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01/01/2012

Aux amis et aux passants du blog: Buon cap d'an / Bon any nou!

De Nice en repassant par la catalogne et dans la continuité des mots d'André Frénaud de 2011, ceux-ci d'Arthur Rimbaud pour accompagner une image de marche hors sentier balisé. Les plus belles!

IMG_2648.JPG

"Allons! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère."


Balise 70- L'étrangère inconnue

 

"Chacun dans sa langue peut exposer des souvenirs, inventer des histoires, énoncer des opinions ; parfois même il acquiert un beau style, qui lui donne les moyens adéquats et font de lui un écrivain apprécié. Mais quand il s’agit de fouiller sous les histoires, de fendre les opinions et d’atteindre aux régions sans mémoires, quand il faut détruire le moi, il ne suffit certes pas d’être un « grand » écrivain, et  les moyens doivent rester pour toujours inadéquats, le style devient non-style, la langue laisse échapper une étrangère inconnue, pour qu’on atteigne aux limites du langage et devienne autre chose qu’écrivain, conquérant des visions fragmentées qui passent par les mots d’un poète, les couleurs d’un peintre ou les sons d’un musicien".

Gilles Deleuze, Bégaya-t-il…  in Critique et clinique

21:11 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1)

Chantal Danjou - Récits du feu (extraits inédits)

 

Poésie, Chantal DanjouPoète, nouvelliste et critique littéraire, par ailleurs membre du conseil de rédaction des Editions Encres Vives, Chantal DANJOU vit et travaille aujourd’hui dans le Var après un long séjour parisien. Docteur ès lettres, professeur durant de nombreuses années, elle intervient à présent dans des instituts de formation d’enseignants (direction de mémoires et conception de projets concernant la lecture et l’expérience poétiques). Elle anime aussi des ateliers d’écriture et depuis 1989, d’abord à Paris puis en Région PACA, participe à faire connaître la poésie contemporaine avec l’association qu’elle a co-fondée, La Roue Traversière : présentations d’auteurs ; table ronde autour de revues et d'éditeurs de poésie ; interdisciplinarité artistique. Elle est, d’autre part, sociétaire de la SGDL et membre de la Maison des Ecrivains et de la Littérature.

 Denières publications:

Poètes, chenilles, les chênes sont rongés, Ed. Tipaza, Cannes, 2008

Blanc aux murs rouges,         Ed. Encres Vives, Colomiers, 2009

Les Amants de glaise,          Ed. Rhubarbe, 2009

Pension des oracles à l’auvent de bambou,  Ed. Encres Vives, Colomiers, 2011

La mer intérieure, entre les îles, Ed. Mémoire Vivante, en projet pour 2012

L’ancêtre sans visage, Ed. Collodion, en projet pour 2013


Anthologies:

Et si le rouge n’existait pas, le Temps des cerises, 2010

 Pour Haïti, Desnel, 2010

Les poètes en Val d’hiver, Anthologie par un collectif international, Corps Puce, 2011

Anthologie de la poésie érotique féminine contemporaine de Giovanni Dotoli, Hermann Lettres éditions, 2011

*

Récits

du

 Feu

D 554

 

Brûlée. Rien ne bouge dans cette partie de la colline. Là. Une éternité. Et cette table d’orientation.

Pas seulement la colline. Brûlés. Les pins, les fleurs d’arbres. Le grand pluriel d’adret : chênes verts, bruissements, noms de plantes et d’oiseaux. Les arbustes passés au noir blanchissent. Blanchissent les rochers comme champ de neige. Neige, éternelle, chantante.

Les arbustes ? Une conscience. Le versant argileux. Sans prise sur le réel. Jour gris. Sa limpidité doucement. Passe. Aucune ombre. Ne danse. Ne frétille

D 25

Une certitude. On ne jette pas les couleurs. Comme les brindilles dans le feu. Autre certitude : la neige. Accumulation. Pellicule. Objets hétéroclites. Clairs-obscurs.

Terre. Révolue terre. De minuscules architectures. De grotesques jardins. Maçons, bâtisseurs et. Charpentiers, couvreurs, peintres. Pas plus hauts que soldats de plomb. Ils disent : gagner du terrain. L’été vient. Ni eau. Ni feu. Ni tremblement

N 7

Deux maçons et un peintre. Happés par la fourmilière. Charpentier enterré. Dans taupinière. Petite cueillant des fleurs. Ils chantent :  Ah ! Mon beau château, ma tant’tire lire lire  ! 

