24/05/2009
In Memoriam Antoinette Jaume
Débuts des années 80. Montgeron. La revue La Sape organisait des Feux de bois. Jean-Marie Barnaud et moi-même y avons été invités avant d'entrer au comité de rédaction de cette revue qu'Antoinette Jaume avait fondée avec Maurice Bourg et dont elle s'est occupée pendant près de trente ans. Une relation privilégiée s'est établie entre elle et nous favorisée par une montagne: le Canigou; un pays: le Midi Noir; un poète: Joë Bousquet. Relieur d'art, peintre, son oeuvre poétique se tient entre "angoisse et fascination du trop-plein basculant dans le vide; de l'instant unique où pourrait apparaître l'invisible,murmurer l'inaudible; où un seul mot pourrait dire l'indicible".
Sur le site du Printemps des poètes (www.printempsdespoetes.com/)ou sur celui des éditions de l'Amourier (www.amourier.com) qui a publié Le temps du sel en 2003, on trouve sa bibliographie.
J'ai demandé à Jean-Marie Barnaud de rédiger quelques mots pour accompagner celle qui est partie. Quant à moi, je reprends ici ce Vol de l'hirondelle, paru dans La Sape, N°23/24, en 1990 et consacré à son livre Instances paru chez Dominique Bedou.
*
Sois à la fois la page
la plume et le pinceau m'as-tu dit
pareillement nécessaires
et négligeables
Je relis ces vers d'Antoinette Jaume, extraits de son beau livre d'artiste, Paroles de vent, paru à La Bartavelle en 2000 et illustré, en contrepoint, par des pastels de l'auteur – c'était un choix de poèmes tirés de Rives du temps publié cinq ans auparavant chez le même éditeur.
Et je les trouve, ces mots, qui portent et la fermeté d'une injonction, et l'humilité d'un constat sans appel, parfaitement fidèles, dans l'aveu simple qu'ils expriment, au souvenir que j'ai de l'humanité d'Antoinette.
On ne sait qui lui donne cet ordre, quel ange secret peut-être, de se faire elle-même l'outil "nécessaire" de sa querelle, et de poursuivre, inlassable, sa chimère par le tableau et le poème, tout en lui enseignant la sagesse, si rare, de se garder de toute vanité.
Mais voilà: notre chasse, oui, est à la fois nécessaire, on ne transigera pas là-dessus, et en même temps elle ne pèse rien.
Je me dis que c'est la conjonction de cette force et de ce doute qui lui inspirait, outre la nostalgie de certains lieux et d'un paradis improbable, la mélancolie qu'on voit dans ses poèmes, venue de ce qu'elle nomme elle-même son "exil intérieur hors d'âge", à côté de l'amour des choses simples et évidentes, "l'hirondelle a de ces vols/parfois", et de sa fascination pour les visages…
Demeure aussi dans mon souvenir des années 80, alors qu'elle était si active au comité de rédaction et au secrétariat de La Sape – elle y a tenu trente années ce rôle – la générosité de son accueil et de son écoute, sa fidélité.
J'ai regardé longuement son beau et fin visage sur la photo du site du Printemps des poètes; elle est bien jeune alors; mais son regard déjà, un peu lointain, un peu ailleurs, n'est tourné que vers l'essentiel:
Ces yeux ne voient plus que leur ciel intérieur
© Jean-Marie Barnaud
*
Le vol de l’hirondelle
"Et tu glisses entre les vents comme un oiseau."1
Avez-vous vu voler une hirondelle ?
Avez-vous vu comme à la limite extrême de son plané, celle-ci brusquement se détourne et vire en folles saccades,comme si la Familière se sentait, menacée d’évanouissement dans cet accomplissement même qui la portait ?
Cela saisit comme un désastre, d'où sort pourtant à nouveau l'oblique calme d'une ligne parfaite avant la foudre de nouvelles ruptures.
Souvenez-vous du vol des hirondelles avant de lire Instances d'Antoinette Jaume. Du visible au lisible, la traverse ici est heureuse.
Souffles balancés,virtualités murmurantes,enroulements,reprises,plané des images,.ruptures : telle est cette écriture qui dans Instances sait rester ténue,entre "affleurement de 1'immobile"2 et "effleurement du silence",écriture aux trous blancs par où remonte l’étrange clarté de cela même qui,sans rapport, retiré dans son ouverture,nous parvient, dans le mystère de 1'Instant, cette lisière, en flammes entre "accompli" et "désastre".
