnri Tort-Nougès, René Piniés, Serge Bonnery, Cécile Bernard, Claude Caro, Gaston Ruffel, Katy Barasc, Anne Gualino, les fées du Centre, les poètes, les peintres, les éditeurs qui  sont passés là depuis sa création en 1999 -  le cap de ce Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassonne.

A 6h 45, me dit-on, ce lundi…je veux croire que cette « musique conviée au sacre de l’ineffable » qu’il invitait « au chevet de Philippine, à l’instant de l’adieu » alors qu’elle glissait à l’oreille de son infirmière « c’est la fuite, ma sœur… », Gaston l’aura entendue une dernière fois. Dédiée « au secret des lointains » sera encore passée une dernière fois,  la poésie.

De Gaston Puel, je veux garder cette leçon que lui-même apprit de Joë Bousquet, à savoir que « la difficulté pour un poète n’est pas de trouver la poésie » mais « de rester un homme en devenant un poète ». C’est que toujours la poésie risque de tomber dans ses propres eaux, de se laisser déborder par les forces qui la meuvent. Et c’est bien cela qui est revigorant dans la poésie de Gaston Puel, c’est qu’il connaît bien ces dangers que court la poésie qui risque toujours de s’enivrer d’elle-même, de battre tellement à son rythme qu’elle finit par ne plus appartenir qu’à sa musique et non au drame dont elle est issue. Or, c’est en gardant ses attaches avec la vie dont elle provient, une vie toujours en formation, qu’elle peut toucher et ouvrir la conscience des hommes.

Ces mots pour dire au revoir, ces mots que Gaston Puel, l’homme de « la fenêtre ardente »,  écrivit pour PAB – pierre-André Benoit, poète et éditeur d’art :

« Celui qui voulut apprivoiser la lumière nous est proche, il est là, il est aimé »

 

Michel Ménaché à propos d'Alejandra Pizarnik, L’enfer musical & Cahier jaune, traduits par Jacques Ancet, éd. Ypsilon

Alejandra Pizarnik, comète tragique de la poésie argentine, issue d’une famille juive d’origine russe, s’est suicidée en 1972 à Buenos Aires. Elle avait 36 ans. Les éditions Ypsilon entreprennent aujourd’hui d’éditer son œuvre en 15 volumes et commencent par le dernier recueil publié de son vivant, L’enfer musical, et un inédit, Cahier Jaune*.

L’enfer musical est un chant de détresse et d’expérimentation du pouvoir de la langue sur la vie. L’auteure tente de résister à son propre démembrement psychique, tantôt par la perte de soi, tantôt par la réunification de soi, dans le langage : « Je vais me cacher dans le langage / et pourquoi / cette peur. » Son angoisse existentielle perce dans chaque poème, explose en voix plurielles : « Je ne peux parler avec ma voix mais avec mes voix. » Cette étrangeté non identifiable du moi éparpillé se traduit en métaphores de l’invisibilité, ou de l’exil : « mon inconnue que je suis, mon émigrante de moi. » Eclatement à l’infini : « la quantité de fragments me déchire. » L’enfer musical est d’abord l’expression du naufrage de l’être dans le mystère de sa propre parole. Alejandra Pizarnik se représente singulièrement, mais avec quelle pertinence, en pianiste impuissante à atteindre le cœur même de sa musique intérieure, l’orée de son intangible territoire : « Je voulais que mes doigts de poupée pénètrent dans les touches […] Je voulais entrer dans le clavier pour entrer à l’intérieur de la musique, pour avoir une patrie. » Quant au legs d’une ascendance lointaine, persécutée, il renvoie consciemment ou non aux obsessions de l’enfance, « héritière de tout jardin interdit… » Ici, pas de vert paradis mais « la subite débandade des fillettes que je fus. » La fracture d’avec le monde s’inscrit dans la syntaxe et la prosodie : « la solitude serait cette mélodie brisée de mes phrases. »  Dans les Unions possibles, une notation sur un exemplaire des Chants de Maldoror relève le mot terre, « triste comme lui-même, beau comme le suicide. » En écho, des métaphores morbides rehaussent l’autoportrait éclaté de tonalités mortifères : « La lumière du langage me couvre comme une musique, image mordue par les chiens de la peine, et l’hiver grimpe sur moi l’amoureuse plante du mur […] Je ne suis rien qu’un dedans. » Les images de noyade, d’asphyxie, s’enchaînent, « se dépouillent de leur suaire. » Avec parfois, une touche d’autodérision : « J’émets les sons magiques de la pleureuse. » Le poème soudain se fige en un questionnement sans réponse, sur le mode du dédoublement, toute quête de sens paraissant dérisoire : « Vie, ma vie, qu’as-tu fait de ma vie ? »

