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03/05/2015

Lu 107- La barque de Pierre, Poème pour un pêcheur de Sant Cebrià de Serge Pey, VOIXéditions

Serge Pey, Voix éditionsOui, ça commence toujours par les pieds. Les pieds font base. Ainsi les morts aident-ils  à se tenir debout. A risquer l’écart, le déséquilibre, c’est alors la marche. La marche en avant. Celle que vient de mener à bien Serge Pey entre le 16 et le 31 mai 2014 est un appel aux vivants. Le facteur de langue est parti de Toulouse pour déposer au terme de 15 étapes dans la boites aux lettres qui garde vivante la tombe d’Antonio Machado à Collioure, les courriers qu’il a fait écrire depuis octobre 2013 à « Don Antonio, le bon ». Enterré là depuis le 22 février 1939, « le poète du peuple » avait quitté  Madrid le 24 novembre 1936 contre son gré, pour rester aux côtés des républicains, ses compagnons de combat contre Franco et ses misérables. Dans la mémoire de tous ceux qui ont l’Espagne au cœur, sa langue et sa liberté,  Antonio Machado pérégrine encore. L’exil n’a pas effacé les « chemins sur la mer » qu’il a su tracer et dont il disait que c’était là  notre affaire d’homme. Ils écument encore de tous leurs sillages dans son œuvre comme dans celle de serge Pey.

 Dans sa marche de la Mémoire, dont la Poésie est fille, il a pris avec lui quelques munitions – ce sont livres chez Montaigne ! Outre ceux de Machado, Lorca, Hernandez, il a pris les siens et parmi les derniers : Le trésor de la guerre d’Espagne (Zulma), Les poupées de Rivesaltes (Quiero), L’agenda rouge du MIR – Mouvement indompté du Rêve – (Al Dante) et La barque de Pierre, poème pour un pêcheur de Sant Cebrià (VOIXéditions) dont j’aimerais vous dire quelques mots.

Saint-Cyprien, quartier de Toulouse où vécut Serge Pey est aussi le nom d’un village de pêcheurs sur la côte catalane, près d’Argelès où vécut dans un camp de concentration une partie de sa famille lors de « la retirada ». Serge Pey, « résistant du sens de l’homme », est un « esgardeur ». Sa main qui écrit a deux yeux, le premier est ouvert sur le passé, son regard l’empoigne : misère et grandeur, honte et fierté, meurtres et tortures, abandons et trahisons. La mémoire nourrit la révolte et la hargne. Le second se porte sur le présent qui se dissout dans l’actuel quand « les marchands vendent tout / jusqu’au soleil / qui ne leur appartient pas » , quand « les bouchers de la lumière (…) débitent la mort » pour « les passants de l’été », décérébrés, sans mémoire qui « passent devant le Bel Ange / échoué au Barcarès / sans savoir son histoire ». Sans savoir qu’ici, les bulldozers ont détruit le Bourdigou aux maisons de sanils et de vent, où « l’on pensait faire / des choses en commun / pour qu’elles ne soient pas communes ».

L’écriture de Serge Pey est résurrectionnelle. Elle fait lever les morts et ses « généalogies » « tirent sur le sommeil / avec de vieux fusils ». Alors les filets de Pierre ramènent dans le présent les images d’hier. Dans les brisements qui suivent ces chocs, sur les arêtes des images de Serge Pey paraissent des éclairs d’une durée nouvelle et sous leur lumière un « nous » prend forme. Un « nous », issu de l’ombre, « dans le dos de la mer », s’annonce. C’est un « nous » en marche qui dit : « nous sommes la vieillesse / nous sommes la jeune mer / et aussi la mer qui vient / et celle qui jamais n’arrive ». C’est un « nous » à « gueule de chien » qui hurle « l’internationale des anges ». Ce « nous » qui revient « parce que nous ne sommes / jamais venus », c’est nous. Demain.

( article paru dans la revue Europe )

 

 

 

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