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17/02/2010

Jeanne Bastide - La Vieille qui prie

Nouvelle image-2.jpg(A propos de Jeanne bastide, nous renvoyons nos lecteurs aux Archives du 08 janvier 2008 et à notre rubrique "Mes ami(e)s, mes invité(e)s. Elle a publié depuis un silence ordinnaire, aux éditions de l'Amourier, collection Thoth en 2009 et des livres d'artiste dont Intimité de la lumière avec Yves Picquet aux éditions Double cloche en 2007;  Le ciel n'a pas de peau, encres de Jean Millon, collection À côté des Cahiers du Museur en 2008; Un silence très clair, encres de Jean Millon aux éditions Des Cent regards en 2009.

mail : janine.bastide@club-internet.fr )

 

*

La vieille qui prie

 

Tous les matins – Debout - la vieille prie

C’est ce que tu voies

Elle prie à une fenêtre que tu ne voies pas

 

Elle prie, le front plissé – les yeux fermés - les mains cousues

Elle prie, tu crois qu’elle prie –

Les jours se répètent et elle prie

Tous les matins à sa fenêtre une vieille femme prie.

 

***

 

D’elle à toi, c’est une étendue longue à traverser – tu n’en vois pas le bout. Mais tu y arriveras. Le plus difficile, c’est le flou tout au fond. Tu entends sa voix de l’autre côté …

 

Ah oui, traverser.

Affronter la pente et cette force qui t’entraîne trop vite. Les jambes qui se mettent à courir avant que tu ne le veuilles.

Tu entends une voix… un mot que tu ne reconnais pas.

 

Le pays respire en toi – avec ses creux de souffrance - son balancement intérieur.

Il y a une joie sourde à savoir la terre immobile et constante.

Tu te surprends avec un désir de marcher ou de rire en plein vent. Tu veux voir vieillir l’arbre du chemin. Sentir les entrailles du sol sous tes pas.

Ta peau s’éveille.

Ton cri devient souffle. Le corps prend les rênes.

 

 

***

 

Puis il y a eu le jour de l’escalier.

La grand-mère n’était pas là.


 

 

 

 

 

 


 

L’escalier, tu le vois comme une échelle de pierre – abrupte. Sombre et droit.

Du palier du haut c’est un gouffre. Sauf quand la porte de bois s’ouvre sur la rue et que se profile la silhouette attendue. Tu voudrais alors enjamber les quinze marches pour te retrouver dans les bras accueillants.

Le vertige te prend et le mystère de la distance – de la démarcation.

C’est peut-être là, que pour la première fois t’es venu cette sensation de limite personnelle – de peau comme frontière.

Quand les bras attendus n’enserrent que le vide de ta substance.

L’espace t’a rendue distinct, séparé. Tu aurais pu être là - ne subsiste que ton désir d’y être. En rupture avec ta continuité.

De ce fossé, tu n’as pas pris conscience aussitôt. Tu rêves encore debout de tous ces autres qui sont autres. Ce n’était pas perte, mais découverte. De cette singularité un petit pincement au cœur toutefois – comme un vertige de solitude. Déjà.

Le paysage a un autre visage. Le ciel n’est plus collé à la terre.

Et toi, tout l’espace à parcourir. Toujours.

 

***

 

Toujours la vielle femme au bout de ton chemin.

Tu ne sais pas si elle t’attend.

Elle prie. Tu lui envies cette relation avec le ciel, toi qui ne sais que regarder les nuages se défaire lentement.

Entre elle et toi, c’est un silence sans ombre. Un silence comme une respiration - Quand la nuit s’ouvre et se prolonge dans une odeur d’herbe coupée. Une parole sans injonction – Pliée en quatre. Un mouchoir bien repassé.

 

C’est un état d’abolition. Plus loin que la tranquillité.

Là où les mains ne vont pas.

Le temps est vaste.

Tu deviens.

 

Jusqu’au jour où tes yeux sont restés collés derrière la porte. Derrière cette porte fermée – Impossible à ouvrir. La mer avait du s’arrêter de battre. Collée qu’elle était à l’immobile et au pesant.

Un ciel rouge et épais et de grandes étendues désertiques. Une terre ocre et granuleuse où rien ne pousse. Derrière la porte que ta main ne pourra plus ouvrir. Et tes yeux collés au dos de la porte. Aucune fenêtre.

 

Un souffle de vent aurait suffit. Un souffle – un mouvement – un déplacement… Que le rouge s’ouvre – même de quelques centimètres – et laisse place à un peu d’air.

 

***

 

Alors chaque jour tu pétris la pâte pour le pain quotidien. Chaque jour ce geste comme prière corporelle. Un rite inscrit dans tes muscles et tes pensées. Le geste se fait tout seul. Tu en es presque à regarder tes mains opérer. Plus que tout autre, tu aimes ce moment de solitude dans ta cuisine où tes mains s’activent tranquillement et ouvrent la porte aux pensées les plus incongrues. Sans cadre et sans retenue. Des parcelles d’images ou des souvenirs passent la tête par ta fenêtre intérieure et des photos sépia écornées se posent à côté de tes mains. C’est un chaos d’images dépareillées comme de la vaisselle in assortie – des assiettes ébréchées – des tasses sans anse… tu te réfugies dans ce bric-à-brac d’images insolites où règnent un platane à cheveux rouges, où dansent des billes éclairées de l’intérieur et des dunes douces comme des mensonges. La lumière vient alors se poser sur ta main.

C’est ton théâtre familier. Ta prière ordinaire.

 

 

***

 

 

 

Tous les matins – Debout - tu pries ton pain de lever.

C’est ce que tu croies

Tu pries à ta fenêtre intérieure.

 

Les jours se répètent et tu pries.

Dans chaque matin s’insinuent les riens

L’enfant te regarde.

S’essaie à la prière du pain.

Il voit l’étendue longue à traverser. Il déguste la terre sous ses pieds – ses irrégularités… ses creux, ses cailloux. Son ardeur flotte au-dessus.

 

Le temps tourne autour de la vigne.

Tricote sa pelote de saisons.

Dans le satin des jours le temps se balance.

L’eau coule et lave l’herbe.

Chaque jour, l’herbe propre et humide.

L’eau coule, allonge le temps et les herbes.

Le pain lève et cuit.

 

L’enfant apprend.

Ce sera la même vie - la poursuite de l’âge d’homme - le fleuve qui charrie contournant les obstacles un soc qui écorche écrase et creuse la terre – le blé qui germe - l’oiseau qui trace le vol - le chemin qui poursuit un horizon toujours mouvant pendant que la langue cherche la parole dans le bruissement du temps.

 

***

 

 

Tous les matins et chaque soir le silence recouvre ses mains. C’est ainsi encore maintenant.

Elle cherche un souffle. Dans les plis de sa robe La mémoire du vent.

C’était hier.

 

Elle prie encore.

 

Tous les matins à sa fenêtre une vieille femme prie.

 

 

 

 

 

© Jeanne Bastide 2009

 

 

 

 

 

 

Commentaires

Inconditionnelle de Jeanne Bastide...quel bonheur de la retrouver ici avec toute sa sensibilité. Ce texte me va droit au coeur.

Écrit par : marie jo | 13/03/2010

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