Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/06/2013

Lu 91- Jacques Ancet, Comme si de rien, éditions l'Amourier, fonds Poésie

couv Comme si de rien451.jpgPour discrète qu’elle soit, la voix de Jacques Ancet porte loin, balayant de nombreux territoires. Poète, il est l’auteur d’une bonne trentaine de livres. Il a obtenu en 2009 le prix Apollinaire pour L’identité obscure. Prosateur, essayiste, il est aussi l’incomparable traducteur des poètes de langue espagnole : de Saint Jean de la croix  à Juan Gelman en passant par Quevedo, Jorge Luis Borges, jose Angel Valente, Antonio Gamoneda, Alejandra Pizarnik … Une œuvre donc abondante et importante. En retrait, étranger aux tourbillons des modes, fidèle à une démarche obstinée et endurante  qui voit son écriture rôder sur les crêtes, tutoyer les lisières, frôler les bords mal assurés des genres toute tendue « vers ce lieu sans lieu où quelque chose s’achève et commence à la fois. Territoire vide – nu – où postures et costumes s’évaporent dans la nudité du non savoir ».

C’est cette écriture poétique que nous donnent à lire les éditions de l’Amourier (13 euros) avec ce Comme si de rien. 95 poèmes, soit 95 moments dûment datés entre le 10 juillet 2006 et le 23 juin 2007, histoire de bien ancrer le poème  dans un présent d’écriture, et 2 proses dont une inaugurale qui pose l’enjeu du livre : « écrire le jour, ses odeurs, ses lueurs, ses rumeurs. L’ensemble ressemble à un journal mais ce n’est pas un journal ! Ce n’est pas le compte-rendu d’un vécu quotidien ni des réflexions sur le cours du monde ni des notes de poétique, je risquerais le mot de chronique non en son sens traditionnel de relation d’événements historiques mais plutôt comme production de présent au fil des jours et ce par le travers du corps, dans le poème. 95 poèmes comme 95 «  (fenêtres) (…) petits rectangles de mots qui donnent sur ce qu’on ne sait pas », pour dire que « ce qui s’approche, s’éloigne » et que ce qui reste c’est peu de chose finalement. Presque rien. Ce qui reste « quand on se retourne » , c’est moins qu’un chemin, moins que des traces, juste « un miroitement évaporé. Comme si rien n’avait jamais été. » Miroitement dont les 95 sizains donnent tout le rayonnement et la résonance. Comme si de rien n’est donc pas rien et si ce n’est pas le rien d’en haut dont parlait Simone Weil se serait le rien d’ici-bas comme une transcendance qui logerait dans l’immanence, un rien germinatif, quelque chose de l’ordre de ce « rien qui fait tout surgir » dont parlait le philosophe danois Sören Kierkegaard ?

Comme si de rien m’apparaît comme un livre plein de cette tendresse dont parle Bernard Noël à propos des poèmes de Jacques Ancet, tendresse comme celle d’un “reste de présence en train de dissoudre”, comme celle d’une “vibration continue dont l’intonation imprègne tout du vocabulaire à la syntaxe”, comme celle d’un ton fait de simplicité, d’euphonie, de fluidité dans les agencements verbaux, en un mot de pudeur. C’est elle qui nous tient et nous rend capable de tendre avec plus de justesse la corde des jours.