Rançon. Et les corps. Portant collier, bracelet. Couronnes de fleurs, boucles. Voici la mort. Formes et stupeurs. Perfection

A 57

Une forêt. Noire. Monte. A travers les arbres. Plus claire-colline. Le jour aux branches. Laisse voir. Par transparence : les baies rouges. Gros levant. Ou gros couchant. Le désespoir. Des brumes de chaleur. Amorce et délitement. Avec nuits successives. Nombreuses. Rapprochées. Espaces menés à saturation. Des écharpes : feuillages. Confins, toitures. Qui flottent

Extraits inédits - © Chantal Danjou


 

In memoriam Bruno Mendonça ( 1953 - 2011)

25 10 2011 010 - copie.jpgBruno Mendonça, joueur de mots, lanceur de boomerangs, souffleur de poèmes et détourneur d’échecs, nous a quitté. Plasticien, Bruno était du côté du poème. Ce lieu improbable où l’on ouvre meurtrières et fenêtres à même les murs de l’époque à grands coup d’écarlate, corps et langue mêlés. Performeur, il arpentait le pays d’à côté. C’est là où nous l’avons rencontré. Ici ou là, dans les vernissages ; à Contes, pour notre poésie des deux rives ; à Coaraze , lors de nos Voix du Basilic ;  aux Cahiers du Museur…

 

Le 03 novembre 2011, il a dévalé trop vite les marches des escaliers de son atelier chez Spada à Nice. Comme en une dernière échappée. Ce voyageur de l’art s’est élancé sans prévenir vers d’autres terres où « sur un écran ovale est projeté une version courte / De la Bête et la Pelle » tandis que « les chaises-longues s’allongent, se tirent ailleurs, armes / A l’épaule, pour décoller de la piste d’envol de Trafalgar. IMG_4648-9.JPG

Les Amis de l’Amourier s’inclinent sur son passage de « bâtisseur d’aléatoire ».

( J'écrivais ces mots pour la Gazette Basilic N°40- Décembre 2011. Un Après -midi d'hommage est en cours d'élaboration pour le 4 février 2012 dans l'auditorium du Mamac de Nice - 06 - La premire image a été prise à la galerie des Docks; la seconde à la galerie/Librairie Laure Matarasso courant octobre 2011 )

lu 74 - Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, Notes, proses et poèmes choisis par l’auteur (1946-2008), NRF, Poésie/Gallimard, N°470,10 euros

 

Plus de 60 ans d’écriture. Après beaucoup d’années, Philippe Jaccottet remet ses pas dansCouv Jaccottet-Nov 2011445.jpg ses traces – celles d’une œuvre poétique contemporaine majeure - et nous donne une anthologie personnelle, une promenade  sous langue à travers Notes, proses et poèmes de 1946 à 2008 comme sous les arbres d’un verger d’encre.

 

Comme il est émouvant de voir le poète de Grignan reprendre ses « beaux chemins » dont parlait mon ami Hans Freibach dans un article déjà ancien paru dans la revue Sud en 1995 dans son N°110-111. De le voir revisiter ses livres. Y saisir les souffles qui les coupent d’une lame de vie. Les ajuster, « ardoises sur le toit – on pense à Pierre Reverdy – pour servir d’abri à nos vies en alarme toujours plus perdues dans un monde toujours plus furieux.

 

Aucun doute possible la voix qui affirme "qu'il n'y a pas au monde que du malheur" malgré un avenir presque entièrement obscur, qui maintient de manière endurante que, devant nous, persiste toujours, indubitable, dans le cours même du monde, une lumière "bien qu'invisible dans le bleu du ciel / aussi sûre que chose au monde que l'on touche" et qui entend tout faire pour maintenir cette lumière et la "transmettre (...) comme une étincelle ou une chaleur", cette voix-là s’arrache à l’encre, troue l’ombre des 560 pages de ce fort volume, et nous parvient encore et toujours par cette porte dérobée comme « un froissement, très loin, de l’air » du dehors. Elle instaure , porte et maintient ce « contre-sépulcre «  dont parlait en d’autres temps René Char.

