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10/12/2008

Lu 30: En présence...de Bernard Noël


CouvEnPresence.jpgEn présence... que publient les éditions de l'Amourier dans leur collection Voix d'écrits (30 euros) est un livre d’entretiens de Bernard Noël avec Jean-Luc Bayard auquel est joint le DVD d’un film réalisé par Denis Lazerme, En présence d’un homme, tourné à propos du livre géant que Bernard Noël a réalisé avec le peintre Geneviève Besse et le sculpteur Olivier Seguin pour la maison Rabelais à la Devinière.
Jean-Luc Bayard parle volontiers de voyage à propos de ce projet : voyage dans une vie de création, traversée du temps de la vie d’un homme qui fait surgir aussi bien le passé que ce que ce que l’on pourrait faire si l’on croyait à l’avenir mais voilà si l’on est bien en présence d’un homme – et les questions de Jean-Luc Bayard n’y sont pas pour rien tant elles cherchent moins le renseignement, les anecdotes qu’à se joindre au propos par où s’affirme une solidarité entre questionneur et questionné-  c’est que l’homme y est au présent !
Vous ne trouverez dans ce livre ni inventaire, ni somme, ni un Bernard Noël empaillé au passé, ni un Bernard Noël  ennuagé de futur, soucieux à mourir de son œuvre !
Le poète Bernard Noël – et c’est là à mon sens la grande leçon de ce livre – s’efforce d’être moins poète et toujours plus homme. Un homme que « l’écriture engage gravement », un homme ouvert dans sa division, toujours rendu à ce qui le dessaisit de toute prise et le jette au présent sur les routes où écrire désespère certes dans le présent des mots tant il sait ne pouvoir sauver le vif mais qui d’un autre côté s’offre comme la seule voie possible où poursuivre jusqu’à ce qu’arrive la fin avec pour moteur un désir, inventeur de chemins, et une soif qui ne peut s’étancher que dans de nouvelles fièvres. Un homme que toujours quelque chose pousse dans l’inachevé, le vouant à l’interminable, dimension ouverte par la désertion des noms en lieu et place de Dieu, « vide vivant » dirait Jacques Dupin, vide germinatif où naît le vent qui anime la traversée. L’impossible traversée. Pour que ce soit « la fin qui signe ». Un homme au “non” résistant qui sait que “c’est la guerre”, “guerre avec la société dans laquelle nous vivons. C’est la guerre de continuer à écrire. C’est la guerre de ne pas se plier au commerce, à la consommation”. Un homme pour qui “la poésie est le foyer de résistance de la langue vivante contre la langue consommée, réduite, univoque”, poésie qui ne seprend jamais les pieds à ses propres miroirs. Un homme engagé en tant qu’écrivain moins par les sujets de ses textes que par son engagement dans l’écriture, engagement grave du côté de la vie.

( Article publié dans le Patriote Côte d'Azur du 17-23 octobre 2008 )

Balise 36 -

N'oubliez pas ces mots de Al-Mutamar Ibn Al-Farsi, poète soufi de Cordoue (1118-1196):

« Les émissaires qui frappent à ta porte, c’est toi même qui les as appelés et tu ne le sais pas. »