*
Instances est le poème brûlant de l'approche du "coeur inapprochable où / tout ne serait rien / tout et rien d'autre"', poème du basculement hors du "jardin angélique", car être entraîné vers, c'est aussi dans le même mouvement, effet inéluctable,être entraîné hors de. Aborder, c’est déjà déborder. L'avant est toujours suivi d'un après.
Tel est l’incessant de l’Instant. Pourtant cette dualité ne saurait se penser sans qu'un tiers temps ne s'intercalât entre ces deux mouvements : temps de l’espoir, du rêve d'un "possible paradis en ce pur suspens "à figure d'éternité", en ce seuil où "le temps trouve grâce"; moment de la prière ou du délire où Antoinette Jaume avoue: "Oh retenir le jet de 1'arc / serrer dans sa main ferme toutes /' les
Rênes du désir / cristalliser l'instant unique / de l'immobile. »
Mais, ce moment est aussi bien celui de tous les dangers.
L'image du « paradis" est dangereuse, en ce qu’elle semble faire signe
vers un lieu apaisé d’où il n'y aurait plus à partir, pur repos dans « l’abandon de l’étale. »
S'il est vrai que l'instant est étymologiquement ce qui se tient dans l'entre-deux en tant qu'il n'est ni l'avant, ni l'après, mais cet "éclair foudroyé de paradis", ce moment où nous nous trouvons comme suspendus dans la durée pure d'un moment d'équilibre, pur suspens qui ne trouve de mesure que rapporté à l’éternité, « ajustement paisible" entre l'avant et l' après, il reste qu’ on ne s'installe pas ence "lieu sans lieu' / hors d'exil", proche en son étale de la mort. eu son étale de la mort.
*
Si Antoinette Jaume ne peut, éviter cette fascination, son attention de poète, ce regard amoureux porté par les yeus du jour de ceux qui savent laisser sur les rives du malheur "leur vêtement d'orgueil et de possession"3 la sauve. Ainsi quand "le visage intérieur / éclate et se disperse aux lèvres de la fontaine", son regard sait subvertir le savoir Jusqu’à dévêtir la vie de ce que lui ajoute l’ombre de nos personnes, "ce visage de tous les jours".
Alors, il est émergence, dans le feu de son amour de nouvelles naissances se laissent deviner. Alors, le brasier l’Instant est rendu à son essence: pur échappement perpétuel à soi, et c'est "l'abîme" qui "prolonge encore le murmure de la vie / le démembre / 1'éparpille".
Parce que "toute jubilation éclate comme une graine trop mûre, Instances est bien alors le poème brûlant du passage. C'est à ce "devenant" qu'Antoinette Jaume se voue, à cet instant comme "tension immédiate et agissante sans qui n'existeraient ni l'avant, ni l’après".4
C'est Cela, cet « essentiellement passant" que sa parole-funambule trace, souffle qui « a retrouvé la cadence de ce qui se noue et se défait".5
Et c'est alors la vie même, ce battement - nouaison, dénouaison tissé d'attente, cette trame de nos jours,qui triomphe dans la lucidité
douloureuse de la reconnaissance de ce que le désir a de flamboyant
quand il s ' entretient à ses propres braises :
« Nouée, dénouée, renouée / l'attente dans l'avant / dans l’après / est infinie".
Figure inverse de l'espoir, le désespoir n'est pas ici de mise. Nous dirions plutôt que ce livre d'Antoinette Jaume ouvre sur une sagesse de l'inespoir, ce savoir des rnétamorphoses qui sait ne rien attendre eu retour. Il n'y a pas de passe dernière à franchir,il n'y a pas de combe dernière. L'ultime demeure intact dans le désir: "Départ sans cesse en instance / pour le lieu pur dormant au coeur de l’apparence. »
*
Ces Instances sont bien, en un sens second, des sollicitations pressantes,des prières à nous adressées.
Oui, le "paradis" est possible, ici et maintenant, telle est la bonne nouvelle de ces Instances. Ce n'est pas qu'il y ait à rêver d'un lieu, lointaine origine préservée où remonter serait pacifier toutes les contradictions qui tiennent au temps hideux des jours comme ils vont, mais c'est révéler qu’une ouverture autre à ce monde est possible qui le rendrait enfin à lui-même, à sa "tendre indifférence", disait Albert Camus. Dans cette "paisible parenté distante des choses à moi, de moi a elles"7, je suis rendu à son battement vital.
Disparu le regard nostalgique d’arrière, s'ouvre celui amoureux de ce qui vient, à l’avant de nos; pas, incessamment comme "se déploie / parmi les nuages / ailes et vent" le poème, cette parole d'hirondelle.
