04/04/2007
Claude Ber, Promesse à Petit Pops
Toi de la langue imagineuse et des fêtes de l'esprit, comme tu étais pauvre et sans même la paix du dénuement
Je te ramènerai, Petit Pops, dans l'arrière pays du temps
dans l'abondance de la fête
dans la clarté
Maintenant que je suis sans plus d' illusion sur le pouvoir des mots et que je ne peux même plus me prendre aux leurres de mon époque qui sont aussi le partage d'une danse à plusieurs, maintenant que je suis moi aussi séparée irrémédiablement et que je considère mes propres mains et mes propres paroles dans la démesure de leur impuissance, maintenant je pourrai
je te promets
Et je saurai employer les mots imposés par le jeu auxquels nous jouions quand tu osais encore jouer
sureau, sang, cirque, paille, piéride, vairon...
Le dernier seulement est difficile comme un regard qui surimpressionnerait ta vue à la mienne
je me souviens bien d'un chien plus loup que chien qui regardait par deux yeux distincts, brun bleu, mi confiant mi sauvage, mais c'est dans une autre histoire que la tienne
Il y avait aussi tailleur, étain, cambouis et lampadaire
Tu te souviens de ce jeu Petit Pops?
Oublie! Oublie vite! Oublie tout.
La clef du temps est un couteau qui tranche les paupières.
Piéride donc! J'ai collectionné leurs ailes blanches point noir, il y a si longtemps, au pied d'une montagne dont le socle affleurait entre les très hautes herbes parmi les rires et les envolées de papillons minuscules d'un bleu moiré et brillant comme un pigment de ciel sur le rose des oeillets sauvages, papillons précieux que le moindre coup de vent emportait et auprès desquels les grandes reines jaunes à éperons déployaient des ailes de milans. Près de la source poussaient aussi des sureaux à l'odeur entêtante et des orties que l'oncle cueillait pour la pâtée des poules; la grange sentait le lait et la paille
comme tes cheveux
Tu vois, je respecte le pacte sauf pour l'étain dont la Marroune disait qu'il portait malheur, et le malheur se porte suffisamment bien tout seul sans avoir en plus besoin qu' on le porte
toutes ces années de sang et de cambouis, Petit Pops, passons vite
De tailleur, je n'ai jamais connu que celui qui affichait sur sa ceinture "7 d'un coup" comme s'il s'agissait de géants et non des mouches engluées dans sa tartine de groseilles; déjà je ne retenais que le rouge gourmand des groseilles et le 7 semblable à celui des femmes de Barbe Bleue, des 7 nains et de tous les 7 de l'enfance, y compris ce Seth qui tronçonnait son frère renaissant dans les replis d'un fleuve à pouvoir de jouvence
si ce fleuve existait... tant de boue, Petit Pops, tant de terre et de temps recouvrent ces ruisseaux d'espérance ... et la vie terreuse elle aussi comme au confluent de rivières mortes
Je ne sais pas que faire du mot front. J'ai passé bien des fois ma main sur le tien mais ce mot le dit mal car il n'a pas le son qu'il faut
Les lampadaires ne me parlent pas non plus sauf sous la pluie, quand l'eau brille en épingles si fines dans leur lumière qu'elle paillette la nuit d'un or imputrescible... espérance, Petit Pops, comme une pluie d'été la nuit au coin de cette rue où tu habiteras encore, promis, dans ma mémoire
chez moi, dans des séjours d'emprunt où tu ne serais pas et la tristesse que j'ai de tout cela, ma vie me la jette sur le comptoir enveloppée dans un papier rose de boucherie
Ainsi moi non plus je ne sais pas où j'habite et je te rejoins à ma manière dans le sédiment de la douleur
