05/07/2014
Lu 102 - Fabienne Courtade, Le même geste, Poésie, Flammarion
Ecrire, c’est toujours un même geste*, ce même geste qui est à l’œuvre quand ce mouvement de la main et du corps lève devant lui l’inconnu, quand il ne s’agit pas de traduire une expérience antérieure avec ses sentiments et ses secrets mais quand cette manière d’aller est elle-même le lieu de l’expérience, la réponse apportée à un passage de vie, à ses éclats.
Si le jour est la fatalité du langage, comme l’écrivait Roger Laporte, la nuit serait alors la chance du silence. C’est dans la nuit qu’écrit Fabienne Courtade, celle des sensations vivantes comme telles impossibles à communiquer tant leur magma est fait non seulement d’assemblages mais encore de déchirures, d’écarts. Ici les blancs, les accélérations, les ruptures abondent comme les passages en italiques qui sont et ne sont pas du texte, ni citations, ni paroles rapportées. Au plus, ce sont des trous, au mieux des jours. Le même geste signe une narration ajourée, impossible. Une fiction d’oubli.
D’où viennent les mains jusque dans la main qui écrit ? Ici, cette main n’impose aucun ordre, se refuse à baliser la mémoire, à cairner un chemin. Elle fait advenir l’oubli. Un labyrinthe. Tout se passe comme s’il y avait un enraiement du langage. Ça patine, ça s’interrompt, ça déraille. Si ça bouge, c’est dans le même. Ça balbutie, ça piétine, ça s’enlise. On n’arrive pas à assurer ses pas, à s’assurer de prise en prise, on bute sur la cassure des phrases, des tentatives de narration .
Dans cette écriture rompue, j’entends une insurrection de la langue contre elle-même, une insurrection douce, à voix basse, à parole menue. Rien ici qui tonitrue simplement des mots, des phrases qui dans ces pages disjointes mettent le sens hors-jeu. Et nous voilà comme jetés dehors, sans plus savoir où l’on doit aller, égarés entre les chemins d’une impossible contrée, les mailles d’un épervier qui, remonté, dégoutte dans la lumière ses perles d’eau où le soleil se prend, histoire de nous faire croire encore au ciel. Car c’est poursuivre qu’il nous faut ! Longer ravins et lisières, passer et repasser les lignes frontières, suivre le fil ténu des disjonctions, des coupures, des séparations, fil qui seul nous relie à ce qui nous échappe, cette impossible histoire qui du dehors fait signe, non plus miroir que l’on promenait sur la route mais bris de miroir, morceaux épars, fragments, bribes, miettes que Fabienne Courtade ramasse, plie, déplie, replie, entasse un peu ici, beaucoup là-bas, et entre, c’est son souffle qu’on entend, ras mais endurant, la vie qui passe, qui s’en va vers l’autre.
* Fabienne Courtade, Le même geste, Poésie, Flammarion, 18 euros
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04/02/2010
Fabienne courtade, un poète, un poème
( Fabienne Courtade vit et écrit à Paris. Participe à des revues et à des ouvrages collectifs.
Table des bouchers, éditions Flammarion, 2008
Il reste... éd. Flammarion, 2003
Ciel inversé ( II ) , Cadex éditions, 2002 - Ciel inversé ( I ) , Cadex éditions, 1998
Nuit comme jours , éditions Unes, 1999
Lenteur d’horizon , éditions Unes, 1999
Entre ciel , accompagné d’aquarelles originales de Frédéric Benrath, éditions Unes, 1998
Quel est ce silence , éditions Unes, 1993
Nous, infiniment risqués , éditions Verdier, 1987
Livres d’artistes (poésie / peinture), avec notamment Frédéric Benrath, Gilbert Pastor, Joël Leick, Thierry le Saëc, Jean-Michel Marchetti, Jean Brault, Philippe Guitton. ).
Elle m'a confié ce poème extrait d'un Cahier Ö - numéro 13, accompagné d'une peinture originalle de Philippe Guitton.
Quinze exemplaires ont été fabriqués en collaboration avec la galerie de peinture l'Espace Liberté, à Crest et la maison d'édition, les Ennemis de Paterne Berrichon.
*
28 juin de l’année précédente
quelqu’un dit violence noire
sombre
poudrée
point de douceur, un peu de couleurs
sorti des ruines se déplace aussi
ciel gris je ne vois pas
même en ouvrant
le corps des aveugles
avec de petits saignements
alors nous allons en somnambules sont allées de somnambules
sa main se pose juste au-dessus de ma tête
sorte de battement d’ailes
il s’éloigne très vite
la lumière de la fenêtre
se déplace lentement
on ne voit plus
que poussières, débris de peau
Parfois du bleu en ruine
© Fabienne Courtade
22:27 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, fabienne courtade