© Alain Freixe
Notes :
1) Antoinette Jaume, Egrégore, éd Saint-Germain-des-prés, 1976
2) Toutes nos citations non numérotées sont extraites de Instance, éd Dominique Bedout, I989
3) Antoinette Jaume, Abrupts, Le Connier, I978
4) Antoinette Jaume, Entretien avec André Miguel, Le Journal des
Poètes, N°3-4, I985
5)Antoinette Jaume, Egrégore, éd Saint-Germain-des-prés, 1976
6) Idem
7) Roger Munier, Le contour, l’éclat, éd de la Différence, 1977
11:28 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie
Turbulence 36 - ...et toujours plus de contrôle!
On ne peut plus s'absenter quelques jours, quitter les tiédeurs d'un printemps qui se traîne - Voir ici même Turbulence 22 du 02 juin 2008 -sans être rattrapé par des nouvelles venues d'en bas. Voilà que les fins limiers de l'antiterrorisme après Eric Hazan, directeur des éditions La Fabrique, s'en s'ont pris à deux éditeurs, Johanna et François Bouchardeau des éditions HB et samuel et Helena Autexier qui dirigent la revue Marginales. Il est vrai qu'ils ont manifesté à Forcalquier le 8 mai dernier pour soutenir Julien Coupat, toujours incarcéré depuis novembre 2008. Il est vrai qu'ils ont créés le CSA (Comité de Sabotage de l'Antiterrorisme). Il est vrai qu'ils ont leurs idées et qu'ils entendent les exprimer.
On croit rêver! Ou plutôt on est bien réveillé, c'est l'heure du laitier! On se dit que ces aubes-là sont toujours aussi navrantes! Restons vigilants!
10:35 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie
Lu 42 - Pierre Garnier par Cécile Ordatchenko
Que les éditions des Vanneaux ouvrent leur collection Présence de la poésie par un volume consacré à Pierre Garnier et que ce soit Cécile Ordatchenko, directrice de ces mêmes éditions, qui en assure la très sensible et documentée introduction est à souligner.
Pierre Garnier (1928-…), c’est une vie en poésie qui va se développer à parrtir des destructions de la seconde guerre mondiale jusqu’à celles d’aujourd’hui, une vie en songe qui s’ouvrait avec la rencontre de « la fleur bleue » de Novalis – à qui il consacrera chez Seghers un Poète d’aujourd’hui – signe et porte du merveilleux qui plus jamais ne se refermera. Ce merveilleux n’est pas celui d’une tête perdue dans les nuages mais d’un corps engagé dans le monde, sa lumière, le chant de ses oiseaux, ses mots – « L’ornithopédie est un de mes recueils de poèmes préféré » avouera-t-il .
Ah ! les mots ! Ce sera là la grande querelle de Pierre Garnier après sa rupture avec la poésie issue de la résistance : « poésie nationale » d’Aragon et celle de ses amis de l’école de Rochefort : Bouhier, Cadou, Manoll…c’est que « le temps réclamait, exigeait une autre poésie ». Quittant le PCF, c’est chez Novalis qu’il va trouver le chemin pour poursuivre son aventure poétique. Si Mallarmé avait dans son « coup de dés » rendu aux mots leur présence : sens, son, graphisme, espace…déjà chez Novalis s’était fait jour l’idée d’une autonomie de la langue qui loin de se contenter de chanter pouvait créer des mondes nouveaux : « Il faut s’étonner de cette erreur grossière, écrivait-il, que font les gens quand ils s’imaginent parler au nom des choses. Le propre de la langue est justement de ne se préoccuper que d’elle-même. » La rencontre d’Henri Chopin en 1957 fut pour lui déterminante et l’amener à écrire en date du 30 septembre 1962 son « premier manifeste pour une poésie nouvelle visuelle et phonique » - reproduit avec bonheur en fin de volume . Parce que « le mot n’existe qu’à l’état sauvage », que « la phrase est l’état de civilisation des mots », Pierre Garnier a voulu libérer les mots. Et libérer les mots, c’est les donner à voir – et ce sera la tendance de la poésie visuelle, du spatialisme…celle de Pierre Garnier - et les donner à entendre – ce sera alors celle de la poésie sonore d’Henri Chopin : « surface sur la page. Volume dans la voix ». Rappelons que « les concrets » de tous bords, géographiques comme poétiques, continuent aujourd’hui : Chopin, Heisieck, Bory, Blaine ; Pey…et Sarenco, Gappmays, Gomringer…
À côté de cette « poésie spatiale », Pierre Garnier a continué à écrire et publier des recueils de « poésie linéaire » et Cécile Odartchenko a raison d’insister sur l’importance de l’amour pour Pierre Garnier : « l’amour est rayonnant comme est rayonnant le soleil de Pierre », écrit-elle. Les lois d’amour sont pour lui lois de vie. Ce sont elles qui président à la venue des mots, aux oiseaux qui les traversent, aux vers qui planent, aux poèmes « qui se dressent parfois à la verticale comme les stèles et restent parfois à l’horizontale comme les tombeaux. »
Nous parlions du merveilleux, celui des lumières qui passent sur le monde, terminons par cet « anti-impérialisme humain » qu’est la poésie pour Pierre Garnier., poésie qui garde l’homme, dans sa dimension créative, à son horizon.