La dernière partie du recueil, Les possibles parmi les lilas, introduit une galerie de grotesques, un « théâtre pour fous » avec un « gnome édenté » courant derrière une naine nue. Images morbides qui renvoient à un sentiment d’absurdité absolue : « Je n’existe plus et je le sais ; ce que je ne sais pas c’est qui vit à ma place. » Sentiment d’échec aussi quant à la vanité de l’écriture : « Les mots auraient pu me sauver mais je suis bien trop vivante. »

Jacques Ancet, dans une postface éclairante, Les voix de la voix, insiste sur cette quête par le langage, « exploration obstinée » que décrypte sans fin « la sauvagerie d’une altérité plurielle. »  Litanie polyphonique de la difficulté d’être par « un chœur de voix obscures » résonnant au fond de cet enfer musical d’une humanité à vif…

 

Le Cahier jaune regroupe des textes en prose datant des dix dernières années d’Alejandra Pizarnik. Un défi qui dès le premier texte, Contre, tient du combat avec les mots : « Des mots dans ma gorge. Des cachets inabsorbables. » Ou encore : « Et tu luttes pour ouvrir ton expression, pour te libérer des murs. » Ecrit en Espagne consigne des impressions, l’évocation elliptique d’une relation amoureuse dévorante, avec des métaphores énigmatiques balançant d’Eros à Thanatos : « Quand il parle avec sa voix […] Battements d’ailes dans mon sexe […] (moi sur son corps comme un oiseau singulièrement blessé). Tout ce que nomme sa voix est raison de mon amour. (Eux ils étirent leurs ombres, plongent leurs griffes dans ma gorge.) Cette chose d’un unique crépuscule. Pour pouvoir regarder les nuages j’ai médité sur mon suicide. Pour pouvoir aimer les nuages, mon dernier été, mon dernier ennui. »

A partir des descriptions cliniques de visions entrevues, des métamorphoses se produisent, des changements de nature,  et l’évocation bascule dans le fantasme, voire le fantastique : « C’est pourquoi dans mes nuits il y a des voix dans mes os, et aussi – et c’est ce qui me fait me plaindre – des visions de mots écrits mais qui bougent, combattent, dansent, perdent leur sang, ensuite je les vois marcher avec leurs béquilles, en haillons, cour des Miracles, de a jusqu’à z, alphabet de misères, alphabet de cruautés… (il faut connaître ce lieu de métamorphoses pour comprendre pourquoi je me fais souffrir d’une manière aussi compliquée.)»  Avec plus de légèreté, d’humour aussi, dans Violaire, l’auteure évoque le souvenir sordide d’une agression sexuelle dont elle fut la proie lors d’une veillée funèbre : « D’une ancienne similitude mentale avec le petit chaperon rouge, viendrait, je ne sais, la fascination qu’involontairement j’éveille chez les vieilles à face de loup. » Certains textes tiennent du conte d’autres du poème en prose. L’homme au masque bleu s’inspire à la fois de Lewis Carroll et de Kafka.

