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06/03/2010

Lu 51 - Rouge Rothko de Françoise Ascal

Couv-Rouge Rothko434.jpgPoète, Françoise Ascal aime la peinture. C’est d’un compagnonnage qu’il s’agit. Non qu’il s’agisse de fréquenter, les préoccupations, les œuvres, l’atelier de tel ou tel peintre – en ce sens, il ne s’agit pas ici pour Françoise Ascal d’écrire sur l’art, de chercher le régime de paroles qui convient au silence qui coude les productions de l’art – mais de dialoguer avec ces images d’images, aussi diverses qu’images découpées dans des revues ou cartes postales achetées au sortir d’une exposition, que Françoise Ascal collectionne et qui sont comme son « atelier intérieur », un chantier ouvert sur le rêve. Pauvreté du support donc mais intérêt pour l’œil et la main car ces images secondes, elle va pouvoir les tourner, les retourner ; les approcher, s’en éloigner ; les faire jouer les unes avec les autres jusqu’à trouver la bonne distance, la bonne position qui en fasse comme autant de fenêtres ouvertes sur la peintures certes mais surtout dans la peinture sur la lumière.

On trouvera dans ce livre 16 reproductions, 16 vignettes et 16 textes où ce qui importe c’est moins de savoir s’il s’agit d’une lettre – à Joseph Sima par exemple – d’un poème où prose et vers se mêlent que de se laisser prendre par la pente de la rêverie qui suppose des accélérations, des sauts d’une image à l’autre, d’un bruissement à un autre jusqu’à vouloir « devenir torche ou tornade / qu’enfin tombe en cendres le trop qui m’entrave ». 16 vignettes qui s’ouvrent sur Rembrandt, Portrait de la mère assise à table que Françoise Ascal reconnaît comme sa « terre natale » et qui se terminent par Rothko, « toile de feu », « la plus rouge, la plus incandescente », celle qui appelle à « traverser les parois » jusqu’à un « là-bas, derrière les pigments », pays de la joie. Ce « dialogue secret » avec ces images où « l’intime et le collectif se rejoignent », Françoise Ascal le mène de façon non pas à nier « le noir de la peur, de la perte et du deuil », celui de la violence du monde, de la fureur des temps mais à « désencombrer la vue » afin de garder toujours vif cet « instinct de ciel » que la vie même exige.

J’aime que ces 16 cases jouent à partir d’une case vide, celle d’un « Bonnard perdu » alors que fument dans la nuit de la lucarne les bombes incendiaires et les balles traçantes sur « Bagdad, Bassorah, Nejma » - Rappelez-vous l’opération « tempête du désert » déchainée en janvier 1991 ! Manque un Bonnard « aux aubes lumineuses ». Et c’est heureux ! Comme au jeu de pousse-pousse, la case manquante permet la venue des mots possibles, c’est ici l’image perdue qui permet le libre jeu des images et que passe l’air qui au livre va donner sa respiration. Case vide comme « un interstice, une tangente », une poterne ouverte sur le dehors où il y aurait « de quoi (se) dissoudre dans les pigments colorés d’un maître en lumière ». C’est cela que cherche cette dormeuse éveillée qu’est Françoise Ascal : « abandonner son sac de peau », sortir, s’en sortir, trouver une issue ni par le bas, ni par le haut mais en se jetant à côté. Du côté où c’est toujours « de l’âme pour l’âme (…) de la pensée accrochant la pensée et tirant » selon la belle expression d’Arthur Rimbaud.

Françoise Ascal, Rouge Rothko, Editions Apogée, 12 euros