Pierre Garnier, Cécile Odartchenko, Présence de la poésie, Editions des Vanneaux , 17 euros
© Alain Freixe
10:17 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie
Balise 48 - Ce qui demeure
Avril-juin 1998, Le Courtrier du Centre International d'Etudes Poétiques, N°218, Antoinette Jaume publiait "L'éblouissante audace d'une aurore". De ce texte sur Le livre de l'hospitalité d'Edmond Jabès (Gallimard, 1991) j'extrais ces lignes:
"Ce qui demeure. Une image perdue dans son reflet, comme si le double rejoignait son image matricielle, la référence possible à une particule indestructible, l'épure d'une beauté éphémère : mise en abyme du réel. Tout vient d'en deçà, tout va au-delà, seulement désir en devenir. Dans la soumission au jeu des métamorphoses, l'errance vers quelque centre hasardeux, un dépassement mal défini : toute vie ne serait-elle que leurre où ne demeurent, pareils à une aile passante, qu'un souvenir sans consistance, un rêve tôt effacé, la pulsion d'une aube, d'un amour étiolé avant son plein été.
Ce qui demeure ? Quelques arpèges, les mille lignes d'un livre, les formes et les couleurs sur une toile, et qui resurgiront un .jour sous d'autres mains, d'autres yeux, ailleurs, en des temps différents. Dans l'inachevé, l'adieu n'est jamais qu'une promesse, une parole à peine formulée qui sans fin s'élabore, se transmet et s'efface, se réécrit et se redit.
"Tout livre s'écrit dans la transparence d'un adieu", disait-il.
(...)
Une nuit pour la mort ; un jour pour la vie.
Invariable est le cycle altérable des années.
L'automne est au cœur des saisons.
"L'aurore n'est pas l'adieu — avait-il noté ; mais tout adieu
est l'éblouissante audace d'une aurore."
Edmond Jabès, Le Livre de l'hospitalité, Gallimard, 1991.
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Turbulence 35 : Mais Antoinette Jaume et Fernand Verhesen viennent de mourir...
Le 20 avril 2009, Fernand Verhesen nous quittait. Le 03 mai, c'était au tour d'Antoinette Jaume de pousser la porte du jardin de derrière. L'un était né en 1913, l'autre en 1915. Poètes d'une même génération, d'un même engagement dans la poésie. Pour l'un, spécialiste de littérature espagnole, ce fut la traduction de nombreux poètes latino-américains dont Octavio Paz et Roberto Juarroz; la fondation en 1954 du Centre International d'Etudes Poétiques - Qui ne se souvient de cette belle revue que fut le Courrier International d'Etudes Poétiques? - dont les fonds sont aujourd'hui transférés à la Bibliothèque royalme Albert I; la fondation de la maison d'édition La Cormier dès 1949 qui accueillit Maurice Blanchard, René Char, Claire Lejeune, Werner Lambersy...et par deux fois Antoinette Jaume pour ses Abrupts en 1978 et son Inachèvement de la toile en 1983.
Tous deux avaient tôt Franchi(s) la nuit, selon un des titres de Fernand Verhesen, s'étant habitués à faire d'elle un des éléments essentiels du jour, celui du point de friction de l'instant où lève une présence jetée déjà dans l'insaisissable: ainsi Antoinette Jaume écrivit-elle Instances, publié chez Dominique Bedout en1989 et L'instant de présence en 2007 fut le dernier livre publié par Fernand Verhesen.
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13/05/2009
François Laur - rayon vert
François LAUR est né en Aveyron (1943). Il vit aujourd’hui à Carcassonne, pays de soleil, de vin et de vent. Il dit longtemps, s' être levé de bonne heure, avoir enseigné la littérature sur deux continents, s’être frotté de phénoménologie, qu'il aime collaborer avec des artistes et écrire de brefs poèmes en prose (et, parfois, en vers).
