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05/06/2013

In Memoriam Gaston Puel - 3

( j'ai publié ce texte en 2003 dans Gaston Puel, En chemin eux éditions du Centre Joë Bousquet et son temps de Carcassonne )

 Gaston Puel ou les pouvoirs du Non

 

 

 

 

 

 « Nous avons toujours la capacité de dire non. C’est, chez l’homme, l’expression la plus naturelle d’un tempérament de lutteur qui se transforme, se renouvelle, s’éteint et renaît sans cesse. La capacité de dire non mais pas le courage. Pourtant vivre c’est dire non, dire non est une affirmation. »

 Kafka

 

 

 

 

Dans la vie et l’œuvre de Gaston Puel, il est un moment important. Une vraie rupture, soit ce qui doit être protégé contre toutes les sirènes qui guettent de tels actes, arrêts où l’on risquerait de s’enliser à nouveau. Lorsque l’on reçoit « l’aube comme un baquet d’eau fraîche » - on ne recourra pas à l’anecdote, disons que nous sommes en 1957 - , la surprise qui fend tous les savoirs anciens ouvre comme un secret, celui de la lumière d’une compréhension : « c’est le moment de dire notre saveur mortelle ».

 Je vois dans cette décision son souci farouche d’authenticité, celui-là même que relevait Georges Mounin quand il disait que Gaston Puel n’écrivait pas mais s’exprimait dans la franchise absolue de lui-même. Aucune naïveté ici. Ici, il ne s’agit pas de se répandre. Mais à partir du plus personnel de se dégager de l’emprise de son modèle intérieur, de se guérir de soi en libérant la part d’universel prisonnière du circonstanciel terriblement personnel :

 Le poème ne méprise pas l’anecdote, mais n’en saurait tirer son viatique. S’il l’accueille c’est pour l’utiliser comme un degré qui donnerait accès à un espace universel dans lequel s’insérerait justement cette part d’éternité que recélait l’anecdote. C’est ainsi que le poème parle une langue utérine où affluent les gênes les plus hétéroclites. Ce qui décide de sa valeur c’est ce noyau d’éternité qui le fonde, sa vibration de parole dans les plis du temps . 

 Je vois également dans cette décision de dire « notre saveur mortelle » son souci éthique de garder intacte une vue simple de la vie et de sa valeur. « Ne pas se pencher pour l’ordure mais pour la rosée, cela fait partie de l’urgence de ce qu’on a appelé l’honneur d’être un homme » dit-il à André-François Jeanjean dans une lettre que publie ce dernier dans la numéro que la revue Tribu a consacré à Gaston Puel e n 1984. J’y vois enfin l’origine de « cette profonde tendresse pour tout ce qui vit ; les plantes, les bêtes, les hommes aussi, malgré leur férocité et la tristesse de leur condition » selon l’exergue de Roger Bissière que Gaston Puel a choisi pour une de ses scansions de son livre L’âme errante .

Gaston Puel est l’homme d’un acquiescement. Le mot revient souvent dans son œuvre. Il fera même titre :

 Acquiescer

 Enseveli dans la confusion, abîmé dans le refus, désaccordé, on souhaite s’éloigner, s’exiler, se sauver du désastre. Il faut s’accepter, épave dans la flotille, fane de la jonchée. Ce NON que nous murmurions se défait dans notre bouche. Nous acquiesçons au futur sans oreille, à la terre qui se dérobe sous nos pieds . 

L’effet de ce Oui est double .

D’une part, il rompt avec un non désordonné qui n’est jamais que l’expression d’un refus de soi. Mauvaise fuite. Colère vaine qui ne traduit qu’un désespoir où s’exaspère le refus non seulement de soi mais encore du monde. D’autre part, il fonde un Non , assuré de lui-même, un Non comme comme condition de possibilité d’un Oui authentique. Un Non qui s’ouvre sur une âme insurgée « toujours », qui « éructe vive chaleureuse », qui « craque fuse étincelle », une « âme qui s’ouvre au vent qui vient ».

Si « l’acquiescement éclaire le visage, écrivait René Char, le refus lui donne la beauté ». Et l’un ne saurait aller sans l’autre, sans leur embrassement/embrasement.

Tel est Gaston Puel. Moins auteur que produit de cette rupture-là. Fils de cet événement-là. C’est qu’il y eut là le choix non d’un avenir mais d’un devenir, « secoués par le doute / sur la route hasardeuse / suspendus à l’espoir ». À la nuit. La sans-appui :

On ne peut s’adosser à la nuit

Elle est toujours devant soi

Comme le front têtu de l’Obscur

Comme le péril de la liberté

Comme le risque d’en finir

Avec une tâche qui n’a pas de fin.


Et l’entrée dans ce devenir lui fait dire à André-François Jeanjean : « Je ne me prends pas pour une personne : j’essaie d’être. C’est difficile mais il faut être rien pour y parvenir. »

C’est ainsi que l’on devient, « espoir et désespoir (s’embrasant) ». Le premier sachant accueillir et épouser le second pour en faire son moteur le plus secret, tant son essence est « la grâce de recommencer ». C’est ainsi que l’on donne la main à l’inconnu que l’on devient. Cela s’appelle poésie quand on partage avec Gaston Puel ces mots :

La poésie n’ajoute rien parmi les ombres

Son battement excède tout

Je ne suis rien  Elle m’invente.

Poésie, voix de l’espoir qui sait acquiescer au temps comme il vient, qui nous délie, nous brasse, nous fait gerbes. Vent, « âme errante » qui hante le poème.

 

Il est urgent aujourd’hui de lire Gaston Puel !