20/06/2011
Lu 66 - Pierre Reverdy, oeuvres complètes , Tome I et II, Flammarion
Ça y est, nous les avons les Œuvres Complètes de Pierre Reverdy ! Deux volumes chez Flammarion! En lieu et place des 14 tomes de l’ancienne édition Flammarion – Poésie / Gallimard assurant la présence de ses principaux titres dans l’horizon éditorial de ce temps : La plupart du temps, Sources du vent, Main d’œuvre plus récemment…Deux tomes, soit quelques 3000 pages comme autant de chemins dans l’œuvre et la vie de Pierre Reverdy au fil des jours et des ans : le tome I, c’est Paris jusqu’au retrait à Solesmes ; le tome II, celui de la maturité poétique.
Nous les avons ces « pièces détachées », ces notes – si importantes aux yeux de Pierre Reverdy qui disait : « je ne pense pas, je note » - ces articles, ces récits, ces recueils, tous ces poèmes.
Nous les avons avec un appareil critique discret mais d’une rigueur et d’une précision magnifiques. Merveilleux travail d’Etienne-Alain Hubert qui a assuré la mise au net de cette édition.
Nous les avons et pouvons prendre la mesure de l’importance, de la richesse et de la place de cette œuvre dans la première moitié du XX siècle par rapport aux avant-gardes picturales et poétiques : cubisme et surréalisme.
« Comme Phrynis de Mitylène qui ajouta deux cordes à la cithare grecque, Pierre Reverdy sera loué plus tard d’en avoir ajusté une à la lyre française », nous étions alors en 1918, Louis Aragon signait un court article sur Les ardoises sur le toit dans la revue Sic. On peut aujourd’hui avec ces deux tomes louer le poète qui a fait de l’image la chair et le sang du poème, image qui n’est pas, à ses yeux, « moyen de quitter le réel » mais au contraire d’ « en retrouver la saveur profonde, âcre », image creusant de tout son air la réalité, ce que nous croyons savoir du monde et qui ne le rend lisible que parce qu’il l’obscurcit et l’opacifie. Louer, l’analyste de cette émotion appelée poésie qui ébranle la sensibilité et l’esprit plaçant au lieu où se fomentent les grandes révélations qui précèdent toujours les grandes transformations. Louer, l’homme à la vie traversée de passions, soleils et orages mêlés, d’une fidélité à soi-même aussi rugueuse dans la vie que dans le poème conformément à cette sentence selon laquelle « l’éthique est l’esthétique du dedans » qui sut être à la hauteur de ce signe ascendant du désir qui toujours se dégage, se désentrave, se désembourbe, émerge tout ruisselant encore des terres où « l’on aligne les cadavres ». Et avec lui cette saveur du réel qui nous porte à « aimer le poids qui nous fait tomber ». Et plus qu’accepter, aimer notre finitude. Aimer la saveur mortelle de notre condition humaine. Déchirures comprises. Tragique porté à bout de langue comme à bout de formes par un « art de création et non de reproduction ».
Il faut garder près de soi ces deux pierres levées. Il faut lire les poèmes de Pierre Reverdy comme ceux d’un qui n’hésitait pas à affirmer « ce n’est que la vie qui m’intéresse », vous y trouverez toujours sur les devants ce « parti pris de la vie » dont parle Jacques Ancet dans ce Vingt-trois poètes et Reverdy vivants qu’ont publié les éditions Tarabuste en 2007 sous la direction d’Antoine Emaz, et entre les mots, les images, les vers, vous y verrez venir la lumière depuis ce « noir derrière les étoiles », ce vide où le vent tient sources et réserve.
15:36 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pierre reverdy, poésie, flammarion, oeuvres complètes
Claude Vercey - Ode au président S
( Claude VERCEy est né en 1943 à Dijon.
Après quelques années d'enseignement, administre de 1974 à 1984 le Théâtre de Saône-et-Loire, où il est pleinement associé à la vie théâtrale (comédien, assistant metteur en scène, dramaturge) et écrit une dizaine de pièces.
Crée en 1984 un poste de permanent dans l'association de poésie du collectif Impulsions (Chalon-sur-Saône). De la poésie il fait ainsi pendant plus de vingt-cinq ans son métier, œuvrant à la défense et illustration de la poésie contemporaine à travers lectures ou spectacles, en Bourgogne et dans toute la France. Conseiller artistique pour le Festival Temps de Paroles (Dijon).
Appartient au comité de rédaction de la revue Décharge. Responsable de la collection Polder. Chronique sur internet : les I.D sur www.dechargelarevue.com .