Quelques extraits des journaux intimes en fin d’ouvrage soulignent la rage de l’expression d’Alejandra Pizarnik, obsédée par l’urgence de faire advenir « une forme impossible de prose qui [la] ronge. » Encouragée pourtant à la publication par Alberto Manguel à qui elle avait fait lire treize proses du Cahier jaune, elle n’en finit pas d’être assaillie par le doute, tourmentée par le sentiment d’inachèvement indépassable : « Parce que ce sont des poèmes, ils appartiennent à l’ineffable. »

Le Cahier jaune dit l’indicible, la tangible absence, l’effroi permanent de mourir d’écrire : « Je meurs dans des poèmes morts qui ne coulent pas comme moi, qui sont de pierre comme moi, qui roulent et ne roulent pas, un naufrage linguistique, une manière d’inscrire à feu et à sang ce qui s’en va librement et ne pourrait revenir… »

Quête d’un absolu singulier dans les sables mouvants de la mélancolie avide…

 * Paru dans la revue Europe, N°1008, avril 2013

                                                        

04/06/2013

Lu 92- Jean-Marie Barnaud, L'effigie et autres carnets, Fonds proses, éditions de l'Amourier

Après Aral (L’Amourier, collection Thoth, 2001) après ses Récits de la vie brèvePhotoJMBarnaud.jpg (L’Amourier, collection Thoth, 2004), ces cinq récits comme cinq lignes de vie, Jean-Marie Barnaud publie aux mêmes éditions, L’effigie et autres carnets (Fonds  proses, 12, 50 euros). Ces proses sont comme autant de démystifications que l’écrivain mène vis-à-vis de lui-même et donc envers les autres également. Ces proses ont été écrites dans cet « angle d’inclinaison de l’existence » dont parlait Paul Celan, c’est dire si la part d’histoire personnelle est importante dans ce livre comme en témoignent les rêves qui constituent la partie III de ce livre, mais passés au crible de l’écriture et de la composition, processus dont les poudreuses enjambées lèvent devant elles chemins et sens à venir,.

 Couv L'effigie-JMB312.jpgEtonné peut-être, le lecteur ne manquera pas dans un deuxième temps de s’interroger sur cette mosaïque de trois récits, eux-mêmes subdivisés en plusieurs parties. L’ensemble forme un livre, un texte littéraire composé de pièces d’écriture disposées sans ordre causal. Voyons ce qu’il en est : la première, L’effigie, se donne pour le carnet d’écriture d’un « type » - ainsi se nomme le narrateur – drôle de type qui va demandant aux passants quel âge ils lui donnent avant de rencontrer Delphine, pythie d’aujourd’hui ; dans la seconde, La maison lointaine, un écrivain nous raconte l’expérience d’une de ses mises en écriture, sa solitude dans sa maison d’écriture en Corse, ses lenteurs, ses doutes jusqu’à ce que survienne un fait étrange : le surgissement d’une écriture qu’il ne reconnaît pas comme sienne dans son tapuscrit, texte court mais terrible, texte de la voix noire, accusatrice qui illégitime le travail et la vie même de qui a pris la bure pour écrire au plus près de lui-même ; la troisième présente deux volets, une vie en rêve d’abord est constituée par la relation datée de cinq rêves : un « témoin des rêves » rapporte au présent ce qui, hier, a troué la nuit, Remonter le fleuve enfin, un de ces souvenirs que le rythme des vagues, du vent dans les voiles, des coups d’embrun arrache à ce corps d’oubli, notre mémoire.

 Point de dénouement ici, la fin ne donne pas ici raison du début. L’enfant – et les habitués des livres de Jean-Marie Barnaud savent combien cette figure est fréquente et importante dans tous ses livres – image sur laquelle se clôt ce livre, ne renvoie pas à ce qui pourrait sourdre du « misérable tas de petits secrets », il est « l’enfant d’Héraclite (…) le temps lui-même, et qui joue », il est l’enfant du rythme, cela qui tient, implique, pli dans pli, des relations de qualité telles qu’elles font de ce livre un tout cohérent, celui d’une marche immobile visant à explorer une zone centrale, place vide d’une question : « et qui peut dire quel homme on est vraiment ?» ou autrement dit « est-ce bien en mon nom que je parle ? »