Je l'ai connu à la Maison des Mémoires, Maison Joë Bousquet à Carcassonne où je le retrouve à chacune de mes interventions près de mes amis René Piniès et Serge Bonnery. Je l'ai invité en 2005 à participer à ma collection Mano a Mano des Cahiers du Museur avec Mano a Mano l'artiste Marianne Frossard.
Parmi ses dernières publications, on relèvera:
Madrague du presque rien (avec Alain Lestié), Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2007; Quand luminait le chardon bleu, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2007 et La Treizième revient (avec Alain Lestié), Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2008.
J'en profite poursignaler le site d'Alain Lestié: http://alain.lestie.free.fr/
*
RAYON VERT
Bromure de chrome, véronèse, verdaccio, et voilà que paraissent vergers, bosquets, prairies, frondaisons où ramage comme une écriture – vocables arborescents, paroles en pléiades.
Permets à ma langue de couler s’étaler te joncher te vêtir comme une averse feuillée sur nappe de flocons neufs comme liane enlaçant un buste de marbre comme graphisme sur ce feuillet
tes épaules tes flancs tes reins tes seins à embraser l’écorce tendre de la nuit ton ventre frais de houle lente toison dorée comme l’automne lèvres ourlées tel un sillon
ta peau s’étoile de promesse plus qu’amandier en fin d’hiver. Le ciel verdit, tatoué d’astres tombés du nid et qui se prêtent à l’empennage.
© François Laur
22:13 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie
Lu 41 - Antoine Emaz, peau et Cambouis
Avec Soirs publié chez Tarabuste éditeur en 1999 puis Ras en 2001 et Os en 2004, Antoine Emaz inaugurait ces suites de poèmes sans titre, écrits à même la pâte du quotidien, - après levée ! – pour dire comment c’est, comment ça passe les jours – les poèmes sont tous datés ! – comment ça fuit le monde. Et comment ça dure aussi. Pourtant.
Peau continue avec ses « poème(s) pauvre(s), musique de mots quasi berceuse pour occuper le terrain – aucune magie », à sa main, avec l’obstination lente et l’intensité vive de qui travaille la langue à partir des points d’impact de la réalité sur lui. Peau continue car il faut continuer, manière propre à Antoine Emaz « d’occuper le terrain », de « faire front », de tenir contre : « de toute façon / on ne change pas de peau ».
Mais cette peau de poète, qu’est-ce ? C’est une peau de poèmes, 30 ici, regroupés en 5 séries de 6 poèmes. Une peau de poèmes mise en page et tavelée par les encres de Djamel Meskache. Une peau et ses taches de vie auxquelles Antoine Emaz donne ici les noms de « Trop - Seul - Vert - Lie - Corde » mots renvoyant à ces forces qui par dessous travaillent, forces qu’on retrouve bien sûr dans ses livres précédents comme fatigue, solitude, nature, mémoire, excès… , forces qui poussent sous la peau, « forces motrices » dont il parle dans son entretien avec Thierry Guichard dans le N°93 du Matricule des anges, forces obscures qui sont du côté de ce qui remue le corps et qui dans l’émotion nous rendent muets, forces qui sont à l’origine des mots du poème comme autant de tentatives de reprendre pied dans la langue. Dans ce livre, Antoine Emaz risque le pas jusqu’à ancrer sa poésie aux limites de l’infra-poétique. Ainsi ces flashs d’information par exemple pour ce qu’il en est du corps social ou ces résultats bruts d’une prise de sang, prise de réel, prise de vie à même le corps du poète dans son travail d’écriture.
Travail d’écriture dont son dernier livre Cambouis témoigne. Avec ce livre nous entrons dans le chantier ouvert et entretenu au quotidien par Antoine Emaz. Cambouis est un livre de notes dans la lignée de Lichen, lichen paru en 2003 aux éditions Rehauts. La métaphore végétale cède le pas à une métaphore de type mécanique, là où le cambouis est cette matière grasse avec laquelle on enduisait les essieux des voitures, les rouages des machines pour en faciliter le mouvement. Ce cambouis d’Antoine Emaz accompagne son moteur de poète, les dispositifs qu’il s’est forgé chemin écrivant. Cette graisse est faite de notes mêlées. Le mot dit la bribe, le fragment, l’épars mais aussi le trait, l’éclat. La note relève d’un mode de penser particulier. Il suppose que l’on accepte le discontinu de la vie comme elle va. Ainsi noter, c’est finalement moins parler de soi que parler à partir de soi, de ce qui nous arrive, de nos rencontres, celles qui nous jettent dans le muet du corps, intérieurs éclairés mais muets. Viendra ensuite la mise en route du poème avec son travail de rabotage, ponçage, ajustements divers, tout ce travail de « menuiserie » dit Antoine Emaz en hommage à son grand-père ébéniste. On lave là son écriture de tout le cambouis qui l’accompagnait. Il s’agit pour Antoine Emaz d’impersonnaliser, d’ »anonymer assez » son poème de façon à ce que « chacun puisse se reconnaître, et personne. Aucun, puis chacun » selon les mots de Georges Perros.