18:53 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, littérature

Lu 29: Alvaro Mutis - Et comme disait Maqroll el Gaviero

Vous aimez les histoires ? Les romans ? Les romans latino-américains, cette littérature de ports perdus et misérables des Caraïbes avec leurs perroquet criards, leurs crocodiles furtifs,  ces brumes sur les fleuves, cette humidité dévastatrices, ces personnages typiques - femmes dangereuses, hommes interlopes - pris dans un univers animiste et primitif, popularisés par Gabriel Garcia Marquez ? Alors vous avez sûrement aimé la saga narrative d’Alvaro Mutis, les aventures et tribulations de Maqroll et Gabiero : La neige de l’Amiral, Ilona vient avec la pluie, un bel morir et suite à ce tryptique, La dernière escale du tramp steamer, Ecoute-moi Amirbar, Abdul Bashur, le rêveur de navires et le rendez-vous de Bergen, tous publiés chez Grasset et tous tournant autour de ce personnage Maqroll et Gabiero, marin aux aventures terrestres,homme de vigie, veilleur aux confins, arpenteur des frontières, familier des précipices…figure même du poète.
Couv Maproll792 - copie.jpgIl n’est pas inutile de savoir que tous ces romans sont comme des excroissances de la poésie d’Alvaro Mutis, qu’ils sont sortis de son œuvre poétique, celle-là même que la collection Poésie / Gallimard nous donne aujourd’hui à lire avec ce volume Et comme disait Maqroll el gaviero. En effet, Alvaro Mutis est le poète qui contribua à sortir dans les années cinquante la poésie colombienne d’un lyrisme traditionnel, prisonnier de vers à la structure et au rythme convenus sous l’influence conjuguée du surréalisme et de Pablo Neruda.
Dès 1953 avec Les éléments du désastre, l’univers poétique d’Alvaro Mutis est en place, univers de désespérance où terminer importe peu, où il faut toujours poursuivre avec l’échec pour aiguillon . Le personnage de Maqroll et Gabiero en occupe déjà le centre nerveux. Il y tient la place du conteur : « Il déversait sur ses auditeurs la mélancolie de ses longs voyages et la nostalgie des lieux qui étaient chers à sa mémoire, et dont la distillation lui donnait la raison de sa vie ». Celle aussi de l’errant, toujours battu mais jamais abattu dont le désespoir n’est jamais un renoncement à vivre tant il tient de partout à la « réalité rugueuse » d’ici-bas mais force levée contre le monde et son cours.
Il est une figure de la poésie, celle qui ne vit que du désir et de la mort, forces qui la soulèvent et la dressent, l’adressant à l’autre de tout lecteur, celle qui se tient dans « l’imminence d’une révélation qui ne se produit pas » selon l’affirmation de Borgès, attente de ce miracle entrevu quand l’âme est invitée à la fête des sens ; la même qui rend ses amours transparents et libres avec Flor Estevez , Ilona, Ampara maria ou Dora estella ou qui préside à ces rencontres improbables avec ce qui en lui attend « l’effondrement de son être » dans les gorges d’Aracuriante par exemple ou ce sentiment de plénitude où « tout (serait) accompli pour lui » comme dans une rue de Cordoue, moments où « échapper au trafic des ports et de l’étoile toujours contraire de son errance insasiable », moments où s’opère un changement intérieur lui permettant de gagner en lumière, en lucidité.
Les routes du gabier sont géographiques, elles s’enfoncent dans le continent américain mais enlacent aussi bien les autres continents et les peuples d’Europe, d’orient comme du Moyen-Orient. Spatiales, elles sont aussi temporelles. Sur les routes de Maqroll, le passé et l’histoire sont présents. À ces routes du monde et de l’histoire, Alvaro Mutis ajoute les routes du sacré tant il sait mêler approche rationnelle et approche mythique du monde. Si l’âme est ce qui se joue entre les mots, les routes de Maqroll et Gabiero, en la poésie, cette propédeutique aux romans, sont routes de l’âme. Routes qui jamais ne sont de simples moyens mais toujours fin en elles-mêmes. Comme pour Antonio Machado : « caminante, no hay camino / se hace camino al andar ». Marcher fait le chemin. En route !

© Alain Freixe

01/04/2008

Lu 24 - Eugénio De Andrade, Matière solaire suivi de Le poids de l'ombre et de Blanc sur blanc