 Plusieurs choses m’ont toujours frappé chez Jean-Marie Barnaud. D’abord, son sens de l’attaque, du départ. Brusquerie, entaille, trait, flèches lancés dans la plus grande simplicité. Coups venus du dehors : une figure de femme, Delphine, dans L’effigie ; un mot de femme, le mot « pesant » utilisé pour caractériser le comportement du narrateur dans La maison lointaine ; toujours quelque chose fait effraction, arrive, rompt la suite des jours ou des nuits comme les rêves d’Une vie en rêve. On le voit, il suffit de trois fois rien : une silhouette croisée, un mot, des restes d’images au petit matin, un espace de sens à poursuivre s’ouvre alors « au présent de l’écriture » selon les mots de Claude Simon car c’est là dans le cheminement de ce qui s’écrit que s’ouvrent les routes. Ensuite, le fait que toujours les narrateurs de Jean-Marie Barnaud savent se séparer. Ici, pour écrire, le « type » va s’enfermer douze jours durant, l’écrivain va filer en Corse dans sa maison d’écriture, le dormeur s’absentera de sa conscience comme s’absentera le marin de sa navigation dans le dernier récit, Remonter le fleuve, pour laisser place aux avirons d’hier battant la Charente. Se mettre à part, prendre le large pour tenter de s’appartenir au mieux, au plus près, faire le noir pour y voir clair… On le voit , la séparation ici est du côté de la vie, ouverture du champ du possible.

Enfin, ce souci d’écrire léger, de « poser à peine ses sandales sur le sol » comme l’écrit le « type », d’écrire comme s’effacent les choses, les jours qui filent, le beau temps qui passe, tout cela qui fait de notre sol quelque chose qui se dérobe, se perd dans le même temps où il s’affirme. D’où cet effet d’entraînement que suscite la lecture des livres de Jean-Marie Barnaud. On y est toujours comme appelé, porté par un ton. Et tenu. Claude Simon affirmait dans un entretien que « l’un des problèmes lorsqu’on écrit est de trouver un ton et quand le texte a un caractère autobiographique une certaine distance ». Ton et distance, voilà bien les deux caractéristiques de l’écriture de Jean-Marie Barnaud. C’est par là que son écriture nous touche – en prose comme en vers.

 Echec glorieux, c’est le mot qui me vient quand je lis que le « type » entendra sans entendre le nom – son nom ! – que lui murmure Delphine ou que l’écrivain rentrera lourd de cette énigme qui met en cause son acte même d’écrire. Quant au « témoin des rêves », on sait bien que si le témoin fait autorité, c’est à partir d’une incapacité à dire reconnue comme telle. Si la margelle est bien là, le puits manque ! Comme hier. Comme depuis toujours ! Et nous voilà voués à l’errance, à l’oubli, au non-savoir, à ne pas écrire à partir de ce que l’on sait/croit savoir, de ce que l’on a vécu/croit avoir vécu mais bien à partir de ce que l’on ignore avoir su/vécu. Les narrateurs de Jean-Marie Barnaud voudraient tous « parler en leur nom ». Mais lequel ? Qui parle sous ces voix d’encre dont nous parcourons les modulations, aimons les accélérations comme les coups de frein, les ralentis, les glissades, les silences ? Delphine, elle, la lectrice des carnets du « type », le saura – et sous son nom, c’est Delphes qu’on entend et l’ombre de la pythie penchée sur l’omphalos, ce trou où gît le serpent Python tué par Apollon. Je gage que tout lecteur est potentiellement une Delphine. Le nom, vous le saurez ! Et ne soyez pas étonné si c’est le vôtre que vous entendez, celui que vous ne connaissez pas ou alors d’un savoir insu. Ce nom vous l’entrentendrez – Ne dit-on pas entrapercevoir ? – le temps de ces frissons qui ont pu faire friser les pages du livre comme le vent fleurit la mer.