Ces deux livres vont l’amble. Ils laissent au lecteur grande liberté pour en révéler les sens possibles, ces chemins à inventer à même les livres. Ainsi on pourra lire les notes de Cambouis à la diable, à sauts et à gambades comme disait Montaigne et regrouper au contraire les 6 poèmes de « trop » ou les 6 de « corde » par exemple pour mieux voir à l’œuvre ces « forces motrices » dont nous parlions plus haut et qui battent toujours sous la peau des poèmes. Peau comme Cambouis, ces mots disent la surface. Celle qui exige que l’on s’arrête, que l’on regarde attentivement si l’on veut saisir la profondeur. C’est un conseil qu’Antoine Emaz se donne à lui-même. Qui ne le ferait sien ?
Antoine Emaz, Peau, Collection DOUTE B.A.T Tarabuste éditeur, 12 euros
Antoine Emaz, Cambouis, Collection Déplacements, Seuil, 16 euros
© Alain Freixe
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Turbulence 34 - Etre de son siècle?
En écho à la chronique 43 de Jean-Marie Barnaud: Agamben et Badiou : Pour penser le contemporain qu'il faut absolument aller lire sur http://remue.net/spip.php?article3232 - ces mots d'Ossip Mandelstam sur le poète Alexandre Blok in La taissonière du blaireau, De la poésie, Arcades, Gallimard, 1990:
"Blok était un homme du XJX et il- savait que les jours de son siècle étaient comptés. Aussi, avidement, n'avait-il de cesse d'élargir et d'approfondir à temps son monde intérieur, comme un blaireau remuant la terre pour s'y construire une demeure, en s'y ménageant deux ouvertures. Le siècle, c'est la taissonière; l'homme vit et se meut en ce siècle sur un espace qui lui est chichement mesuré, s'escrimant fébrilement à étendre ses possessions, tout en affectionnant par-dessus tout les entrées de son terrier. Ainsi, mû par cet instinct de blaireau, Blok approfondissait sa connaissance poétique du XIXe."
14:39 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie
07/05/2009
Lu 40 - Patrick Laupin, L'homme imprononçable
"II y a un mot qui m'exalte, un mot que je jamais entendu sans ressentir un grand frisson, grand espoir, le plus grand, celui de vaincre les puissances de ruine et de mort qui accablent les hommes, ce mot c'est : fraternisation."
Paul Eluard
Je viens de relire L’homme imprononçable de Patrick Laupin. J’en sors « bouleversé d’humain ». Je l’avais lu, une première fois dans la foulée de notre rencontre – ce silence entre deux regards, deux sourires esquissés – à Lodève, lors des Voix de la Méditerranée 2008. Je l’avais lu comme l’on entend respirer, dans la nuit qui veille, la part inaliénable de l’homme, celle toujours à naître, qui « passe infiniment l’homme » dont parlait Pascal.