Dernier livre publié : Mes escaliers, Le Carnet du dessert de lune éd.)
*
A l'École Nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, l'artiste chinoise Siu-Lan Ko a été censurée pour une installation jugée provocatrice à l'encontre du Président S, installation qui a été retirée avant l'ouverture de l'exposition. L'œuvre avait été mise en place sur le façade, et était composée de quatre banderoles géantes, chacune portant un des mots suivants : travailler, gagner, plus, moins.
(Selon Libération du 12 février 2010)
Une jurisprudence semble donc s'établir selon laquelle un mot ou une expression utilisés par le président (pov' con par exemple) doit être à la suite retiré du langage courant ou n'être utilisé qu'après autorisation préalable. Nous laisserons-nous ainsi confisquer des mots qui nous appartiennent ?
Ode au président S.
Je travaille moins
car je ne travaille plus
mais je gagne un peu
un peu chaque mois je gagne un peu
un peu un peu moins chaque mois.
Alors je travaille un peu
de loin en loin
pour gagner un peu
un peu plus que le peu que je gagne.
Et en effet miracle
plus je travaille plus je gagne, oui.
*
Travailler pour gagner sa vie
plus ou moins
Traverser la vie tout en travaillant
Gagner sa vie en travaillant
Ne pas perdre sa vie à travailler
Travailler moins pour travailler mieux
Travailler plus aujourd'hui pour
ne plus travailler demain
ou travailler moins
au moins
Pour ce qu'on gagne autant ne pas
se tuer au travail
travailler plus ou moins pour
s'en sortir
Mais qui vous travaille
qu'est-ce qui vous gagne ?
Être travaillé par le travail
être gagné par la gagne
Travailler plus
pour plus ou moins gagner plus, vous raillez ?
Ne déraillez-vous pas un peu
plus ou moins ?
*
A travailler plus on
gagne plus et
qu'est-ce qu'on gagne ?
Qu'est-ce qu'en plus on gagne quand on gagne ?
Et quand on gagne ce qu'on gagne
qu'est-ce qu'au final on a gagné ?
La considération d'une foule émue,
celle de son patron, les embrassades de ses
collègues, ou gagne-t-on
la sortie ? La berge opposée ?
La vie ? A-t-on gagné sa vie au moins
ou aurait-on gagné du temps ?
Et qu'est-ce qui te travaille là
tout d'un coup puisque tu as gagné ?
*
Ceux qui travaillent plus
et ceux qui gagnent plus
sont-ce les mêmes ?
Ceux qui travaillent encore plus
et ceux qui gagnent toujours plus
sont-ce les mêmes
comme il était indiqué dans la notice ?
Un soupçon plus ou moins
me gagne
me travaille
plus ou moins.
*
Ce qu'on gagne
à travailler plus
c'est
ce qui se goûte à plein
dans les moments où on ne travaille pas
*
Travailler moins
pour goûter davantage
De temps en temps s'y mettre
selon l'humeur et le temps
partager la tâche
assurer sa partie
travailler juste
juste ce qu'il faut
Travailler en douce
Aller piano aller son train
Ne pas travailler
Ne pas gagner gros gagner son pain
travailler à mi-temps pour casser la croute
Bosser pour le plaisir
travailler selon ses moyens son âge
ses besoins prendre congés
donner de son temps
prendre son temps
battre le fer pendant qu'il est chaud
et le dimanche s'en aller tranquillou
rouler sa bosse à la campagne
s'en foutre
toujours plus ou moins
et de plus en plus
joyeusement reprendre la main
Claude Vercey
Dernière minute : Sur intervention du ministre de la culture, les Quatre mots incriminés ont été rendus à la liberté, et l'œuvre de Siu-Lan Ko réinstallée sur la façade de l'Ecole des Beaux-Arts.
15:31 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, claude vercey, revue décharge
Lu 65 - André Velter, Paseo Grande, Gallimard
On sait que la belle querelle d’André Velter depuis Poésie sur parole émission créée en 1987 sur France Culture avant de rendre l’antenne quelque 20 ans après a été et est toujours de réconcilier musique et poésie, qu’il n’est pour lui de poésie qu’orale, qu’ « un poème qui ne peut se dire, qui n’engage ni le souffle ni le corps ressemble à un violon dont l’âme a été volée ou faussée », qu’il est « pour la parole haute et vive, pas pour le papier mâché ».