 

 

 

 

 

Lu 91- Jacques Ancet, Comme si de rien, éditions l'Amourier, fonds Poésie

couv Comme si de rien451.jpgPour discrète qu’elle soit, la voix de Jacques Ancet porte loin, balayant de nombreux territoires. Poète, il est l’auteur d’une bonne trentaine de livres. Il a obtenu en 2009 le prix Apollinaire pour L’identité obscure. Prosateur, essayiste, il est aussi l’incomparable traducteur des poètes de langue espagnole : de Saint Jean de la croix  à Juan Gelman en passant par Quevedo, Jorge Luis Borges, jose Angel Valente, Antonio Gamoneda, Alejandra Pizarnik … Une œuvre donc abondante et importante. En retrait, étranger aux tourbillons des modes, fidèle à une démarche obstinée et endurante  qui voit son écriture rôder sur les crêtes, tutoyer les lisières, frôler les bords mal assurés des genres toute tendue « vers ce lieu sans lieu où quelque chose s’achève et commence à la fois. Territoire vide – nu – où postures et costumes s’évaporent dans la nudité du non savoir ».

C’est cette écriture poétique que nous donnent à lire les éditions de l’Amourier (13 euros) avec ce Comme si de rien. 95 poèmes, soit 95 moments dûment datés entre le 10 juillet 2006 et le 23 juin 2007, histoire de bien ancrer le poème  dans un présent d’écriture, et 2 proses dont une inaugurale qui pose l’enjeu du livre : « écrire le jour, ses odeurs, ses lueurs, ses rumeurs. L’ensemble ressemble à un journal mais ce n’est pas un journal ! Ce n’est pas le compte-rendu d’un vécu quotidien ni des réflexions sur le cours du monde ni des notes de poétique, je risquerais le mot de chronique non en son sens traditionnel de relation d’événements historiques mais plutôt comme production de présent au fil des jours et ce par le travers du corps, dans le poème. 95 poèmes comme 95 «  (fenêtres) (…) petits rectangles de mots qui donnent sur ce qu’on ne sait pas », pour dire que « ce qui s’approche, s’éloigne » et que ce qui reste c’est peu de chose finalement. Presque rien. Ce qui reste « quand on se retourne » , c’est moins qu’un chemin, moins que des traces, juste « un miroitement évaporé. Comme si rien n’avait jamais été. » Miroitement dont les 95 sizains donnent tout le rayonnement et la résonance. Comme si de rien n’est donc pas rien et si ce n’est pas le rien d’en haut dont parlait Simone Weil se serait le rien d’ici-bas comme une transcendance qui logerait dans l’immanence, un rien germinatif, quelque chose de l’ordre de ce « rien qui fait tout surgir » dont parlait le philosophe danois Sören Kierkegaard ?

Comme si de rien m’apparaît comme un livre plein de cette tendresse dont parle Bernard Noël à propos des poèmes de Jacques Ancet, tendresse comme celle d’un “reste de présence en train de dissoudre”, comme celle d’une “vibration continue dont l’intonation imprègne tout du vocabulaire à la syntaxe”, comme celle d’un ton fait de simplicité, d’euphonie, de fluidité dans les agencements verbaux, en un mot de pudeur. C’est elle qui nous tient et nous rend capable de tendre avec plus de justesse la corde des jours.

 

 

 

 

 

 

 

Balise 85 - sur le désespoir humain

"Qui sont-ils les hommes qui peuvent insulter les hommes? Qui sont-ils les ricaneurs pantalonnés? De quoi est-ce que je parle? Je parle du désespoir humain, de l'incroyable solitude de la naissance et de la mort ténébreuse et je pose la question : « En quoi cela prête-t-il à rire? Comment peut-on faire le malin quand on est dans le hachoir à viande? Qui nargue la misère? "

Jack Kerouac, Les anges vagabonds

18:45 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kérouac