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22/03/2013

Balise 83 -

"Nous autres sans patrie. Nous autres étrangers sur la terre étrangère nous sommes chacun dans notre propre asile comme un sanglier apeuré, perdu au centre de la grande ville à l'heure où les chevaux vont boire, à l'heure où les assassins s'éveillent. Mais nous ne dormons pas, nous n'avons pas le droit de dormir: le sommeil serait l'apprentissage de la mort et il faut que nous mourions debout dans l'innocence du devenir".

Maurice Blanchard

17:37 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maurice blanchard

05/03/2013

Lu 89 - André Velter, Zingaro suite équestre et autres poèmes pour Bartabas avec des dessins d'Ernest Pignon-Ernest, Gallimard

Couv Velter-Pignon- surZ433.jpgIl fallait lever la plume comme on lève le camp quand en est sur la route où c’est de l’âme qu’il s’agit. Il fallait cesser de tourner autour de cette « édition définitive » des poèmes d’André Velter pour Bartabas, Zingaro, suite équestre, qui va en quelques douze poèmes de la « violence cavalière » qui ouvre Cabaret , premier texte, à cette « vie en cavale » qui clôt Calacas, dernier texte. Il fallait s’engager sur ces « territoires fauves », passer de l’un à l’autre, au rythme des chevaux et de leurs cavaliers. Il fallait suivre les chevauchées de Bartabas, les mots d’André Velter et les dessins d’Ernest Pignon-Ernest. Suivre, oui, car c’est de de rythme qu’il s’agit, bien sûr. Ceux qui ont déjà assisté à ce qui n’est jamais simple spectacle mais ont partagé cette « forme de communion », ces rituels que met en jeu Bartabas, ses cavaliers, ses musiciens, ses danseurs et, bien sûr, en tout premier lieu, ses chevaux,  ceux-là savent comment ces poudreuses chevauchées, ces syncopes, ces silences, ce martèlement du sol lèvent un printemps derrière eux. Ils savent avec André Velter que, comme le disait Joë bousquet, « le rythme est le père du temps » et qu’  « habiter cavalièrement le monde », comme le fait Bartabas et ceux de sa tribu, c’est l ‘habiter poétiquement, comme le voulait l’autre nomade enfermé dans sa tour sur le Neckar. Ils sauront combien les nombreux dessins d’Ernest Pignon-Ernest dans leur disposition même ne se contentent pas d’aérer les pages de ce livre mais en sont le souffle et la pulsation intime. De même que dans les représentations du « théâtre équestre » de Bartabas  s’entend soudain cette « note bleue » qu’entendait George Sand quand Chopin jouait la nuit pour ses amis et qu’elle en faisait comme le moment où le temps semble se suspendre et la nuit se faire transparente, de même, dans ce livre, se tiennent dans l’harmonie de leurs irréductibles différences, les poèmes d’André Velter et les dessins d’Ernest Pignon-Ernest.

 

J’aime que ce livre réunisse trois hommes pour qui « la vie est la seule source » comme le voulait Reverdy, trois gardiens des révoltes fertiles qui savent « (tenir) la ténèbre en respect », qui savent « cabrer l’âme et le corps », « (allier) fureur et mystique ». Trois hommes de l’éphémère. Trois hommes qui savent accueillir ce quelque chose qui vient d’ailleurs - « là-bas déboule soudain / et c’est ici le cœur plus vaste » - quelque chose du côté de l’éternité quand elle se prend à aimer l’ici, la peau des hommes, des animaux et des choses. Trois hommes de l’acte, de ce qui reste vierge jusque dans la répétition. Quand le corps se risque dans la voix à telle ou telle occasion en compagnie de tel ou tel musicien pour André Velter, quand Ernest Pignon-Ernest parcourt telle ou telle ville de Soweto à Ramallah en passant par Nice, Alger, Durban, Naples…pour coller ses dessins là où ils s’ajustent à ce qui est et je ne dis rien de Bartabas, de son art, ce « théâtre équestre », où se conjuguent art équestre, musique et danse, de son nomadisme à travers les cultures et le monde, de ses plongées dans l’autrefois et ses marges, où c’est la vie que l’on chevauche, « à la verticale de soi ». Trois grands coureurs d’horizons qui n’existent pas. Trois témoins d’une cambrure, d’une posture : oui, on peut encore se tenir droit, debout sur les heures. Sur le seuil. Ses lueurs. Contre toutes les douleurs du monde, les froids, la mort !