6e687ec904ebbd34390cab823968b88f.jpgNul besoin d’être spécialiste. À parler de poésie portugaise le nom de Pessoa et des hétéronymes qui lui font cortège s’impose. C’est une montagne avec plis et replis, sommets et fonds de vallée creusés par les terreurs de l’identité et du manque d’être. C’est un paysage d’ubac.
À l’adret, se tient la poésie d’Eugénio De Andrade.  Poésie du désir, du « soleil de la peau ». Poésie du corps réhabilité, libéré de toute crainte aussi bien celle de « l’insurrection de la chair » que celle de la mort qui « n’a pas de prise sur le corps / quand on tient le soleil endormi dans ses bras ». Toujours une douce lumière éclaire depuis un fonds réservé, retenu dans l’épaisseur du corps les mots, les images de la poésie d’Eugénio De Andrade. C’est elle qui invite l’âme à la fête des sens.
Lisez Eugénio De Andrade Lisez ces trois recueils, traduits par Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Camara Manuel et publiés entre 1980 et 1984. Ils sont la ligne de crête de sa production poétique. L’homme qui était né en 1923 à Povoa de Atalaia, près de la frontière espagnole s’est éteint à Porto en juin dernier.
Quitte de tout, un soleil a replié ses rayons. Ainsi, même dans la mort, « il y a une rumeur qui ne dort pas / une manière pour la lumière de se poser, la trace / d’une larme brûlante ». C’est cette lumière rasante que l’on entend dans la poésie d’Eugénio De Andrade. Si elle n’efface pas le poids du monde, elle l’allège ; si elle ne dissout pas                           les ombres, elle les tient à distance.
© Alain Freixe

31/03/2008

Lu 23 - Haiku - Anthologie du poème court japonais

Le mendiant –
Il porte le ciel et la terre
Pour habit d’été

Ce haiku d’été de Kikakou, je le prendrais volontiers pour emblème de cet art poétique que Corinne Atlan et Zéno Bianu résument dans le triangle suivant : Brièveté d’un souffle ; court-circuit de nos représentations ; pincement léger du cœur.
De quoi s’agit-il donc dans le haiku sinon de la chair même du monde quand elle palpite entre diastole et systole ? Que sont ses mots sinon des laisser-passer ? Poreux – véritable puits artésien ! – par où remonte ce « ah ! » des choses quand, étonnées, elles surgissent comme elles sont, moins peut-être dans leur être que dans les rapports qu’elles peuvent entretenir entre elles, tant elles sont ajustées et comme reposant dans une mesure qui les illumine.169f39b8ab1000c746917725ebcd4055.jpg
L’originalité de cette anthologie du poème court japonais (Poésie/Gallimard, cat 2) tient d’une part à la traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu qui ont cherché à faire la part belle aux résonances plutôt qu’au sens, forts de ce que le même  mot japonais « uta » désigne poésie et chant qui oblige pour ainsi dire à lire le haiku à voix haute. Et d’autre part, à côté de l’inévitable répartition des poèmes en ces saisons qui portent tout, privilégiant « les moments témoins d’une émotion saisonnière », Corinne Atlan et Zéno Bianu ont su faire place à un espace « hors saison », réservée aux « haikistes contemporains, soucieux de créer une esthétique moderne de l’instantané » tel que Hoshinaga Fumio par exemple qui écrit :

Dans le quartier des banques
Les navires de guerre
irradient

 © Alain Freixe

20/01/2008

Lu 20 - Avec Guillevic sur le chemin des sèves

( cet article est paru dans une version abrégèe dans L'Humanité du jeudi )
Il s'agissait de fêter le centenaire de la naissance de Guillevic et de faire signe vers deux publications importantes:D'abord, Possibles futurs, Poésie/Gallimard, cat 2; puis, Relier, poèmes (1938-1996) NRF, Gallimard,29 euros.)

2007 : que de centenaires ! De René Char à Maurice Blanchot en passant par André Frénaud, Georges Schéhadée , comment pourrais-je oublier Eugène Guillevic dont s’est aussi le dixième anniversaire de la mort ? À côté de colloques, exposition, rencontres – j’écris cette chronique alors que se déroule bien loin de mes montagnes un Hommage à Guillevic à Saint-Arnoult-en-Yvelines, Maison Elsa Triolet et Aragon -  des publications. Si je commencerai par signaler Du pays de la pierre aux éditions de la différence qui réunit le poète, Lucie Guillevic-Albertini et le sculpteur Boris Lejeune, les deux livres des éditions Gallimard retiendront mon attention. Le premier, c’est la réédition de Possibles futurs dans la collection Poésie/Gallimard ; le second, Relier est un fort volume – quelques 800 pages ! – que nous devons aux soins attentifs de son épouse qui a réuni les recueils ou poèmes parus entre 1938 et 1996.

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