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01/01/2012

lu 74 - Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, Notes, proses et poèmes choisis par l’auteur (1946-2008), NRF, Poésie/Gallimard, N°470,10 euros

 

Plus de 60 ans d’écriture. Après beaucoup d’années, Philippe Jaccottet remet ses pas dansCouv Jaccottet-Nov 2011445.jpg ses traces – celles d’une œuvre poétique contemporaine majeure - et nous donne une anthologie personnelle, une promenade  sous langue à travers Notes, proses et poèmes de 1946 à 2008 comme sous les arbres d’un verger d’encre.

 

Comme il est émouvant de voir le poète de Grignan reprendre ses « beaux chemins » dont parlait mon ami Hans Freibach dans un article déjà ancien paru dans la revue Sud en 1995 dans son N°110-111. De le voir revisiter ses livres. Y saisir les souffles qui les coupent d’une lame de vie. Les ajuster, « ardoises sur le toit – on pense à Pierre Reverdy – pour servir d’abri à nos vies en alarme toujours plus perdues dans un monde toujours plus furieux.

 

Aucun doute possible la voix qui affirme "qu'il n'y a pas au monde que du malheur" malgré un avenir presque entièrement obscur, qui maintient de manière endurante que, devant nous, persiste toujours, indubitable, dans le cours même du monde, une lumière "bien qu'invisible dans le bleu du ciel / aussi sûre que chose au monde que l'on touche" et qui entend tout faire pour maintenir cette lumière et la "transmettre (...) comme une étincelle ou une chaleur", cette voix-là s’arrache à l’encre, troue l’ombre des 560 pages de ce fort volume, et nous parvient encore et toujours par cette porte dérobée comme « un froissement, très loin, de l’air » du dehors. Elle instaure , porte et maintient ce « contre-sépulcre «  dont parlait en d’autres temps René Char.

 

Rien n’est perdu. Définitivement perdu, malgré l’utilitarisme et le profit, une époque qui évacue la mort, banalise la misère et renoue avec les guerres. Vivre ici est possible à condition que l’on «  (rende) au regard son plus haut objet". Changer la vue pour change la vie comme peut le dire Bernard Noël. Et quel est-il cet objet pour Philippe Jaccottet sinon cette coïncidence entre la merveille et l'énigme, cet invisible qui, touchant en nous ce qui nous est le plus intérieur et le plus dérobé à la fois, et le faisant vibrer, ouvre en nous "ces beaux chemins" où l'on va vers ce col d'où semble monter, impérieusement, une lumière toujours plus vive. Loin de nous éloigner de la vie, les " beaux chemins" de Philippe Jaccottet nous y ramènent. Il en va ici comme de toute conversion. Rien n'a changé et tout a changé. C'est toujours de notre monde dont il s'agit, mais vu autrement, vu "à partir de ce qui ne peut se voir", vu à partir de ce à quoi nous sommes devenus si aveugles, nous qui vivons dans l'aveuglement, nous qui ne voulons plus voir. Oui, "le regard est ce qui sauve » comme le pensait Simone Weil.

 

Les "beaux chemins" de Philippe Jaccottet sont des chemins de vie. S'ils ne consolent pas, s'ils ne guérissent rien de nos malheurs, ni de ceux, ef­froyables, de ce monde, au moins mènent-ils "un pas / au-delà des dernières larmes". Ils aident à vivre parce qu'ils se tiennent toujours sur le versant "où la proue fend l'eau", et qui, pour n'être pas le présent de l'émerveillement - cet insu qui appartient en propre à Jaccottet - est, avec un minimun de perte, ce que le passeur a su amener jusqu'à nos rives. Avec lui, nous nous sentons à nouveau vivants, et comme assurés de nous-mêmes et du monde. Un peu moins lourds, un peu moins sérieux, un peu plus légers. Toujours plus résistants. Debouts. Encore.

 

 

 

Commentaires

"... paru dans la revue Sud en...": mais tu ne donnes pas la date de la parution, dans Sud (était-ce vraiment Sud, ou La SApe?), de l'article de Freibach...
Je n'ai pas encore lu ce derenier livre de Philippe. Vais le faire.

T'embrasse. Ta note est belle et donne le souvenir.
JM

Écrit par : Barnaud | 02/01/2012

Et zut! Il s'agit bien de la revue Sud, ami! C'était en 1995, dans le N°110-111, Minéral/Minimal! Il y a plus de 15 ans! Je corrige!

Écrit par : Freixe alain | 02/01/2012

Les commentaires sont fermés.