 

 

 

 

 

 

 

Turbulence 59 - A propos du poète qatari Al Ajami

 1 poème = 15 vers = 15 ans de prison

Démocratique, le Qatar ?

 Le Qatar, troisième producteur de gaz au monde, s’occupe d’à peu près tout ce qui peut s’acheter : club de foot (le PSG) ; immeubles (Il se murmure même que les magasins Printemps seraient les prochains sur une liste déjà longue comprenant par exemple le Palais de la Méditerranée à Nice!).

Drôle de régime que celui de Doha ! D’une main – la corde qui soutient le pendu ? – il soutient le « printemps arabe » ; de l’autre, il condamne le poète Mohamed Ibn Al Dhib Al Ajami pour un poème dans lequel il avait écrit : « nous sommes tous la Tunisie face aux castes répressives ». Celle du cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani qui dirige le Qatar a dû se sentir tout particulièrement visé. Le 29 novembre 2012, Al Ajami était condamné à la prison à vie pour critique contre l’émir et incitation à la révolte. Ce jugement a été ramené à 15 ans d’emprisonnement il y a quelques jours. Quelle mansuétude !

On aimerait voir nos dirigeants politiques se montrer moins timorés dans leur critique. Même Delfeil de ton dans son billet du Nouvel Observateur du 14 février 2013 qui dénonce le qatar et ses pratiques n’en souffle mot !

Rappelons ces mots de Serge Pey : « Dans un pays où l’on emprisonne les poètes , seules les prisons sont libres » ! Ne laissons pas le Qatar et son or se payer la vie d’un poète !

Il faut relaxer et libérer le poète Al Ajami injustement condamné !

04/03/2013

Lu 88- Ahuc, poèmes stratégiques de Serge Pey

serge pey,ahuc,poésie,oeésie action,dvdAhuc, vous l’entendez ? Redoublez et faites bien sonner, dans les graves avec raucité,  les « i » que l’on ne voit pas dans la graphie. C’est un cri. Sur l’Aubrac. Un cri vertical. Il monte depuis la terre d’avant. Dans la marge du monde, il se tient. Et résonne. Un cri qui ouvre les bouches et laisse passer de vieilles voix. C’est ainsi que du dessous surgit le vrai pays, un pays sans patrie égal à « une vieille fontaine de lumière » où l’homme, ce remous, aussi déroutant, aussi incertain qu’aux premiers jours, est toujours à venir.

 Ahuc, poèmes stratégiques…Diable, ce serait donc la guerre dans la langue ! Quelque chose de l’ordre de ce combat spirituel aussi brutal que la bataille d’hommes dont parlait le jeune homme depuis ses Ardennes ? Car enfin s’il y a stratégie c’est bien qu’il y a combat et objectif à la clef.

 Défenseur de la poésie – celle qui se moque de la poésie, comme disait l’autre – « résistant du sens » et de l’homme, « guerrillero du poème sans espérance historique, » « ouvreur du sens, gardien et casseur du sens » tant les mots dans le poème fuient, échappent et filent devant en quête de leur signification et c’est là tout leur sens, tel est Serge Pey. Tel il se montre dans cette constellation de textes publiés entre 1985 et 2012 que reprennent aujourd’hui les éditions Flammarion qui ont la bonne idée d’accompagner cette reprise d’un DVD où l’on pourra entendre et voir Serge Pey écraser des tomates, dénoncer la torture en plaçant avec la lenteur qui convient à ces horreurs des erzats d’électrodes à cru sur un poulet, briser des vitres en proclamant que « dans un pays où les poètes sont enfermés dans les prisons, seules les prisons sont libres » - N’est-ce pas Messieurs du Quatar qui tenez dans les fers le poète Al Ajami !... 8 chapitres, 8 performances – on dit ça encore ? oui, on aime bien répéter…mais gare à la farce ! – Ici, et à chaque fois 8 actes. Et qu’est-ce qu’un acte sinon une affaire vitale, une expérience, cette traversée risquée, que l’on fait moins qu’elle ne nous fait et défait, où se risque de l’ homme le sujet qu’il ne se sait pas être !

 La question, la seule peut-être, est celle qui tourne et retourne le fait de savoir comment se tenir debout. C’est la question même de la résistance. Avec Serge Pey, on sait. C’est par les pieds que ça commence ! - Les pieds comme fondement de la pensée, voire ? – Par le zapateado quand les pieds du danseur martèlent le sol jusqu’à déchirer l’âme pour laisser sa chance au duende, tapi au plus profond du sang, duende qui ouvre la bouche pour que passent ces « mots de passe pour la lumière » qui voient une porte dégondée devenir table pour les amis et cette même table devenir porte par où passera l’amour et l’amitié.

 J’aime à imaginer Serge Pey demandant comme Emily Dickinson à Mr. Higginson à propos de ses vers, « sont-ils vivants ? » ? Eh bien oui, c’est dans la vie que déboulent les vers de Serge Pey, une vie où le poème est « toujours un souvenir de l’avenir ». Henri Meschonnic avait bien raison lorsqu’il affirmait que toute la poétique de Serge Pey était une poétique de la vie. D’une vie battante, combattante, en lutte contre toutes les semblances, les contrefaçons, les fétiches de la marchandise généralisée.

 Que celui qui dit venir « des lisière de la Révolution Permanente et du soleil noir des anarchies » soit le bienvenu ! Qui dirait que nous n’avons pas besoin aujourd’hui de tels guerriers de l’imaginaire dont Patrick Chamoiseau disait qu’ils savaient que « la bataille sera sans fin, et de tout instant », qu’ »il ne devra jamais baisser la garde », que « c’est seulement cette veille qui fait de ce pacifique non-dominateur, un guerrier. »

Serge Pey, Ahuc, poèmes stratégiques (1985-2012), Flammarion, 25 euros

 

 

 

03/03/2013

Michel Ménaché à propos de Bienvenue à l'Athanée de Daniel Biga

ménaché,daniel biga,athanée,poésieAvec son dernier recueil, Bienvenue à l’Athanée publié par les éditions de l'Amourier, collection Poésie (13 euros), Daniel Biga n’a rien perdu de sa pugnacité langagière, mêlant désinvolture et provocation avec une jubilation roborative (sinon ostentatoire !). Deux plaquettes antérieures sont reprises en ouverture : Histoire de l’air et Sept anges. Bigarraies, big Arrures et autres jeux de langue se dévident, démystifient les codes sociaux et culturels, brocardent « la dérisoire grandeur du poète ». Au vitriol, Biga se parodie lui-même dans le Praeambulus, intègre à ses élucubrations et fulgurances des bribes décrochées des textes d’auteurs tutélaires : « le vieux scribe convie ses frères et sœurs humains au partage des souffles, gâteuseries, bouffitudes de son existence jusqu’au bout du fini, se -et leur- souhaitant affectueusement cette inéluctable, et pour ce qui le concerne proche, « bienvenue à l’Athanée... » Dans les turbulences familières d’un Verre Again (Jean-Pierre Verheggen), « entre zut et zen », Dany Bibigaga désarticule les mots et la syntaxe, dynamite joyeusement son propre vécu revisité sous le feu de cocktails de mots Molotov… Toutefois la gravité et l’émotion  percent sous le sarcasme, l’angoisse existentielle surgit au détour du calembour. L’auteur est « entré en écriture comme on entre en religion […] Quand la page et moi nous unissons - là est l’utopie et là est l’espoir - notre communion tend à l’absolu…» Et il se livre ou se masque à travers d’illustres voix tragiques dans le brouillage des pièces détachées de son puzzle bibliographique, sans ménagement excessif pour les gloires du panthéon universel : « sur la Route durant Cent années de Solitude moi aussi suis allé au Bout de ma nuit sur la page moi aussi Né et Mort à Venise moi aussi enculé par Notre-Dame des Fleurs moi aussi j’ai hurlé avec le Grizzli sur la Montagne Magique Lourde Lente moi aussi Possédé moi aussi Âme morte […] moi aussi Au-dessous du Volcan lisant l’écriture écrivant la lecture page noire comme page blanche ont l’Eternel à révéler. »

 

Dans la relation amoureuse, la femme à visage multiple, évanescent, interchangeable, s’inscrit dans la précarité de l’union, avec cette difficulté permanente pour l’auteur à s’identifier comme à se situer par rapport à l’autre, à lui reconnaître son autonomie et éprouver ou partager son ressenti : « là haut nous avons regardé vers le monde et les siècles dessous nous / ensemble / (moi qui ne suis qu’un homme seul et séparé ho sceso milioni di scale dandoti il braccio ( Eugenio Montale))… » Ou encore, quand le mystère s’obscurcit, tel Verlaine en son rêve étrange et familier, la confusion des sentiments s’ajoute à la crise identitaire : « une jeune femme m’accompagnait souvent différente / je m’en apercevais à peine / (mais moi aussi je n’étais pas toujours le même : qui étais-je ? plutôt qui était-il ? qui était-elle…) »

 

Dans Sept Anges, entre dérision et lyrisme distancié, Biga évoque « la merveilleuse mécanique du monde » et s’interroge entre détresse et tendresse sur le mode métaphorique : « L’homme serait-il la chrysalide de l’Ange ? »

 

Surtout, dans Bienvenue à l’Athanée, la causticité s’exacerbe sur le mode carnavalesque, avec des fantaisies langagières plus ou moins heureuses mais qui le plus souvent touchent juste. Ainsi sont débusquées (et non embouchées) « les tromperies de la renommée », épinglés « vents et vanités des zespoirs et zescroqueries », mis à nu « les zuts-topistes », réduits en pièces les « bouledogmes zinzintégristes » ou encore expéditivement vitupérés les « zinzin-quisiteurs… » Le discours s’égrène, grenade dégoupillée, en tornade ou par rafales, au risque de déboussoler et d’étourdir le lecteur…

 

Cette troisième séquence du recueil s’achève sur la fuite du temps et l’énumération des figures naguère familières de notre culture fourre-tout, celles de la scène et de l’écran ou de toutes les mythologies intimes, éclectiques, de notre génération : « En cinquante ans j’ai vu mourir un Monde… »

 

Depuis Les Oiseaux Mohicans, Daniel Biga a publié une trentaine de recueils. Ses jeux de langue insolents et décomplexés, en langue d’aïl, en rital, en pingouin, et autres zidiomes, apportent un souffle ravageur, à la diable, et redonnent le goût du rire (rabelaisien ?) dans notre paysage poétique qu’encombrent trop souvent des Pléiades de Trissotins désincarnés…

 

 

                                                                                      

Balise 82 - à propos de la signification poétique

"Dans l'usage de la vie pratique, le langage est un instrument et un moyen de compréhension, il est la voie qu'emprunte la pensée et qui s'évanouit au fur et à mesure que s'accomplit le parcours. Mais, dans l'acte poétique, le langage cesse d'être un instrument et il se montre dans son essence qui est de fonder un monde, de rendre possible le dialogue authentique que nous sommes nous-mêmes et, comme dit Hölderlin, de nommer les dieux. En d'autres termes, le langage n'est pas seulement un moyen accidentel de l'expression, une ombre qui laisse voir le corps invisible, il est aussi ce qui existe en soi-même comme ensemble de sons, de cadences, de nombres et, à ce titre, par l'enchaînement des forces qu'il figure, il se révèle comme fondement des choses et de la réalité humaine."

Maurice Blanchot

18:53 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (2)