 

Rien n’est perdu. Définitivement perdu, malgré l’utilitarisme et le profit, une époque qui évacue la mort, banalise la misère et renoue avec les guerres. Vivre ici est possible à condition que l’on «  (rende) au regard son plus haut objet". Changer la vue pour change la vie comme peut le dire Bernard Noël. Et quel est-il cet objet pour Philippe Jaccottet sinon cette coïncidence entre la merveille et l'énigme, cet invisible qui, touchant en nous ce qui nous est le plus intérieur et le plus dérobé à la fois, et le faisant vibrer, ouvre en nous "ces beaux chemins" où l'on va vers ce col d'où semble monter, impérieusement, une lumière toujours plus vive. Loin de nous éloigner de la vie, les " beaux chemins" de Philippe Jaccottet nous y ramènent. Il en va ici comme de toute conversion. Rien n'a changé et tout a changé. C'est toujours de notre monde dont il s'agit, mais vu autrement, vu "à partir de ce qui ne peut se voir", vu à partir de ce à quoi nous sommes devenus si aveugles, nous qui vivons dans l'aveuglement, nous qui ne voulons plus voir. Oui, "le regard est ce qui sauve » comme le pensait Simone Weil.

 

Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet sont des chemins de vie. S'ils ne consolent pas, s'ils ne guérissent rien de nos malheurs, ni de ceux, ef­froyables, de ce monde, au moins mènent-ils "un pas / au-delà des dernières larmes". Ils aident à vivre parce qu'ils se tiennent toujours sur le versant "où la proue fend l'eau", et qui, pour n'être pas le présent de l'émerveillement - cet insu qui appartient en propre à Jaccottet - est, avec un minimun de perte, ce que le passeur a su amener jusqu'à nos rives. Avec lui, nous nous sentons à nouveau vivants, et comme assurés de nous-mêmes et du monde. Un peu moins lourds, un peu moins sérieux, un peu plus légers. Toujours plus résistants. Debouts. Encore.

 

 

 

lu 73 - Carl Sandburg, Chicago Poems, Le temps des cerises, 15 euros

 

letempsdescerises_L813c - copie.jpgAu Temps des cerises, on ose dire – par les temps qui courent, c’est nager contre le courant ! – qu’on est pour « une poésie engagée », une poésie qui prend à bras le corps le monde, ses horreurs, ses odeurs de sang et de poudre, ses opacités, ses brumes .« J’ai écrit un poème sur la brume / Et une femme m’a demandé ce que j’entendais par là (…) J’ai répondu : / Le monde entier n’était que brume il y a longtemps et un jour il retournera tout entier à la brume » écrit Carl Sandburg (188-1967). Aussi, on a décidé au Temps des cerises de revisiter la collection « la petite bibliothèque de poésie » et d’en renouveler l’aspect et la tenue. A côté des rééditions du Nuage en pantalon de Maïakovski, Chansons du peuple de Jean-Baptiste Clément, Le tambour de la liberté d’Henri Heine, une belle nouveauté : les Chicago Poems de Carl Sandburg. Proposés avec beaucoup d’à propos en bilingue, ils sont traduits par Thierry Gillyboeuf qui, dans une précieuse préface, fait du poète américain le « chaînon manquant entre Whitman et la Beat Generation ». Les Chicago Poems sont publiés en 1916. Le livre connut un gros succès . Carl Sandburg choisit le peuple. Il fait de la ville – Chicago « la dépravée », la « malhonnête », Chicago qui pourtant « chante la tête haute, aussi fire d’être vivante, vulgaire, forte et roublarde » qui va « démolissant / concevant, / construisant, cassant, reconstruisant » - un travailleur fait de tous les travailleurs ; une âme faite de toutes les âmes comme « la gratte-ciel » qui « se dessine dans la fumée et le soleil » ; une langue faite de toutes les langues qui ici se mêlent. Parce que rien de ce qui est humain et jusqu’à la prostitution, jusqu’au crime n’est omis par Carl Sandburg, ses poèmes lèvent « un visage d’homme le regard plongé dans ces mâchoires et la gorge de la vie ».

 

1916 : l’Amérique, Chicago, ses rues, leur atmosphère, les hommes et leurs activités, leur vie difficile bordée de toutes les misères, toutes les joies, toutes les beautés, en quoi cela nous concernerait-il aujourd’hui ? C’est justement parce que Carl Sandburg n’écrit pas de la poésie-écho que ses poèmes n’ont pas ce ton blafard que l’on connaît aux voix réverbérées. Ici, on ne paraphrase pas le monde mais on retourne ses événements vers le ciel pour les matérialiser dans les bouleversements d’un langage où vibre l’inspiration du futur.