30/11/2015
Lu 116- Raphaël Monticelli - Bribes - L’Amourier éditions, 26 euros
Outre la magistrale et émouvante biographie d’Auguste Blanqui, L’Enfermé de Gustave Geffroy, la reprise des sept livres augmenté d’un huitième, Dans la suite des jours de Michaël Glück, les éditions de l’Amourier publient un fort volume qui reprend les quatre livres de bribes parus – Intrusions illustré par Edmond Baudoin– 1998, Réversions illustré par Jean-Jacques Laurent -1999, Effractions illustré par François Goalec - 2003, Expansions illustré par Marc Monticelli - 2005 - sous le titre global de Bribes tirées de la mort de Dom Juan, présenté désormais comme une « première période », auxquels Raphaël Monticelli a ajouté un cinquième livre titré Déploiements qui ouvre une deuxième période intitulée Bribes issues du nid de l’aigle. Et c’est un vrai bonheur de lecture !
Après Expansions – et même si le mot déjà fait signe vers un plus grand développement – Déploiements accentue cette ouverture vers d’anciennes Bribes qui avaient été publiées en dehors des éditions de l’Amourier et vers des textes plutôt consacrés à des artistes, notamment à Max Charvolen avec qui Raphaël Monticelli et le photographe Alkis Aliotis s’en furent travailler à Delphes autour des restes du temple dit du « Trésor des Marseillais ». Cela dit on retrouve les thématiques, les personnages – Et disons-le, on aime à retrouver Josué, Ulysse, les Apaches… - les références telles que les AOI de La Chanson de Roland ! qui terminent certaines bribes - mais aussi les interrogations sur les genres. Cela dit on se montrera sensible à une plus grande unité dans le choix d’écriture et au souci de mieux marquer l’agencement des Bribes entre elles.
Comme l’Ulysse des Bribes, le narrateur de ces miettes narratives est un revenant. Il écrit à partie de la mort dans la vie des mots. Au-devant d’eux. Comme Josué, leur personnage central, qui dès les premières lignes « enclencha les mécanismes », le narrateur qui les compose est un compositeur aussi se lisent-elles « littéralement et dans tous les sens », comme le conseillait Arthur Rimbaud à sa mère à propos de ses vers, tant leur écriture est polyphonique et polysémique. Une vraie écriture de Jubilation.
Ces Bribes sont autant de textes qui naissent de ses heurts avec le monde, celui de tous les jours avec son cortège d’injustices et de violences, de malheurs mais aussi de surprises et de joies, celui des amis, des gens, des faits, des textes et des œuvres. Autant de chemins qui cartographient une véritable traversée de soi où il s’agit d’apprendre, comprendre et aimer tout ce qui entre en nous, que l’on porte moins qu’on ne s’y épaule : écrivains et leurs mots, leurs images ; peintres et leurs signes, leurs matières ; événements, rêves…
Ces Bribes sont aussi une tentative pour coller tous ces morceaux, ramasser toutes ces miettes, nouer tous ces fils épars. Et moins échafauder un sens que trouver une sortie, percer une issue. S’en sortir, sans sortir de cet enfer qu’est notre monde aux mains de ceux qui s’en croient les possédants !
Ce que Raphaël Monticelli appelle Bribes, d’autres le nommeraient fragments de récits, nouvelles, poèmes…et ce n’est pas là leur moindre originalité que de se faufiler ainsi entre les genres !
C’est que Raphaël Monticelli est poète ! Je sais que le plus souvent il a du mal à assumer cette dénomination. Pourtant, je l’ose en prenant de préciser que j’entendrais ici par poète, un facteur de langue et c’est alors lui qui est voie d’accès au monde réel, lieu du combat qu’il mène de bribe en bribe. A son rythme. Selon ses tons. Avec ses nuances.
Ainsi s’il y a des phrases, il y a surtout un phrasé. Phrasé qui se diversifie en fonction du rythme, des prises de souffle, des tons. Poétiser la prose pourrait être le beau souci de Raphaël Monticelli : travail sur les phrases mais aussi sur leur montage. On ne peut qu’être sensible à ce soin pris à ménager passages et passerelles, à agencer ces « restes » qui remontent de la vie, ces miettes.
Dans ces Bribes, la vie dépasse des mots qui la désignent, marque même de la présence d’un poète selon Odysseus Elytis. C’est-à-dire de quelqu’un dont la tâche est de travailler la langue comme on travaille la terre, comme on la retourne, la prépare, l’ensemence. Ici, on la charge d’intensités soit en chauffant à blanc ses éléments, soit en les dénudant jusqu’à l’os et cela pour que celle qui reste notre langue commune livre autre chose que le compte-rendu exact, objectif et tautologique de nos rencontres avec le monde, avec ce qu’il a de toujours autre : paysages, situations, visages, œuvres…bref avec l’épaisseur et la complexité, les infinies nuances du réel, de nos relations avec lui.
Ces Bribes sont le livre d’une vie. Non au sens testamentaire du mot mais par référence au « beau coût » qu’il représente, à cette expérience, à ce parcours toujours risqué que représente leur écriture qui se poursuit. Et se poursuivra, n’en doutons pas.
Qui a décidé un jour d’intervenir sait qu’il aura à recommencer sans cesse et que ce ne sera pas là morne répétition mais accueil à ce qui vient. Va venir. Cela dont nous ne saurions rien anticiper. Vraiment.
10:49 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raphaël monticelli
05/07/2014
Lu 101 - Raphaël Monticelli, Mer intérieure, La passe du vent, Poésie
Mare Nostrum, la Méditerranée est notre Mer intérieure*, bleue et noire à la fois, peuplée de fortes images fémininines, ces passantes du coeur. Elle a trouvé abri dans l’anse de nos yeux comme les œuvres des onze artistes convoqués ici : Leonardo Rosa, Jean-Jacques Laurent, Fernanda Fedi, Eric Massholder, Gilbert Pedinielli, Meriem Bouderbala, Oscari Nivese, Abdelaziz Hassaïri, Anne-Marie Lorin, Martin Miguel, Henri Maccheroni. Tous vivent sur les rives de la Méditerranée : Grèce, Italie, Croatie, Provence, Malte, Egypte, Tunisie.
Mer intérieure est un rassemblement de textes écrits pour comprendre ce que les œuvres de ces artistes portent en elles de sens pour nous repérer dans le monde où nous vivons, monde mouvant, imprévisible, dangereux où rien n’est plus comme hier et où nous n’avons pas la moindre idée de ce que pourra bien être demain.
Rassemblement certes mais composé ! Mer intérieure est un livre et non un recueil d’articles. Un travail rigoureux d’articulation a présidé à son architecture dessinant comme un parcours. Ce n’est pas pour rien qu’il ouvre sur « Labia », dédié à leonardo rosa, où il est questions de Delphes, de cet ombilic aux lèvres obscures d’où sourdent d’obliques paroles pour se terminer sur cette « Ode au sexe féminin », dédiée à Henri Maccheroni, autres lèvres, « nid des murmures / la raison du savoir / l’absence première ».
Cette Mer intérieure de Raphaël Monticelli fonctionne comme une chambre d’échos, une caisse de résonance. Résonance ? Ce qui importe en poésie, non ?
*Raphaël Monticelli, Mer intérieure, La passe du vent, Poésie, 10 euros
17:52 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raphaël monticelli, mer intérieure, la passe du vent