Pourtant j'avais promis de t'emmener là-bas: martres, renards, lièvres fuyant en rebonds d'allégresse entre les myrtilles et les bogues de châtaignés par dessus le ruisseaux à truites et l'étang aux anguilles
nous tresserons les fils vénéneux de la rhubarbe et le pollen noir des asters
Oh Petit Pops, un nom d'étoile est déjà dans la graine que tu dispersais par poignées
laissant dans l'incendie du soir un sillage sombre et lumineux
les capillaires des rhubarbes emmêlés entre tes doigts irriguent une vie invisible à odeur de muguet et à bruit de feuilles
Il suffit de la revêtir
pour que l'aube rejoigne le crépuscule, ce soir, ce matin, dans l'éveil d'un jour à naître à travers la mémoire
Maintenant que je suis allée te chercher au bout du silence où les mots n'ont plus cours, bien au delà du langage, dans un lieu si désert que même le désert est luxuriance à côté de ce dénuement, maintenant que j'ai appris à remercier la plus balbutiante des paroles quand elle réaccoste au langage des hommes, je saurai ramener au fil de nos mots de misère comme un noyé à une corde ce lieu au centre d'une mer de prairies et de sapins noirs où roulent d'autres vagues que celles de la douleur, et si je ne sais pas, si je n'ai pas encore été assez dépouillée pour le faire, toi, Petit Pops, qui sais ce qu' est n'avoir plus rien et moins encore que le rien de ceux qui ont cessé toute souffrance, toi tu sauras.
© Claude BER
13:00 Publié dans Mes ami(e)s, mes invité(e)s | Lien permanent | Commentaires (2)
02/04/2007
Balise 15
Nous sommes dans Le meneur de lune, ORC, T II, Albin Michel et Joë Bousquet parle de cette chambre où il vécut, noyé dans les couleurs des plus belles toiles du monde:
"C'était le calme de l'abîme et du danger, un endroit où tout était possible et où rien n'arrivait : peut-être le lieu où s'élaborait une nouvelle idée de l'amour."
Et vous diriez qu'il ne parlait pas aussi de la littérature?
22:35 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (1)
Entretien avec Jacques Dupin, « sourcier de l’ordinaire éclat »
Coudrier vient de paraître chez POL.
Ne tardons pas !
(Cet entretien est paru en deux fois dans les colonnes du journal L’Humanité des 5 octobre 2006 et 8 mars 2007. Il a été repris dans la revue Faire Part, N°20/21, Matière d’origine , numéro d’hommage à Jacques Dupin pour fêter ses quatre-vingts ans.
Jacques Dupin est ici en compagnie du peintre Jean Capdeville)
Alain Freixe :
Coudrier, le mot dit l’arbre et son bois communément appelé noisetier. Mais il ne peut pas ne pas faire penser à la baguette du même nom. Baguette qui n’est pas bâtonnet mais branchette fourchue, bifide et que l’homme des sources, avec sa bêche à proximité, tient à deux mains en arpentant le sol à l’écoute de ce qui remugle dans les dessous : eaux et minéraux, liquides et solides, courants d’énergie pure, forces invisibles : à repérer, à aider à remonter les habillant de mots, à capter en quelques formes appropriées. Bien sûr, le mot renvoie aussi pour le lecteur au livre lui-même puisqu’il fait titre. Titre que je n’imagine pas indépendant du tout qui s’ensuit comme dans une certaine tradition surréaliste, mais au contraire comme tenant aux textes, non d’une manière ornementale mais comme faisant signe vers ce qui pourrait être le principe de leur ajustement ou comme figurant le fil invisible qui les tiendrait ensemble. Qu’en est-il de votre pratique en matière de titre ? Qu’en est-il de celui-ci ? Comment Coudrier s’est-il imposé ?