Je le relis et retrouve à côté de son goût pour « le site des beautés ordinaires », le grand Rhône ou la barre des Cévennes, ces beautés naturelles qui sont « corps entier d’une écriture », non sans un serrement de gorge et un pincement de cœur – ou l’inverse – cette vaste « salle des pas perdus de l’existence » où errent avec « la sérénité des vaincus » : « chômeurs », « cheminots en bleu de travail », « hommes des hauts plateaux » ou les figures de « Paul », du « petit vannier », du « pourvoyeur d’abîme », de « l’ouvrier allemand », de « Marco », « hommes creux, titubés, vains, faillis d’espérance en qui la destruction expose crûment la douleur qui les hante. » Ces êtres de bord de monde, « toujours en passe de trébucher », ces êtres dont « (la) parole tombe » sont,, pour Patrick Laupin, des veilleurs mais aux confins de la vie. Quand rené Char nommait « alliés substantiels » ses amis peintres pour les « mille planches de salut » qu’offrait leur pratique de la peinture, Patrick Laupin reprend cette expression pour l’appliquer à ces tutoyeurs d’abîmes, ses frères, ses camarades : « j’ai trouvé mes alliés substantiels dans la tête pensive de quelques enfants fous, de quelques voyous méchamment lettrés ou quelques vagabonds, analphabètes, ce qui revient au même, et en quelques êtres d’écoute et de bonté naturelles, dont le corps ne trahissait pas l’émotion sincère. Avec eux, je pus vivre. »
Il y a dans la voix d’écriture de Patrick Laupin l’empreinte grave de ces êtres qui ont agrandi sa vie en lui apportant cette pauvreté essentielle, celle qui tient à nous de partout et nous fait ce que nous sommes, ces êtres dont le manque même est le ressort caché de ce qui en nous ne renonce pas à l’essentiel, à savoir cet homme que nous ne serons jamais suffisamment, cette exigence comme telle « imprononçable « qui nous voit porter valeurs de vie et amour qui les tient. Et nous tient. C’est ce sens de ce qui nous dépasse qui passe par ces hommes, ces hommes descendus, perdus qu’aime Patrick Laupin.
Et moi, j’aime voir dans ses mots qui portent l’inhumain jusqu’à nous tout l’humain affluer. Dès qu’un homme ou un groupe d’hommes est exclu de l’humanité, en lui passe l’humanité toute entière. Cela que j’avais appris chez Marx, voilà que ça me revient porté par l’écriture de Patrick Laupin. Dans cette humanité se tient toute la chance de l’humain, comme telle imprononçable. Comment comprendre ? C’est que l’humain n’a pas de contenu à proprement parler, il fait signe vers une exigence. L’homme n’est homme que dans la mesure où il estime qu’il ne l’est jamais assez. S’ouvre devant l’interminable même, espace qui interdit toute définition définitive de l’humain. Les mots ne sauraient le circonscrire. Pourtant, c’est par eux que passe le maintien et le respect de cet « imprononçable ». Par eux quand c’est un auteur tel que Patrick Laupin qui mène cette « guerre interne à la langue » par quoi on peut approcher ce que dit le mot poésie.
Maintenir, ce verbe va bien à Patrick Laupin. Il y a main. Il y a tenir. Il y a la prise en main, la garde, la sauvegarde, le prendre soin de. Et moins de l’homme – ce vague ! – que de ce qui en l’homme « compte pour homme », selon les mots d’Henri Michaux dans Ecce homo, ce poème des années 40, sombres temps, cet « imprononçable » qu’il est, cette chance que le poème redresse, libère et fait passer. Passage de vie, disait Deleuze.
Patrick Laupin, L’homme imprononçable suivi de Phrase et Le mystère de la création en chacun, La rumeur libre éditions, 18 euros
© Alain Freixe
14:45 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie
Balise 47 - C'était en 1936, et pour Paul Eluard, cela s'appelait "l'évidence poétique"
« ô vous qui êtes mes frères parce que j'ai des ennemis ! » a dit Benjamin Péret.
Contre ces ennemis, même aux bords extrêmes du découragement, du pessimisme, nous n'avons jamais été complètement seuls. Tout, dans la société actuelle, se dresse, à chacun de nos pas, pour nous humilier, pour nous contraindre, pour nous enchaîner, pour nous faire retourner en arrière. Mais nous ne perdons pas de vue que c'est parce que nous sommes le mal, le mal au sens où l'entendait Engels, parce qu'avec tous nos semblables, nous concourons à la ruine de.la bourgeoisie, à la ruine de son bien et de son beau.
C'est ce bien, c'est ce beau asservis aux idées de propriété, de famille, de religion, de patrie, que nous combattons ensemble. Les poètes dignes de ce nom refusent, comme les prolétaires, d'être exploités. La poésie véritable incluse dans tout ce qui ne se conforme pas à cette morale qui, pour maintenir son prestige, ne sait construire que des banques, des casernes, des prisons, des églises, des bordels. La poésie véritable est incluse dans tout ce qui affranchit l'homme de ce bien épouvantable qui a le visage de la mort. Elle est aussi bien dans l'œuvre de Sade, de Marx ou de Picasso que dans celle de Rimbaud, de Lautréamont ou de Freud. Elle est dans l’invention de la radio, dans l'exploit du Tchéliouskine, dans la révolution des Asturies*, dans les grèves de France et de Belgique. Elle peut être aussi bien dans la froide nécessité, celle de connaître ou de mieux manger, que dans le goût du merveilleux. Depuis plus de cent ans, les poètes sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n'ont plus de dieux, ils osent embrasser la beauté et l'amour sur la bouche, ils ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse et, sans se rebuter, essaient de lui apprendre les leurs.
