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05/07/2014

Lu 100 - Bernard Noël, La place de l'autre, Oeuvres III, P.0.L

 Les plumes d’Eros – Tome I – c’était en 2010, où se rencontrent avec ce qu’il y a d’amoureux dans ce dieu de la fiction qu’est Eros quelques-unes des autres plumes de Bernard Noël. L’outrage aux mots – Tome II – c’était en 2011, comprenait ses principaux textes politiques, a-t-on dit, et avec raison mais peut-être ajouterais-je que toute son œuvre me semble relever du politique dans la mesure où Bernard Noël porte la langue, qu’il la renouvelle infiniment quand le pouvoir  qui l’instrumentalise, la défigure, la fige et « se perpétue en la dégradant ».

 Avec cette Place de l’autre – Tome III – C’est quelques 900 pages de textes divers que l’on pourrait faire tourner autour de 3 axes : celui de données autobiographiques souvent fortement teintées d’ironie, celui des entretiens – il y en a deux séries – et celui de ces mouvements qui portent l’écriture vers les autres, de Sade à Bataille en passant par Gilbert-Lecomte,  Michaux  comme vers de nombreux autres que l’on salue et à qui on rend l’hommage d’une parole amie. Et c’est peu de dire que la question de l’écriture, du vide, qu’œil du cyclone, elle porte en elle, hante ces  pages : « il me faudrait dire pourquoi j’écris », s’exclame Bernard Noël, il le faudrait…oui, mais voilà ça n’est jamais ça et malgré ça, « de l’autre côté du désespoir », il  décide d’écrire quand même. Il choisit de poursuivre pour éprouver l’étrange plaisir de la pensée.

 Cette place de l’autre quelle est-elle ? Bien sûr, c’est celle du « tu », de l’autre à qui l’on s’adresse mais elle est aussi bien celle du « je », de ce « je » qui s’ouvre sous les coups du dehors, de cet autre que l’on devient à partir du moment où l’on est contre ce que le « tu », l’autre fait de moi. Pour Bernard Noël, la place de l’autre est toujours de l’autre côté, « en moi derrière moi ». Il est effraction. Il est celui qui vient à l’improviste. Depuis les arrières. Il est surprise, l’autre en moi dont je suis l’hôte, ma part d’ombre. Tout se joue dans notre dos, au revers de nous-mêmes. Quand l’autre vient au jour, c’est au prix de ma disparition. Quand ce bloc d’impensé survient, quand l’écriture en cours lui fait place, elle maintient l’énigme de ce qu’il en est de ce qui est venu. Elle garde vivant. C’est toujours l’autre qui nous saisit dans l’écriture comme dans la lecture. C’est lui qui appelle au dehors, qui rompt, qui éveille le vif. C’est lui qui dans les cendres de ce qui se tient devant, en face, voit depuis l’arrière les flammes anciennes. Entre le mort et le vivant, un éclat. Il éclaire la part inconnue de nous. La part vive, dans la langue rendue à son vivant désordre, où bat l’humain. De l’humain en formation.

 Là est la bonne nouvelle de ce livre. Il dit à sa manière, cela que nous allons répétant : l’humain d’abord ! Et par humain, j’entends moins l’homme que cette chance d’homme qu’est tout homme quand il s’empare de ce pouvoir qui est le sien de se saisir comme mise en question de sa propre existence, d’apprendre à voir – « seul le regard sauve » disait Simone Weil – de s’alléger dans les questions, d’agrandir sa sensibilité, Tout cela que peut la poésie quand elle sait laisser à l’autre sa place !