Jacques Dupin :
Le titre d'un livre n'est pas une annonce, un programme, un couvercle. Il n'est ni un condensé ni une émanation du texte. À peine un signal, un repère, pour la commodité du lecteur et du libraire. Il doit à la fin rejoindre le poème, mais il vient d'ailleurs, d'une autre case de l'imaginaire. Il n'est
pas une clé, plutôt un trou de serrure laissant le regard pénétrer. Je ne l'écris jamais avant de commencer l'écriture d'un poème. Ni forcément à la fin. Le plus souvent, il apparaît et s'impose en cours de route. Comme si le travail de la langue l'avait suscité, l'avait mis en lumière entre les lignes. Il surgit, mais il n'est pas seul, il faudra n'en garder qu'un, le plus adéquat ou le moins mauvais.
Ainsi le mot « coudrier », je l'avais noté il y a 20 ans, et gardé au frais. Un mot, et non un titre. Et puis il est revenu voltiger et bourdonner au dessus des poèmes que j'écrivais, ceux de mon dernier livre. Il avait un concurrent que je n'ai pas retenu « Le soleil vu de dos », trop intentionnel et trop ludique. Coudrier m'était apparu comme une ouverture vers une autre forme de poésie dont je ne distinguais pas les contours mais qui m'habitait.
Pour le livre de poésie, le titre est un visiteur, le signe d'une métamorphose. Une griffe sortie de la nuit pour émouvoir le tissu verbal, ou encore la greffe nourricière de la constellation de mots qu'elle surplombe. Ce peu, cette graine ou ce caillou, actif au haut de la page.
Alain Freixe :
Le mot « crime » revient souvent dans votre livre. Il apparaît comme jouant le rôle d’un double principe. D’une part, comme principe esthétique : « l’entame serait de poésie mauvaise / comme on chasse l’ours et la bécasse / en mélangeant les cartouches », faisant écho à « la haine de la poésie » de Georges Bataille ou à « cet haineusement mon amour la poésie » d’André Frénaud. D’autre part, comme principe éthique, principe d’existence : « je n’existe pas sans le crime ». Ce meurtre qui fait césure concerne « les signes et les lettres », la langue et soi avec comme pris en elle depuis toujours. Ecrire c’est quand « le couteau qui dicte / perce le blanc ». Ecrire pour délivrer, désentraver, ouvrir une voie, « percer un isthme » disait Maurice Blanchard. Dévaster ce langage de communication qui nous prive toujours plus de sens, pour rebondir, retrouver le vif, la surface et les intensités qui la parcourent. Conquérir une respiration de vivant…
22:15 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (1)
Lu 11 - La lettera amorosa de Jean-Pierre Siméon
( Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Cheyne Editeur, 2005, 13, 50 euros)
Et voilà que m’arrive cette Lettre à la femme aimée au sujet de la mort de Jean-Pierre Siméon. Une lettre d’amour, cela s’ouvre un peu à contre jour. À l’abri, dans le calme et le repos. Pour une joie.
Les poèmes de Jean-Pierre Siméon « (ôtent) la pierre sur (nos) souffles ». oui, dans l’excès de leurs coups de vent – ce lyrisme qui « (sait) être dans le cri / sans le cri » - ils nous aident à déchirer l’asphyxie qui nous menace. Avec eux, l’air accourt, la fraîcheur, la tendresse de « cet autre cœur / qui n’est pas un muscle ». Oxygéné de cet air autre qui fait claquer les mots des poèmes, il s’ouvre « au sens inexprimé des choses ».
Lyrique, Jean-Pierre Siméon ? Oui, c’est un grand remueur et rumineur de mots. En images, ils remontent des quatre coins : Amour, révoltes, mort, vie. Saturés de richesse, ils se clarifient au feu de l’effusion. Alors la verdeur du chant se prend à eux. On reconnaît bien là le directeur artistique du Printemps des poètes, sa fougue mise au service de la poésie, cette manière bien à lui de traverser le monde avec étonnement et générosité, ferveur et fermeté. Poésie qui sous toutes ses formes « mets les pieds dans le plat de l’existence » !
22:03 Publié dans Du côté de mes interventions, Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)