Peu leur importent les sarcasmes et les rires, ils y sont habitués, mais ils ont maintenant l'assurance de parler pour tous. Ils ont leur conscience pour eux.
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Lu 39 - Paul Eluard, une présence manifeste
Onzième printemps des poètes ! On en sort. Restent entre rires et sourires, émotions et projets, ouvrages divers publiés pour l’occasion, deux livres de Paul Eluard publiés dans la collection Poésie/Gallimard, histoire de ne pas oublier que « notre printemps est un printemps qui a raison ».
Le premier, J’ai un visage pour être aimé, est une anthologie, un choix de poèmes entre 1914 et 1951 fait par Paul Eluard lui-même peu de temps avant sa mort. Si l’on se souvenait que pour lui la plus belle anthologie était celle que l’on composait pour soi, on verrait que celle-ci lui donne encore une fois raison. Le visage qu’il nous donne de sa voix est fait pour se couvrir de regards. Il sait se faire aimer. On le suit de recueil en recueil, d’émotions en désirs, d’engagements en solidarités vers toujours plus de lumière où la raison trouverait enfin satisfaction. Au fil des livres sa passion du réeel ne se dément pas. Toujours il y a dans ses poèmes de quoi nourrir la nôtre. Puiser les provisions nécessaires « pour vivre ici ».
Eluard est toujours à découvrir ou à redécouvrir. Toujours à lire. Merci à André Velter qui signe la préface de nous rendre d’Eluard une présence manifeste.
Si Paul Eluard écrit pour être aimé, Man Ray selon Eluard « dessine pour être aimé » comme il l’affirme dans sa préface à ces Mains libres qu’ils signent tous deux en 1936 pour l’offrir à Nusch et qui constitue le second volume publié en ce printemps.
Un dessin. Un poème. Accouplés, dans cet ordre. Donc ici les dessins sont premiers, les poèmes d’Eluard servent à les « illustrer ». Par ce mot, j’entends qu’ils éclairent, portent dans la lumière les dessins de Man Ray : « toujours le désir, jamais le besoin ». Formidable renversement ! Si la toile de fond du recueil reste bien la guerre d’Espagne et les difficultés que traverse le Front Populaire, le thème dominant est celui de la liberté en amour pour une communauté d’ami(e)s : « tous devaient l’un à l’autre une nudité tendre » écrit Eluard dans « La plage », tous ont Les Mains libres comme Man Ray et ses dessins, Eluard et ses poèmes. Mains qui osent, qui comme dans « Le tournant » disent : « J’espère ce qui m’est interdit ». Mains qui dans cet espoir s’approchent l’une de l’autre , entrent en résonance pour « (appeler) le silence / par son plus petit nom ».
Ceux qui s’étaient promis « de ne rien voir qu’eux-mêmes » nous donnent dans ce livre une belle leçon de complicité artistique, d’audace, de liberté et d’amour.
Paul Eluard, J’ai un visage pour être aimé, Choix de poèmes 1914-1951, Poésie/Gallimard, Cat 4
Paul Eluard Man Ray, Les Mains libres, Poésie/Gallimard, Cat4
© Alain Freixe
14:30 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie
04/05/2009
Turbulence 33 - Mais Martine Broda vient de mourir...
"Nie vie, ni mort/ vie-mort à jamais",
disais-tu
Martine Broda
Fabienne Courtade m'apprenait le décès de Martine Broda. C'était hier. Au moment de boucler sacs et valises pour mes montagnes.
Je ne la connaissais qu'à travers ses poèmes - je pense à celui intitulé Tholos - ses essais - et c'est le très bel article sur Vie secrète de Pascal Quignard qui me saute à la plume - ses traductions de Paul Celan - de La rose de Personne en 1979 à La grille de Parole en 1991- et parce que j'aimais son travail pris entre lire, traduire et écrire, je la connaissais donc.
Poèmes, essais, traductions, un même amour de la langue, du sein même de "ce siècle incompréhensible et saignant", porte la langue de l'amour au lyrisme. Un lyrisme débarassé de tout ce que le subjectif peut avoir de fadasse au profit du désir qui même réalisé sait demeurer désir - oui, Char n'est pas loin - figure même de cet impossible qu'elle savait devoir aimer.
"sur la tombe la plus fraîche
amas de fleurs cueillies
mauve obscur
et des lys à foison
blanc pur
vert immortel"
Martine Broda
19:24 Publié dans Dans les turbulences | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie