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31/03/2008

Lu 23 - Haiku - Anthologie du poème court japonais

Le mendiant –
Il porte le ciel et la terre
Pour habit d’été

Ce haiku d’été de Kikakou, je le prendrais volontiers pour emblème de cet art poétique que Corinne Atlan et Zéno Bianu résument dans le triangle suivant : Brièveté d’un souffle ; court-circuit de nos représentations ; pincement léger du cœur.
De quoi s’agit-il donc dans le haiku sinon de la chair même du monde quand elle palpite entre diastole et systole ? Que sont ses mots sinon des laisser-passer ? Poreux – véritable puits artésien ! – par où remonte ce « ah ! » des choses quand, étonnées, elles surgissent comme elles sont, moins peut-être dans leur être que dans les rapports qu’elles peuvent entretenir entre elles, tant elles sont ajustées et comme reposant dans une mesure qui les illumine.169f39b8ab1000c746917725ebcd4055.jpg
L’originalité de cette anthologie du poème court japonais (Poésie/Gallimard, cat 2) tient d’une part à la traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu qui ont cherché à faire la part belle aux résonances plutôt qu’au sens, forts de ce que le même  mot japonais « uta » désigne poésie et chant qui oblige pour ainsi dire à lire le haiku à voix haute. Et d’autre part, à côté de l’inévitable répartition des poèmes en ces saisons qui portent tout, privilégiant « les moments témoins d’une émotion saisonnière », Corinne Atlan et Zéno Bianu ont su faire place à un espace « hors saison », réservée aux « haikistes contemporains, soucieux de créer une esthétique moderne de l’instantané » tel que Hoshinaga Fumio par exemple qui écrit :

Dans le quartier des banques
Les navires de guerre
irradient

 © Alain Freixe

30/03/2008

Balise 30-

Y entendre notes? Mais quelles?

"Mes poèmes ne sont pas des poèmes. Quand vous aurez compris que mes poèmes ne sont pas des poèmes, alors nous pourrons parler de poésie."

Ryokan (XVIII) 

23:13 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1)

18/03/2008

Lecture et Musement



"Celui qui lit n’a pas nécessairement conscience qu’il lit,
surtout s’il lit avec attention."
Plotin cité par André Du Bouchet1


Nous savons lire la littérature. Nous le savons puisque nous savons d’abord en repérer les signes sur le corps des textes, nous le savons, ensuite, puisque nous savons mettre ces signes en rapport avec la littérature, objet même de notre lecture.
Nous le savons, enfin, puisque certaines d’entre nous en faisons profession – nous enseignons souvent, non – ou en témoignons, ici ou là, en quelques approches critiques.
Que ce savoir opère par effraction et, ouvrant l’oeuvre à l’aide de quelques clefs forgées, plus ou moins bien, au feu des sciences humaines, par là même la déchire et la perd, ou qu’il l’aborde avec respect, et que dans cette distance, marque même du regard d’amour, il en vienne à partager son souci ; que ce savoir relève du regard d’Actéon ou de celui de Psyché, selon la belle distinction de Jean Starobinski2, cela, bien entendu, ne saurait me laisser indifférent. Et parce qu’ils disent l’accueil dont toute oeuvre a besoin, ce soin qu’elle exige de celui qui a décidé de s’occuper d’elle, bien mieux que je ne saurais le faire, je me contenterais de redonner à entendre les mots de Rilke : «Les oeuvres d’art sont d’une infinie solitude, rien de pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut y parvenir, les garder et être juste envers elles» 3.
Mon propos visera, remontant vers l’en-deçà de ces deux regards, à considérer le temps de la première lecture où, loin de toute plume et de tout souci critique, on prend contact avec une oeuvre, et à envisager les effets que son procès est susceptible d’engendrer. Que tirer ainsi amont soit l’occasion de rendre compte des conditions de possibilité de ces deux regards et la chance d’en libérer un troisième, aussi aveugle que celui de Tirésias, le Voyant.

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03/03/2008

Turbulence 21 - Mai 68 revient!

Vous avez vu, entendu: tous en ont reparlé, colloqué!

Je me contenterai d'un rappel comme une relève! C'était dans Les Nouvelles Littéraires du 3-9 mai 1984, Gilles Deleuze et Félix Guattari signaient un article au titre provocateur: "Mai 68 n'a pas eu lieu" (article repris aux p.214/217 de Deux régimes de fous, éditions de Minuit,2003). Et certains voulaient le liquider (voir notre Turbulence 12 - Liquider, il a dit...du 02 mai 2007)!Deleuze et Guattari mettaient en place dans les phénomènes historiques la "part d'événement, irréductible aux déterminismes sociaux, aux séries causales".Ils y affirmaient que "l'événement a beauetre ancien, il ne se laisse pas dépasser : il est ouverture de possible. Il passe à l'intérieur des individus autant que des sociétés." Ils poursuivaient : "Mai 68 ne fut pas la conséquence d'une crise ni la réaction à une crise. C'est plutôt l'inverse. C'est la crise actuelle, ce sontles impasses de la crise actuelle en France qui découlent directement de l'incapacité de la société française à assimiler Mai 68 (...) Elle n'a rien su proposer aux gens : ni dans le domaine de l'école, ni dans celui du travail. Tout ce qui était nouveau a été marginalisé ou caricaturé." Ils terminaient en affirmant que: "Les seules reconversions subjectives actuelles, au niveau collectif, sont celles d'un capitalisme sauvage à l'américaine, ou bien d'un fondamentalisme musulman comme en Iran, de religions afro-américaines comme au Brésil : ce sont les figures opposées d'un nouvel intégrisme (il faudrait y ajouter le néo-papismr européen). L'Europe n'a rien à proposer, et la France ne semble plus avoir d'autre ambition que de prendre la tête d'une Europe américanisée et surarmée qui opérerait d'en haut les reconversions économiques nécessaires."

Et vous diriez que pour l'essentiel, ces propos ne sont plus d'actualité? 

02/03/2008

Balise 29 - Eloge de l'autre (3)

"Ce que le pied heurte au bord du chemin peut bouleverser le monde, il en a du moins la vocation. Car il n'y a pas de choses subalternes, il n'y a que des chances manquées."

Jacques Dupin 

10:49 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

01/03/2008

Balise 28 - Eloge de l'autre (2)

À propos de la parole de poésie, André du Bouchet écrivait : "parole d'étranger, oui, - de qui, arrivé du dehors, parle mal, ou plutôt n'use pas, comme prescrit, de la lan,gue qui devrait être la sienne."

20:04 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)

Béatrice Bonhomme - Courbe de calligraphie silencieuse

5a7673f80d8bd67b2845c3fb8ab83aa9.jpg ( Béatrice Bonhomme, poète, a publié des livres de poèmes dont Les Gestes de la neige04b0413f899806557d2bf291bbbe4d0d.jpg (L’Amourier), Le Nu bleu (L’amourier) Cimétière étoilé de la mer (Mélis) et La Maison abandonnée (Melis, 2006).  Elle a également réalisé  plusieurs livres avec des peintres.
Parmi les titres à paraître en 2008 peuvent être signalés une biographie sur Pierre Jean Jouve aux éditions Aden et un livre sur la poésie contemporaine : Mémoire et porosité aux éditions Melis.
Elle a fondé avec Hervé Bosio la Revue Nu(e), qui édite des poètes contemporains depuis 1994.Son dernier numéro est consacré à Jacques Ancet (Au numéro, 20 euros; Abonnement 50 euros auprès de ASSOCIATION NU, 29 Avenue Primerose 06000, Nice)

 

 Courbe de calligraphie silencieuse

La terre rouge, une déchirure de nuit, les grands grumeaux de terre éclatant dans les vignes. La sueur rousse écartelée. Un prieuré sévère en pierres de sable s’écoulant dans les chênes, les vignes comme une rose non encore ouverte au prisme de verdure. Le vert et le rouge échangent des provocations d’amour. Le silence éclate au cœur.

Les dédales d’un labyrinthe brûlant dans le vent des pierres, comme un marché au désert, et parfois une oasis de platanes à l’ombre d’un jardin retiré, la brûlure d’une traversée silencieuse dans les ruelles de la ville, puis l’ombre recueillie d’une maison offerte au sable. La fresque porte la lumière, trois fois ourlée des cordelettes de prière.

Sur  les murs de la maison qui va être détruite, les taches de couleur, les oiseaux, les marques du désir ont laissé une colle rose. Les couleurs éclaboussent le matin, dans les formes enfantines d’un trait mal défini. Le sabre entre les cuisses, la fresque viole la lumière dans une fin  d’après-midi qui doit mourir.

Une fontaine est posée entre les murs, sa pluie avive les couleurs projetées dans la lumière.
Dans la maison abandonnée, une petite pièce bleue a reçu un trait de pinceau piaillant et des oiseaux sont nés qui hurlent leur rougeur innocente entre les becs des lustres oubliés.

La maison abandonnée est devenue la proie de l’arbitraire. Des oiseaux ont été dessinés sur les murs  comme des nappes de couleur avec des fleurs à la Matisse, utilisant les motifs déjà existants d’une ancienne tapisserie ; çà et là on découvre la tendresse désuète, presque chinoise d’une plume posée avec le mousseux d’un flocon.

La fraîcheur inattendue d’un jardin et les dédales de la maison abandonnée comme des enfants auraient joué de quelques flaques de lumière et posé sur le mur leurs doigts imprégnés de couleur mais pas encore assez défaite. Pourtant une petite chambre bleue, peinte à la va-vite, par touches jetées sur la tapisserie, garde le silence des enfants, laissé pour compte, oublié. Et brusquement se découvre le couple de la fresque dessiné avec son désir en bataille.

Le couple dessiné à la va-vite comme grossièrement, ressemble aux graffitis d’enfants. Il a gardé l’innocence des choses simples au milieu des taches d’oiseaux et de fleurs qui croisent sur la tapisserie un silence bleu déposé là par hasard.

Un vieux rideau vert, inattendu dans cette nudité garde le plissé d’une chasuble. Son bord touche l’esquisse d’un ciel, puis un miroir taché d’éclaboussures renvoie l’image d’une fresque dorée avec la présence d’un personnage.

Sur le mur s’étale vif et clinquant, le désir, désir de vivre et de jouir, désir de procréer des fleurs et des oiseaux.

Le dessin ne bouge pas d’un cil même sous le vent léger. Il est comme arrêté dans le temps, avec le bleu foncé d’une nuit de juillet, une pierre posée, sans érosion.

Des graffitis entrelacent des noms et des corps très matériels qui sont peints à la va-vite, mal définis et l’on distingue juste le sexe de l’homme qui devient une fleur de couleur violente avec des oiseaux dans ses nids.

Il y a un recueillement car le miroir de l’ancienne salle d’eau a pris du moucheté et dans une encoignure se précipitent quelques oiseaux qui ont poussé leur force dans le sexe de l’homme.

Une fleur criarde étale sa vulgarité sur la tapisserie peinte à la hâte. Le soleil la frappe et la fait hurler au bord d’une fenêtre qui baille.

Toutes les fenêtres, les portes battantes mais dans le dédale des pièces demeure un lieu secret où le bleu se bat avec le rouge. Il reste une odeur d’enfance.

Des larmes d’eau suintent dans la cour avec des fleurs qui saignent dans les murs recouverts de signes rouges.

Le bulldozer, lorsqu’il viendra, fera éclater les murs, appuyant trop vite sur des tubes de gouache comme un enfant pressé et tout aura cet  air à la fois désolé et festif d’un gachis de couleur.

Il a fallu longtemps laisser couler le bleu de l’encre pour réparer le gris des choses.

Une résistance de velours laisse glisser son feu sur le mur posé de la chambre.

© Béatrice Bonhomme