On se souvient du premier livre des éditions Alphabet de l’espace (Annecy, 2007) Tant de soleils dans le sang d’André Velter, livre-récital composé dans la résonance de la guitarra flamenca de Pedro Soler. On se souvient qu’il y avait là un beau livre avec les dessins d’Ernest Pignon Ernest et le DVD du récital intégré en 3ème de couverture.
Tant de soleils dans le sang, quelle belle traduction pour ce mot espagnol que l’on doit à Federico Garcia Lorca, ce duende que toujours tente de rejoindre et d’éveiller André Velter dans son écriture.
C’est lui que l’on retrouve dans ce Paseo grande qui vient de paraître aux éditions Gallimard. Nouveau livre-récital avec Olivier Deck augmenté de 7 poèmes-talismans avec Antonio Segui, 7 quatrains qui « (relèvent) le défi / d’être toujours vivant ». C’est un livre-conséquence d’un acte, d’un événement artistique : le mano a mano – ce tête à tête qui dit le polemos, cette harmonie des contraires comme contraires dans la tension du face à face – entre André Velter et Olivier Deck lors du festival de jazz d’ Orthez. C’est un livre-passerelle qui invite à se rendre sur internet pour entendre le chant d ‘Olivier Deck et visionner quelques séquences filmées sur le site www.gallimard.fr/paseogrande.
Furieusement espagnol, son titre qui renvoie à l’entrée des toreros à las cinco de la tarde, heure de vérité où l’inconnu entame son creusement avec la sortie des toros, « heure exacte / où l’ombre et la lumière / s’en vont d’un même pas » jusqu’à « tutoyer les anges ou les dieux / et la mort les yeux ouverts », le montre. Toutefois, ce Paseo est Grande de courir les horizons et les arènes de la terre « sur les chemins de grand vent », sur les versants des montagnes afghanes, du côté du Pamir et du Taklamakan d’asie centrale, vers Samyé, sur la rive gauche du Tsang-Po. Avec l’arène, ces lieux fournissent tous l’occasion d’une part, de se trouver « au centre, le plus vif, le plus vivant / dans la distance la plus gale / de la blessure à la beauté » ; d’autre part, d’être point de passage « au bord du précipice / où la mort est fugace / où le souffle est lumière » comme entre les cornes du toro avant l’estocade et enfin, d’être comme autant d’instants suspendus, hors du monde comme hors du temps, possibilité de « s’en sortir sans sortir » selon les mots de Gherasim Luca.
L’écriture d’André Velter est toujours de main légère, d’enjambée allègre. Elle cite. Citar- je me permets d’ajouter ce mot à ceux que mobilise André Velter : Sitio, llamada, temple –c’est appeler le toro suite à un infime mouvement du pied vers la gauche et qui amène le torero à se présenter de frente, face au toro et non de profil. C’est le moment du risque maximun. Peu visible, il fait le silence sur la faena comme sur le poème images et rythme s’approchent par saccades, alternant lenteur et vitesse, délicatesse et violence. Citer ainsi, c’est appeler l’indicible à se montrer dans le dire comme indicible. C’est là comme un instant d’éternité, un moment suspendu, hors du temps des horloges. C’est le moment du duende qui selon la définition de Lorca dans Théorie et jeu du duende ne vient pas du dehors comme la muse ou l’ange mais s’éveille depuis « les ultimes demeures du sang ». Par ouches fragiles mais aussi parfois violentes, André Velter sait dans ses poèmes le réveiller. C’est lui qui blesse le poème t y fait lever un soleil qui ne se couche jamais . Là est l’originalité de la poésie d’André Velter, là se trouve sa capacité à renouer et élargir la mélodie de notre âme, là la vie trouve ses ressorts secrets pour toujours partir, toujours aller, « pour rester en partance » et « vivre sur le qui-vive / et dans un cri d’amour / comme un amour perdu ».
15:25 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : velter, paseo grande, duende, poésie
Balise 66 - Ah! le sentiment du oui...
« Il n'y a pas, il n'y a sans doute jamais eu de grand poète (et c’est pourquoi les religions du salut au fond ne lesaiment guère), de poète si sombre, si désespéré qu'il soit, sans qu'on trouve au fond de lui, tout au fond, le sentiment de la merveille, de la merveille unique que c'est d'avoir vécu dans ce monde et dans nul autre. La poésie vibre par excellence dans ce sentiment du oui« porté au sommet d'un instant que traversent frissons, battement d'ailes*- et c'est un sentiment dont notreépoque, nous l'avons vu, est plus avare que d'autres. »
*Jules Monnerot
Julien Gracq, extrait de Préférences
15:21 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oui, julien gracq, poésie